CA Reims, 1re ch. sect. civ., 26 mars 2024, n° 23/00406
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Les Deux Fils (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mehl-Jungbluth
Conseillers :
Mme Mathieu, Mme Pilon
Avocats :
Me Creusat, Me Genefort, Me Marichal
EXPOSE DU LITIGE
Madame [V] [M] divorcée [X] et ses deux enfants, Monsieur [N] [X] et Monsieur [D] [X] sont associés de la SCI LES DEUX FILS, dont le siège se trouve [Adresse 6], adresse de l'immeuble dont la société civile immobilière est propriétaire.
Par acte d'huissier en date du 3 mars 2020, Monsieur [N] [X] a fait assigner Madame [V] [M] divorcée [X], Monsieur [D] [X] et la SCI LES DEUX FILS devant le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne aux fins de voir ordonner la dissolution judiciaire anticipée de la SCI LES DEUX FILS, l'ouverture des opérations de liquidation et la vente par licitation de l'ensemble immobilier.
Par jugement rendu le 1er février 2023, le tribunal judiciaire de Châlons-en- Champagne a, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :
- débouté Monsieur [N] [X] de ses demandes,
- autorisé la vente amiable de l'immeuble situé [Adresse 6] appartenant à la SCI LES DEUX FILS pour un montant net vendeur de 110.000 euros,
- dit que le produit sera consigné entre les mains du notaire instrumentaire jusqu'à l'apurement des comptes entre les associés,
- condamné Monsieur [N] [X] à payer à Madame [V] [M] divorcée [X], Monsieur [D] [X] et la SCI LES DEUX FILS la somme de 500 euros, à chacun, à titre d'indemnité pour frais irrépétibles,
- débouté Monsieur [N] [X] de sa demande au titre des frais irrépétibles et l'a condamné aux dépens.
Par un acte en date du 28 février 2023, Monsieur [N] [X] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 21 septembre 2023, Monsieur [N] [X] conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour :
- d'ordonner la dissolution judiciaire anticipée de la SCI LES DEUX FILS,
- d'ordonner l'ouverture des opérations de liquidation de la SCI LES DEUX FILS
- de désigner tel expert pour y procéder, avec la mission d'usage comprenant notamment celle de faire le compte entre les parties, y incluant les loyers payés à la SCI LES DEUX FILS par Monsieur [D] [X] ou à défaut la fixation de l'indemnité d'occupation qui sera due à la société et de donner avec l'éventuel concours d'un sachant un avis motivé sur la mise à prix de 50.000 euros,
- d'ordonner la vente par licitation au plus offrant et dernier enchérisseur del l'ensemble immobilier précité avec mise a prix de 50.000 euros,
- de condamner solidairement Madame [V] [M] divorcée [X] et Monsieur [D] [X] à lui payer la somme de 6.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Il expose que la mésentente entre les associés est ancienne, qu'il est tenu à l'écart de la gestion de la société et que sa mère ne justifie pas s'être acquittée des obligations qui lui incombent en sa qualité de gérante.
Il soutient que la paralysie du fonctionnement de la société est justifiée par l'absence de toute prise de décision collective depuis la majorité des deux frères, constituant un blocage et/ou une opacité de la gestion de la SCI, dans l'ensemble de ses activités, comme dans l'exercice de ses droits des associés.
Il fait valoir qu'il est tenu à l'écart de toutes les décisions prises dans l'intérêt de la SCI LES DEUX FILS.
Il indique qu'il ne propose plus d'exercer sa faculté de retrait, cette démarche ayant abouti à un violent refus de sa mère et de son frère antérieurement à l'introduction de l'instance judiciaire.
Il affirme que le premier juge a statué ultra petita en autorisant la vente amiable qui n'avait pas été demandée et insiste sur le fait que le procès-verbal de l'assemblée générale de la société du 18 février 2022 a été contesté par ses soins suivant courrier du 23 février 2022 réceptionné le 24 février.
Il estime qu'il n'est pas justifié de l'entretien de l'immeuble par les intimés.
Aux termes de leurs dernières écritures notifiées électroniquement le 30 juin 2023, Madame [V] [M] divorcée [X], Monsieur [D] [X] et la SCI LES DEUX FILS concluent à la confirmation de la décision entreprise et demandent à la cour de dire que la mise à prix de l'immeuble pourra être modifiée par une nouvelle décision collective des associés, dans l'hypothèse où la vente amiable au prix net vendeur de 110.000 euros n'aboutirait pas dans un délai de six mois à compter de l'arrêt à venir.
