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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 28 mars 2024, n° 22/05564

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

FNJ Primeurs (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Meurant

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, M. Dusausoy

Avocats :

Me Sommelet, Me Forgar

TJ Nanterre, du 4 juill. 2022, n° 21/017…

4 juillet 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 16 juillet 2012, la SCI De [Localité 4], agissant par son mandataire la société Foncia [Localité 5] Gestion, a donné à bail commercial en renouvellement à M. [R] [E], pour une durée de neuf ans à compter rétroactivement du 1er juillet 2011, des locaux dépendant d'un immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 4], afin qu'il y exploite un commerce de fruits, primeurs et alimentation générale.

Par acte sous seing privé du 20 septembre 2019, M. [E] a cédé son fonds de commerce à la SAS FNJ Primeurs, en ce compris le droit au bail du 16 juillet 2012.

Depuis le 30 juin 2020, le bail se poursuit tacitement.

Par acte d'huissier du 17 septembre 2020, la SARL BE [Localité 4] Mairie, devenue propriétaire de l'immeuble, a fait signifier à la société FNJ Primeurs un congé avec offre de renouvellement différé motivé par la surélévation de l'immeuble, en application de l'article L.145-21 du code de commerce, à effet du 31 mars 2021.

Par acte du 26 février 2021, la société FNJ Primeurs a fait assigner la société BE [Localité 4] Mairie devant le tribunal judiciaire de Nanterre afin de voir déclarer nul et non avenu le congé reçu.

Par jugement contradictoire du 4 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- Débouté la FNJ Primeurs de sa demande de nullité du congé signifié le 17 septembre 2020 à la requête de la société BE [Localité 4] Mairie au visa de l'article L.145-21 du code de commerce, 'en raison de de travaux de surélévation réalisés sur l'immeuble' ;

- Rappelé que le congé a consécutivement mis un terme au bail du 16 juillet 2012 à effet du 31 mars 2021 à minuit et que la société BE [Localité 4] Mairie peut différer le renouvellement du bail pendant une durée maximum de trois ans, soit jusqu'au 31 mars 2024 ;

- Débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires ;

- Condamné la société FNJ Primeurs à payer à la société BE [Localité 4] Mairie la somme de 2.800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société FNJ Primeurs aux dépens de l'instance ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 1er septembre 2022, la société FNJ Primeurs a interjeté appel du jugement.

Par ordonnance du 17 février 2023, le président du tribunal judiciaire de Nanterre a ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les 45 jours de la signification de la décision, l'expulsion de la société FNJ Primeurs des locaux loués.

Le 22 mai 2023, la société BE [Localité 4] Mairie a fait délivrer à la société FNJ Primeurs un commandement de quitter les lieux au plus tard le 24 juillet 2023.

Le 31 août 2023, la cour d'appel de Versailles a fait droit à la demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde judiciaire déposée le 10 juillet 2023 par la société FNJ Primeurs. Par jugement du 21 septembre 2023, le tribunal de commerce de Nanterre a désigné la SELARL BCM en qualité d'administrateur judiciaire et la SAS Alliance en qualité de mandataire judiciaire.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2024, la société FNJ Primeurs demande à la cour de :

- Révoquer l'ordonnance de clôture afin de permettre la communication de quatre photographies démontrant la démolition de l'immeuble qui constitue un fait nouveau postérieur à l'avance (sic) de clôture justifiant sa révocation et ce pour pour la loyauté des débats (pièces 30, 31, 32, 33);

- Statuant sur la recevabilité et le bien nommé CCC fondé (sic) de l'appel interjeté par la société FNJ Primeurs du jugement en date du 4 juillet 2022 du tribunal judiciaire de Nanterre ;

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;

Et, statuant à nouveau,

- Déclarer irrecevable la société BE [Localité 4] Mairie en sa demande de déclarer irrecevables les demandes de la société FNJ Primeurs en octroi d'un délai de grâce et paiement dans le dernier état de la somme 34.092 € ;

