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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 27 mars 2024, n° 22/19200

PARIS

Ordonnance

Autre

PARTIES

Demandeur :

Sodiaal Union (SCA)

Défendeur :

Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tell

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Bocket, Me Théophile, Me Servières

TJ Paris, JLD, du 14 nov. 2022, n° 22/19…

14 novembre 2022

Par ordonnance du 14 novembre 2022, au visa de l'article L. 450-4 du code de commerce, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris a autorisé des opérations de visite et de saisie dans les locaux des entreprises suivantes :

- SODIAAL UNION, [Adresse 3], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse, ci-après " SODIAAL " ;

- GROUPE LACTALIS, 10 - 20 et [Adresse 5], et les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses, ci-après " LACTALIS " ;

- SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES et SAVENCIA, [Adresse 2], et les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses, ci-après " SRL " ou " SAVENCIA " ;

- EURIAL, [Adresse 6], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse.

Cette ordonnance faisait suite à une requête en date du 7 novembre 2022 et des pièces qui y sont jointes, du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence (ci-après ' le rapporteur général') aux fins d'établir si lesdites entreprises se livrent à la pratique prohibée par les articles L.420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après ' TFUE ') relevée dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée.

Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées les 17 et 18 novembre 2022 au siège de SODIAAL UNION, sis [Adresse 4].

Après avoir rappelé, qu'à cette requête, outre la demande d'enquête du rapporteur général du 4 novembre 2022, accompagnée de la copie de la note des rapporteurs, étaient annexés 19 autres documents contenant des pièces communiqués par le rapporteur général, que ces documents ont été recueillis ou reçus par les agents de l'Autorité de la concurrence ou de la DGCCRF en application des articles L. 450-1, L. 450-2 et L. 450-3 du code de commerce, que s'agissant des éléments d'information transmis par la DGCCRF, l'Autorité de la concurrence a pris la direction des investigations sur le fondement de l'article L. 450-5 du code de commerce et que les pièces présentées à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite puisqu'elles émanent de la consultation d'études, d'avis, de sites Internet et de banques de données électroniques accessibles au public, de l'exercice par la DGCCRF de son droit de communication dont elle semble avoir usé de manière régulière, mais également de la possibilité pour l'Autorité de la concurrence de se voir communiquer les informations ou les documents que la DGCCRF détient ou recueille, le juge des libertés et de la détention a mentionné que dans ladite requête, le rapporteur général fait état d'éléments d'information selon lesquels les entreprises précitées seraient convenues de se répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache en violation des dispositions des articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du TFUE.

La consultation de ces documents lui a permis de retenir les points suivants :

Comme l'a observé l'Autorité de la concurrence dans son avis relatif au fonctionnement du secteur laitier, ce dernier comporte trois niveaux : la production de lait (qui inclut sa collecte), sa transformation en produits destinés à être consommés ou stockés et la distribution (annexe à la requête n° 18, page 3). Le lait étant une matière première périssable, il est stocké par le producteur sur l'exploitation avant d'être collecté en moyenne tous les deux jours (annexe à la requête n° 18, page 6) et transporté vers un centre de collecte ou une laiterie pour y être transformé au plus tard 72 heures après la traite.

Selon les articles L. 631-24 I et R. 631-7 du code rural et de la pêche maritime, l'achat de lait de vache livré sur le territoire français, quelle que soit son origine, doit faire l'objet de contrats écrits entre producteurs et acheteurs ('contrats d'application'), dont la durée ne peut être inférieure à 5 ans (annexe à la requête n° 2). Selon l'article L. 631-24 II du code rural et de la pêche maritime, lorsque le producteur a donné mandat à une organisation de producteurs reconnue dont il est membre ou à une association d'organisations de producteurs reconnue à laquelle appartient l'organisation de producteurs dont il est membre pour négocier la commercialisation de ses produits sans qu'il y ait transfert de leur propriété, ces contrats sont précédés d'accords-cadres écrits entre organisations de producteurs ou associations d'organisations de producteurs et acheteurs (annexe à la requête n° 2).

Il ressort des éditions 2017, 2021 et 2022 de l'étude intitulée ' L 'économie laitière en chiffres' publiée par le CNIEL que la collecte est passée de 24 milliards de litres de lait de vache en 2016 à 23,5 milliards de litres en 2021 en France alors que selon cette même étude, il existait en 2015 sur le territoire national 61807 exploitations livrant du lait de vache (51656 en 2019 et 50349 en 2020), pour 446 entreprises de collecte (395 en 2019 et 411 en 2020) (annexe à la requête n° 3). En général, l'agriculteur contracte avec un seul acheteur alors que celui-ci s'approvisionne auprès de plusieurs centaines, voire milliers d'exploitants (annexe à la requête n° 3).

Ainsi en 2015, parmi les 446 entreprises de collecte, seules environ 6% d'entre elles réalisaient 70 % de la collecte et en 2019 et 2020, environ 7 % des entreprises collectrices réalisaient plus de 77% de la collecte (annexe à la requête n° 3). Le marché de l'approvisionnement de lait de vache se caractériserait par une offre atomisée face à une demande en comparaison concentrée, susceptible de générer un déséquilibre dans le pouvoir de négociation au détriment des producteurs. La puissance de grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, tels que LACTALIS, SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (' SRL '), SODIAAL et EURIAL, la branche lait du groupe AGRIAL, serait renforcée par la place également prépondérante qu'ils occupent sur les marchés aval de la transformation et fabrication de produits laitiers (annexe à la requête n° 17).

Dans ce contexte il est souligné que LACTALIS et SRL ont conclu, le 3 juin 2016, un contrat d'achat-vente réciproque de lait de vache départ ferme pour une durée indéterminée à compter du 1er mai 2016 (annexe à la requête n° 4).

Les ventes de lait de vache par les agriculteurs s'effectuent au départ de la ferme et il revient à l'acheteur de se charger de collecter le lait de vache pour l'acheminer vers un centre de collecte ou de transformation.

L'article 1er de ce contrat stipule que LACTALIS et SRL ' s'engagent à se vendre et s'acheter réciproquement du lait entier cru refroidi, départ ferme, de qualité saine, loyale et marchande' et que le contrat ' repose sur les principes de l'équilibre des volumes achetés et vendus et du ramassage pour ordre et compte d'autrui ' et concerne des producteurs de la région Normandie (annexe à la requête n° 4).

Aux termes de l'article 2, il est prévu que ' LACTALIS vendra à [Adresse 18], la production laitière de 64 producteurs, désignés en annexe 1. La collecte de ces producteurs représente un volume annuel de 27 522 000 litres. SAVENCIA vendra à LACTALIS, départ ferme, la production laitière des 60 producteurs désignés en annexe 2. La collecte de ces producteurs représente un volume annuel de 27 965 000 litres. (...) ' (annexe à la requête n° 4). Il est en outre précisé que ' les parties conviennent que les listes des producteurs concernés, établies en annexes, ne pourront faire l'objet d'aucune modification sans l'accord exprès de l'autre partie. ' (annexe à la requête n° 4).

L'article 3 du contrat prévoit que ' les ventes de lait réciproques s'effectuant départ ferme, la collecte des quantités de lait est assurée par l'acheteur de ces quantités pour ordre et compte du vendeur. La collecte est assurée toutes les 4 traites pour l'ensemble des producteurs. Les quantités facturées par chaque partie seront les quantités payées (litrage/MG/MP) aux producteurs." (annexe à la requête n° 4). Cet article ajoute que ' les Parties conviennent expressément que le vendeur conserve la relation avec ses producteurs visés par l'accord, notamment le paiement de la fourniture de lait et la maîtrise de la production laitière ' (annexe à la requête n° 4).

