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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 27 mars 2024, n° 22/00291

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lowe Strateus (SAS)

Défendeur :

Olga (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Dallery

Avocats :

Me Hinoux, Me Vallery-Masson, Me Guyonnet, Me Cazaux

T. com. Paris, 13e ch., du 6 déc. 2021, …

6 décembre 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Lowe Strateus (ci-après dénommée "Lowe") est une agence de communication qui exerce son activité sous le nom commercial MullenLowe [Localité 4].

La société Olga (anciennement dénommée "Triballat [Localité 3]") a pour activité la commercialisation de produits bio agroalimentaires, en particulier dans le secteur laitier, du végétal et l'univers du bio. Elle commercialise notamment les produits sous marque Sojasun, Vrai, Merzer, Petit Billy et Sojade.

Le 28 novembre 2005, la société Lowe a remporté un appel d'offres lancé par la société Triballat [Localité 3] auprès de plusieurs agences spécialisées dans le conseil en marketing afin d'accroître la notoriété des marques Sojasun, Vrai, Merzer et Petit Billy.

Aux termes de ce contrat, la société Triballat [Localité 3], en sa qualité d'annonceur, a confié à la société Lowe le soin d'exécuter les prestations de création, de conseil et d'assistance concernant les actions en communication relatives aux marques Vrai, Sojasun, Merzer et Petit Billy. Ce contrat a été conclu pour une durée de trois ans à compter du 15 janvier 2005. Le contrat était stipulé renouvelable chaque année par tacite reconduction, sauf dénonciation et préavis de six mois.

Ce contrat s'est poursuivi au-delà de l'échéance initiale du 15 janvier 2008.

Par lettre du 28 juillet 2008, la société Triballat [Localité 3] a notifié à la société Lowe la fin de la relation contractuelle moyennant le respect d'un préavis de 6 mois.

Le 25 août 2009, la société Lowe a remporté un nouvel appel d'offres lancé par la société Triballat [Localité 3].

Le 21 décembre 2010 les parties ont finalisé le contrat cadre arrêtant les nouvelles conditions de leur collaboration, lequel prenait effet rétroactivement au 1er janvier 2010. Ce contrat conclu pour une durée de 3 ans, était stipulé renouvelable tacitement chaque année sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties, au terme du contrat ou à échéance de chaque reconduction par lettre recommandée avec avis de réception moyennant le respect d'un préavis de 6 mois.

La société Triballat [Localité 3] confiait à titre exclusif à la société Lowe la mission de conseil en communication portant sur les marques Sojasun, Vrai, Merzer, Petit Billy et Sojade.

En 2013, la société Triballat [Localité 3] a lancé un nouvel appel d'offres partiel sur la seule marque Vrai au terme duquel une agence concurrente à la société Lowe s'est vue confier la mission de communication.

Par lettre du 14 novembre 2019, elle a notifié à la société Lowe la résiliation du contrat conclu le 21 décembre 2010 avec effet au 31 mars 2020.

Par lettre du 16 janvier 2020, la société Lowe a indiqué à la société Triballat [Localité 3] qu'en application de l'article 19.1 du contrat, l'échéance de chaque reconduction était fixée au 30 juin de chaque année et que faute de dénonciation avant le 30 juin 2019, le contrat s'était renouvelé pour la période du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020. Elle a également sollicité le respect d'un préavis raisonnable au regard de l'article L. 442-1 du code de commerce.

Aucune solution amiable n'a été trouvée.

C'est dans ces conditions que, par acte du 10 septembre 2020, la société Lowe Strateus a assigné la société Triballat [Localité 3] devant le tribunal de commerce de Paris à l'effet de se voir allouer des dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie et pour violation de l'exclusivité consentie.

