CA Paris, Pôle 5 - ch. 1, 27 mars 2024, n° 22/02151
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique (INRIA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Douillet
Conseillers :
Mme Barutel, Mme Bohée
Avocats :
Me De la Taille, Me Amblard, Me Fertier, Me Warusfel, Me De Maria, Me May
EXPOSE DU LITIGE
L'Université de [Localité 8] (anciennement l'Université [10]) est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP).
L'Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique (INRIA) est un établissement public à caractère scientifique et technologique placé sous la double tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation et du ministère de l'Économie et des Finances. L'INRIA indique avoir pour coeur d'activité la recherche fondamentale et appliquée en sciences et technologies de l'information et de la communication (STIC).
[F] [T], maître de conférence, rattaché à l'UFR de physique de l'Université [10] a fait l'objet, à sa demande, de mises à disposition auprès de l'INRIA entre le 1er janvier 2004 et le 31 août 2006 puis entre le 1er septembre 2008 et le 31 août 2009.
Il a ensuite été délégué auprès de la société Antelink (dont il était cofondateur et qui avait pour activité l'édition de logiciels applicatifs) jusqu'au 30 septembre 2015 avant d'être placé en position de disponibilité à sa demande jusqu'au 30 septembre 2016.
Dans le cadre de ses fonctions auprès de l'INRIA puis de l'Université de [Localité 8], [F] [T] a notamment participé au développement d'une première invention intitulée « Outil informatique de gestion de documents numériques » que les parties nomment « INRIA88 » qui a fait l'objet, le 27 octobre 2006, de la part de l'INRIA, d'une demande de brevet français enregistrée sous le numéro FR0609464, délivré le 6 février 2009. Par la suite, a été déposée une demande internationale PCT/FR2007/001766 et à ce titre, ont été délivrés des brevets en Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, Italie, Chine ainsi qu'aux Etats-Unis, au Canada et au Japon.
[F] [T] est également cité comme co-inventeur d'une seconde invention intitulée « Dispositif informatique de gestion temporelle de documents numériques » que les parties nomment « INRIA97 », qui a fait l'objet, le 25 avril 2008, d'une demande de brevet français enregistrée sous le numéro FR2930659, délivré le 28 mai 2010, par l'INRIA, agissant pour le compte de l'Université [10], devenue [9]. Par la suite, a été déposée une demande internationale PCT/FR2009/000471 et à ce titre, ont été délivrés des brevets en Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, Italie, Chine ainsi qu'au Canada et au Japon. En revanche, l'office américain des brevets (USPTO) a définitivement refusé de délivrer un titre le 8 mars 2017.
Le 16 juillet 2009, l'INRIA et l'Université de [Localité 8] ont conclu un mandat d'intérêt commun ayant pour objet la désignation du premier comme organisme gestionnaire et valorisateur du projet de « maturation et de transfert de technologie dans le cadre de la création de la société Antelink ou opération de transfert en découlant » et la définition des « conditions dans lesquelles l'INRIA agira comme Organisme Gestionnaire et Valorisateur, au nom et dans l'intérêt commun des parties ».
Le 27 mai 2010, l'Université de [Localité 8], l'INRIA et la société Antelink ont conclu un contrat de licence d'exploitation des deux brevets français précités pour une durée de 5 ans renouvelable avec une exclusivité pendant 3 ans.
Par jugement du 12 janvier 2017, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Antelink et désigné la SELARL Actis Mandataires Judiciaires en qualité de mandataire liquidateur.
Par ordonnance du 24 juillet 2017, le juge commissaire a constaté que le contrat de licence du 27 mai 2010 était toujours en cours puis, par ordonnance du 5 octobre 2017, il a ordonné la cession à la société Cast ' ayant pour activité l'édition de logiciels ' des actifs incorporels de la société Antelink sous conditions suspensives, notamment de la cession des brevets litigieux à cette dernière par l'Université de [Localité 8].
C'est dans ces conditions que par contrat du 26 janvier 2018, l'INRIA et l'Université de [Localité 8] ont cédé les brevets « INRIA88 » et « INRIA97 » à la SELARL Actis Mandataires Judiciaires, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Antelink.