Ils réclament en outre le paiement à chacun de la somme de 2.303,50 euros à titre d'indemnité pour fais irrépétibles.
Ils expliquent que lorsque Monsieur [N] [X] vivait à la maison, il était informé de manière naturelle de la gestion de la société et que depuis l'engagement du litige les formalités nécessaires ont été accomplies.
Ils indiquent que la SCI a été créée afin de protéger la famille et les enfants des aléas de l'entreprise de l'ex-époux et père.
Ils soutiennent que Monsieur [N] [X] n'a jamais été tenu à l'écart de la gestion de la société mais que c'est ce dernier qui a coupé les relations.
Ils font valoir que la maison est désormais inoccupée et que dans l'attente de la vente, ils règlent les factures d'assurance, de chauffage et d'entretien du terrain.
Ils précisent que la vente à l'amiable est ce qui est le plus conforme à l'intérêt social de la société et que la position adoptée par Monsieur [N] [X] est contre-productive.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
* Sur la dissolution de la SCI LES DEUX FILS
L'article 1844-7-5° du code civil prévoit que la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
Les articles 1855 et 1856 du code civil prévoient que les associés ont le droit d'obtenir, au moins une fois par an, communication des livres et des documents sociaux, et de poser par écrit des questions sur la gestion sociale, auxquelles il devra être répondu par écrit dans le délai d'un mois.
Les gérants doivent, au moins une fois dans l'année, rendre compte de leur gestion aux associés. Cette reddition de compte doit comporter un rapport écrit d'ensemble sur l'activité de la société au cours de l'année ou de l'exercice écoulé comportant l'indication des bénéfices réalisés ou prévisibles et des pertes encourues ou prévues.
Il résulte de la jurisprudence de la cour de Cassation que l'appréciation des justes motifs relève du pouvoir souverain des juges du fond, que l'inexécution de ses obligations par un associé ne permet, en application de l'article 1844-7- 5° précité le prononcé judiciaire de la dissolution anticipée de la société pour juste motif qu'à la condition qu'elle paralyse le fonctionnement de la société. Il en est de même s'agissant de la mésentente entre associés qui ne constitue un juste motif que si cette mésentente entraîne également la paralysie de la société.
Il incombe donc à Monsieur [N] [X] de démontrer que l'inexécution des obligations qu'il impute à sa mère et à son frère, ou que la mésentente qu'il dénonce avec ces derniers entraîne la paralysie de la société.
Il ressort des pièces produites que selon acte authentique en date du 31 août 2001 Madame [V] [M], épouse de Monsieur [J] [X], et Maître [O] [H], mandataire judiciaire agissant en qualité de liquidateur de l'entreprise de Monsieur [J] [X], ont vendu à la SCI LES DEUX FILS une maison à usage d'habitation située [Adresse 6] pour le prix de 300 000 francs soit 45 734,71 euros.
Cette opération a été financée par un prêt d'un montant de 331 472 francs, remboursable en 180 mensualités au taux annuel de 6,25 % par an.
L'acte de vente précise que l`immeuble vendu appartient pour moitié indivise en toute propriété à chacun de Monsieur et Madame [J] [X] pour l'avoir acquis dans cette proportion, avant leur mariage, de Monsieur [K] [L], au terme d`un acte notarié du 8 novembre 1989 pour un montant de 250 000 francs.
Il est établi par les statuts de la SCI LES DEUX FILS, mis à jour au 19 novembre 2001, que le capital social s'élève à 305 euros et qu'il est divisé en 20 parts sociales de 15,25 euros chacune, numérotées de 1 à 20 entièrement libérées et réparties comme suit entre les associés :
Madame [V] [M] divorcée [X] : 14 parts
Monsieur [N] [X] : 3 parts
Monsieur [D] [X] : 3 parts.
Madame [V] [M] divorcée [X] a été nommée gérante suivant procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire en date du19 novembre 2001.
Les statuts précisent que les décisions collectives sont qualifiées d'extraordinaires ou d'ordinaires. Les décisions extraordinaires sont celles qui modifient les statuts. Ce sont aussi celles qui interviennent dans les domaines plus importants de la vie sociale.
Toutes les autres décisions prises en assemblée ou lors des consultations écrites sont qualifiées de décisions collectives ordinaires.
Les décisions extraordinaires ne sont valablement prises qu'autant qu'elles ont été adoptées par un ou des associés représentant plus de trois quarts du capital social.
Les décisions ordinaires sont prises par un ou des associés représentant plus de la moitié du capital social.
Le titre VI des statuts concerne le droit d'information permanente des associés et prévoit que tout associé a le droit à toute époque d'obtenir au siège social la délivrance d'une copie certifiée des statuts en vigueur au jour de la demande. Il a le droit de prendre lui-même deux fois par an connaissance au siège social de tous livres et documents sociaux, généralement de tout document établi par la société ou reçu par elle. Les associés ont le droit de poser par écrit, deux fois par an, au gérant des questions sur la gestion sociale auxquelles il devra être répondu par écrit dans un délai d'un mois par lettre recommandée.
Les statuts prévoient qu'il est tenu un livre journal ou sont inscrites, jour après jour, les recettes et les dépenses et qu'il est tenu constamment à jour un état complet des emprunts. Il est dressé un tableau des immobilisations et des amortissements.
Les comptes de l'exercice écoulé sont présentés aux associés dans un rapport écrit d'ensemble sur l'activité de la société pendant l`exercice écoulé. Ce rapport indique avec précision l'excédent constaté, qualifié de bénéfice ou le déficit relevé constituant la perte. Il donne des indications sur les perspectives prévisibles de l'évolution de la société. Le rapport est soumis aux associés, en assemblée dans les six mois à compter de la clôture de l'exercice. Il est joint à la lettre de convocation.
Enfin, les statuts prévoient en leur article 28 qu'à 1'expiration de la société ou en cas de dissolution anticipée, une décision des associés nomme un ou plusieurs liquidateurs dont elle détermine les pouvoirs et qui les exerce conformément aux articles 1844-8 du code civil et 10 à 14, 28 à 29 du décret du 3 juillet 1978.
S'il résulte des pièces produites que depuis la création de la SCI et avant l'introduction de la présente instance, aucune tenue d'assemblée générale n'a été réalisée par la gérante, ni même l'exécution des obligations prévues par les articles 1855 et 1856 du code civil, toutefois force est de constater :
- d'une part, que Monsieur [N] [X] ne démontre pas avoir essuyé un refus s'agissant de la communication de documents ou de la tenue d'une assemblée générale ordinaire ou extraordinaire, étant précisé que le seul bien constituant la SCI est l'immeuble situé [Adresse 6], dans lequel Madame [V] [M] divorcée [X] et ses deux fils [D] et [N] ont vécu ensemble pendant de nombreuses années,
- et d'autre part, que l'inexécution de ses obligations par Madame [V] [M] divorcée [X] n'a empêché ni paralysé le fonctionnement de la SCI LES DEUX FILS.
En effet, il est démontré que le prêt souscrit par la SCI LES DEUX FILS pour acquérir le bien immobilier est remboursé, que l'immeuble est chauffé et entretenu et a constitué pendant plusieurs années la résidence principale de l'appelant et des intimés, Monsieur [D] [X], ayant été le dernier membre de la famille à quitter la maison, le 5 novembre 2021.
Il ressort des débats qu'il existe une mésentente entre les associés en raison de la dégradation des relations familiales depuis 2017, avec une cristallisation récente autour de la valeur des parts sociales de la SCI LES DEUX FILS, Monsieur [N] [X] souhaitant céder ses parts sociales pour un montant total de 18.000 euros, soit 6.000 euros la part sociale, tandis que Madame [V] [M] divorcée [X] et Monsieur [D] [X] ont proposé une valorisation à 3 000 euros la part sociale.
Les intimés démontrent que le 31 décembre 2021, ils ont donné un mandat exclusif de vente de la maison constituant la SCI à Madame [Z] [A], agent commercial immobilier, avec un prix de vente de 116.900 euros incluant les honoraires de l'agence d'un montant de 6.900 euros.
Suite à un courrier électronique adressé le 26 janvier 2022 par Monsieur [N] [X] à l'agent immobilier pour l'informer de son refus de vendre l'immeuble, Madame [A] a suspendu les visites.