Par jugement du 6 décembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

Condamné la SAS Triballat [Localité 3] à payer à la SAS Lowe Strateus exerçant sous le nom commercial MullenLowe [Localité 4] la somme de 50.000 €, au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;

Débouté la SAS Lowe Strateus exerçant sous le nom commercial MullenLowe [Localité 4] de sa demande de dommages et intérêts au titre du non-respect de l'exclusivité consentie à son partenaire ;

Condamné la SAS Triballat [Localité 3] à payer à la SAS Lowe Strateus exerçant sous le nom commercial MullenLowe [Localité 4] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Rejeté les autres demandes, plus amples ou contraires au présent dispositif ;

Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire ;

Condamné la SAS Triballat [Localité 3] aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 24 décembre 2021 la société Lowe Strateus a interjeté appel de ce jugement.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 24 janvier 2022 la société Olga (anciennement "Triballat [Localité 3]") a également interjeté appel de ce jugement.

La jonction des deux instances a été ordonnée par décision du 6 septembre 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 17 janvier 2024, la société Lowe Strateus, demande à la Cour de :

Recevoir la société Lowe Strateus en son appel et y faisant droit :

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Limité la condamnation de la SAS Olga (anciennement dénommée Triballat [Localité 3]) à payer à la SAS Lowe Strateus exerçant sous le nom commercial MullenLowe [Localité 4] la somme de 50.000 euros au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;

- Débouté la SAS Lowe Strateus exerçant sous le nom commercial MullenLowe [Localité 4] de sa demande au titre du non-respect de l'exclusivité consentie à son partenaire ;

- Limité la condamnation de la SAS OLGA (anciennement dénommée Triballat [Localité 3]) à payer à la SAS Lowe Strateus exerçant sous le nom commercial MullenLowe [Localité 4] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Rejeté les autres demandes, plus amples ou contraires au présent dispositif mais seulement en ce qu'il déboute la SAS Lowe Strateus exerçant sous le nom commercial MullenLowe [Localité 4] de ses demandes ;

- omis de statuer sur la demande de condamnation de la SAS Olga au titre de la rupture anticipée du contrat à durée déterminée ;

Rectifier l'omission de statuer affectant le jugement entrepris et par conséquent

Vu les articles 1104 et 1231-1 du Code civil,

- Juger fautive la résiliation signifiée par la société Olga par courrier du 14 novembre 2019 ;

- Condamner la société Olga à verser à la société Lowe Strateus, au titre du gain manqué entre le 1er avril 2020 et le 31 décembre 2020, la somme de 338.234,17 € ;

Statuant à nouveau et y ajoutant

Vu l'article L. 442-1 II nouveau du Code de commerce ;

- Juger brutale la rupture des relations commerciales établies entre les parties depuis le 15 janvier 2005 ;

- Condamner la société Olga, au titre du préavis manqué à compter du 31 décembre 2020 à la somme de 581.815 € correspondant à 18 mois de marge brute perdue.

Subsidiairement

- Condamner la société Olga, au titre du préavis manqué à compter du 1er juillet 2020 à la somme de 387.877 € correspondant à 12 mois de marge brute perdue ;

En tout état de cause

- Condamner la société Olga à verser à la société Lowe Strateus la somme de 37 100.000 € à titre de dommages et intérêts en raison du non-respect de l'exclusivité consentie à son partenaire.

- Condamner la société Olga à la somme de 50.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue [Localité 4]-[Localité 5].

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 12 janvier 2024, la société Olga (anciennement dénommée Triballat [Localité 3]), demande à la Cour de :

Vu l'article L. 442-1 II du Code de commerce,

Vu les articles 143 et 144 du Code de procédure civil,

Vu la jurisprudence citée,

Vu la fiche méthodologique n° 9 de la Cour d'appel de Paris sur la réparation du préjudice

Vu les pièces versées aux débats,

A titre principal

Constater l'absence d'omission de statuer du tribunal de commerce de Paris

Dire que la relation commerciale entre Olga et Lowe n'est pas établie au sens de l'article L. 442-1 du Code de commerce

En conséquence

Débouter Lowe de sa demande de rectification de l'omission de statuer,

Débouter Lowe de ses demandes sur le fondement de la rupture fautive du contrat

Débouter Lowe de ses demandes d'indemnisation sur le fondement de l'article L. 442-1 du Code de commerce

Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 6 décembre 2021 en ce qu'il a :

- débouté Lowe de sa demande de dommages et intérêts au titre du non-respect de la clause d'exclusivité consentie à son partenaire ;

- rejeté les autres demandes, plus amples ou contraires au présent dispositif ;

Débouter Lowe de ses demandes d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

A titre incident, et à titre principal

Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 6 décembre 2021 en ce qu'il a :

- condamné Olga à payer à Lowe la somme de 50.000,00 euros au titre de la rupture brutale de la relation établie ;

- condamné Olga à payer à Lowe la somme de 5.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné Olga aux dépens, liquidés à la somme de 74,50 euros

Statuant à nouveau :

A titre principal

Dire que la relation commerciale entre Olga et Lowe n'est pas établie au sens de l'article L.442-1 du Code de commerce ;

En conséquence, débouter Lowe de ses demandes d'indemnisation sur le fondement de l'article L. 442-1 du Code de commerce

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour considérait qu'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-1 du Code de commerce a existé entre Olga et Lowe :

Dire et juger la durée de la relation commerciale établie à 10 ans

Dire et juger le préavis de 9 mois dont a bénéficié Lowe, suffisant au regard de la relation commerciale établie ayant existé entre les parties ;

En conséquence, débouter Lowe de l'ensemble de ses demandes d'indemnisation indemnisation sur le fondement de l'article L. 442-1 du Code de commerce

A titre subsidiaire

Si par extraordinaire la Cour considérait recevable la demande de Lowe au titre de la responsabilité contractuelle de Olga en raison de la résiliation du contrat conclu le 21 décembre 2020

Constater le caractère mal fondé de la demande de Lowe au titre du préjudice prétendument subi en raison de la résiliation du contrat conclu le 21 décembre 2010, et l'en débouter intégralement.

A titre infiniment subsidiaire

Si par extraordinaire la Cour considérait que Olga a commis une faute contractuelle en raison de la résiliation du contrat conclu le 21 décembre 2020

Constater le caractère mal fondé de la demande de Lowe au titre du préjudice prétendument subi en raison de la résiliation du contrat conclu le 21 décembre 2010, et l'en débouter intégralement.

En tout état de cause

Condamner Lowe à la somme de 10.000,00 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner Lowe aux entiers dépens de la présente instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 janvier 2024.

MOTIVATION

Sur l'omission de statuer et la résiliation abusive du contrat

La société Lowe soutient que le tribunal a omis de statuer sur sa demande de résiliation abusive du contrat, qu'elle a subi deux préjudices distincts de nature contractuelle d'abord puis délictuelle du fait de la rupture : la perte subie et le gain manqué au titre de l'exécution du contrat et la perte de marge pour le préavis non respecté et rétorque que ses demandes ne portent pas atteinte au principe de non cumul des responsabilité (Com. 24 octobre 2018 n° 17-25.672 et Com. 10 avril 2019 n° 18-12.882).

Elle prétend que la résiliation intervenue le 14 novembre 2019 est inefficace pour l'année 2020 car postérieure à la date du 30 juin 2019 en vertu de l'article 19.1 du contrat, de sorte qu'en cessant d'exécuter le contrat au 31 mars 2020, la société Olga s'est rendue coupable d'une résiliation unilatérale fautive.

Elle allègue d'un préjudice correspondant au manque à gagner sur le chiffre d'affaires de la période du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020, déduction faite du chiffre d'affaires réalisé jusqu'au 31 mars 2020. Sur la base du chiffre d'affaires 2019 et d'un taux de marge brute à 54,85 %, elle évalue la marge brute perdue à 338.234,17 €.

En réplique la société Olga fait valoir que la demande de la société Lowe au titre de la rupture fautive du contrat présentée devant le tribunal de commerce de Paris constituait une demande "à titre subsidiaire" et que le tribunal ayant fait droit à sa demande à titre principal, les demandes de la société Lowe sur une prétendue omission de statuer du tribunal sont infondées.

