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Décisions

CA Versailles, ch. soc. 4-6, 28 mars 2024, n° 22/00611

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 22/00611

28 mars 2024

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 28 MARS 2024

N° RG 22/00611 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VA4Q

AFFAIRE :

[Y] [V]

C/

S.A.S. NESTENN

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Janvier 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY

N° Section : C

N° RG : F 20/00236

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Dominique JUGIEAU

Me Pierre QUEUDOT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT HUIT MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [Y] [V]

née le 14 Septembre 1972 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Dominique JUGIEAU, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000048

APPELANTE

****************

S.A.S. NESTENN

N° SIRET : B 4 39 679 713

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Pierre QUEUDOT, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Janvier 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Président,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

Greffier lors du prononcé : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [Y] [V] a été engagée à compter du 6 janvier 2020, en qualité de consultant développement, par la société Solvimo Immobilier, aux droits de laquelle vient désormais la société Nestenn Immobilier, selon contrat de travail à durée indéterminée.

La société exerce une activité de franchiseur d'agences immobilières, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective nationale des agents immobiliers.

Par courrier du 16 mars 2020, la société Solvimo Immobilier a mis fin à la période d'essai de Mme [V].

Mme [V] a saisi, le 8 juin 2020 le conseil de prud'hommes de Montmorency aux fins de solliciter des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi résultant du caractère abusif de la rupture de sa période d'essai, ce à quoi la société s'est opposée.

Par jugement rendu le 17 janvier 2022, notifié le 11 février 2022, le conseil a statué comme suit :

Dit que la rupture du contrat de travail qui liait la société Solvimo Immobilier à Mme [V] durant sa période d'essai s'est effectuée dans le respect des dispositions du code du travail ;

Déboute en conséquence Mme [V] de l'intégralité de ses demandes ;

Déboute la société Solvimo Immobilier de ses demandes reconventionnelles ;

Laisse les dépens à la charge des parties.

Le 25 février 2022, Mme [V] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

' Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 23 août 2022, Mme [V] demande à la cour de :

Déclarer recevable et bien-fondée Mme [V] en son appel,

Infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la rupture du contrat de travail qui liait la société Solvimo Immobilier à Mme [V] durant sa période d'essai s'est effectuée dans le respect des dispositions du code du travail, en ce qu'il a débouté Mme [V] de l'intégralité de ses demandes, et en ce qu'il a laissé les dépens à la charge des parties,

Débouter la société Nestenn Immobilier, anciennement Solvimo Immobilier, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence :

Condamner la société Nestenn Immobilier, anciennement Solvimo Immobilier, à payer à Mme [V] la somme de 7.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant du caractère abusif de la rupture de son contrat de travail pendant la période d'essai,

Condamner la société Nestenn Immobilier, anciennement Solvimo Immobilier, à payer à Mme [V] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel, outre la somme de 3.000 euros sur le même fondement mais au titre de la première instance, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

' Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 23 juin 2023, la société Nestenn Immobilier, venant aux droits de la société Solvimo Immobilier, demande à la cour de :

Recevoir la société Nestenn Immobilier, anciennement Solvimo Immobilier, en son argumentation et son appel incident, l'y dire bien fondée et y faire droit,

Débouter Mme [V] de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires,

Ce faisant :

Confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a :

- retenu « ... que la rupture du contrat de travail qui liait la société Solvimo Immobilier à Mme [V] durant sa période d'essai s'est effectuée dans le respect des dispositions du code du travail ;

- débouté Mme [V] de sa demande de condamnation de la société Nestenn Immobilier, anciennement Solvimo Immobilier à lui verser la somme de 7.000 euros de dommages et intérêts, pour rupture abusive du contrat de travail durant la période d'essai, et de toutes ses demandes subséquentes,

- jugé infondée Mme [V], dans son accusation selon laquelle, la société Nestenn Immobilier, anciennement Solvimo Immobilier a agi avec légèreté blâmable en ce qui concerne ses arrêts de travail, et l'a déboutée de sa demande indemnitaire de ce chef,

Infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Nestenn Immobilier, anciennement Solvimo Immobilier, de sa demande de condamnation de Mme [V] à la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau :

Juger infondée, l'argumentation de Mme [V] selon laquelle la rupture de son contrat de travail en cours de période d'essai est abusive, pour avoir été prise, durant la crise sanitaire,

Prendre acte, que Mme [V] n'est pas à l'origine de la signature du contrat de franchise avec M. [F], mais y a seulement participé en collaboration avec son responsable du développement, ni de celle du franchisé de [Localité 6] (M. [G] cessionnaire) qui fut présenté par l'agent immobilier cédant,

Juger que le contrat de travail de Mme [V], a été rompu en cours de période d'essai, pour raison professionnelle, et non pas abusive, discriminatoire avec intention de lui nuire, ni en raison de la crise sanitaire,

Juger infondée Mme [V], dans son accusation selon laquelle, la société Nestenn Immobilier, anciennement Solvimo Immobilier, a agi avec légèreté blâmable en ce qui concerne ses arrêts de travail, et de la débouter de sa demande indemnitaire de ce chef, qui par ailleurs n'est pas quantifiée, puisque formulée en bloc sous la somme de 7.000 euros avec les griefs liés à la rupture du contrat de travail,

Condamner Mme [V] à verser à la société Nestenn Immobilier, anciennement Solvimo Immobilier, la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance, la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure en cause d'appel, outre les dépens d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

Par ordonnance rendue le 18 octobre 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 22 janvier 2024.

MOTIFS

Sur la rupture de la période d'essai :

Mme [V] soutient que la société a commis un abus de droit dans la rupture de sa période d'essai, laquelle résulte non pas de ses capacités professionnelles, aucun reproche ne lui ayant été formulé et une prime de développement lui ayant été octroyée au mois de février 2020, mais relève de la situation sanitaire due à l'épidémie de COVID-19 et au confinement qui a suivi, un autre salarié de la société ayant vu également sa période d'essai rompue le 16 mars 2020. Induisant de ces éléments une mauvaise foi de la société et soulignant le refus de cette dernière de prendre en compte ses deuxième et troisième arrêts de travail pour garde d'enfant et de les transmettre aux organismes sociaux, l'appelante affirme que la société a agi avec une volonté de nuire ou une légèreté blâmable, lui occasionnant un préjudice pour lequel elle demande réparation.

La société Nestenn Immobilier oppose à la salariée sa carence probatoire, faisant valoir que cette dernière ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du caractère abusif de la rupture de sa période d'essai, rappelant que l'employeur n'a pas à en préciser le motif, la crise sanitaire n'ayant d'ailleurs pas modifié les règles relatives à la rupture de la période d'essai. La société maintient que la décision de rompre la période d'essai de la salariée a été motivée par des raisons professionnelles, contestant que Mme [V] a été à l'origine de la conclusion du contrat de franchise qui lui a valu sa prime, et soulignant que cette dernière échoue à démontrer qu'elle a rempli ses objectifs prévus contractuellement. La société soutient enfin n'avoir jamais refusé les arrêts de travail pour garde d'enfants de la salariée, mais avoir au contraire bien sollicité son cabinet comptable pour procéder aux déclarations desdits arrêts, faisant valoir en tout état de cause qu'à compter du 1er avril 2020, l'arrêt pour garde d'enfant a été remplacé par le dispositif de chômage partiel, de sorte que la salariée ne pouvait plus en bénéficier.

L'article L.1221-20 du code du travail définit la période d'essai comme étant celle qui permet à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail au regard de son expérience et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent.

En application de l'article L.1231-1 du code du travail, les dispositions légales régissant la rupture du contrat de travail ne sont pas applicables à la période d'essai.

De principe, chaque partie au contrat de travail est libre de le rompre sans donner de motif au cours de la période d'essai.