Madame [V] [M] et Monsieur [D] [X] justifient que par lettre recommandée, avec accusé de réception signé le 29 janvier 2022, Monsieur [N] [X] a été convoqué à l'assemblée générale du 18 février 2022 de la SCI LES DEUX FILS en vue de la vente de la maison située [Adresse 6] et que ce dernier ne s'est pas rendu ni fait représenter à cette assemblée générale. Si Monsieur [N] [X] a contesté la validité de cette assemblée par pli recommandé, il y a lieu de souligner que celui-ci critique de manière péremptoire les conditions d'organisations de cette assemblée, sans articuler de grief précis, de sorte que son comportement s'analyse en la volonté de faire obstacle à la réunion de tous les associés et au blocage du fonctionnement de la société.
Suivant procès-verbal du 18 février 2022, Madame [V] [M] et Monsieur [D] [X] détenant 17 parts de la SCI, soit plus de 3/4 des parts ont adopté la résolution aux fins de d'autoriser la vente de l'immeuble situé [Adresse 6].
Ainsi, au vu de ces éléments, la cour comme le tribunal estime que s'il existe une évidente mésentente entre les associés de la SCI LES DEUX FILS, cette dernière n'en paralyse pas le fonctionnement, de sorte que la dissolution judiciaire de la société ne peut être ordonnée.
Par ailleurs, il y a lieu de souligner que les démarches effectuées par Madame [V] [M] divorcée [X] et Monsieur [D] [X] contribuent à préserver la conservation de l'immeuble (entretien du jardin, chauffage de la maison, etc..) et que ceux-ci sont plus soucieux de l'intérêt social de la société dans la mesure où ils ont donné leur accord pour vendre l'immeuble appartenant à la SCI LES DEUX FILS pour un montant de 110.000 euros "net vendeur" dès décembre 2021 et produisent devant la cour une offre d'achat à hauteur de 96.000 euros datée du 25 février 2022, valable jusqu'au 5 mars 2022, alors que Monsieur [N] [X] sollicite une licitation avec une mise à prix à 50 000 euros alors que le bien a fait l'objet d'une première évaluation par l'office notarial THENAULT-ZUNINO pour une valeur fixée entre 75 000 et 80 000 euros.
La licitation n'est donc pas justifiée, puisque les trois associés sont d'accord sur le principe pour vendre l'immeuble, et qu'il est évident que la vente amiable, par nature, est plus intéressante pécuniairement pour tous.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [N] [X] de sa demande de dissolution judiciaire de la SCI LES DEUX FILS et de ses demandes subséquentes d'ouverture des opérations de liquidation, de désignation d`un expert et de licitation.
S'agissant de la décision de vendre amiablement l'immeuble, la cour ne peut que constater l'existence du procès-verbal d'assemblée générale de la SCI LES DEUX FILS du 18 février 2022 ayant adopté la résolution permettant ladite vente, et n'a pas à l'autoriser, la licitation ayant été refusée.
Par conséquent, il convient d'infirmer la décision de ce chef.
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, Monsieur [N] [X] succombant, il sera tenu aux dépens d'appel.
Les circonstances de l'espèce commandent de condamner Monsieur [N] [X] à payer à Madame [V] [M] divorcée [X] et à Monsieur [D] [X] et à la SCI LES DEUX FILS , à chacun, la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et de le débouter de sa demande en paiement sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement rendu le 1er février 2023 par le tribunal judiciaire de Châlons- en- Champagne, sauf en ce qu'il a :
- autorisé la vente amiable de 1'immeuble situé [Adresse 6] appartenant à la SCI LES DEUX FILS pour un montant net vendeur de 110.000 euros,
- dit que le produit sera consigné entre les mains du notaire instrumentaire jusqu'à l'apurement des comptes entre les associés,
Et statuant à nouveau de ce seul chef,
Constate que suivant procès-verbal du 18 février 2022, l'assemblée générale de la SCI LES DEUX FILS a adopté une résolution décidant de la vente de l'immeuble situé [Adresse 6] appartenant à la SCI LES DEUX FILS.
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [N] [X] à payer à Madame [V] [M] divorcée [X] et à Monsieur [D] [X] et à la SCI LES DEUX FILS , à chacun, la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Le déboute de sa demande en paiement sur ce même fondement.
Condamne Monsieur [N] [X] aux dépens d'appel.