Elle se prévaut en tout état de cause du principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle dès lors que les demandes de la société Lowe auraient pour origine les mêmes faits (la résiliation du contrat de 2010) et pour conséquence le même préjudice allégué.

Concernant la résiliation du contrat, la société Olga expose que le point de départ du préavis doit être fixé au 27 juin 2019, date à laquelle elle a informé la société Lowe de sa volonté de ne pas reconduire le contrat (pièce n ° 47). Elle ajoute que la résiliation du contrat est justifiée par des manquements imputables à la société Lowe notamment au sujet des sommes facturées par cette dernière au regard des prestations réalisées et qu'elle a octroyé un préavis plus important que celui prévu au contrat, en l'espèce 9 mois.

Quant au préjudice, la société Olga conteste le caractère certain du préjudice allégué, tant dans son principe, en l'absence d'un préjudice effectivement subi, que dans son montant, en l'absence de cohérence entre le montant annoncé et les rémunérations effectivement perçues par la société Lowe au titre de l'année de référence choisie.

Réponse de la Cour,

En vertu des articles 4 et 5 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.

En application du principe "dispositif", le juge ne peut examiner une demande subsidiaire que s'il rejette la demande principale.

En l'espèce, dans le dernier état de ses conclusions récapitulatives à l'audience du 7 mai 2021, la société Lowe Strateus a demandé au tribunal, de :

"Vu l'article L. 442-1 II nouveau du code de commerce ;

- Juger brutale la rupture des relations commerciales établies entre les parties depuis le 15 janvier 2005 ;

- Condamner la société Triballat au titre du préavis manqué à la somme de 681.815 € correspondant à 18 mois de marge brute perdue.

Subsidiairement et en tout état de cause :

Vu les articles 1104 et 1231-1 du Code civil,

- Juger fautive la résiliation signifiée par la société Trib allat par courrier du 14 novembre 2019,

- Condamner la société Triballat à verser à la société LOWE Strateus au titre du gain manqué entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2020, la somme de 338.234,17 € ;

- Condamner la société Triballat à verser à la société LOWE Strateus la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts à raison du non-respect de l'exclusivité consentie à son partenaire ;

- Débouter la société Triballat de toute son argumentation et de toutes fins qu'elle comporte en ce compris sa demande d'expertise ;

- Condamner la société Triballat à la somme de 30 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile".

La société Olga (anciennement Triballat) fait valoir sans être contredite sur ce point que la société Lowe, dans ses écritures devant le tribunal, a expressément indiqué qu'à la lecture des écritures de Triballat et pour éviter tout débat inutile sur la présentation des multiples fautes reprochées à Triballat, reformuler en tant que de besoin ses prétentions lesquelles portent à titre principal sur la rupture brutale de ses relations commerciales avec Triballat.

Par conséquent, c'est sans omission de statuer que le tribunal qui a fait droit à la demande principale fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies entre les parties, ne s'est pas prononcé sur la demande subsidiaire prise de la résiliation fautive du contrat.

La demande au titre de l'omission de statuer relativement à la résiliation fautive du contrat, est rejetée.

Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie

La société Lowe se prévaut d'une relation commerciale établie depuis 16 ans avec la société Olga, les relations entre les parties ayant été ininterrompues depuis le 15 janvier 2005, date d'entrée en vigueur du premier contrat conclu entre les parties, et ce jusqu'au 31 décembre 2020, date d'effet de la résiliation du second contrat conclu entre les parties, ce, en dépit de la résiliation au 31 janvier 2009 du premier contrat par la société Olga, les relations s'étant poursuivies pendant l'année 2009 indépendamment de l'existence d'un cadre contractuel. Elle verse à ce titre les factures émises et les comptes rendus des réunions organisées tout au long de l'année et se prévaut d'un chiffre d'affaires sur l'année 2009 de 472.647, 63 €. Selon elle, l'appel d'offres emporté en 2013 ne portait que sur la marque Sojasun ce qui démontre la continuité de la relation concernant les autres marques.