Le 25 mars 2019, [F] [T] a vainement adressé à l'INRIA et à l'Université de [Localité 8], au visa de l'article R. 611-12 du code de la propriété intellectuelle, une demande d'indemnisation de ses préjudices subis du fait de l'arrêt de la valorisation des brevets litigieux et de l'absence de leur transfert à son profit.
Puis, il a fait assigner l'Université de [Localité 8] et l'INRIA par actes du 16 juillet 2019, devant le tribunal judiciaire sur le fondement d'une violation de ses droits d'inventeur.
Par jugement rendu le 21 janvier 2022, dont appel, le tribunal judiciaire de Paris :
- déclaré [F] [T] recevable en ses demandes ;
- débouté [F] [T] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamné [F] [T] à payer à l'INRIA et à l'Université de [Localité 8] ensemble la somme de 6000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné [F] [T] aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire.
M. [T] a interjeté appel de ce jugement le 26 janvier 2022.
Dans ses dernières conclusions transmises le 31 août 2023, M. [T], appelant, demande à la cour de :
Vu, notamment, les articles R 611-12 du CPI, R 611-14 du CPI, L 411-3, L538-8, 531-15 du Code de la Recherche, l'art 1240 du Code civil, la jurisprudence :
- Il est demandé à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable les demandes de Monsieur [T],
- L'infirmer en ce qu'il a rejeté des demandes de Monsieur [T],
En conséquence :
Dire et juger que l'INRIA et l'Université [Localité 8] venue aux droits de l'Université [10] à compter du 1er janvier 2020 ont commis une faute en ne permettant pas à Monsieur [T] de bénéficier des dispositions de l'article R611-12 du CPI sur les brevets litigieux ;
Condamner solidairement l'INRIA et ou l'Université [Localité 8] substituant à compter du 1er janvier 2020, l'Université de [10], à indemniser ce dernier des préjudices en résultant, soit :
Au titre de la perte liée à l'impossibilité pour l'inventeur d'exploiter ses inventions : à hauteur de 5 038 150 Euros ou à la somme minimale de 2 594 314 Euros.
En tout état de cause :
Les condamner au paiement de :
- La somme de 150 000 Euros au titre de la perte du prix de cession des brevets à CAST ;
- La somme de 20 000 Euros par an, soit 72 000 € au titre de la perte de redevances sur la période comprise entre mai 2015 et Janvier 2018, date de cession de brevets à CAST ;
- La somme de 1 783,01Euros, au titre de la perte de l'intéressement ;
- La somme 43 600 Euros par an, au titre de la perte du bénéfice des dispositions liées au concours scientifique et aux prestations de conseil liées à l'exploitation des brevets, soit à ce jour 254 333 Euros, et 617 667 Euros au titre de la perte de chance pour la durée restante du portefeuille de brevets objets de la demande de Monsieur [T] au titre de l'article R 611-12 du CPI ;
- La somme de 18 000 Euros par an au titre de sa perte de carrière, soit à ce jour un total de 105 000 Euros et 360 000 Euros supplémentaires, au titre de la perte de chance correspondante sur ses 20 années de carrières restantes.
- La somme de 50 000 Euros, sauf à parfaire, au titre de son préjudice moral ;
En tout état de cause,
- Condamner l'INRIA et l'Université [Localité 8], à payer à Monsieur [F] [T] la somme de 15 000 Euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'en tous dépens.
Dans ses dernières conclusions transmises le 24 juillet 2023, l'INRIA, intimé et appelant incident, demandent à la cour de :
Vu l'article R. 611-12 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 122 du Code de procédure civile,
Vu les pièces,
A titre principal
- confirmer le jugement du 21 janvier 2022 en ce que le Tribunal judiciaire de Paris a débouté Monsieur [F] [T] en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a déclaré recevable les demandes relatives à la perte de valorisation de ses parts sociales (chef n°1), à la perte du prix de cession des brevets à Cast (chef n°2) et à la perte des redevances (chef n°3),
- l'infirmer de ces derniers chefs,
Et, statuant à nouveau,
- déclarer que les demandes indemnitaires de Monsieur [T] relatives à la perte de valorisation de ses parts sociales (chef n°1), à la perte du prix de cession des brevets à Cast (chef n°2) et à la perte des redevances (chef n°3), sont irrecevables.
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement du 21 janvier 2022 en ce que le Tribunal judiciaire de Paris a débouté Monsieur [F] [T] de l'intégralité de ses demandes.