Conformément à l'article 6, les achats et ventes de lait réciproques entre LACTALIS et SRL donnent lieu à des factures établies mensuellement et toutes les obligations de paiement de sommes d'argent qui naissent entre les parties de l'exécution du contrat se compenseront entre elles, le règlement du solde étant effectué une fois par mois (annexe à la requête n° 4). Ainsi, à titre d'exemple, LACTALIS a adressé à SRL plusieurs factures le 31 décembre 2017 correspondant au lait de vache départ ferme collecté par SRL pour ordre et compte de LACTALIS, qui le lui a revendu (annexe à la requête n° 5).

Il ressort de ce contrat que les producteurs de lait ayant un accord avec LACTALIS voient leur lait collecté par SRL et inversement. Les termes de ce contrat à durée indéterminée, en particulier ses articles 2 et 3, signifieraient que LACTALIS s'interdirait de démarcher, contracter et/ou d'acheter du lait de vache auprès des producteurs laitiers ayant conclu un contrat avec SRL (visés en annexe dudit contrat), et réciproquement.

Il est souligné que, derrière l'objectif de rationalisation des coûts de la collecte, le contrat conclu entre LACTALIS et SRL pourrait avoir eu pour objet et/ou effet de répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache entre ces deux entreprises et ainsi d'empêcher les producteurs laitiers de contracter avec l'un des concurrents de leur acheteur actuel. En outre, un tel accord qui repose sur les principes de l'équilibre des volumes achetés et vendus par les parties, serait également susceptible de figer les volumes de lait produits par les producteurs visés en annexe dudit contrat.

Il est donc affirmé que ce contrat pourrait être le support ou révéler une entente entre LACTALIS et SRL prohibée par l'article L. 420-1 4° du code de commerce.

MM. [D] [ED], [Z] [E], [LW] [S] et [A] [X], respectivement directeur gestion finances, chef comptable, directeur ressources laitières du bassin ouest et responsable du contrôle de gestion et de la facture de lait de l'entreprise SRL, ont déclaré le 10 avril 2018 :

'Nous achetons notre lait aux producteurs qui sont regroupés en OP (ainsi que 2 indépendants), soit à des coopératives (Agrial pour l'Ouest et Terra Lacta pour le [Localité 16]). Tout ce qui est poudre est acheté par une autre filiale. Nous avons des échanges de lait avec Lactalis et Sodiaal (principalement) : nous collectons le lait de certains producteurs Lactalis et Sodiaal et inversement, de façon à optimiser les tournées de collecte. Cela représente 15 à 20 % de notre collecte (...) Le prix du lait retenu avec Lactalis et Sodiaal est un ' prix d'échange' il correspond à un prix ' moyenne nationale ', valable sur tout le territoire. Nous avons un contrat avec chacune de ces 2 entités ' (annexe à la requête n° 6).

Il est indiqué qu'il s'évince de ces déclarations que SRL aurait conclu un accord similaire avec SODIAAL, que les comportements observés ne seraient pas circonscrits à LACTALIS et SRL et qu'une répartition similaire des sources d'approvisionnement en lait de vache pourrait avoir été convenue entre SRL et SODIAAL. Ces soupçons d'agissements illicites seraient corroborés par plusieurs déclarations de producteurs laitiers et représentants d'organisations de producteurs laitiers indiquant se trouver dans l'impossibilité de changer d'entreprise de collecte du lait, du fait notamment, d'accords passés entre les différentes entreprises actives dans ce secteur.

Dans un courriel adressé le 7 août 2017 au ministère de l'économie et des finances, M. [J] [VP], société TMCE (Technique Minérale de Culture et d'Elevage) a dénoncé une ' probable entente illicite entre industriels du lait depuis environ 17 ans aux dépens des producteurs de lait '. Selon ses dires, ' il ne serait désormais plus possible à un producteur de changer de laiterie et de signer un contrat avec une laiterie concurrente '. Il a à ce sujet indiqué que ' jusqu'en 1998-2000, un producteur de lait mécontent de sa relation avec sa laiterie, prenait contact avec une laiterie concurrente et, dans les semaines suivantes, c'est cette nouvelle entreprise qui venait acheter son lait. Depuis 2000-2002, un producteur peut tenter la même démarche, aucune nouvelle laiterie n'accepte de venir collecter son lait. Le producteur n'a plus aucune possibilité de faire jouer la concurrence. (...) Les laiteries ont gelé la répartition de la ressource lait entre elles et toutes respectent ce pacte ' ; ' parmi les acheteurs concernés, il a désigné ' Lactalis, Savencia, ' (annexe à la requête n°7).

Mme [L] [I] et MM. [KV] [JU] et [HG] [O], respectivement prestataire en secrétariat, co-président et responsable des relations commerciales avec SRL et co-président et responsable des relations commerciales avec LACTALIS de l'association de producteurs France Milkboard (FMB) Normandie, et d'autres zones géographiques depuis 2014, ont déclaré le 6 juillet 2018 :

' FMB bassin normand traite avec 4 industriels : SAVENCIA, LACTALIS, FLECHARD (début de négociation depuis 2018) et MILLERET (fromagerie en France Comté, rédaction du contrat cadre, négociation en septembre prochain). (...)

Un éleveur laitier n'a pas le choix de sa laiterie, selon son lieu géographique et son historique. On peut quitter sa laiterie, mais aucune autre laiterie ne nous reprendra. Avec la signature du contrat d'application, le producteur est main et poing liés avec la laiterie, car le volume est lié au contrat. Le jour où vous n'avez plus de contrat, vous n'avez plus de volumes. Il faut retrouver un autre contrat, et c'est impossible car il y a une entente entre eux. La seule exception est l'installation d'un jeune.' (annexe à la requête n° 9).

Mme [P] [TN], conjointe de M. [R] [TN], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 12] en Normandie, a déclaré le 4 juillet 2018 : 'La production laitière annuelle est d'environ 230 000 litres collectés par la fromagerie de DUCEY (groupe SAVENCIA /EURIAL), et payé SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (SRL) du centre de [Localité 17] en [Localité 10] (...). Je n'ai pas eu le choix sur le lieu géographique du centre de collecte, je dépends de [Localité 20], et le lait part sur Ducey, mais il peut partir vers d'autres laiteries du groupe ou de concurrents' (annexe à la requête n° 8).

M. [K] [FE], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 21] en Normandie, a déclaré le 13 septembre 2018 : ' Je suis exploitant agricole depuis 1989. J'exploite 17 hectares en céréales. Je suis producteur de lait de vache, avec un troupeau de 80 vaches laitières et une production annuelle 673 000 de litres, collectés au centre de collecte d'AGRIAL [Localité 21]. SAVENCIA a un accord avec AGRIAL concernant la collecte. (...). Pour l'historique, l'Union laitière Normande a fait faillite. BONGRAIN [aujourd'hui SAVENCIA Fromage & Dairy] a racheté cette coopérative à hauteur de 14 %, le reste des capitaux étaient privés. BONGRAIN a désormais une convention avec EURIAL pour la collecte afin d'optimiser les coûts de collecte. LACTALIS a également des conventions pour optimiser les coûts de collecte. (...). Si je souhaitais changer de laiterie, je ne pourrais pas, car les laiteries ne sont pas en recherche de nouveaux fournisseurs. Elles demandent à leurs fournisseurs actuels d'augmenter leur nombre de litres. Toutes les laiteries veulent gérer leur propre organisation de producteurs. La livraison de ma collecte est destinée au centre de collecte de [Localité 21] ; Je n'ai pas le choix. " (annexe à la requête n° 10).