S'agissant de la durée de préavis nécessaire, la société Lowe estime que l'arrêté de 1959 sur lequel s'est fondé le tribunal est désuet et non impératif. Au regard de la durée de la relation commerciale et de l'exclusivité qui lui a été accordée depuis le contrat de 2010 (article 2), elle estime qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 18 mois.

Quant au montant du préjudice, au regard des trois exercices précédents (2017, 2018, 2019), la société Lowe se prévaut d'une marge moyenne annuelle de 387.877 €. Elle ajoute que si le préjudice se calcule sur la période postérieure à la période indemnisée au titre de la rupture abusive du contrat, le préavis aurait dû être exécuté sur la période du 31 décembre 2020 au 30 juin 2022, ce qui correspond à une indemnisation de 581.815 €. Dans l'hypothèse où les effets de la résiliation notifiée le 14 novembre 2019 seraient reportés au 30 juin 2020, elle fait valoir que le préavis manquant serait réduit à 12 mois, soit une indemnisation d'un montant de 387.877 €.

En réplique la société Olga dénie une relation établie au sens de L. 442-1 II du code de commerce. Elle invoque une relation nécessairement précaire au regard des appels d'offres lancés, à intervalles réguliers, pour sélectionner un prestataire à qui elle confierait des missions de conseil et d'assistance en matière de communication. Elle fait valoir que le premier contrat conclu en 2005 a par la suite été résilié par la société Olga fin 2008, avec effet au 31 janvier 2009, que les relations ont été interrompues pendant l'année 2009 et que c'est seulement à titre gratuit que la société Lowe a souhaité faire bénéficier la société Olga de son accompagnement, que la relation commerciale a été remise en cause de manière partielle en 2013 par l'organisation d'un appel d'offres relatif à la marque Vrai, et que cette mise en concurrence à périodicité régulière caractérise la précarité de la relation liant les parties de 2005 à 2020.

Elle conteste la durée du préavis sollicité par la société Lowe au regard de l'absence de dépendance économique puisque qu'elle représentait 3,5% du chiffre d'affaires de la société Lowe. Selon elle, les manquements contractuels imputables à la société Lowe ont rendu impossible le maintien des relations entre les parties du fait de la perte de confiance en son partenaire.

Elle soutient, s'agissant d'une activité de communication, que le préjudice réparable doit être calculé sur la seule base des rémunérations de l'agence de communication et non sur l'intégralité des flux financiers entre l'agence et son client. Elle fait valoir que le chiffre d'affaires prend en compte des éléments tels que les dépenses engagées par la société Lowe pour le compte de la société Olga, dont des frais techniques, qui doivent être exclus.

Réponse de la Cour,

L'article L. 442-1, II du code de commerce issu de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige dispose :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels".

La relation, pour être établie au sens des dispositions susvisées doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper une certaine continuité de flux d'affaires avec son partenaire commercial. L'absence de contrat écrit n'est pas incompatible avec l'existence d'une relation établie.

La brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de ce dernier.

Le délai de préavis, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée de la relation commerciale et de ses spécificités, du produit ou du service concerné.

Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits ou services en cause.

En l'espèce, le tribunal a retenu l'existence d'une relation établie de dix années au moment de la rupture aux motifs qu'après deux appels d'offres remportés par la société Lowe en 2005 et en 2009, précarisant la relation antérieure, un " contrat de collaboration " a été signé entre les parties le 21 décembre 2010 à effet du 1er janvier 2010 pour une durée de trois ans renouvelable d'année en année par tacite reconduction, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties moyennant le seul respect d'un préavis de six mois, que cette relation s'est poursuivie sans interruption jusqu'à la notification écrite de la résiliation du contrat conclu le 21 décembre 2010, par lettre du 14 novembre 2019 à effet du 31 mars 2020, sans recours à une procédure d'appel d'offres, sauf pour la marque Vrai retirée en 2014.