En tout état de cause
- condamner Monsieur [F] [T] à verser à l'INRIA la somme de 5 000 (cinq mille) euros à titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Monsieur [F] [T] aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions transmises le 28 juin 2023, l'Université [9], intimé et appelant incident, demandent à la cour de :
Vu le code de la propriété intellectuelle et notamment les dispositions de son article r611 12,
Vu le code civil, et notamment son article 1240,
Vu le code de procédure civile et notamment les dispositions de ses articles 700, 699 et 559
Vu la jurisprudence citée,
Vu l'ensemble des pièces et moyens produits,
Sur l'appel incident partiel formé par l'Université [9]
Recevant l'Université [9] dans son appel incident partiel et y faisant droit
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de paris en date du 21 janvier 2022 en ce qu'il a déclaré que
page 9 « la personne publique à laquelle les inventions litigieuses appartenaient initialement est l'Université [Localité 8] »,
page 10 « l'Université [Localité 8] en sa qualité de personne publique propriétaire des inventions litigieuses. »
- constater que les inventions litigieuses sont constituées de deux familles de brevets dits famille de brevets dits « l'INRIA88» et « l'INRIA97» et qui appartenaient respectivement à l'INRIA et à l'Université [9], jusqu'à leur cession à la société Cast en 2018,
Et statuant à nouveau,
- juger que les inventions litigieuses appartenaient initialement respectivement à l'INRIA pour la famille de brevets dits « inria88 » (sur le brevet fr0609464 et ses extensions) et à l'Université [9] pour la famille de brevets dits « inria97 » (ou brevets de perfectionnement à savoir le brevet fr2930659 et ses extensions),
Sur l'appel de monsieur [F] [T]
A titre principal
- confirmer le jugement du 21 janvier 2022 en ce que le tribunal judiciaire de paris a débouté monsieur [F] [T] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires ;
- confirmer le jugement du 21 janvier 2022 en ce que le tribunal judiciaire de paris a condamné monsieur [F] [T] à payer à l'INRIA et l'Universite [9] ensemble la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- confirmer le jugement du 21 janvier 2022 en ce que le tribunal judiciaire de paris a condamné monsieur [F] [T] aux dépens ;
A titre subsidiaire
si par extraordinaire la cour infirmait le jugement du 21 janvier 2022 du tribunal judiciaire de paris entrepris et considérait que les dispositions de l'article r611 12 du code de la propriété intellectuelle s'appliquaient,
- déclarer que, si tant est que la saisine de l'INRIA par monsieur [F] [T] soit valable, monsieur [F] [T] n'a pas saisi l'Université [9] de ses demandes au titre de l'article R611 12 du code de la propriété intellectuelle
En conséquence :
juger que l'Université [9] n'a pas méconnu les dispositions de l'article r611 12 du code de la propriété intellectuelle,
juger que l'Université [9] n'a pas engagé sa responsabilité à l'égard de monsieur [F] [T],
débouter monsieur [F] [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'égard de l'Université [9]
- déclarer que toutes les demandes indemnitaires de monsieur [F] [T] sont infondées,
En conséquence :
confirmer le jugement du 21 janvier 2022 en ce que le tribunal judiciaire de paris a débouté monsieur [F] [T] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires ;
En tout état de cause
écarter la pièce de monsieur [F] [T] dite « étude du cabinet ECAI » (gr 60 /61) ;
débouter monsieur [F] [T] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
déclarer abusif ou dilatoire selon les dispositions de l'article 559 du code de procédure civile, l'appel formé par monsieur [F] [T] à l'encontre de la décision du tribunal judiciaire de paris en date du 21 janvier 2022, afin de rechercher la condamnation de l'INRIA et l'Université [9],
En conséquence :
condamner monsieur [F] [T] à payer l'amende civile afférente, dont le montant sera apprécié par la cour,
- condamner monsieur [F] [T] à payer à l'Université [9] la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera effectué par la SELARL JRF & associes représentée par maître Stéphane Fertier, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur la recevabilité des demandes de M. [T]
L'INRIA prétend que M. [T] est irrecevable en ses demandes pour défaut de qualité à agir.