Toutefois, la responsabilité de l'employeur peut être engagée lorsque la rupture de la période d'essai s'exerce dans des conditions abusives, résultant d'un détournement de la finalité de celle-ci, d'une intention de nuire ou d'une légèreté blâmable, notamment lorsque la rupture est motivée par des considérations non inhérentes à la personne et sans relation avec l'aptitude professionnelle ou personnelle du salarié à assumer les fonctions qui lui sont dévolues.

L'indemnisation de la rupture d'un contrat de travail en cours de période d'essai ne peut donc intervenir qu'en cas d'abus du droit de rompre. La charge de la preuve du caractère abusif de la rupture incombe au salarié qui l'invoque.

En l'espèce, les parties ont signé un contrat de travail le 16 décembre 2019, à effet au 6 janvier 2020, aux termes duquel est stipulée une période d'essai de trois mois, renouvelable une fois. Il est acquis aux débats que la période d'essai de Mme [V] a été rompue le 16 mars 2020.

Au soutien de ses allégations, Mme [V] fait valoir d'une part que sa période d'essai a été rompue le premier jour du confinement résultant de la crise sanitaire due à l'épidémie de COVID-19, et d'autre part qu'elle n'a jamais fait l'objet de reproche de la part de la société, ce qui n'est au demeurant pas contesté par l'employeur, la salariée produisant par ailleurs son bulletin de salaire de février 2020, dans lequel apparaît le versement d'une prime de développement de 1.400 euros bruts, perçue à la suite de la conclusion d'un contrat de franchise avec un client.

Si la société conteste le rôle que Mme [V] a joué dans la conclusion de ce contrat de franchise, en versant au débat le mail de l'ancien supérieur hiérarchique de la salariée qui écrit qu'elle lui a fourni un « appui conséquent », les échanges de mails produits par la société sous sa pièce n° 3 témoignent cependant d'une réelle implication de la salariée dans les relations notamment avec le client M. [F].

De même, l'argument de la société consistant à soutenir que la salariée ne démontre en rien de l'accomplissement des tâches prévues à son contrat de travail est mal fondé, dans la mesure où aucun reproche n'ayant été formulé à cette dernière, Mme [V] peut se prévaloir d'une absence de carence professionnelle.

Dès lors, Mme [V] établit que la rupture de la période d'essai, advenue le premier jour du confinement résultant de la crise sanitaire due à l'épidémie de COVID-19 est sans relation avec son aptitude professionnelle à assumer les fonctions de consultant développement, la société n'ayant émis aucune réserve sur la qualité de son travail pendant les deux mois et demi de durée de la période d'essai, une prime lui ayant même été versée en février 2020 à la suite de la conclusion d'un contrat de franchise avec un client.

En conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le surplus des moyens tendant aux mêmes fins, la rupture de la période d'essai de Mme [V], caractérise un abus de droit.

Mme [V] est ainsi bien fondée en sa demande de condamnation de la société Nestenn Immobilier à lui verser à Mme [V] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de la période d'essai.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société Nestenn Immobilier qui succombe sera déboutée de ses prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ce, par confirmation du jugement.

La société Nestenn Immobilier sera condamnée à verser la somme de 1.000 euros à Mme [V] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, par infirmation du jugement déféré.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société par actions simplifiée Nestenn Immobilier de sa demande reconventionnelle ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant ;

Dit que la rupture de la période d'essai de Mme [Y] [V] est abusive ;

Condamne la société par actions simplifiée Nestenn Immobilier à payer à Mme [Y] [V] 1.500 euros à titre de dommages et intérêts ;

Déboute la société par actions simplifiée Nestenn Immobilier de l'intégralité de ses demandes ;

Rejette le surplus des demandes ;

Condamne la société par actions simplifiée Nestenn Immobilier à payer à Mme [Y] [V] 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société par actions simplifiée Nestenn Immobilier aux entiers dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,