La Cour estime que le recours à des appels d'offres successifs a nécessairement nt précarisé la relation, entre les parties, combien même seule la marque Sojasun aurait été concernée par le second appel d'offres de 2009 ainsi que le soutient la société Lowe, sans au demeurant l'établir par une attestation délivrée à elle-même.

A cet égard, il convient d'observer que le contrat signé par les parties le 21 décembre 2010, à effet du 1er janvier 2010, intitulé "CONDITIONS CONTRACTUELLES DE COLLABORATION" mentionne en préambule :

"Il [l'Annonceur (Triballat [Localité 3])] dispose d'une notoriété importante vis-à-vis des clients et des consommateurs, notamment au travers des marques : SOJASUN, VRAI, MERZER, PETIT BILLY, SOJADE.

L'Annonceur a lancé un appel d'offres après de plusieurs agences spécialisées dans le conseil en communication, afin de continuer à accroître la notoriété des marques susvisées et des produits qu'il commercialise.

L'Agence [Lowe Stratéus] a été retenue suite au projet qu'elle a présenté et s'est déclarée intéressée à suivre son projet et à assumer les prestations ci-dessous définies par l'Annonceur."

En effet, cette précarité des relations commerciales s'est vérifiée au cours du contrat puisque la marque Vrai concernée par le contrat de 2010 a fait l'objet d'un appel d'offres en décembre 2013 auquel la société Lowe a soumissionné, remporté par un tiers à compter de l'année 2014, ce dont la société Lowe "a pris acte" ainsi qu'il résulte de la proposition d'avenant au contrat de la société Lowe intégrant la sortie de la marque Vrai du périmètre contractuel, proposition jointe à son courriel du 4 juin 2014 (pièce 10 de la société Olga) en réponse au courriel de la société Triballat du 16 mai 2014 (pièce 9 de la société Olga) mentionnant : "Ce contrat est de facto (et d'un commun accord) dénoncé par Triballat-[Localité 3] en date de ce jour ; ('). Ainsi nous vous demandons de bien vouloir nous soumettre un projet, afin de pouvoir formaliser ensemble un nouveau contrat", peu important qu'aucun nouveau contrat n'ait été signé.

Dans ces conditions, la société Lowe ne peut se prévaloir de relations commerciales établies avec la société Olga (anciennement Triballat [Localité 3]), combien même deux contrats auraient été conclus entre les parties en 2005 et en 2010, et que ce dernier contrat aurait perduré par renouvellement tacite annuel jusqu'à sa résiliation en novembre 2019, alors que ces deux contrats mentionnent un appel d'offres auprès de plusieurs agences spécialisées dans le conseil en marketing afin d'accroître la notoriété des marques Sojasun, Vrai, Merzer, Petit Billy, (ainsi que Sojade en 2010) et des produits commercialisés par elle (pièces 3 et 8 de la société Lowe), et que le dernier contrat a fait l'objet d'une remise en cause partielle de la relation par suite d'un nouvel appel d'offres intervenu, en 2013, sur l'une des cinq marques, objet de celui-ci.

Au regard de l'absence de stabilité prévisible des relations liant les parties, le jugement est infirmé en ce qu'il a retenu l'existence de relations commerciales établies entre les parties à compter de ce second contrat et l'existence d'une rupture brutale des relations par la société Olga.

La demande de dommages-intérêts fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-1, II du code de commerce est rejetée.

Sur la violation par la société Olga de l'exclusivité consentie

La société Lowe fait valoir que la société Olga n'a pas respecté l'engagement d'exclusivité consenti aux termes du contrat conclu le 21 décembre 2010 en décidant de lancer un appel d'offres sur la marque Vrai, alors même que celle-ci était confiée à titre exclusif à la société Lowe. L'appel d'offres organisé n'était qu'un habillage destiné à confier la marque à un concurrent. La violation de l'exclusivité a perduré de manière continue jusqu'à la résiliation du contrat le 14 novembre 2019. Par ailleurs, la société Olga a confié certaines prestations concernant la marque Petit Billy à une autre agence concurrente durant l'exécution du préavis.