C'est par de justes motifs adoptés par la cour que le tribunal a considéré que dans la mesure où M. [T] est inventeur et co-inventeur des inventions ayant fait l'objet des brevets litigieux et que ses demandes sont fondées sur la violation alléguée des dispositions de l'article R. 611-12 du code de la propriété intellectuelle, il justifie de sa qualité à agir, les moyens opposés par l'INRIA au titre d'un prétendu défaut d'intérêt à agir de l'intéressé étant en réalité susceptibles d'entrainer le rejet de ses demandes indemnitaires et non leur irrecevabilité. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes d'infirmation de l'Université [9]
L'Université [9] soutient que le tribunal a par erreur considéré que les brevets litigieux appartenaient tous à l'Université [9] alors que les familles de brevets INRIA88 et INRIA97 appartenaient respectivement à l'INRIA et à l'Université.
La cour constate que l'Université [9] vise des motifs du jugement sans critiquer aucun des chefs du jugement entrepris tel que figurant dans le dispositif du jugement de sorte que ses demandes d'infirmation du jugement seront rejetées.
Sur le principe du droit à indemnisation de M. [T]
M. [T] soutient que sa demande porte sur l'ensemble des brevets dont l'exploitation a été abandonnée par les intimés ; que les établissements doivent proposer à l'inventeur la reprise de son invention ; que l'article R.611-12 ne prévoit aucunement l'obligation pour l'inventeur de faire la demande de transfert auprès de la personne publique ; qu'il ne reproche pas aux établissement l'arrêt de la licence notifié à la société Antelink mais réclame, sur le fondement de l'article R. 611-12 du code de la propriété intellectuelle l'indemnisation, en sa qualité d'inventeur, des conséquences de l'abandon de la valorisation par l'abandon de l'exploitation ; que le tribunal a validé une cession intervenue au mépris des dispositions de l'article R.611-12 du code de la propriété intellectuelle puisque la valorisation par les établissements a cessé à compter de mai 2015 et que le terme de la licence a été notifié expressément par ces derniers à la société Antelink ; que l'analyse selon laquelle le terme du contrat est intervenu deux années plus tard pour les seuls besoins de la liquidation ne peut pas être rétroactivement opposable à l'inventeur ; que le changement artificiel de position des établissements sur le terme de la licence, intervenu deux années plus tard, sans exploitation des brevets entre temps, ne dispense nullement les établissements de leur responsabilité vis-à-vis de l'inventeur relativement à ces inventions abandonnées sans possibilité de transfert offerte à l'inventeur ; que les établissements ne l'ont pas mis en mesure de bénéficier des dispositions de l'article R. 611-12 malgré ses demandes réitérées.
L'INRIA soutient que l'article R. 611-12 du CPI ne s'applique que si la personne publique « décide de ne pas procéder à la valorisation de l'invention » ; que dès la réalisation des deux inventions, il a procédé à leur valorisation en constituant un large portefeuille mondial de brevets, qu'il a maintenu en vigueur pendant de nombreuses années, malgré la quasi-absence de redevances et les pertes financières considérables que générait ce projet ; que l'INRIA a donc investi et valorisé les inventions bien au-delà de ses obligations légales ou conventionnelles ; que M. [T] ne l'a pas saisi d'une demande au titre de l'article R. 611-12 du code de la propriété intellectuelle concernant l'ensemble du portefeuille de brevets ; qu'en tout état de cause il n'était pas en droit de céder les brevets INRIA88 et INRIA97 en raison de la continuité du contrat de licence avec la société Antelink ; qu'il ne saurait être tenu responsable de la liquidation de la société Antelink ; qu'il n'a jamais cessé de valoriser les inventions en maintenant l'ensemble des brevets du portefeuille, jusqu'à leur cession complète à la société en liquidation Antelink, en exécution d'une décision de justice devenue définitive.
L'Université de [Localité 8] soutient que c'est avec raison que le juge de première instance a estimé que la valorisation avait non seulement existé, mais qu'elle avait été effectuée par la propriétaire des inventions litigieuses ; que ce n'est pas dans l'expiration du contrat de licence qu'il faut rechercher les causes de l'échec commercial de la société d'Antelink car ce cadre juridique aurait facilement et rapidement pu être régularisé si M. [T] l'avait voulu ; que l'article R. 611-12 du code de la propriété intellectuelle vise le cas où la personne publique n'a pas voulu engager la valorisations des inventions, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, et non la situation où cette valorisation a été engagée mais s'est révélée infructueuse.