Il est souligné que cette déclaration fait état de l'existence entre SRL (SAVENCIA) et EURIAL, filiale d'AGRIAL, d'un contrat d'achat/vente réciproque de lait de vache similaire à celui conclu entre SRL et LACTALIS.

M. [W] [ZE], producteur laitier en [Localité 19], président de l'Association des Eleveurs Producteurs de Lait de [Localité 19] et président de l'établissement régional de l'élevage d'[Localité 11], a déclaré le 13 novembre 2018 :

' Les producteurs peuvent difficilement changer d'acheteur car il y a les accords de collecte notamment entre SODIAAL et LACTALIS. C'est un frein au changement lorsqu'il n'y a qu'une seule société qui collecte. La collecte est stratégique dans notre secteur de production car le produit devient rapidement non commercialisable. Il me semble que LACTALIS maintient ses producteurs dans un état de dépendance économique ' (annexe à la requête n° 11).

Cette déclaration fait également état de l'existence entre LACTALIS et SODIAAL d'un contrat d'achat/vente réciproque de lait de vache similaire à celui conclu entre LACTALIS et SRL.

Il apparaît ainsi que des contrats d'achat-vente de lait de vache similaires à celui conclu entre SRL et LACTALIS (annexe à la requête n° 4) auraient de la même manière été conclus par les grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, qui leur permettraient de se répartir les producteurs laitiers.

Il est encore mentionné que ces différentes déclarations concordent avec celles d'autres producteurs laitiers figurant dans la presse et avec des articles de presse publiés sur le sujet. Un article intitulé ' Producteurs de lait : ' Nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie' ' publié par le journal Ouest France, le 31 janvier 2017, relate les déclarations de M. [T] [U], président de l'association des producteurs de lait de la Laiterie nouvelle de l'Arguenon: ' Cette année, le prix moyen annuel payé aux producteurs étant largement inférieur à la valorisation de l'entreprise, le différentiel ne revient qu'aux coopérateurs. Cette situation est forcément subie, car nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie, à cause d'accords de collecte entre industriels.' (annexe à la requête n° 12).

Un autre article intitulé ' Lactalis : les éleveurs ne veulent plus compter pour du beurre ', publié par le journal Les Echos, le 24 janvier 2018, précise : ' Dans tous les cas, les producteurs ont intérêt à ce que Lactalis conserve sa place de leader et maintienne sa croissance. ' Il est quasiment impossible de changer de laiterie ', indique [H] [B], coordinatrice de l'OPLGO (Organisation de producteurs laitiers du Grand Ouest) qui regroupe 1.500 éleveurs. La concentration de ce secteur industriel permet rarement aux éleveurs de modifier leurs conditions de livraison. La gestion des flux pour le ramassage du lait dans les fermes est organisée à partir d'ententes entre industriels. Les producteurs sont donc pieds et poings liés avec leur laiterie, sauf dans des bassins en tension, comme dans le sud-ouest et le centre de la France où le nombre des éleveurs ne cesse de se réduire, ce qui permet à ceux qui restent de plus facilement négocier avec les laiteries. Un mal pour un bien... " (annexe à la requête n° 13).

Un dernier article intitulé ' La course infernale des producteurs de lait ' publié par le journal Le Monde diplomatique, le 1er février 2021, mentionne : ' Le ' bas de la chaîne ' ' n'a d'autre choix que d'accepter les conditions des collecteurs de sa région, qu'une main invisible semble harmoniser : ' Moi, je suis Sodiaal, et mon voisin Lactalis, mais c'est le même camion qui nous ramasse, s'amuse M. [NY] [Y]. Ils s'arrangent entre eux. Ça me fait bien rigoler ; ce n'est pas de la concurrence. Sur les prix aussi, ils sont pareils, au centime près.' Mais gare à celui qui s'aviserait de changer de laiterie : C'est dangereux, car personne ne te prendra en face ! Les groupes s'accordent en effet pour s'épargner une coûteuse lutte de captation de producteurs. C'est ainsi que MM [N] et [M] sont ' chez Lactalis' comme leurs pères, et que MM. [Y] et [F] [G] sont ' chez Sodiaal ' comme les leurs. ' Quand tu reprends une ferme, tu reprends ses quotas et sa laiterie résume M. [M].' (annexe à la requête n° 14) ;

Dans le cadre d'un reportage audio intitulé ' Journal Breton - Saison 2 ; Episode 8: La fabrique du silence : les agriculteurs sous pression des industriels ' diffusé le 29 janvier 2018 par l'émission ' Les Pieds sur Terre ' de la radio France Culture, M. [SM] [C], producteur laitier en [Localité 14], a expliqué avoir tenté de trouver une nouvelle entreprise pour collecter le lait de vache qu'il produit à la suite de la dénonciation par LACTALIS du contrat qui les liait et il a précisé à ce sujet :

' Mais ce qui a été le plus dur pour moi à accepter c'est d'entendre certaines secrétaires vous dire : Oh mais normalement on n'a pas le droit, c'est interdit par les lois, mais nous, on a des accords avec Lactalis, donc on ne touche pas à leurs producteurs et puis eux ils ne touchent pas aux nôtres '. Et ça, c'est royalement interdit mais ça se pratique quasiment tout le temps. C'est des accords de non concurrence, il faut l'appeler comme ça. ' (annexe à la requête n° 15).

L'ordonnance attaquée énonce qu'il ressort de ces différents éléments d'information que les grands groupes d'approvisionnement en lait de vache semblent avoir mis en place un système de fonctionnement tel que les producteurs laitiers ne seraient pas en position de choisir librement l'entreprise qui va procéder à la collecte et que cette répartition des sources d'approvisionnement entre collecteurs pourrait également avoir des conséquences négatives sur le prix payé aux producteurs de lait de vache.

Il est constaté que la mesure de vérification demandée par le rapporteur général aura pour objectif de confirmer ou d'infirmer l'existence de tels agissements décrits et analysés ci-dessus, ainsi que leurs auteurs dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache.

Il est donc considéré que l'ensemble de ces agissements semble constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes à dimension nationale visant à se répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache, susceptible de relever de la pratique prohibée par l'article L. 420-1 4° du code de commerce. Si la pratique illicite présumée examinée peut toucher potentiellement l'ensemble ou une partie du territoire national, elle est également susceptible d'affecter sensiblement le commerce entre Etats membres et de relever ainsi de l'application de l'article 101-1 c) du TFUE.

Le juge des libertés et de la détention a considéré que la portée de ces présomptions est suffisante au regard des qualifications prévues aux articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du TFUE et que la recherche de la preuve de cette pratique apparaît justifiée. L'énumération des agissements pour lesquels il existe des présomptions d'entente n'est probablement pas exhaustive, ceux mentionnés dans sa décision n'étant que des illustrations de la pratique prohibée dont la preuve est recherchée dans le secteur concerné.

Il est relevé que rien n'interdit de retenir, comme éléments de présomptions des faits non prescrits, des documents ou des éléments d'information datant de plus de 5 ans (annexe à la requête n° 20).

Il est affirmé que l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Autorité de la concurrence de corroborer ses soupçons. En effet, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou effet de se répartir les sources d'approvisionnement sont établies suivant des modalités secrètes, de sorte que les documents nécessaires à la preuve de la pratique prohibée sont vraisemblablement détenus et conservés en des lieux et sous des formes qui facilitent leur dissimulation, destruction ou altération en cas de vérification.

Dans ces conditions, il est considéré que le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du code de commerce constitue le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché alors que les opérations de visite et de saisie sollicitées n'apparaissent pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre puisque les intérêts et droits des entreprises concernées sont garantis dès lors que les pouvoirs des agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce sont utilisés sous son contrôle.

Il est rappelé que le juge peut, en application de l'article L. 450-4 du code de commerce, autoriser des visites et saisies en tous lieux dès lors qu'il constate que des documents se rapportant à des pratiques anticoncurrentielles présumées sont susceptibles de s'y trouver (annexe à la requête n° 19).

Aux termes de la requête qui lui a été présentée, le juge des libertés et de la détention considère qu'il est vraisemblable que les documents et les supports d'information utiles à l'apport de la preuve recherchée se trouvent dans les locaux des entreprises LACTALIS, SRL, SODIAAL et EURIAL, la branche lait du groupe AGRIAL et qu'il est nécessaire de permettre aux agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce d'intervenir simultanément afin d'éviter la disparition ou la dissimulation d'éléments matériels de preuve.

La requête du rapporteur général apparaissant fondée, il y a été fait droit.

LA PROCÉDURE

SODIAAL UNION a interjeté appel de cette ordonnance le 25 novembre 2022 et et exerçait un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie le même jour.

L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 13 décembre 2023.

Par conclusions déposées au greffe de la Cour d'appel de PARIS le 14 novembre 2023, au visa de l'article 8 de la CESDH, de l'article L. 450-4 du code de commerce et des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE, SODIAAL UNION demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de :

- annuler l'ordonnance n° 2022/3 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris du 14 novembre 2022 ; et

En conséquence :

- juger que les opérations de visite et saisies des 17 et 18 novembre 2022 réalisées au sein des locaux de Sodiaal Union et les saisies subséquentes sont nulles de plein droit ;

- ordonner la restitution à Sodiaal Union de l'ensemble des documents saisis sous format électronique et papier dans ses locaux ;

- interdire à l'Autorité de la concurrence de faire un quelconque usage des documents saisis sous format électronique et papier dans les locaux de Sodiaal Union ;

- condamner l'Autorité de la concurrence à verser la somme de 20 000 euros à la société Sodiaal Union, en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Sodiaal Union fait valoir que le recours à des visites et saisies domiciliaires a porté une atteinte illégitime et disproportionnée à ses droits fondamentaux, notamment ceux protégés par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (" CESDH "), dans la mesure où :

- premièrement, les faits allégués par le rapporteur général de l'Autorité poursuivent des objectifs pro-concurrentiels, comme l'Autorité elle-même l'a déjà reconnu ;

- deuxièmement, les prétendus agissements anticoncurrentiels dont la preuve était recherchée ne revêtent aucun caractère secret ;

- troisièmement, le rapporteur général de l'Autorité disposait de moyens moins coercitifs, mais tout aussi efficaces, pour obtenir les informations qu'il recherchait ;

- quatrièmement, le dossier du rapporteur général de l'Autorité ne contenait aucun indice suffisamment sérieux pour justifier le recours à des saisies domiciliaires, qui présentaient de ce fait un caractère exploratoire.

Par observations déposées au greffe de la Cour d'appel de PARIS le 14 novembre 2023, l'Autorité de la concurrence demande au Premier président de la Cour d'appel de Paris de :

- confirmer l'ordonnance d'autorisation rendue le 14 novembre 2022 par le JLD du tribunal judiciaire de Paris et rejeter la demande d'annulation des opérations de visite et saisie et de restitution de l'ensemble des documents saisis ;

- condamner Sodiaal au paiement de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Le ministère public conclut dans son avis en date du 8 décembre 2023 à la confirmation de l'ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris et au rejet de la demande formée par la société coopérative agricole à capital variable SODIAAL UNION d'annulation des opérations de visite et de saisie effectuées et de restitution des documents saisis.

MOTIVATION

SUR LA JONCTION

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient en application de l'article 367 du code de procédure civile et eu égard au lien de connexité entre les affaires, de joindre les instances enregistrées sous les numéros de RG 22/19200 et RG 22/19204 qui seront regroupées sous le numéro le plus ancien.

SUR L'APPEL (RG n° 22/ 19200)

SODIAAL UNION soutient que le recours par le Rapporteur aux pouvoirs d'inspection lourde de l'article L. 450-4 du code de commerce n'était ni légitime, ni nécessaire et proportionné, au regard des pratiques suspectées et des circonstances de la cause. L'appelante soutient que, compte tenu des circonstances de la cause, les opérations de visite et de saisie litigieuses ne constituaient pas une mesure légitime, nécessaire et proportionnée au but recherché pour quatre raisons qui sont autant d'arguments qu'elle développe et auxquels il sera répondu.

1) Sur la nature prétendument 'pro-concurrentielle' des contrats d'échange de collecte :

SODIAAL UNION affirme que les contrats d'échange de collecte ont été reconnus comme présentant un caractère pro-concurrentiel dans les industries caractérisées par leur dimension locale et l'importance des coûts de transport, elle soutient que ces contrats ne caractérisent pas en eux-mêmes une pratique anticoncurrentielle et pouvaient difficilement être appréhendés comme l'indice principal d'une pratique anticoncurrentielle justifiant le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du code de commerce. Par suite elle argue que ces contrats ne caractérisent pas en eux-mêmes une pratique anticoncurrentielle et pouvaient difficilement être appréhendés comme l'indice principal d'une pratique anticoncurrentielle justifiant le recours aux pouvoirs d'inspection lourde de l'article L. 450-4 du code de commerce.

Il est ainsi rappelé que l'Autorité a reconnu le caractère indispensable et pro-concurrentiel de la pratique des contrats d'échange dans ses décisions Totalgaz /UGI Bordeaux Holding qui concernaient le secteur de la distribution de gaz de pétrole liquéfié (" GPL "). Elle affirme qu'à l'instar du secteur de la distribution de GPL, le secteur de l'approvisionnement en lait de vache se caractérise par une dimension locale, des coûts de transport représentant une proportion importante des coûts variables et une absence de maîtrise des conditions d'approvisionnement, notamment pour Sodiaal. Il est soutenu que les contrats d'échange de lait représentent donc un outil indispensable afin de permettre aux entreprises du secteur de l'approvisionnement en lait de vache, dont les coopératives agricoles, de maîtriser leurs coûts logistiques tout en collectant le lait de producteurs éloignés de leurs sites de transformation, conformément à leurs obligations réglementaires. Elle soutient que l'Autorité, bien qu'ayant relevé dans certaines décisions que la pratique des contrats d'échange pouvait être susceptible de freiner la mobilité des producteurs de lait n'a jamais considéré qu'ils pouvaient être le support d'une pratique anticoncurrentielle, citant par exemple ses décisions Elle-et-Vire /Agrial, Sodiaal /Compagnie Laitière de Haute-Normandie (" CLHN ") et la décision Orlait /Comalait du ministre de l'économie.

Sur le même registre, il est soutenu que le juge des libertés et de la détention de Paris aurait dû vérifier que la requête était fondée et aurait donc dû s'interroger sur la possible qualification des contrats d'échange au regard du droit de la concurrence, ce qu'il n'a pas fait.

L'Autorité de la concurrence rétorque que le contrat d'échange de collecte (annexe à la requête n°4) ne constitue nullement une pratique anticoncurrentielle en lui-même et qu'elle n'a jamais argumenté en ce sens. Le contrat fait partie d'un faisceau d'indices analysé dans l'ordonnance du juge des libertés et de la détention. En outre, il n'a jamais été argué, ni par l'Autorité de la concurrence, ni par le juge dans son ordonnance de 14 novembre 2022, que ces accords seraient anticoncurrentiels en eux-mêmes.

Il est donc soutenu que ce ne sont pas les accords d'échange de collecte en eux-mêmes qui ont pour effet de figer le marché, mais bien l'objectif sous-jacent ainsi que les principes sur lesquels ils reposent en l'espèce, qui en feraient des supports susceptibles de révéler une entente anticoncurrentielle au regard des circonstances spécifiques au secteur qui ressortent très clairement des témoignages des producteurs recueillis. Elle ajoute que la référence par SODIAAL UNION à deux décisions du 15/05/2015 et du 03/07/2017 qui auraient admis le caractère pro-concurrentiel à la pratique des contrats d'échange sur le marché du GPL n'est pas pertinente s'agissant de décisions portant sur des concentrations et alors qu'elle avait relevé le risque anticoncurrentiel qu'ils présentaient, ce qui a justifié que les demandeurs à la concentration fussent contraints de prendre des engagements pour réduire ce risque. Les décisions concernant ELLE-ET-VIRE, SODIAAL/CLHN et ORLAIT/COMALAIT du Ministre de l'économie concernent des concentrations sans contenir d'analyses sur de possibles ententes anticoncurrentielles dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache.

L'Autorité de la concurrence rappelle qu'au stade de l'autorisation de visite et saisie, elle n'a pas à produire d'éléments de preuve de l'existence de pratiques anticoncurrentielles (ou démontrer la réalité de celles-ci), mais seulement des indices qui par leur addition, leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison aboutissent à une ou plusieurs simples présomptions de pratiques prohibées.

Le ministère public rappelle que le rôle du juge des libertés et de la détention en application de l'article L. 450-4 du code de commerce ne consiste pas à juger du fond du dossier, mais à vérifier si la requête qui lui est soumise est fondée, soit si elle contient des éléments suffisants pour soupçonner une pratique anticoncurrentielle. Il est estimé que si les contrats d'échange de collecte peuvent en effet être légitimes en eux-mêmes, ils peuvent également dissimuler des pratiques de partage du marché entre entreprises d'un oligopole comme sur le marché du lait alors que la requête et l'ordonnance multiplient les indices en ce sens.

Le fait que les accords de collecte n'aient pas fait l'objet de poursuites antérieures ou n'aient pas empêché l'Autorité de la concurrence d'autoriser des opérations de concentration dans le secteur du GPL ou même dans celui du lait, où les décisions prises prenaient en considération le caractère de coopérative de tous les intervenants, n'empêche nullement que, des soupçons étant apparus, des opérations de visites et de saisies soient mises en place.

Sur ce, le magistrat délégué :

Selon l'article L. 450-4 du code de commerce, le juge des libertés et de la détention vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise par le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée.

L'argument selon lequel d'autres types de contrats d'échange de collecte, dans le domaine du transport de GPL, ou s'agissant de certains contrats dans l'industrie laitière, aient pu en d'autres circonstances que l'appelante assimile à celle objet du présent litige, être reconnus comme valides par les autorités publiques dont l'Autorité de la concurrence, car présentant un caractère pro-concurrentiel, est indifférente en l'espèce. En effet, les contrats d'échange de collecte visés par l'ordonnance d'autorisation pouvaient parfaitement constituer per se l'indice d'une pratique anticoncurrentielle eu égard aux autres indices exposés dans la requête et repris dans l'ordonnance attaquée, à savoir les nombreux témoignages de producteurs de lait de vache ou de représentants des producteurs figurant parmi les pièces jointes à la requête. Le parallèle que fait SODIAAL UNION entre le secteur de la distribution du GPL et le secteur de la collecte du lait de vache pour accréditer son argumentaire n'est donc pas pertinent en l'espèce. L'argumentation reprise par l'appelante s'agissant des contrats laitiers jugés pro-concurrentiels, outre le fait qu'il s'agissait d'une question liée à des concentrations et non à des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, en toute hypothèse, n'est pas susceptible de remettre en cause la pertinence de la motivation de l'ordonnance d'autorisation sur le fait que les contrats d'échange de collecte litigieux.

En effet, dans ce cadre de l'application de l'article précité du code de commerce, le juge des libertés et de la détention, qui n'est pas le juge du fond, n'a pas à vérifier si tous les éléments constitutifs des pratiques prohibées définies par les articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne sont caractérisés dans la requête qui lui est soumise, mais il doit s'assurer, comme il l'a fait en l'espèce, que les éléments recueillis dans le cadre de l'enquête diligentée par l'Autorité de la concurrence constituent bien des soupçons ou indices suffisants pour soupçonner une pratique anticoncurrentielle et partant, pour justifier une visite domiciliaire afin de rechercher des éléments de preuve des agissements susvisés. Le juge des libertés et de la détention a en effet dans l'ordonnance entreprise, pris soin de relever plusieurs indices solides conduisant à une présomption de pratique anticoncurrentielle (pages 4 à 8 reprises ci-dessus).

En l'espèce si les contrats d'échange de collecte peuvent reposer sur des supports juridiques valides, il est pour autant comme indiqué précédemment possible qu'ils puissent asseoir des pratiques de partage de marché entre entreprises sur le marché de l'approvisionnement du lait de vache. Tant la requête que l'ordonnance d'autorisation reposent sur d'autres indices (p. 3 à 9) qui font référence aux déclarations de producteurs de lait expliquant que le système mis en place par ces contrats les place de facto dans l'impossibilité de changer de collecteur de lait (annexes 3 à 15 de la requête) et constituent donc des soupçons d'agissements illicites.

Le juge des libertés et de la détention s'est également fondé à juste titre en tant qu'indice d'une pratique susceptible d'être anticoncurrentielle sur le contenu des articles 2 et 3 de l'accord entre LACTALIS et SRL produit en annexe n° 4. En effet, il a été établi que des contrats d'achat-vente de lait de vache similaires à celui conclu entre SRL et LACTALIS auraient de la même manière été conclus par les grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, dont SODIAAL qui leur permettraient de se répartir les producteurs laitiers.

L'analyse du juge se fonde également sur les autres annexes à la requête, notamment les auditions des producteurs de lait de vache et les autres représentants des organisations professionnelles entendus (annexes à la requête précitées n° 6, 7, 9,10, 11,12, 13, 14 et 15) qui viennent corroborer son analyse du risque anticoncurrentiel que présentent les accords de collecte entre les entreprises visées par l'ordonnance :

C'est ainsi que MM. [D] [ED], [Z] [E], [LW] [S] et [A] [X], respectivement directeur gestion finances, chef comptable, directeur ressources laitières du bassin ouest et responsable du contrôle de gestion et de la facture de lait de l'entreprise SRL confirment la pratique généralisée par les entreprises chargées de l'approvisionnement en lait de vache, dont SRL de la conclusion d'accord d'échanges de collecte. Ils ont déclaré le 10 avril 2018 : ' Nous achetons notre lait aux producteurs qui sont regroupés en OP (ainsi que 2 indépendants), soit à des coopératives (Agrial pour l'Ouest et Terra Lacta pour le [Localité 16]). Tout ce qui est poudre est acheté par une autre filiale. Nous avons des échanges de lait avec Lactalis et Sodiaal (principalement): nous collectons le lait de certains producteurs Lactalis et Sodiaal et inversement, de façon à optimiser les tournées de collecte. Cela représente 15 à 20 % de notre collecte (...) Le prix du lait retenu avec Lactalis et Sodiaal est un ' prix d'échange' il correspond à un prix ' moyenne nationale ', valable sur tout le territoire. Nous avons un contrat avec chacune de ces 2 entités ' (annexe à la requête n°6).

Partant, c'est à juste titre que le juge des libertés et de la détention déduit de ces déclarations ' que SRL aurait conclu un accord similaire avec SODIAAL, que les comportements observés ne seraient pas circonscrits à LACTALIS et SRL et qu'une répartition similaire des sources d'approvisionnement en lait de vache pourrait avoir été convenue entre SRL et SODIAAL. Ces soupçons d'agissements illicites seraient corroborés par plusieurs déclarations de producteurs laitiers et représentants d'organisations de producteurs laitiers indiquant se trouver dans l'impossibilité de changer d'entreprise de collecte du lait, du fait notamment, d'accords passés entre les différentes entreprises actives dans ce secteur.' .

C'est ainsi que dans un courriel adressé le 7 août 2017 au ministère de l'économie et des finances, M. [J] [VP], société TMCE (Technique Minérale de Culture et d'Elevage) a dénoncé une ' probable entente illicite entre industriels du lait depuis environ 17 ans aux dépens des producteurs de lait '. Selon ses dires, ' il ne serait désormais plus possible à un producteur de changer de laiterie et de signer un contrat avec une laiterie concurrente '. (...) ' Depuis 2000-2002, un producteur peut tenter la même démarche (changer de laiterie et signer un nouveau contrat avec une laiterie concurrente), aucune nouvelle laiterie n'accepte de venir collecter son lait. Le producteur n'a plus aucune possibilité de faire jouer la concurrence. (...) Les laiteries ont gelé la répartition de la ressource lait entre elles et toutes respectent ce pacte ' ; Le juge souligne que 'parmi les acheteurs concernés, il a désigné ' Lactalis, Savencia, ' (annexe à la requête n°7).

Mme [L] [I] et MM. [KV] [JU] et [HG] [O], respectivement prestataire en secrétariat, co-président et responsable des relations commerciales avec SRL et co-président et responsable des relations commerciales avec LACTALIS de l'association de producteurs France Milkboard (FMB) Normandie, et d'autres zones géographiques depuis 2014, ont déclaré le 6 juillet 2018 : ' FMB bassin normand traite avec 4 industriels : SAVENCIA, LACTALIS, FLECHARD (début de négociation depuis 2018) et MILLERET (fromagerie en France Comté, rédaction du contrat cadre, négociation en septembre prochain). (...). Un éleveur laitier n'a pas le choix de sa laiterie, selon son lieu géographique et son historique. On peut quitter sa laiterie, mais aucune autre laiterie ne nous reprendra. Avec la signature du contrat d'application, le producteur est main et poing liés avec la laiterie, car le volume est lié au contrat. Le jour où vous n'avez plus de contrat, vous n'avez plus de volumes. Il faut retrouver un autre contrat, et c'est impossible car il y a une entente entre eux. La seule exception est l'installation d'un jeune.' (annexe à la requête n° 9).

Mme [P] [TN], conjointe de M. [R] [TN], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 12] en Normandie, a déclaré le 4 juillet 2018 : ' La production laitière annuelle est d'environ 230 000 litres collectés par la fromagerie de DUCEY (groupe SAVENCIA /EURIAL), et payé SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (SRL) du centre de [Localité 17] en [Localité 10] (...). Je n'ai pas eu le choix sur le lieu géographique du centre de collecte, je dépends de [Localité 20], et le lait part sur Ducey, mais il peut partir vers d'autres laiteries du groupe ou de concurrents ' (annexe à la requête n°8).

M. [K] [FE], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 21] en Normandie, a déclaré le 13 septembre 2018 : ' Je suis exploitant agricole depuis 1989. (...) Je suis producteur de lait de vache, avec un troupeau de 80 vaches laitières et une production annuelle 673 000 de litres, collectés au centre de collecte d'AGRIAL [Localité 21]. SAVENCIA a un accord avec AGRIAL concernant la collecte. (...). Pour l'historique, l'Union laitière Normande a fait faillite. BONGRAIN [aujourd'hui SAVENCIA Fromage & Dairy] a racheté cette coopérative à hauteur de 14 %, le reste des capitaux étaient privés. BONGRAIN a désormais une convention avec EURIAL pour la collecte afin d'optimiser les coûts de collecte. LACTALIS a également des conventions pour optimiser les coûts de collecte. (...). Si je souhaitais changer de laiterie, je ne pourrais pas, car les laiteries ne sont pas en recherche de nouveaux fournisseurs. Elles demandent à leurs fournisseurs actuels d'augmenter leur nombre de litres. Toutes les laiteries veulent gérer leur propre organisation de producteurs. La livraison de ma collecte est destinée au centre de collecte de [Localité 21] ; Je n'ai pas le choix. " (annexe à la requête n° 10).

M. [W] [ZE], producteur laitier en [Localité 19], président de l'Association des Eleveurs Producteurs de Lait de [Localité 19] et président de l'établissement régional de l'élevage d'[Localité 11], a déclaré le 13 novembre 2018 : ' Les producteurs peuvent difficilement changer d'acheteur car il y a les accords de collecte notamment entre SODIAAL et LACTALIS. C'est un frein au changement lorsqu'il n'y a qu'une seule société qui collecte. La collecte est stratégique dans notre secteur de production car le produit devient rapidement non commercialisable. Il me semble que LACTALIS maintient ses producteurs dans un état de dépendance économique ' (annexe à la requête n° 11).

Un article intitulé ' Producteurs de lait : ' Nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie' ' publié par le journal Ouest France, le 31 janvier 2017, relate les déclarations de M. [T] [U], président de l'association des producteurs de lait de la Laiterie nouvelle de l'Arguenon: ' Cette année, le prix moyen annuel payé aux producteurs étant largement inférieur à la valorisation de l'entreprise, le différentiel ne revient qu'aux coopérateurs. Cette situation est forcément subie, car nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie, à cause d'accords de collecte entre industriels.' (annexe à la requête n° 12).

Un autre article intitulé ' Lactalis : les éleveurs ne veulent plus compter pour du beurre ', publié par le journal Les Echos, le 24 janvier 2018, précise : ' Dans tous les cas, les producteurs ont intérêt à ce que Lactalis conserve sa place de leader et maintienne sa croissance. ' Il est quasiment impossible de changer de laiterie ', indique [H] [B], coordinatrice de l'OPLGO (Organisation de producteurs laitiers du Grand Ouest) qui regroupe 1.500 éleveurs. La concentration de ce secteur industriel permet rarement aux éleveurs de modifier leurs conditions de livraison. La gestion des flux pour le ramassage du lait dans les fermes est organisée à partir d'ententes entre industriels. Les producteurs sont donc pieds et poings liés avec leur laiterie, sauf dans des bassins en tension, comme dans le sud-ouest et le centre de la France où le nombre des éleveurs ne cesse de se réduire, ce qui permet à ceux qui restent de plus facilement négocier avec les laiteries. Un mal pour un bien... " (annexe à la requête n° 13).

Un dernier article intitulé ' La course infernale des producteurs de lait ' publié par le journal Le Monde diplomatique, le 1er février 2021, mentionne : ' Le ' bas de la chaîne ' ' n'a d'autre choix que d'accepter les conditions des collecteurs de sa région, qu'une main invisible semble harmoniser : ' Moi, je suis Sodiaal, et mon voisin Lactalis, mais c'est le même camion qui nous ramasse, s'amuse M. [NY] [Y]. Ils s'arrangent entre eux. Ça me fait bien rigoler ; ce n'est pas de la concurrence. Sur les prix aussi, ils sont pareils, au centime près.' Mais gare à celui qui s'aviserait de changer de laiterie : C'est dangereux, car personne ne te prendra en face ! Les groupes s'accordent en effet pour s'épargner une coûteuse lutte de captation de producteurs. C'est ainsi que MM [N] et [M] sont ' chez Lactalis' comme leurs pères, et que MM. [Y] et [F] [G] sont ' chez Sodiaal ' comme les leurs. ' Quand tu reprends une ferme, tu reprends ses quotas et sa laiterie résume M. [M].' (annexe à la requête n° 14) ;

Dans le cadre d'un reportage audio intitulé ' Journal Breton - Saison 2 ; Episode 8: La fabrique du silence : les agriculteurs sous pression des industriels ' diffusé le 29 janvier 2018 par l'émission

' Les Pieds sur Terre ' de la radio France Culture, M. [SM] [C], producteur laitier en [Localité 14], a expliqué avoir tenté de trouver une nouvelle entreprise pour collecter le lait de vache qu'il produit à la suite de la dénonciation par LACTALIS du contrat qui les liait et il a précisé à ce sujet :

' Mais ce qui a été le plus dur pour moi à accepter c'est d'entendre certaines secrétaires vous dire : Oh mais normalement on n'a pas le droit, c'est interdit par les lois, mais nous, on a des accords avec Lactalis, donc on ne touche pas à leurs producteurs et puis eux ils ne touchent pas aux nôtres '. Et ça, c'est royalement interdit mais ça se pratique quasiment tout le temps. C'est des accords de non concurrence, il faut l'appeler comme ça. ' (annexe à la requête n° 15).

Le moyen sera rejeté.

2) Sur le caractère non secret des accords d'échanges de collecte :

SODIAAL UNION soutient qu'à supposer que le recours à l'article L. 450-4 du code de commerce ait été légitime, il n'était pas nécessaire et encore moins proportionné en l'espèce, dans la mesure où les pratiques alléguées dans la requête ne revêtent aucun caractère secret. Le caractère connu des contrats d'échange aurait dû conduire au rejet de la requête du rapporteur général ou à justifier dans l'ordonnance en quoi les opérations de visites et de saisies constituaient une mesure d'enquête adéquate, alors que les pratiques recherchées n'avaient aucun caractère secret. Il est donc allégué une absence de contrôle de la nécessité et de la proportionnalité par le juge des libertés et de la détention justifiant l'annulation de l'ordonnance.

L'Autorité de la concurrence rétorque que le juge des libertés et de la détention de [Localité 15], dans son ordonnance (p. 10 et s.), a motivé le recours à l'article L. 450-4 du code de commerce, le recours aux pouvoirs d'enquête simple lui paraissant insuffisant, ce qui démontre l'existence de son contrôle de proportionnalité. Elle ajoute qu'une enquête de concurrence nécessite le recours aux pouvoirs de visite et saisie autorisés pour prospérer dans un domaine où l'opacité des affaires et la prudence de l'expression écrite des acteurs rendent nécessaire de puiser dans des éléments épars pour établir l'existence ou non des pratiques anticoncurrentielles soupçonnées.

Le ministère public est d'avis que l'argument selon lequel le fait que les contrats d'échange étaient bien connus rendrait disproportionné le recours à l'article L. 450-4 du code de commerce est inopérant. Ce ne sont pas les contrats en eux-mêmes qui posent problème, mais le fait qu'ils puissent, dans leur application, « habiller » ou dissimuler des accords ayant pour objet ou pour effet de fausser le libre jeu de la concurrence.

Sur ce, le magistrat délégué :

Le moyen selon lequel le caractère non secret des accords d'échange de collecte suffirait à faire annuler l'ordonnance d'autorisation appelle une réponse analogue au précédent moyen. En effet, même si les contrats d'échange de collecte de lait de vache ne sont pas occultes, ce qui est en cause dans les agissements recherchés est l'application qui serait susceptible d'en être faite. Ainsi qu'il est énoncé de manière pertinente dans l'ordonnance, ces contrats auxquels SODIAAL UNION est partie pourraient avoir eu pour objet et/ou effet de répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache entre les entreprises concernées et ainsi d'empêcher les producteurs laitiers de contracter avec l'un des concurrents de leur acheteur actuel. Ces contrats d'échange de collecte de lait, auxquels SODIAAL UNION est partie prenante, pourraient donc avoir pour objet ou pour effet de dissimuler des pratiques anticoncurrentielles dont la recherche de la preuve constitue précisément l'objet de l'autorisation au vu des autres indices relevés et non contestés dans l'ordonnance.

Le moyen sera rejeté.

3) Sur l'usage alternatif par le rapporteur général de moyens moins coercitifs pour obtenir les informations recherchées :

SODIAAL UNION soutient que le rapporteur général aurait dû recourir aux pouvoirs d'enquête moins attentatoires aux droits fondamentaux des entreprises de l'article L. 450-3 du code de commerce. Il est donc soutenu que le recours à ces pouvoirs d'enquête simple aurait permis au rapporteur général d'obtenir les contrats d'échange de collecte conclus entre les principales entreprises du secteur de l'approvisionnement en lait de vache par ce biais. Il est prétendu que l'Autorité aurait pu se faire remettre d'autres éléments utiles pour son enquête, tels que la copie des courriels échangés entre certains représentants des entreprises concernées par l'enquête, pendant une période ou à l'occasion d'un projet déterminés. Il est encore avancé que l'Autorité a fait usage après les opérations de visite et de saisie des pouvoirs d'enquête simple pour obtenir communication d'une multitude de documents identiques à ceux qu'ils avaient saisis quelques semaines auparavant.

L'Autorité de la concurrence rétorque que selon une jurisprudence constante, la procédure prévue à l'article L. 450-4 du code de commerce n'est nullement subsidiaire à celle de l'enquête simple de l'article L. 450-3 du même code et qu'elle était en l'espèce entièrement proportionnée aux agissements complexes et secrets recherchés.

Le ministère public est d'avis que le juge des libertés et de la détention de [Localité 15], en autorisant les opérations de visites et de saisies, a effectué un test de proportionnalité le conduisant à autoriser à juste titre ces opérations, peu important le fait que des actes d'enquête simple aient été réalisés ou non avant comme après les opérations de visites et de saisies.

Sur ce, le magistrat délégué :

Il convient de rappeler qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres modes de preuve. L'enquête lourde n'est pas subsidiaire et devient inévitable lorsque les pratiques anticoncurrentielles qui sont présumées procèdent d'agissements complexes et secrets comme il est allégué en l'espèce.

Il est en effet de jurisprudence établie en matière d'opérations de visite et de saisie diligentées par l'administration qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres procédures moins intrusives (Cass. com., 26 octobre 2010, n° 09-70.509).

Dès lors qu'existent des présomptions d'agissements constitutifs de pratiques anticoncurrentielles, la procédure de visite domiciliaire est justifiée en ce qu'elle permet de rechercher la preuve de ces agissements et ainsi d'accéder à des documents de gestion quotidienne de l'entreprise ou relatifs à l'organisation interne, que les représentants des entreprises n'ont pas l'obligation de remettre dans le cadre d'une procédure de contrôle classique. Du reste, le juge des libertés et de la détention dans sa décision précise à bon droit en l'espèce que l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Autorité de la concurrence de corroborer ses soupçons. En effet, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou effet de se répartir les sources d'approvisionnement sont établies suivant des modalités secrètes, de sorte que les documents nécessaires à la preuve de la pratique prohibée sont vraisemblablement détenus et conservés en des lieux et sous des formes qui facilitent leur dissimulation, destruction ou altération en cas de vérification.

Sur l'absence de proportionnalité alléguée par l'appelante, il convient en effet de rappeler que les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce prévoient que les agents des administrations visées à l'article L. 450-1 du même code disposent d'un droit de visite et de saisie, soit dans le cadre d'une enquête demandée comme en l'espèce par l'Autorité de la concurrence, soit visant à conforter les indices selon lesquelles une entité aurait commis une infraction aux dispositions du livre IV du même code. Cette mesure, prévue par l'article L.450-4 du code de commerce est encadrée par des règles de fond et procédurales et, notamment, ces visites sont autorisées par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui même si rendue non contradictoirement, peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel, de même que le déroulement des opérations de visite et de saisie. La décision du premier président de la cour d'appel pouvant faire l'objet d'un pourvoi.

Il convient de rappeler qu'en exerçant son contrôle in concreto sur le dossier présenté par l'autorité administrative indépendante, le juge des libertés et de la détention exerce de fait un contrôle de proportionnalité. En cas de refus, il peut inviter l'autorité requérante à avoir recours à d'autres moyens d'enquête moins intrusifs (par exemple enquête simple..). En autorisant les opérations de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention a entendu accorder au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ce mode d'investigations plus intrusives en fonction de la requête présentée.

En l'espèce, le juge des libertés et de la détention en motivant et en prenant sa décision a procédé à un contrôle de proportionnalité. Conformément à la jurisprudence constante en matière d'opérations de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention s'est référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par le rapporteur général et a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements frauduleux, visés à l'article L. 450-4 du code de commerce.

Si l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) énonce que 'Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance', c'est sous réserve qu' 'Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.'.

Il a été jugé par la Cour de cassation que ' Les dispositions de l'article L 450-4 ne contreviennent pas à celles des articles 6, 8 et 13 de la CESDH dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et que les droits à un procès équitable et à un recours effectif sont garantis, tant par l'intervention du juge des libertés et de la détention qui vérifie le bien-fondé de la requête de l'administration que par le contrôle exercé par la Cour de cassation.' (Cass crim, 11 juillet 2017, n° 16-81065).

En l'espèce, il s'infère de ce qui précède qu'il n'y a pas eu violation des dispositions de l'article 8 de la CESDH et que la mesure ordonnée conformément aux dispositions de l'article L 450-4 du code de commerce précité n'a pas été disproportionnée eu égard au but poursuivi rappelé ci-dessus.

Ce moyen sera rejeté.

4) Sur l'abus par le rapporteur général de ses prérogatives :

SODIAAL UNION soutient enfin que les opérations de visite diligentées dans cette affaire s'apparentent à des ' visites exploratoires ' , puisque le rapporteur général ne disposait d'aucun indice concret pour justifier le recours à des visites domiciliaires sur le fondement de l'article L. 450-4 du code de commerce.

L'Autorité de la concurrence considère que ces arguments sont inopérants et que les opérations de visites domiciliaires et saisies étaient justifiées dès lors qu'il existait des présomptions d'entente à caractère national dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache et que des documents incriminants étaient susceptibles de se trouver dans les locaux de SODIAAL.

Le ministère public est d'avis qu'il existait au stade de l'ordonnance attaquée, sans préjuger en rien de l'existence ou pas de pratiques anticoncurrentielles, d'importantes présomptions selon lesquelles les contrats d'échange de collecte, optimisant cette collecte dans un sens d'efficacité et de respect de l'environnement, pourraient également servir à compartimenter le marché de la collecte de lait, en annihilant toute possibilité pour les producteurs de changer de collecteur.

Il est également rappelé qu'il importe peu que cette ordonnance reprenne les termes de la requête, la pratique de l'ordonnance prérédigée, que le juge des libertés et de la détention peut modifier à sa guise avant de la signer, ayant été validée à de très nombreuses reprises par la jurisprudence.

Sur ce, le magistrat délégué :

Outre le fait que ce moyen appelle la même réponse que les moyens précédents à laquelle il sera référé et sans préjuger de l'existence ou non de pratiques anticoncurrentielles, l'ordonnance d'autorisation démontre qu'il existe des présomptions sérieuses selon lesquelles les contrats d'échange de collecte, bien que représentant une pratique répandue pour rationaliser la collecte du lait et l'approvisionnement des laiteries sur le territoire, seraient susceptibles d'être utilisés afin de compartimenter le marché de la collecte de lait, en rendant impossible la possibilité pour les producteurs de lait de changer de collecteur.

Afin de rechercher et d'établir le cas échéant la réalité des pratiques anticoncurrentielles soupçonnées, il était donc nécessaire, ainsi qu'il a été exposé précédemment, de disposer non seulement des contrats d'échange de collecte de lait, quand bien même ils seraient accessibles, mais également de tout autre document ou éléments d'information internes aux entreprises concernées sur leur mode de négociation et d'exécution, qui pourraient être pertinents pour asseoir l'existence ou pas de pratiques anticoncurrentielles.

Le moyen sera rejeté.

L'ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de PARIS sera donc confirmée en toutes ses dispositions.

SUR LE RECOURS (RG n° 22/19204)

Il sera constaté que SODIAAL UNION n'a pas soutenu dans ses écritures son recours. Les opérations de visite et de saisie au siège de SODIAAL UNION, sis [Adresse 4], seront par suite déclarées régulières.

SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCEDURE CIVILE

Les circonstances de l'espèce et l'équité justifient qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'Autorité de la concurrence, SODIAAL UNION sera ainsi condamnée au paiement de la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR LES DÉPENS

La société SODIAAL UNION, succombant en ses prétentions au soutien de l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de PARIS rendue le 14 novembre 2022, sera tenue aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement et en dernier ressort,

Ordonnons la jonction des instances enregistrées sous les numéros de RG 22/19200 et RG 22/19204 et disons que l'instance se poursuivra sous le numéro RG le plus ancien, soit le numéro de RG 22/19200.

Confirmons l'ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris,

Déclarons le recours formé contre les opérations de visite et saisie non soutenu,

Déclarons régulières les opérations de visite et de saisie effectuées au siège de SODIAAL UNION, sis [Adresse 4],

Condamnons SODIAAL UNION à payer à l'Autorité de la concurrence la somme de DEUX MILLE EUROS (2.000) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,.

Condamnons la société coopérative SODIAAL UNION aux dépens.