- Prononcer la nullité du congé en date du 17 septembre 2020 pour les motifs exposés notamment pour absence de production de documents justificatifs et non-respect des conditions tant de forme et de fond des dispositions des articles L.145-9, L.145-15, L.145-16, L.145-17 et L.145-21 du code de commerce ;

- Prononcer le renouvellement du bail de la société FNJ Primeurs, pour une durée de neuf années à compter du 1er mai 2021 aux clauses et conditions du bail à renouveler du 16 juillet 2012 ;

En conséquence,

- Déclarer irrecevable et mal fondé le bailleur, la société BE [Localité 4] Mairie de tout droit à demander l'expulsion de la société FNJ Primeurs ;

Très subsidiairement, dans le cas où la cour confirmerait la validation du congé,

- Condamner la société BE [Localité 4] Mairie à payer à la société FNJ Primeurs à titre d'indemnité la somme de 34.092 € égale à trois ans de loyers ;

- Accorder un délai de trois mois à la société FNJ Primeurs à compter de l'arrêt à intervenir pour restituer les lieux à la société BE [Localité 4] Mairie sise au [Adresse 1] à [Localité 4] ;

- Condamner la société BE [Localité 4] Mairie à régler à la société FNJ Primeurs la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction au profit de Me Sommelet, avocat à la cour, sur le fondement de l'article 699 et suivants du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 21 février 2024, la société BE [Localité 4] Mairie demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du 4 juillet 2022 ;

- Déclarer irrecevables les demandes de la société FNJ Primeurs en octroi d'un délai de grâce et paiement de la somme de 102.276 € ;

- Débouter la société FNJ Primeurs de toutes ses demandes ;

- Condamner la société FNJ Primeurs aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 décembre 2023. Elle a été révoquée, puis à nouveau prononcée le 22 février 2024.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la nullité du congé

La société FNJ Primeurs soutient que, faute pour le bailleur d'avoir justifié le congé délivré pour surélévation, la cour ne peut qu'infirmer le jugement dont appel, qui a validé le congé en s'appuyant, non pas sur les documents officiels que sont les permis de construire et permis modificatif ainsi que les plans y annexés, mais sur une note technique établie à la demande de la société BE [Localité 4] Mairie. Elle fait grief à cette dernière de ne pas produire ces pièces aux débats en dépit d'une sommation de communiquer en date du 16 mars 2023. Elle prétend que le congé qui lui a été délivré le 17 septembre 2020 avait pour objet, non pas la surélévation de l'immeuble comme annoncé, mais une rénovation complète de l'immeuble par destruction des espaces intérieurs, plafonds, planchers et reconstruction avec modification des espaces intérieurs de l'immeuble ; que compte tenu de ses plus récentes constatations, attestées par des photographies versées aux débats, il s'agit en réalité d'une démolition avant reconstruction ; que ledit congé visait à l'évincer de son local pour y installer un établissement bancaire, et ce sans lui verser d'indemnité, outre le fait que le studio d'habitation inclus dans le bail est supprimé. Elle considère que, suite au permis modificatif du 26 août 2021, la société BE [Localité 4] Mairie aurait dû appliquer la procédure et les formalités de l'article L.145-18 du code de commerce prévoyant le versement au locataire d'une indemnité d'éviction.

Elle s'estime bien fondée à soulever la nullité du congé pour surélévation en raison d'une fraude à la loi, les dispositions de l'article L.145-21 du code de commerce étant inapplicables au cas de rénovation avec nouvel aménagement intérieur d'un immeuble, Elle souligne qu'eu égard au congé avec différé de renouvellement validé par les premiers juges, la société BE [Localité 4] Mairie ne peut remplir son obligation de délivrance des locaux au 1er avril 2024 ce qui, pour ce seul motif, rend nul et de nul effet le congé délivré.

Elle ajoute au visa de l'article L.145-9 du code de commerce, que le défaut d'indication du délai de recours dans le congé, qui est une condition de fond, rend nul et nul effet le congé délivré. Elle précise que les dispositions relatives au renouvellement sont en effet d'ordre public en application des dispositions de l'article 145-16 du même code, de sorte que le défaut de notification de l'indemnité à verser en cas de congé, qui est aussi une condition de fond, entache également de nullité le congé.

Elle demande à la cour de prononcer le renouvellement du bail pour une durée de neuf années à compter du 1er mai 2021 aux clauses et conditions du bail à renouveler du 16 juillet 2012 et, en conséquence, de déclarer irrecevable et mal fondé le bailleur de tout droit à demander son expulsion.

La société BE [Localité 4] Mairie répond que la société FNJ Primeurs est mal fondée à prétendre qu'elle aurait dû lui délivrer un congé pour construction ou reconstruction de l'immeuble sur le fondement de l'article L.145-18 du code de commerce dont elle indique qu'il ne peut s'appliquer qu'aux hypothèses de destruction totale de l'immeuble. Elle soutient que l'ensemble des travaux envisagés, qui sont précisément décrits dans la notice technique du cabinet EVP qu'elle verse aux débats, doivent être considérés comme des travaux rentrant dans la définition de la surélévation ; que le fait que les travaux envisagés soient pour partie des travaux de rénovation et réaménagement intérieur n'est aucunement de nature à exclure l'existence d'une surélévation, l'immeuble passant d'un R+1 à un R+3 en partie sud et d'un R+2 à un R+3 en partie nord. Elle souligne que, contrairement à ce que prétend la société FNJ Primeurs, les locaux qui lui sont loués ne disparaitront aucunement à l'issue des travaux.

Elle fait valoir que conformément à la note technique, les travaux de surélévation envisagés ne peuvent être réalisés en présence d'occupants, compte tenu des nuisances et des risques pour la sécurité des personnes, ce qui l'a conduite à délivrer congé à l'ensemble des occupants de l'immeuble du [Adresse 1], dont la société FNJ Primeurs qui ne peut continuer l'exploitation de son local commercial pendant la période des travaux, sachant de plus qu'elle reçoit du public. Elle fait observer que l'appelante n'apporte aucun élément permettant de renverser la décision des juges du fond, qui ont considéré à bon droit que son éviction temporaire était rendue nécessaire par l'ampleur des travaux de surélévation ; que de plus elle ne peut aujourd'hui prétendre que le congé serait nul au motif que les locaux ne pourraient lui être restitués à échéance, le 1er avril 2024, alors que le retard pris dans le début des travaux tient uniquement à son refus malhonnête de quitter les lieux malgré quatre décisions de justice.

Sur la prétendue fraude à la loi qui lui est reprochée, elle oppose le fait que les permis de construire sont publics et ont été affichés sur le terrain. Elle considère qu'aucune des causes de nullité invoquées par l'appelante n'est sérieuse ; qu'ainsi il est parfaitement indifférent que l'article L.145-9 du code de commerce soit d'ordre public dès lors que sa méconnaissance n'a causé aucun grief à la société FNJ Primeurs qui a contesté le congé dans le délai ; que par ailleurs, l'article L.145-21 ne prévoit aucune obligation pour le bailleur de chiffrer l'indemnité dans le congé. Elle précise qu'elle a toujoujours indiqué qu'elle souhaitait verser cette indemnité à la locataire, allant jusqu'à en demander elle-même l'estimation aux juges du fond, de sorte qu'elle est exempte de tout reproche sur ce point.

*****

Le bail en renouvellement signé le 16 juillet 2012 porte sur les locaux suivants dépendant d'un immeuble sis [Adresse 1] - [Localité 4] :

'- au rez-de-chaussée : une boutique en façade, sur la rue de l'Ancienne Mairie, avec au fond, une chambre froide ;

- au 3ème étage de l'immeuble arrière : un studio avec coin cuisine, coin douche, ballon d'eau chaude électrique ;

- au sous-sol du bâtiment sur rue : une cave voûtée et une petite soute à charbon ;

- WC communs dans la cour et au 3ème étage.'

Il est établi que par acte 17 septembre 2020, la société BE [Localité 4] Mairie a fait signifier à la société FNJ Primeurs un congé avec offre de renouvellement différé en application de l'article L.145-21 du code de commerce. L'acte est ainsi rédigé :

'(...) Par les présentes, la société BE [Localité 4] Mairie entend différer le renouvellement du bail pendant une durée maximum de trois ans, et en conséquence, donne congé à la société FNJ Primeurs pour le 31 mars 2021, en raison des travaux de surélévation réalisés sur l'immeuble sis [Adresse 1] - [Localité 4].

Il est rappelé à la société FNJ Primeurs qu'elle est en droit de percevoir une indemnité égale au préjudice subi sans toutefois pouvoir excéder trois ans de loyers.'

La société FNJ Primeurs prétend que la société bailleresse a invoqué frauduleusement l'article L.145-21 du code de commerce alors qu'en réalité, il s'agissait de démolir l'immeuble pour le reconstruire.

Le congé différé délivré par le bailleur est présumé sincère et il appartient au locataire de démontrer le contraire.

Selon l'article L.145-21 du code de commerce, 'Le propriétaire peut également différer pendant une durée maximum de trois ans le renouvellement du bail, s'il se propose de surélever l'immeuble et si cette surélévation rend nécessaire l'éviction temporaire du locataire. Celui-ci a droit, dans ce cas, à une indemnité égale au préjudice subi sans pouvoir excéder trois ans de loyer'.

Ce texte ne concerne que la surélévation et n'est pas applicable aux travaux de démolition et de reconstruction, qui relèvent des dispositions de l'article L.145-18 du même code selon lesquelles :

'Le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail pour construire ou reconstruire l'immeuble existant, à charge de payer au locataire évincé l'indemnité d'éviction prévue à l'article L.145-14.

Il en est de même pour effectuer des travaux nécessitant l'évacuation des lieux compris dans un secteur ou périmètre prévu aux articles L.313-4 et L.313-4-2 du code de l'urbanisme et autorisés ou prescrits dans les conditions prévues audits articles.

Toutefois, le bailleur peut se soustraire au paiement de cette indemnité en offrant au locataire évincé un local correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent.

Le cas échéant, le locataire perçoit une indemnité compensatrice de sa privation temporaire de jouissance et de la moins-value de son fonds. Il est en outre remboursé de ses frais normaux de déménagement et d'emménagement.

Lorsque le bailleur invoque le bénéfice du présent article, il doit, dans l'acte de refus de renouvellement ou dans le congé, viser les dispositions de l'alinéa 3 et préciser les nouvelles conditions de location. Le locataire doit, dans un délai de trois mois, soit faire connaître par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception son acceptation, soit saisir la juridiction compétente dans les conditions prévues à l'article L.145-58.

Si les parties sont seulement en désaccord sur les conditions du nouveau bail, celles-ci sont fixées selon la procédure prévue à l'article L.145-56.'

La surélévation, qui consiste à démolir la toiture et les derniers étages d'un immeuble en vue de créer de nouvelles surfaces, n'entre pas dans les prévisions de l'article L.145-18 qui ne s'applique qu'en cas de reprise en vue de la démolition totale puis reconstruction de l'immeuble objet du bail et ce, quelle que soit l'importance des travaux réalisés dès lors qu'à l'issue, le locataire peut réintégrer les locaux donnés à bail, étant précisé que le bailleur n'est pas tenu de restituer les lieux loués à l'identique.

En l'espèce, un permis de construire a été délivré le 14 octobre 2020 à la société BE [Localité 4] Mairie pour 'La restructuration et la surélévation d'un édifice à usage d'habitations et de commerces sur un terrain sis à [Localité 4], [Adresse 1]', avec une surface de plancher créée de 139,80 m2.

Un permis de construire modificatif a ensuite été accordé le 26 août 2021 à la société BE [Localité 4] Mairie pour le même objet, la surface de plancher créée étant portée à 282,10 m2 (143,60 m2 de commerces et 138,50 m2 d'habitations). Les modifications validées par ce permis sont les suivantes :

'- Modification de l'aménagement intérieur et création d'extensions dans la cour centrale et dans la cour au fond de la parcelle,

- Démolition des appentis dégradés (réserve, atelier et laboratoire) au RDC,

- Création de deux extensions (R+2 et R+3) des bâtiments sur rue et sur cour le long de la parcelle,

- Démolition des ateliers et de la cour ouverte dégradés au RDC,

- Création de deux extensions (R+1) le long de la parcelle,

- Agrandissement des surfaces commerciales au RDC et R+1,

- Réaménagement des logements et création de logements plus grands (T3, T4 et T5)'.

La note technique établie par le bureau d'études structures EVP Ingénierie indique que le projet prévoit l'ajout de surface de plancher (logements) sur deux zones, la partie sud étant augmentée de 200 % (passage de R+1 à R+3) et la partie nord de 50 % (passage de R+2 à R+3). S'il est fait état de la démolition complète de quelques bâtiments en intérieur de parcelle et de la démolition partielle de deux bâtiments sur rue pour recevoir la surélévation, il ne ressort pas de cette note technique, ni au demeurant des permis de construire susvisés qu'une démolition totale de l'ensemble immobilier a été envisagée.

L'analyse du projet de travaux réalisée par M. [P] [Z], architecte DPLG et expert près la cour d'appel de Paris, à la demande de la société FNJ Primeurs, se conclut certes ainsi : 'le projet de travaux sur l'immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 4] n'est pas une simple surélévation, mais une démolition partielle des bâtiments existants, suivie d'une reconstruction. Des ouvertures sont créées dans des murs porteurs et la structure est modifiée. Ce type de travaux est qualifié de restructuration lourde' (note technique du 24 mars 2023, pièce 17 appelant).

S'il n'est pas contestable que les travaux en question s'inscrivent dans le cadre d'une opération immobilière d'envergure, il convient néanmoins d'observer que M. [Z] évoque lui-même une démolition seulement partielle des bâtiments existants, ce que confirment les photos produites en dernier lieu par l'appelante qui permettent de constater que seuls les bâtiments situés de part et d'autre de celui dans lequel se situe le local commercial de la société FNJ Primeurs ont été démolis mais que leurs façades sur rue ont été préservées. Dès lors, il ne peut être considéré qu'il s'agit d'une opération de démolition totale suivie d'une reconstruction, seule concernée par les dispositions de l'article L.145-18 susvisé.

Les travaux litigieux doivent être qualifiés de travaux de surélévation relevant des dispositions de l'article L.145-21 du code de commerce, le fait qu'ils soient pour partie des travaux de réaménagement intérieur n'étant pas de nature à exclure cette qualification.

Les éléments produits par la société FNJ Primeurs ne permettant pas d'établir que le congé pour surélévation qui lui a été signifié le 17 septembre 2020 l'a été sur un fondement erroné, et encore moins qu'il l'a été par fraude à la loi, la nullité du congé doit être écartée.

Les autres moyens de nullité invoqués par l'appelante sont inopérants. En effet, le défaut de mention du délai légal dans lequel le congé peut être contesté est un vice de forme n'affectant la validité de l'acte que s'il fait grief à celui qui l'invoque, conformément aux dispositions de l'article 114 du code de procédure civile. Or, comme l'ont justement constaté les premiers juges, la société FNJ Primeurs a introduit son action dans le délai requis et ne justifie d'aucun grief. Par ailleurs, le congé indique que la locataire est en droit de percevoir une indemnité égale au préjudice subi sans toutefois pouvoir excéder trois ans de loyers. Cette offre doit être considérée comme suffisante, sans qu'il soit nécessaire de chiffrer cette indemnité dans le congé.

La société FNJ Primeurs ne peut non plus se prévaloir de sa propre turpitude pour soutenir que le congé est nul au motif que le bailleur ne pourra lui restituer les locaux le 1er avril 2024, alors qu'en se maintenant dans les lieux loués, en dépit notamment du congé, d'une décision d'expulsion et d'un commandement de quitter les lieux, elle est responsable du retard pris par les travaux.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société FNJ Primeurs de sa demande de nullité du congé signifié le 17 septembre 2020, avec effet au 31 mars 2021.

L'éviction temporaire de la société FNJ Primeurs était nécessaire compte tenu de l'ampleur des travaux et l'appelante ne peut sans se contredire soutenir le contraire après avoir prétendu que les travaux réalisés dans l'immeuble consistent en une rénovation complète de l'immeuble par destruction des espaces intérieurs, plafonds, planchers et reconstruction avec modification des espaces intérieurs de l'immeuble. Au demeurant, le bureau d'études structures EVP Ingénierie précise bien dans sa note technique que les travaux ne peuvent être effectués sur un site occupé, au regard des nuisances et des enjeux de sécurité.

La cour observe qu'aucune demande n'est formulée pour que le renouvellement du bail soit différé à une date postérieure au 31 mars 2024, aussi convient-il de confirmer également le jugement en ce qu'il a dit que le renouvellement du bail était différé au maximum jusqu'à cette date.

Il y a lieu enfin de rappeler que si le congé pour surélévation n'implique pas que les locaux loués doivent être nécessairement restitués à l'identique à l'issue des travaux, il appartiendra néanmoins à la société BE [Localité 4] Mairie de restituer à la société FNJ Primeurs des locaux équivalents à ceux objets du bail et rappelés supra.

Sur les autres demandes

La société FNJ Primeurs s'estime bien fondée à voir condamner la société BE [Localité 4] Mairie à lui payer une indemnité égale à trois ans de loyer, soit la somme de 34.092 €. Elle fait valoir que l'intimée a offert, en première instance puis dans ses premières conclusions devant la cour, de lui régler une indemnité égale à trois ans de loyer, conformément aux dispositions légales ; que si elle n'a pas expressément chiffré cette indemnité, celle-ci est déterminable et en tant que de besoin précisée ; que les quittances de loyer versées aux débats justifient la demande. Elle souligne qu'elle subit un préjudice très important car elle doit arrêter son activité, liquider une partie de son stock, mettre au chômage partiel son personnel, retrouver un local d'habitation, faire stocker pendant un an au minimum sa marchandise non périssable, fermeture temporaire qui va nécessairement lui faire perdre de la clientèle, rouvrir son magasin après réaménagement et redémarrer progressivement son activité, d'où une perte de chiffre d'affaires.

L'appelante sollicite par ailleurs que lui soit accordé un délai de trois mois à compter de l'arrêt à intervenir pour restituer les lieux au bailleur, compte tenu de l'absence de toute demande ou sommation antérieurement à la procédure de référé, ainsi que du bon règlement à bonne date de ses loyers.

En réponse au moyen d'irrecevabilité soulevé par la partie adverse, elle énonce que celle-ci est irrecevable à soulever ce moyen dans ses deuxièmes conclusions d'intimée.

La société BE [Localité 4] Mairie répond que la demande de la société FNJ Primeurs aux fins de paiement de « la somme de 102.276 € correspondant à trois mois de loyer » (sic) est nouvelle et donc irrecevable au regard des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile.

De même, elle soutient que sa demande d'octroi d'un délai de grâce pour quitter les lieux est irrecevable car nouvelle, n'ayant pas comme la précédente été formulée en première instance. Elle ajoute, au visa de l'article 510 du code de procédure civile, que cette demande n'est pas de la compétence de la cour d'appel et que seul le juge de l'exécution est compétent pour accorder à la société FNJ Primeurs un délai de grâce, dans la mesure où un commandement de quitter les lieux lui a d'ores-et-déjà été délivré.

*****

L'intimée soulève l'irrecevabilité des demandes en octroi d'un délai de grâce et paiement d'une indemnité présentées par la société FNJ Primeurs pour la première fois en cause d'appel.

Il sera tout d'abord rappelé qu'en application de l'article 123 du code de procédure civile, les fins de non-recevoir peuvent être soulevées en tout état de cause, de sorte que l'irrecevabilité invoquée par l'appelante en réponse aux moyens d'irrecevabilité de l'intimée est inopérante.

L'article 564 du code de procédure civile dispose que « les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».

L'article 565 du même code précise que « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent » et l'article 566 que « Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ».

- sur la demande en paiement d'une indemnité

S'il ressort des éléments de la procédure que la société FNJ Primeurs n'a en effet pas demandé aux premiers juges de condamner la société BE [Localité 4] Mairie à lui payer, en cas de validation du congé, l'indemnité prévue par l'article L.145-21 susvisé du code de procédure civile, il apparait que la société BE [Localité 4] Mairie a sollicité quant à elle de « fixer le montant de l'indemnité versée à la société FNJ Primeurs, pour les travaux de surélévation, à la somme équivalente à trois ans de loyer » et qu'elle avait rappelé dans le congé avec offre de renouvellement différé signifié le 17 septembre 2020 au locataire qu'il était « en droit de percevoir une indemnité égale au préjudice subi sans toutefois pouvoir excéder trois ans de loyers ». Dans ses conclusions d'intimée (page 7), elle indique même qu'elle a « toujours indiqué qu'elle souhaitait verser cette indemnité à la société FNJ Primeurs ». En tout état de cause, et conformément aux dispositions de l'article L.145-21, cette indemnité est due au locataire qui se voit évincé temporairement des lieux loués en cas de travaux de surélévation de l'immeuble. Il convient donc de considérer que cette demande tend à permettre à la société FNJ Primeurs d'obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de son éviction temporaire des locaux loués par suite du congé qui lui a été délivré par le bailleur et qu'elle a contesté devant le tribunal judiciaire. Au surplus, le paiement de l'indemnité est la conséquence nécessaire de la validation du congé sur le fondement de L.145-21.

En conséquence, la fin de non-recevoir doit être rejetée.

La société BE [Localité 4] Mairie sera condamnée, par infirmation du jugement entrepris, à payer à la société FNJ Primeurs la somme réclamée de 34.092 €, non discutée dans son calcul et correspondant à trois ans de loyers ainsi qu'il résulte des quittances de loyers versées aux débats par l'appelante.

- sur la demande d'octroi d'un délai

Cette demande n'a pas été formulée en première instance devant le tribunal judiciaire, ni devant le président du tribunal judiciaire saisi en référé qui, par ordonnance rendue le 17 février 2023, a ordonné l'expulsion de la société FNJ Primeurs des lieux loués, à défaut de restitution volontaire desdits lieux dans les 45 jours de la signification de la décision. A cet égard, la cour observe que l'appelante s'était alors vue accorder un délai qu'elle n'a manifestement pas respecté, se maintenant dans les locaux. La demande nouvelle est donc irrecevable en application de l'article 564 du code de procédure civile.

En toute hypothèse, comme le souligne l'intimée, un commandement de quitter les lieux au plus tard le 24 juillet 2023 a été délivré à l'appelante le 22 mai 2023. Or, selon l'article 510 du code de procédure civile, le délai de grâce ne peut être accordé que par la décision dont il est destiné à différer l'exécution et après signification d'un commandement, le juge de l'exécution a compétence pour accorder un délai de grâce.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

La société FNJ Primeurs, qui succombe, supportera les dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile. Elle sera en outre condamnée à payer à la société BE [Localité 4] Mairie une indemnité de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

ÉCARTE le moyen d'irrecevabilité soulevé par la société FNJ Primeurs ;

DÉCLARE recevable la demande de la société FNJ Primeurs en paiement d'une indemnité ;

DÉCLARE irrecevable la demande de la société FNJ Primeurs tendant à se voir accorder un délai pour restituer les locaux ;

CONFIRME le jugement rendu le 4 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre sauf en ce qu'il a rejeté la demande de fixation de l'indemnité devant revenir à la société FNJ Primeurs ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société BE [Localité 4] Mairie à payer à la société FNJ Primeurs la somme de 34.092 € égale à trois ans de loyer ;

CONDAMNE la société FNJ Primeurs aux dépens d'appel ;

CONDAMNE la société FNJ Primeurs à verser à la société BE [Localité 4] Mairie la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code procédure civile ;

DÉBOUTE la société BE [Localité 4] Mairie de sa demande de ce chef.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de président, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.