Sur ce,
L'article R. 611-12 du code de la propriété intellectuelle énonce : 1. Les inventions faites par le fonctionnaire ou l'agent public dans l'exécution soit des tâches comportant une mission inventive correspondant à ses attributions, soit d'études ou de recherches qui lui sont explicitement confiées appartiennent à la personne publique pour le compte de laquelle il effectue lesdites tâches, études ou recherches.
Toutefois, si la personne publique décide de ne pas procéder à la valorisation de l'invention, le fonctionnaire ou agent public qui en est l'auteur peut disposer des droits patrimoniaux attachés à celle-ci, dans les conditions prévues par une convention conclue avec la personne publique. (...) ».
Il résulte de ce texte que l'invention découlant directement des recherches opérées par un universitaire dans ses activités professionnelles constitue une mission inventive, appartenant à la personne publique qui l'emploie, et que l'agent public inventeur peut bénéficier des droits patrimoniaux sur son invention, dans les conditions prévues par une convention conclue avec la personne publique, dès lors que celle-ci décide de ne pas procéder à la valorisation de ladite invention.
En l'espèce, il est constant qu'il n'a pas été conclu de convention, au sens de l'article susvisé, entre M. [T], l'INRIA et l'Université [9].
M. [T] considère, au visa de l'article R. 611-12, que la valorisation des inventions litigieuses a cessé en 2015 et reproche à l'INRIA et à l'Université [9] de ne pas lui avoir cédé leurs droits respectifs sur lesdites inventions.
Il n'est pas contesté que l'INRIA a déposé pour son propre compte et pour le compte de l'Université [9] deux demandes de brevet français, puis a procédé à la constitution de deux portefeuilles au moyen de demandes internationales de brevets ; que l'INRIA et l'Université [9] ont ensuite signé des contrats relatifs aux inventions à savoir un mandat d'intérêt commun le 16 juillet 2009, et un contrat de licence d'exploitation exclusive sur chacun des deux brevets avec la société Antelink, dont M. [T] était actionnaire majoritaire et mandataire social, le 27 mai 2010, pour une durée de 5 ans renouvelable ; que l'INRIA a investi via sa filiale IT-Translation plus de 300 000 euros pour l'acquisition d'actions dans la société Antelink ; que le président de l'Université [9] a, pour permettre à M. [T] de participer directement à la valorisation de ses inventions, consenti à sa délégation auprès de la société Antelink, celui-ci continuant de percevoir l'intégralité de son traitement pendant la première année de cette délégation.
S'agissant du prétendu arrêt de la valorisation des brevets en 2015, il est tout d'abord non contesté que les portefeuilles de brevets ont été maintenus en vigueur et renouvelés jusqu'en 2017, l'INRIA ayant investi, de 2006 à 2017, près de 185 000 euros pour les brevets INRIA88 et plus de 115 000 euros pour les brevets INRAA97. Il est également établi qu'en juin 2014, et malgré les très faibles revenus générés par la société Antelink, l'INRIA a proposé un renouvellement de la licence d'exploitation, puis en mars 2016 a proposé de formaliser une licence non-exclusive ; que le liquidateur judiciaire de la société Antelink, qui était en relation avec M. [T] en sa qualité de mandataire social de la société Antelink, ainsi que M. [T] l'a reconnu lui-même dans sa demande de concours scientifique, a considéré dans son courrier du 16 mars 2017 que « malgré le terme initial de cinq années prévu par les dispositions contractuelles, le contrat n'a fait l'objet ni d'une quelconque dénonciation de la part de l'INRIA ni d'une demande expresse de renouvellement de la part d'Antelink » et que l'INRIA a traité Antelink « comme son licencié de telle sorte que ce comportement laisse à penser que le contrat de licence liant les parties a été tacitement renouvelé » ; que la demande du liquidateur avait pour ambition de permettre la reprise des actifs d'Antelink par la société Cast laquelle était en contact avec M. [T] ainsi qu'en atteste le courrier du 17 mai 2017 par lequel la société Cast fait part de son intérêt pour ces actifs « suite aux échanges avec [F] [T] » ; que le liquidateur a donc saisi le juge commissaire le 17 juillet 2017 d'une demande de juger que le contrat de licence entre la société Antelink, l'INRIA et l'Université [9] était un contrat en cours, ce dont M. [T] était informé en sa qualité d'ancien dirigeant de la société Antelink et que par ordonnance du 24 juillet 2017, le juge commissaire a constaté que le contrat de licence du 27 mai 2010 était un contrat en cours, ouvrant ainsi l'option d'achat des deux familles de brevets « INRIA88 » et « INRIA97 » par la société Antelink représentée par son liquidateur, cette ordonnance ayant été notifiée tant à M. [T] qu'à l'INRIA ; que par ordonnance du 5 octobre 2017, le juge commissaire a constaté l'offre du candidat repreneur (la société Cast), sous condition suspensive de cession des deux familles de brevets à la société Antelink, au titre soit d'un contrat de gré à gré soit de l'option dont bénéficie la société Antelink par l'article 9 du contrat de licence ; que le liquidateur de la société Antelink a levé l'option d'achat et formalisé un contrat de cession de brevets en date du 26 janvier 2018, dont l'article 1er stipule «Le présent contrat a pour objet, en conformité des dispositions de l'article 9 du contrat de licence de brevets et logiciels en date du 27 mai 2010 et dont il est irrévocablement admis par les parties qu'il est en cours entre elles au jour des présentes comme jugé par M. le Juge-Commissaire à la procédure collective de la société Antelink ».
Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a retenu qu'une telle cession doit être considérée comme un dernier acte de valorisation justifiant l'absence de mise en 'uvre de l'article R. 611-12 du code de la propriété intellectuelle dès lors qu'elle a permis la poursuite de l'exploitation industrielle par la société Cast qui a acquis les brevets litigieux.
En outre, le mail du 16 février 2017 que M. [T] a adressé à l'INRIA n'évoque que la demande de brevet américain, à l'exclusion des autres brevets, et est surtout accompagné de nombreuses réserves auxquelles l'INRIA n'a pas donné son accord, de sorte qu'à supposer qu'il constitue une demande de convention au sens de l'article R. 611-12 du code de la propriété intellectuelle, ce qui n'est pas avéré, aucune cession de brevets n'a en tout état de cause été convenue à cette date entre M. [T] et l'INRIA, sans qu'aucun grief soit démontré de ce chef à l'encontre de l'INRIA, l'extension américaine du brevet INRIA97 ayant été refusée par l'USPTO, M. [T] n'ayant pas souhaité se saisir de la possibilité qui lui a été donnée de continuer cette procédure, et la société Antelink n'étant pas parvenue à assurer une exploitation industrielle et commerciale desdits brevets en dépit des soutiens financiers dont elle a bénéficié puisqu'elle n'a généré qu'un très faible chiffre d'affaires et a rapidement présenté des difficultés de trésorerie ayant entraîné l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à compter du 12 janvier 2017.
Enfin, aucun grief ne peut être fait à l'encontre de l'INRIA et de l'Université [9], sur le fondement de l'article R. 611-12 pour n'avoir pas engagé la procédure prévue par cet article à la suite des recours gracieux et hiérarchique formés par M. [T] respectivement les 8 septembre 2017 et 3 janvier 2018, alors qu'à ces dates le contrat de licence des brevets litigieux avait été définitivement jugé comme étant en cours, de sorte que la condition de l'absence de valorisation prescrite par l'article R. 611-12 n'était pas remplie, et que ni l'INRIA ni l'Université [9] n'avaient la liberté de céder lesdits brevets.
Il résulte des développements qui précèdent que les conditions prévues par l'article R. 611-12 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle ne sont pas réunies, et que toutes les demandes indemnitaires formées par M. [T] doivent être rejetées. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur la procédure abusive et la demande de condamnation à une amende civile
L'Université [9] fait valoir que l'appel de M. [T] est abusif et dilatoire, et sollicite sa condamnation à une amende civile.
La mise en oeuvre de l'amende civile prévue à l'article 32-1 du code de procédure civile n'appartient pas aux parties et la cour estime que les conditions d'application de cette disposition ne sont, en l'espèce, pas réunies.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. [F] [T] aux dépens d'appel, et vu l'article 700 du code de procédure civile le condamne à verser à ce titre, la somme de 5 000 euros, à chacune, à l'INRIA et à l'Université [9].