Elle évalue son préjudice forfaitairement à 100.000 € et précise que cette somme représente à peine 6 % des chiffres d'affaires réalisés durant les 9 à 14 années de travail sur ces marques.

En réplique la société Olga estime que :

- la société Lowe ne peut se prévaloir du non-respect de l'exclusivité consentie dès lors que la perte de ladite exclusivité a été tacitement acceptée par la société Lowe qui n'a pas contesté la mise en concurrence lancée et a elle-même soumissionnée à l'appel d'offres, prenant ensuite acte de la sortie de la marque Vrai de son périmètre, formalisant un projet d'avenant au contrat ;

- l'action de la société Lowe est prescrite dès lors que celle-ci a pris connaissance de la perte d'exclusivité sur la marque Vrai au plus tard le 29 janvier 2014, date de son brief de présentation à l'appel d'offres lancé par la société Olga, de sorte que toute demande formulée à ce titre est prescrite depuis le 29 janvier 2019 sur le fondement des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce ;

- concernant la marque Petit Billy, la société Lowe ne démontre pas qu'elle aurait entamé une relation avec une autre agence pendant l'exécution du préavis.

Réponse de la Cour

Il résulte à suffisance de la participation de la société Lowe à l'appel d'offres lancé par la société Olga en 2013 pour la marque Vrai et du projet d'avenant de la société Lowe jointe à son courriel du 4 juin 2014 (pièce 10 de la société Olga), que l'intéressée a tacitement accepté la sortie de la marque Vrai de son périmètre contractuel, peu important que cet avenant n'ait pas été signé.

En conséquence, elle ne saurait reprocher à la société Olga d'avoir violé l'exclusivité qui lui avait été consentie initialement sur la marque Vrai.

De surcroît, cette demande est prescrite au regard de la date de l'assignation qu'elle a délivré à la société Triballat [Localité 3] le 10 septembre 2020, plus de cinq ans s'étant écoulé depuis qu'elle a eu connaissance de l'exclusion de la marque Vrai du champ contractuel sur le fondement de l'article L. 110-4 du code de commerce.

Devant la Cour, la société Lowe se prévaut du manquement de la société Olga à l'exclusivité consentie sur la marque Petit Billy durant l'exécution du préavis.

Ainsi qu'elle le fait valoir, faute de résiliation écrite du contrat avant la lettre du 14 novembre 2019, le contrat s'est reconduit tacitement le 1er janvier 2020 jusqu'au 31 décembre 2020.

Au cours de cette période, la société Olga était redevable de l'exclusivité sur la marque Petit Billy à l'égard de la société Lowe.

Or, cette dernière établit qu'à compter du mois d'avril 2020, Olga a confié à l'agence With Barry les prestations sur cette marque (pièce 18), causant un préjudice à la société Lowe.

Au vu des pièces comptables et de l'attestation de l'expert-comptable relativement au chiffre d'affaires HT de la marque Petit Billy (pièce 50) faisant apparaître un chiffre d'affaires HT moyen sur les années 2017, 2018 et 2019 sur cette marque arrondi à 97 492 € et un chiffre d'affaires en 2020 de 27 940 €, ce préjudice sera justement réparé par l'allocation de la somme de 30 000 € que la société Olga est condamnée à verser à la société Lowe.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Le sens de l'arrêt commande de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Triballat [Localité 3] à payer une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, de condamner la société Olga à verser la somme supplémentaire de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.

La société Olga est déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises sauf en ce qu'il a condamné la société Triballat [Localité 3] aux dépens et à une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Déboute la société Lowe Strateus de sa demande de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

Rejette la demande au titre de l'omission de statuer relativement à la résiliation fautive du contrat ;

Condamne la société Olga à verser à la société Lowe Strateus la somme de 30 000 € au titre du non-respect de l'exclusivité consentie sur la marque Petit Billy ;

Condamne la société Olga à verser à la société Lowe Strateus la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel ;

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE