CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 27 mars 2024, n° 22/19211
PARIS
Ordonnance
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Savencia (SA), Savencia Ressources Laitières (SAS)
Défendeur :
Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tell
Avocats :
Me Terdjman, Me Audran
Par ordonnance du 14 novembre 2022, au visa de l'article L. 450-4 du code de commerce, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris a autorisé des opérations de visite et de saisie dans les locaux des entreprises suivantes :
- SODIAAL UNION, [Adresse 5], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse, ci-après 'SODIAAL' ;
- GROUPE LACTALIS, [Adresse 1] et [Adresse 7], et les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses, ci-après 'LACTALIS' ;
- SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES et SAVENCIA, [Adresse 4], et [Adresse 6], et les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses, ci-après 'SRL' ou 'SAVENCIA' ;
- EURIAL, [Adresse 8], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse.
Cette ordonnance faisait suite à une requête en date du 7 novembre 2022 et des pièces qui y sont jointes, du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence (ci-après "le rapporteur général") aux fins d'établir si lesdites entreprises se livrent à la pratique prohibée par les articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après 'TFUE') relevée dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée.
Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées les 17 et 18 novembre 2022 dans les locaux de SAVENCIA ET SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES au [Adresse 4] et au [Adresse 6].
Après avoir rappelé, qu'à cette requête, outre la demande d'enquête du rapporteur général du 4 novembre 2022, accompagnée de la copie de la note des rapporteurs, étaient annexés 19 autres documents contenant des pièces communiqués par le rapporteur général, que ces documents ont été recueillis ou reçus par les agents de l'Autorité de la concurrence ou de la DGCCRF en application des articles L. 450-1, L. 450-2 et L. 450-3 du code de commerce, que s'agissant des éléments d'information transmis par la DGCCRF, l'Autorité de la concurrence a pris la direction des investigations sur le fondement de l'article L. 450-5 du code de commerce et que les pièces présentées à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite puisqu'elles émanent de la consultation d'études, d'avis, de sites Internet et de banques de données électroniques accessibles au public, de l'exercice par la DGCCRF de son droit de communication dont elle semble avoir usé de manière régulière, mais également de la possibilité pour l'Autorité de la concurrence de se voir communiquer les informations ou les documents que la DGCCRF détient ou recueille, le juge des libertés et de la détention a mentionné que dans la dite requête, le rapporteur général fait état d'éléments d'information selon lesquels les entreprises précitées seraient convenues de se répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache en violation des dispositions des articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du TFUE.
La consultation de ces documents lui a permis de retenir les points suivants :
Comme l'a observé l'Autorité de la concurrence dans son avis relatif au fonctionnement du secteur laitier, ce dernier comporte trois niveaux : la production de lait (qui inclut sa collecte), sa transformation en produits destinés à être consommés ou stockés et la distribution (annexe à la requête n° 18, page 3). Le lait étant une matière première périssable, il est stocké par le producteur sur l'exploitation avant d'être collecté en moyenne tous les deux jours (annexe à la requête n° 18, page 6) et transporté vers un centre de collecte ou une laiterie pour y être transformé au plus tard 72 heures après la traite.
Selon les articles L. 631-24 I et R. 631-7 du code rural et de la pêche maritime, l'achat de lait de vache livré sur le territoire français, quelle que soit son origine, doit faire l'objet de contrats écrits entre producteurs et acheteurs ('contrats d'application'), dont la durée ne peut être inférieure à 5 ans (annexe à la requête n° 2). Selon l'article L. 631-24 II du code rural et de la pêche maritime, lorsque le producteur a donné mandat à une organisation de producteurs reconnue dont il est membre ou à une association d'organisations de producteurs reconnue à laquelle appartient l'organisation de producteurs dont il est membre pour négocier la commercialisation de ses produits sans qu'il y ait transfert de leur propriété, ces contrats sont précédés d'accords-cadres écrits entre organisations de producteurs ou associations d'organisations de producteurs et acheteurs (annexe à la requête n° 2).
Il ressort des éditions 2017, 2021 et 2022 de l'étude intitulée 'L'économie laitière en chiffres' publiée par le CNIEL, que la collecte est passée de 24 milliards de litres de lait de vache en 2016 à 23,5 milliards de litres en 2021 en France alors que selon cette même étude, il existait en 2015 sur le territoire national 61807 exploitations livrant du lait de vache (51656 en 2019 et 50349 en 2020), pour 446 entreprises de collecte (395 en 2019 et 411 en 2020) (annexe à la requête n° 3). En général, l'agriculteur contracte avec un seul acheteur alors que celui-ci s'approvisionne auprès de plusieurs centaines, voire milliers d'exploitants (annexe à la requête n° 3).
Ainsi en 2015, parmi les 446 entreprises de collecte, seules environ 6 % d'entre elles réalisaient 70 % de la collecte et en 2019 et 2020, environ 7 % des entreprises collectrices réalisaient plus de 77 % de la collecte (annexe à la requête n° 3). Le marché de l'approvisionnement de lait de vache se caractériserait par une offre atomisée face à une demande en comparaison concentrée, susceptible de générer un déséquilibre dans le pouvoir de négociation au détriment des producteurs. La puissance de grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, tels que LACTALIS, SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (' SRL'), SODIAAL et EURIAL, la branche lait du groupe AGRIAL, serait renforcée par la place également prépondérante qu'ils occupent sur les marchés aval de la transformation et fabrication de produits laitiers (annexe à la requête n° 17).
Dans ce contexte il est souligné que LACTALIS et SRL ont conclu, le 3 juin 2016, un contrat d'achat-vente réciproque de lait de vache départ ferme pour une durée indéterminée à compter du 1er mai 2016 (annexe à la requête n° 4).
Les ventes de lait de vache par les agriculteurs s'effectuent au départ de la ferme et il revient à l'acheteur de se charger de collecter le lait de vache pour l'acheminer vers un centre de collecte ou de transformation.
L'article 1er de ce contrat stipule que LACTALIS et SRL « s'engagent à se vendre et s'acheter réciproquement du lait entier cru refroidi, départ ferme, de qualité saine, loyale et marchande » et que le contrat « repose sur les principes de l'équilibre des volumes achetés et vendus et du ramassage pour ordre et compte d'autrui » et concerne des producteurs de la région Normandie (annexe à la requête n° 4).
Aux termes de l'article 2, il est prévu que « LACTALIS vendra à SAVENCIA départ ferme, la production laitière de 64 producteurs, désignés en annexe 1. La collecte de ces producteurs représente un volume annuel de 27 522 000 litres. SAVENCIA vendra à LACTALIS, départ ferme, la production laitière des 60 producteurs désignés en annexe 2. La collecte de ces producteurs représente un volume annuel de 27 965 000 litres. (...) » (annexe à la requête n° 4). Il est en outre précisé que « les parties conviennent que les listes des producteurs concernés, établies en annexes, ne pourront faire l'objet d'aucune modification sans l'accord exprès de l'autre partie. » (annexe à la requête n° 4).
L'article 3 du contrat prévoit que « les ventes de lait réciproques s'effectuant départ ferme, la collecte des quantités de lait est assurée par l'acheteur de ces quantités pour ordre et compte du vendeur. La collecte est assurée toutes les 4 traites pour l'ensemble des producteurs. Les quantités facturées par chaque partie seront les quantités payées (litrage/MG/MP) aux producteurs. » (annexe à la requête n° 4). Cet article ajoute que « les Parties conviennent expressément que le vendeur conserve la relation avec ses producteurs visés par l'accord, notamment le paiement de la fourniture de lait et la maîtrise de la production laitière » (annexe à la requête n° 4).
Conformément à l'article 6, les achats et ventes de lait réciproques entre LACTALIS et SRL donnent lieu à des factures établies mensuellement et toutes les obligations de paiement de sommes d'argent qui naissent entre les parties de l'exécution du contrat se compenseront entre elles, le règlement du solde étant effectué une fois par mois (annexe à la requête n° 4). Ainsi, à titre d'exemple, LACTALIS a adressé à SRL plusieurs factures le 31 décembre 2017 correspondant au lait de vache départ ferme collecté par SRL pour ordre et compte de LACTALIS, qui le lui a revendu (annexe à la requête n° 5).
Il ressort de ce contrat que les producteurs de lait ayant un accord avec LACTALIS voient leur lait collecté par SRL et inversement. Les termes de ce contrat à durée indéterminée, en particulier ses articles 2 et 3, signifieraient que LACTALIS s'interdirait de démarcher, contracter et/ou d'acheter du lait de vache auprès des producteurs laitiers ayant conclu un contrat avec SRL (visés en annexe dudit contrat), et réciproquement.
Il est souligné que, derrière l'objectif de rationalisation des coûts de la collecte, le contrat conclu entre LACTALIS et SRL pourrait avoir eu pour objet et/ou effet de répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache entre ces deux entreprises et ainsi d'empêcher les producteurs laitiers de contracter avec l'un des concurrents de leur acheteur actuel. En outre, un tel accord qui repose sur les principes de l'équilibre des volumes achetés et vendus par les parties, serait également susceptible de figer les volumes de lait produits par les producteurs visés en annexe dudit contrat.
Il est donc affirmé que ce contrat pourrait être le support ou révéler une entente entre LACTALIS et SRL prohibée par l'article L. 420-1 4° du code de commerce.
MM. [H] [RM], [B] [J], [ZP] [ZV] et [R] [WG], respectivement directeur gestion finances, chef comptable, directeur ressources laitières du bassin ouest et responsable du contrôle de gestion et de la facture de lait de l'entreprise SRL, ont déclaré le 10 avril 2018 :
« Nous achetons notre lait aux producteurs qui sont regroupés en OP (ainsi que 2 indépendants), soit à des coopératives (Agrial pour l'Ouest et Terra Lacta pour le Poitou Charentes). Tout ce qui est poudre est acheté par une autre filiale. Nous avons des échanges de lait avec Lactalis et Sodiaal (principalement) : nous collectons le lait de certains producteurs Lactalis et Sodiaal et inversement, de façon à optimiser les tournées de collecte. Cela représente 15 à 20 % de notre collecte (...) Le prix du lait retenu avec Lactalis et Sodiaal est un « prix d'échange » il correspond à un prix « moyenne nationale », valable sur tout le territoire. Nous avons un contrat avec chacune de ces 2 entités (annexe à la requête n° 6).
Il est indiqué qu'il s'évince de ces déclarations que SRL aurait conclu un accord similaire avec SODIAAL, que les comportements observés ne seraient pas circonscrits à LACTALIS et SRL et qu'une répartition similaire des sources d'approvisionnement en lait de vache pourrait avoir été convenue entre SRL et SODIAAL. Ces soupçons d'agissements illicites seraient corroborés par plusieurs déclarations de producteurs laitiers et représentants d'organisations de producteurs laitiers indiquant se trouver dans l'impossibilité de changer d'entreprise de collecte du lait, du fait notamment, d'accords passés entre les différentes entreprises actives dans ce secteur.
Dans un courriel adressé le 7 août 2017 au ministère de l'économie et des finances, M. [M] [ND], société TMCE (Technique Minérale de Culture et d'Elevage) a dénoncé une ' probable entente illicite entre industriels du lait depuis environ 17 ans aux dépens des producteurs de lait '. Selon ses dires, « il ne serait désormais plus possible à un producteur de changer de laiterie et de signer un contrat avec une laiterie concurrente ». Il a à ce sujet indiqué que « jusqu'en 1998-2000, un producteur de lait mécontent de sa relation avec sa laiterie, prenait contact avec une laiterie concurrente et, dans les semaines suivantes, c'est cette nouvelle entreprise qui venait acheter son lait. Depuis 2000-2002, un producteur peut tenter la même démarche, aucune nouvelle laiterie n'accepte de venir collecter son lait. Le producteur n'a plus aucune possibilité de faire jouer la concurrence. (...) Les laiteries ont gelé la répartition de la ressource lait entre elles et toutes respectent ce pacte » ; « parmi les acheteurs concernés, il a désigné » Lactalis, Savencia, (annexe à la requête n° 7).
Mme [F] [P] et MM. [WL] [MY] et [SC] [EV], respectivement prestataire en secrétariat, co-président et responsable des relations commerciales avec SRL et co-président et responsable des relations commerciales avec LACTALIS de l'association de producteurs France Milkboard (FMB) Normandie, et d'autres zones géographiques depuis 2014, ont déclaré le 6 juillet 2018 :
FMB bassin normand traite avec 4 industriels : SAVENCIA, LACTALIS, FLECHARD (début de négociation depuis 2018) et MILLERET (fromagerie en France Comté, rédaction du contrat cadre, négociation en septembre prochain). (...)
Un éleveur laitier n'a pas le choix de sa laiterie, selon son lieu géographique et son historique. On peut quitter sa laiterie, mais aucune autre laiterie ne nous reprendra. Avec la signature du contrat d'application, le producteur est main et poing liés avec la laiterie, car le volume est lié au contrat. Le jour où vous n'avez plus de contrat, vous n'avez plus de volumes. Il faut retrouver un autre contrat, et c'est impossible car il y a une entente entre eux. La seule exception est l'installation d'un jeune. (annexe à la requête n° 9).
Mme [Y] [IU], conjointe de M. [G] [IU], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 12] en Normandie, a déclaré le 4 juillet 2018 : « La production laitière annuelle est d'environ 230 000 litres collectés par la fromagerie de [Localité 11] (groupe SAVENCIA /EURIAL), et payé SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (SRL) du centre de [Localité 13] (...). Je n'ai pas eu le choix sur le lieu géographique du centre de collecte, je dépends de [Localité 13], et le lait part sur [Localité 11], mais il peut partir vers d'autres laiteries du groupe ou de concurrents » (annexe à la requête n° 8).
M. [D] [RS], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 14] en Normandie, a déclaré le 13 septembre 2018 : « Je suis exploitant agricole depuis 1989. J'exploite 17 hectares en céréales. Je suis producteur de lait de vache, avec un troupeau de 80 vaches laitières et une production annuelle 673 000 de litres, collectés au centre de collecte d'AGRIAL [Localité 14]. SAVENCIA a un accord avec AGRIAL concernant la collecte. (...). Pour l'historique, l'Union laitière Normande a fait faillite. BONGRAIN [aujourd'hui SAVENCIA Fromage & Dairy] a racheté cette coopérative à hauteur de 14 %, le reste des capitaux étaient privés. BONGRAIN a désormais une convention avec EURIAL pour la collecte afin d'optimiser les coûts de collecte. LACTALIS a également des conventions pour optimiser les coûts de collecte. (...). Si je souhaitais changer de laiterie, je ne pourrais pas, car les laiteries ne sont pas en recherche de nouveaux fournisseurs. Elles demandent à leurs fournisseurs actuels d'augmenter leur nombre de litres. Toutes les laiteries veulent gérer leur propre organisation de producteurs. La livraison de ma collecte est destinée au centre de collecte de [Localité 14] ; Je n'ai pas le choix. »(annexe à la requête n° 10).
Il est souligné que cette déclaration fait état de l'existence entre SRL (SAVENCIA) et EURIAL, filiale d'AGRIAL, d'un contrat d'achat/vente réciproque de lait de vache similaire à celui conclu entre SRL et LACTALIS.
M. [W] [WB], producteur laitier en Seine-et-Marne, président de l'Association des Eleveurs Producteurs de Lait de Seine-et-Marne et président de l'établissement régional de l'élevage d'Ile-de-France, a déclaré le 13 novembre 2018 :
« Les producteurs peuvent difficilement changer d'acheteur car il y a les accords de collecte notamment entre SODIAAL et LACTALIS. C'est un frein au changement lorsqu'il n'y a qu'une seule société qui collecte. La collecte est stratégique dans notre secteur de production car le produit devient rapidement non commercialisable. Il me semble que LACTALIS maintient ses producteurs dans un état de dépendance économique »(annexe à la requête n° 11).
Cette déclaration fait également état de l'existence entre LACTALIS et SODIAAL d'un contrat d'achat/vente réciproque de lait de vache similaire à celui conclu entre LACTALIS et SRL.
Il apparaît ainsi que des contrats d'achat-vente de lait de vache similaires à celui conclu entre SRL et LACTALIS (annexe à la requête n° 4) auraient de la même manière été conclus par les grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, qui leur permettraient de se répartir les producteurs laitiers.
Il est encore mentionné que ces différentes déclarations concordent avec celles d'autres producteurs laitiers figurant dans la presse et avec des articles de presse publiés sur le sujet. Un article intitulé « Producteurs de lait : Nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie » publié par le journal Ouest France, le 31 janvier 2017, relate les déclarations de M. [A] [AN], président de l'association des producteurs de lait de la Laiterie nouvelle de l'Arguenon : « Cette année, le prix moyen annuel payé aux producteurs étant largement inférieur à la valorisation de l'entreprise, le différentiel ne revient qu'aux coopérateurs. Cette situation est forcément subie, car nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie, à cause d'accords de collecte entre industriels. » (annexe à la requête n° 12).
Un autre article intitulé ' Lactalis : les éleveurs ne veulent plus compter pour du beurre ', publié par le journal Les Echos, le 24 janvier 2018, précise : ' Dans tous les cas, les producteurs ont intérêt à ce que Lactalis conserve sa place de leader et maintienne sa croissance. Il est quasiment impossible de changer de laiterie ', indique [C] [FA], coordinatrice de l'OPLGO (Organisation de producteurs laitiers du Grand Ouest) qui regroupe 1 500 éleveurs. ' La concentration de ce secteur industriel permet rarement aux éleveurs de modifier leurs conditions de livraison. La gestion des flux pour le ramassage du lait dans les fermes est organisée à partir d'ententes entre industriels. Les producteurs sont donc pieds et poings liés avec leur laiterie, sauf dans des bassins en tension, comme dans le sud-ouest et le centre de la France où le nombre des éleveurs ne cesse de se réduire, ce qui permet à ceux qui restent de plus facilement négocier avec les laiteries. Un mal pour un bien...' (annexe à la requête n° 13).
Un dernier article intitulé ' La course infernale des producteurs de lait ' publié par le journal Le Monde diplomatique, le 1er février 2021, mentionne : ' Le ' bas de la chaîne ' n'a d'autre choix que d'accepter les conditions des collecteurs de sa région, qu'une main invisible semble harmoniser : ' Moi, je suis Sodiaal, et mon voisin Lactalis, mais c'est le même camion qui nous ramasse, s'amuse M. [RX] [Z]. Ils s'arrangent entre eux. Ça me fait bien rigoler ; ce n'est pas de la concurrence. Sur les prix aussi, ils sont pareils, au centime près.' Mais gare à celui qui s'aviserait de changer de laiterie : C'est dangereux, car personne ne te prendra en face ! Les groupes s'accordent en effet pour s'épargner une coûteuse lutte de captation de producteurs. C'est ainsi que MM [K] et [SH] sont ' chez Lactalis' comme leurs pères, et que MM. [Z] et [I] [E] sont ' chez Sodiaal ' comme les leurs. ' Quand tu reprends une ferme, tu reprends ses quotas et sa laiterie résume M. [SH].' (Annexe à la requête n° 14) ;
Dans le cadre d'un reportage audio intitulé ' Journal Breton - Saison 2 ; Episode 8: La fabrique du silence : les agriculteurs sous pression des industriels ' diffusé le 29 janvier 2018 par l'émission ' Les Pieds sur Terre ' de la radio France Culture, M. [EP] [FF], producteur laitier en Maine-et-Loire, a expliqué avoir tenté de trouver une nouvelle entreprise pour collecter le lait de vache qu'il produit à la suite de la dénonciation par LACTALIS du contrat qui les liait et il a précisé à ce sujet:
Mais ce qui a été le plus dur pour moi à accepter c'est d'entendre certaines secrétaires vous dire : Oh mais normalement on n'a pas le droit, c'est interdit par les lois, mais nous, on a des accords avec Lactalis, donc on ne touche pas à leurs producteurs et puis eux ils ne touchent pas aux nôtres '. Et ça, c'est royalement interdit mais ça se pratique quasiment tout le temps. C'est des accords de non-concurrence, il faut l'appeler comme ça.' (Annexe à la requête n° 15).
L'ordonnance attaquée énonce qu'il ressort de ces différents éléments d'information que les grands groupes d'approvisionnement en lait de vache semblent avoir mis en place un système de fonctionnement tel que les producteurs laitiers ne seraient pas en position de choisir librement l'entreprise qui va procéder à la collecte et que cette répartition des sources d'approvisionnement entre collecteurs pourrait également avoir des conséquences négatives sur le prix payé aux producteurs de lait de vache.
Il est constaté que la mesure de vérification demandée par le rapporteur général aura pour objectif de confirmer ou d'infirmer l'existence de tels agissements décrits et analysés ci-dessus, ainsi que leurs auteurs dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache.
Il est donc considéré que l'ensemble de ces agissements semble constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes à dimension nationale visant à se répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache, susceptible de relever de la pratique prohibée par l'article L. 420-1 4° du code de commerce. Si la pratique illicite présumée examinée peut toucher potentiellement l'ensemble ou une partie du territoire national, elle est également susceptible d'affecter sensiblement le commerce entre États membres et de relever ainsi de l'application de l'article 101-1 c) du TFUE.
Le juge des libertés et de la détention a considéré que la portée de ses présomptions est suffisante au regard des qualifications prévues aux articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du TFUE et que la recherche de la preuve de cette pratique apparaît justifiée. L'énumération des agissements pour lesquels il existe des présomptions d'entente n'est probablement pas exhaustive, ceux mentionnés dans sa décision n'étant que des illustrations de la pratique prohibée dont la preuve est recherchée dans le secteur concerné.
Il est relevé que rien n'interdit de retenir, comme éléments de présomptions des faits non prescrits, des documents ou des éléments d'information datant de plus de 5 ans (annexe à la requête n° 20).
Il est affirmé que l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Autorité de la concurrence de corroborer ses soupçons. En effet, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou effet de se répartir les sources d'approvisionnement sont établies suivant des modalités secrètes, de sorte que les documents nécessaires à la preuve de la pratique prohibée sont vraisemblablement détenus et conservés en des lieux et sous des formes qui facilitent leur dissimulation, destruction ou altération en cas de vérification.
Dans ces conditions, il est considéré que le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du code de commerce constitue le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché alors que les opérations de visite et de saisie sollicitées n'apparaissent pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre puisque les intérêts et droits des entreprises concernées sont garantis dès lors que les pouvoirs des agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce sont utilisés sous son contrôle.
Il est rappelé que le juge peut, en application de l'article L. 450-4 du code de commerce, autoriser des visites et saisies en tous lieux dès lors qu'il constate que des documents se rapportant à des pratiques anticoncurrentielles présumées sont susceptibles de s'y trouver (annexe à la requête n° 19).
Aux termes de la requête qui lui a été présentée, le juge des libertés et de la détention considère qu'il est vraisemblable que les documents et les supports d'information utiles à l'apport de la preuve recherchée se trouvent dans les locaux des entreprises LACTALIS, SRL, SODIAAL et EURIAL, la branche lait du groupe AGRIAL et qu'il est nécessaire de permettre aux agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce d'intervenir simultanément afin d'éviter la disparition ou la dissimulation d'éléments matériels de preuve.
La requête du rapporteur général apparaissant fondée, il y a été fait droit.
LA PROCÉDURE
SAVENCIA et SRL ont interjeté appel de cette ordonnance le 25 novembre 2022 et exerçaient le même jour un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées au [Adresse 4] le 17 novembre 2022 (RG n° 22/19214) et un autre recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées au [Adresse 6] le 17 novembre 2022.
L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 13 décembre 2023.
SUR L'APPEL
SAVENCIA et SRL, par conclusions récapitulatives déposées au greffe de la Cour d'appel de PARIS le 15 novembre 2023, au visa de l'article 8 de la CESDH, de l'article L. 450-4 du code de commerce et des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE, demandent au Premier président de la cour d'appel de Paris de :
- annuler l'ordonnance du 14 novembre 2022 autorisant les opérations de visite et saisie dans les locaux des sociétés Savencia et Savencia Ressources Laitières,
- annuler les opérations de visite et saisie réalisées les 17 et 18 novembre 2022 ainsi que les opérations d'ouverture du scellé provisoire du 13 décembre 2022,
- ordonner la restitution de l'ensemble des pièces et fichiers saisis dans les locaux des sociétés Savencia et Savencia Ressources Laitières et des pièces et fichiers ultérieurement remis à l'Autorité à la demande de cette dernière,
- interdire à l'Autorité de la concurrence de faire un quelconque usage des pièces et fichiers saisis en constatant que :
- la demande d'autorisation du Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence est mal-fondée au regard du standard de preuve exigé par l'article L. 450-4 du code de commerce,
- les "indices" de pratiques anticoncurrentielles visés par l'Ordonnance ne sont pas suffisants pour justifier une mesure coercitive sur le fondement de l'article L. 450-4 du code de commerce,
- que le juge des libertés et de la détention n'a pas vérifié le bien-fondé de la demande d'autorisation de procéder à des opérations de visite et saisie, en violation de l'article L. 450-4 du code de commerce et des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 § 1 du TFUE.
- que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Paris du 14 novembre 2022 est disproportionné aux objectifs poursuivis, en violation de l'article 8 de la CESDH.
Et de condamner l'Autorité de la concurrence à verser la somme de 15 000 euros aux sociétés Savencia et Savencia Ressources Laitières, en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'Autorité de la concurrence, dans ses observations sur l'appel reçues au greffe le 16 octobre 2023 demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de :
- confirmer l'ordonnance d'autorisation rendue le 14 novembre 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris ;
- rejeter la demande, par voie de conséquence, d'annulation des opérations de visite et saisie et de restitution de l'ensemble des documents saisis ou remis ;
- condamner Savencia et SRL au paiement de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Le ministère public conclut dans son avis en date du 8 décembre 2023 à la confirmation de l'ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris.
SUR LES RECOURS
SAVENCIA et SRL, par conclusions récapitulatives déposées au greffe de la Cour d'appel de PARIS le 15 novembre 2023, demandent au Premier président de la cour d'appel de Paris de :
Sur les trois fichiers de messagerie de Madame [JJ] [CT] et de Messieurs [SC] [T] et [S] [VR], remis à l'Autorité postérieurement aux opérations de visite et saisie,
- Constater que l'Autorité de la concurrence a méconnu les droits de la défense en demandant la remise des fichiers de messageries de Madame [JJ] [CT], de Messieurs [SC] [T] et [S] [VR] postérieurement aux opérations de visite et saisie, qu'elle a saisis de façon irrégulière en dehors de tout cadre légal,
En conséquence,
- déclarer nulle la remise de ces trois fichiers de messageries,
- ordonner la restitution auprès de Savencia de l'intégralité de ces trois fichiers de messageries et de toute copie qui aurait pu en être faite, par voie de destruction,
- enjoindre à l'Autorité de confirmer la destruction de toute copie en sa possession,
Faire interdiction à l'Autorité de la concurrence d'en faire usage dans toute procédure.
Sur l'ensemble des saisies réalisées par l'Autorité,
- constater que les saisies informatiques (courriels et documents numériques) réalisées dans le cadre des opérations de visite et saisie au sein des locaux de Savencia et Savencia Ressources Laitières, et à titre subsidiaire, celles réalisées en dehors de tout cadre procédural s'agissant des trois fichiers de messagerie précités remis à l'Autorité par Savencia, ont méconnu la protection applicable aux correspondances avocat-client,
- constater que les saisies informatiques (courriels et documents numériques) réalisées dans le cadre des opérations de visite et saisie au sein des locaux de Savencia et Savencia Ressources Laitières, et à titre subsidiaire, celles réalisées en dehors de tout cadre procédural s'agissant des trois fichiers de messagerie précités remis à l'Autorité par Savencia, ont porté sur des documents ne présentant aucun lien avec le champ de l'ordonnance,
En conséquence,
- ordonner la restitution auprès de Savencia et Savencia Ressources Laitières des correspondances avocat-client visées en Pièce n° 9 et des documents numériques n'entrant pas dans le champ de l'ordonnance visés en Pièce n° 10, par voie de destruction,
- enjoindre à l'Autorité de confirmer la destruction de toute copie en sa possession,
Faire interdiction à l'Autorité de la concurrence d'en faire usage dans toute procédure.
En tout état de cause, condamner l'Autorité de la concurrence au paiement de la somme de 15 000 euros aux sociétés Savencia et Savencia Ressources Laitières au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'Autorité de la concurrence, dans ses observations récapitulatives du 11 décembre 2023, demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de :
- rejeter les demandes d'annulation et de restitution des trois fichiers de messagerie professionnelle remis volontairement le 21 novembre 2022 par la société Savencia à l'Autorité de la concurrence ;
- rejeter la demande de restitution de la saisie de 42 éléments prétendument protégés par le secret de la correspondance avocat-client sur les 47 listés et produits en pièce adverse n° 9 issus des saisies informatiques réalisées dans les locaux de Savencia situés [Adresse 6], pour absence de lien avec l'exercice des droits de la défense ;
- rejeter la demande de restitution de la saisie de 352 éléments prétendument protégés par le secret de la correspondance avocat-client sur les 486 listés et produits en pièce adverse n° 9 issus de la remise volontaire de trois fichiers de messagerie professionnelle par Savencia, pour absence de lien avec l'exercice des droits de la défense ;
- rejeter la demande de restitution de la saisie de 30 éléments prétendument protégés par le secret de la correspondance avocat-client sur les 30 listés et produits en pièce adverse n° 9 issus des saisies informatiques réalisées dans les locaux de SRL situés [Adresse 4], pour absence de lien avec l'exercice des droits de la défense ;
- rejeter la demande de restitution de la saisie de 340 éléments, issus des saisies informatiques, prétendument hors objet de l'enquête listés et produits en pièce adverse n° 10, en ce que ces saisies ne seraient pas hors du champ de l'ordonnance judiciaire, notamment celles concernant la collecte du lait de chèvre ou de brebis, et qu'il s'agit d'éléments obtenus par l'Autorité de la concurrence lors de la saisie ou de la remise de fichiers de messagerie professionnelle indivisibles et pour partie utiles à la preuve des agissements retenus par l'ordonnance d'autorisation et,
- condamner les sociétés Savencia et Savencia Ressources Laitières (SRL) au paiement de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Le ministère public conclut dans son avis en date du 8 décembre 2023 à l'annulation de la saisie et de la remise des trois fichiers de messagerie saisis postérieurement à la clôture des opérations, de la saisie des documents provenant ou destinés à un avocat indépendant et concernant l'exercice des droits de la défense de l'entreprise, à l'exclusion des documents internes issus du service juridique et de la saisie des documents ne concernant que le lait de chèvre ou de brebis, sauf s'il est démontré in concreto par l'Autorité de la concurrence que certains d'entre eux peuvent être utiles à l'enquête en cours.
MOTIVATION
SUR LA JONCTION
Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient en application de l'article 367 du code de procédure civile et eu égard au lien de connexité entre les affaires, de joindre les instances enregistrées sous les numéros de RG 22/19211, RG 22/19213 et RG 22/19214 qui seront regroupées sous le numéro le plus ancien.
SUR L'APPEL (RG n°22/ 19211)
1) Sur le moyen en réalité unique tiré de l'absence de contrôle par le juge des libertés et de la détention du bien-fondé de la requête et de l'absence d'éléments permettant de présumer de l'existence de pratiques anticoncurrentielles que les appelantes déclinent en branches dont il sera traité séparément :
A cet égard, on relèvera à titre liminaire que SAVENCIA et SRL (ci-après SAVENCIA ) soutiennent que les circonstances retenues dans l'ordonnance ne constituaient pas, ensemble ou prises séparément, des indices suffisamment sérieux d'agissements prohibés (paragraphes 58 et suivants de ses dernières écritures). Elles soutiennent que les éléments fournis au juge des libertés et de la détention ne fournissent pas le moindre indice permettant d'accréditer la thèse d'un accord de répartition des sources d'approvisionnement en lait de vache entre les entreprises concernées. Il est argué que l'autorisation donnée par le juge des libertés et de la détention de procéder aux opérations de visite et saisie se fonde uniquement sur l'existence et le contenu des accords d'optimisation logistiques et n'a pas été fondée sur des soupçons de pratiques secrètes de répartition des sources d'approvisionnement entre laiteries susceptibles d'exister en marge de ces accords.
1) En premier lieu, SAVENCIA soutient que le juge des libertés et de la détention n'a pas contrôlé le bien-fondé de la demande d'autorisation de procéder aux opérations de visite et saisie en application de l'article L. 450-4 alinéa 2 du code de commerce :
Il est ainsi affirmé qu'en l'espèce, le juge n'a manifestement pas analysé les éléments que l'administration lui a présentés, car un tel examen aurait nécessairement dû le conduire à relever l'absence de tout indice lui permettant de présumer d'une quelconque pratique anticoncurrentielle imputable aux sociétés Savencia et SRL. Il est précisé que le juge des libertés et de la détention est donc tenu de procéder à un examen in concreto du bien-fondé de la requête et de ses annexes et d'examiner s'il existe des éléments "suffisants", des "éléments d'informations convergents", des "indices sérieux", "caractérisant suffisamment les présomptions". Ainsi, il est rappelé que le juge des libertés et de la détention doit vérifier, selon la méthode du faisceau d'indices, que les éléments produits par l'administration permettent d'établir l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant les opérations de visite et saisie, même s'il n'est pas tenu d'établir l'existence de présomptions précises, graves et concordantes, et partant, n'a pas à se prononcer sur la réalité des pratiques alléguées.
Cet argument est décliné en trois branches :
- Le juge est tenu de vérifier l'origine apparemment licite des pièces fournies par l'administration avant d'ordonner toute visite domiciliaire.
SAVENCIA soutient que rien dans la Requête, ni a fortiori dans l'ordonnance, ne permet de savoir comment les services d'instruction de l'Autorité se sont procuré les documents visés en annexes 4 et 5. Il est affirmé qu'il ressort de plusieurs annexes que le secteur laitier a déjà fait l'objet d'une enquête de la part de la DGCCRF en 2018 sur le fondement des articles L. 450-2 et L. 450-3 du code de commerce (annexes n° 6, 7, 8, 9, 10 et 11), et que dans ce cadre, la DGCCRF s'est vu remettre copie d'un certain nombre de documents répertoriés nominativement. Il est fait grief au juge des libertés et de la détention d'avoir manqué à son devoir de contrôle effectif du bien-fondé de la requête en ce sens qu'il n'a pas relevé que les éléments provenant de cette enquête, vraisemblablement obtenus par l'Autorité sur le fondement de l'article L. 450-5 du code de commerce, datent des années 2017 et 2018. SAVENCIA affirme encore que ni le "contrat d'achat-vente de lait de vache départ ferme" conclu entre SRL et Lactalis le 3 juin 2016 (annexe 4), ni les factures ayant pour objet "Ramassage pour compte" adressées par LACALIS à SRL en date du 31 décembre 2017 (annexe 5) ne figurent parmi les documents listés en inventaire des différents procès-verbaux de déclaration et de prise de copie de documents dressés par la DGCCRF en 2018 (annexes 6, 8, 9, 10 et 11). Il est argué qu'il est donc impossible, sur la base des éléments contenus dans la requête et dans l'ordonnance, de savoir si les deux annexes 4 et 5 ont été communiquées à l'Autorité par la DGCCRF elle-même ou si elles ont été obtenues par tout autre procédé non identifié. Si l'Autorité produit désormais un document complémentaire permettant d'attester de l'origine licite de ces deux annexes litigieuses (Annexe A jointe à ses Observations, correspondant à un email envoyé par M. [RM] à la DGCCRF en avril 2018), cela établirait qu'au moment de rendre son ordonnance, le juge des libertés et de la détention n'était pas en mesure de vérifier l'origine apparemment licite des annexes 4 et 5 de la requête qui lui étaient présentées.
L'Autorité de la concurrence réplique que le juge des libertés et de la détention a bien procédé au contrôle de l'origine apparemment licite des annexes présentées dès lors que toutes les pièces soumises ont été recueillies ou reçues par des agents de la DGCCRF. L'Autorité de la concurrence souligne en outre que rien ne permet aux requérantes d'affirmer que le juge des libertés et de la détention n'a pas concrètement exercé son contrôle sur la requête. Elle soutient que le juge des libertés et de la détention s'est fondé sur plusieurs éléments pour déterminer s'il existait des présomptions suffisantes pour autoriser des opérations de visites domiciliaires et saisies, dont certains permettent de relier SAVENCIA et SRL aux pratiques prohibées (ordonnance en pages 4 à 10).
Le ministère public est d'avis que la requête et l'ordonnance se basent sur un faisceau d'indices (voir notamment pages 4 à 8 de l'ordonnance) faisant présumer l'existence, derrière l'existence d'accords de collecte, de pratiques pouvant être anticoncurrentielles, et mettant en cause l'ensemble des intervenants du secteur de la collecte de lait, dont SAVENCIA et SRL. Le ministère public souligne qu'il est exclu d'exiger, au stade de l'instruction, de l'Autorité de la concurrence la preuve de l'existence de pratiques anticoncurrentielles contre toutes les entreprises concernées, mais qu'elle doit, conformément à une jurisprudence bien établie, présenter des indices qui aboutissent à une ou plusieurs présomptions de pratiques prohibées, un seul indice pouvant d'ailleurs être suffisant.
Le ministère public est d'avis qu'à ce stade de l'enquête, les éléments apportés dans les annexes de sa requête par l'Autorité de la concurrence étaient suffisants pour justifier du bien-fondé d'opérations de visites domiciliaires et saisies et afin que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, qui n'a pas à instruire à charge et à décharge, puisse, après analyse, rendre son ordonnance du 14 novembre 2022, peu important au passage que cette ordonnance reprenne les termes de la requête, la pratique de l'ordonnance prérédigée, que le juge des libertés et de la détention peut modifier à sa guise avant de signer (ou de ne pas signer bien sûr), ayant été validée à de très nombreuses reprises.
Sur ce, le magistrat délégué :
SAVENCIA critique l'absence de contrôle effectif par le juge des libertés et de la détention de l'origine apparemment licite des documents visés aux annexes n° 4 et 5.
Le juge de la liberté et de la détention doit s'assurer que les éléments produits par l'administration aient une apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et saisie soit justifiée. Cela exclut une contestation de fond sur l'origine d'une pièce, l'ordonnance devant faire preuve par elle-même de sa régularité et devant indiquer par quelle voie les pièces produites devant ce juge sont parvenues entre les mains de l'administration. C'est ainsi que l'ordonnance entreprise mentionne en page 3 que ' ces documents ont été recueillis ou reçus par les agents de l'Autorité de la concurrence ou de la DGCCRF en application des articles L. 450-1, L. 450-2 et L. 450-3 du code de commerce, que s'agissant des éléments d'information transmis par la DGCCRF, l'Autorité de la concurrence a pris la direction des investigations sur le fondement de l'article L. 450-5 du code de commerce et que les pièces présentées à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite puisqu'elles émanent de la consultation d'études, d'avis, de sites Internet et de banques de données électroniques accessibles au public, de l'exercice par la DGCCRF de son droit de communication dont elle semble avoir usé de manière régulière, mais également de la possibilité pour l'Autorité de la concurrence de se voir communiquer les informations ou les documents que la DGCCRF détient ou recueille ; '.
Ainsi qu'il est énoncé à juste titre par l'ordonnance entreprise, l'origine licite des documents est donc présumée et SAVENCIA n'établit pas dans ses écritures que les documents visés aux annexes n° 4 et 5 aient une origine illicite. En outre, sont produits devant la juridiction de céans par l'Autorité de la concurrence le courriel du 13 avril 2018 par lequel M. [H] [RM], directeur gestion finances de la société SRL, auditionné le 10 avril 2018 (annexe n° 6 à la requête), communique à l'inspecteur, M. [L] [JE], de la DGCCRF les documents supplémentaires demandés lors du contrôle, notamment un exemple de contrat d'échange avec Lactalis et des factures d'achats ventes liés aux échanges avec Lactalis sur décembre 2017. Ce document a été présenté devant la cour (Annexe A versée aux débats par l'Autorité de la concurrence) ; ce qui permet à cette juridiction de confirmer que ces documents ont une origine licite.
L'argument selon lequel le juge des libertés et de la détention n'aurait pas effectué de contrôle de l'origine apparemment licite des documents visés aux annexes n° 4 et 5 ne saurait donc prospérer.
- Sur l'absence de contrôle effectif du contenu de l'accord de collecte croisée par le juge, dont la requête fait une présentation manifestement erronée.
SAVENCIA critique comme non fondée par une analyse pertinente de l'accord, les considérations énoncées dans la requête que l'ordonnance retient en pages 5 et 6 selon lesquelles :
Les termes de ce contrat à durée indéterminée, en particulier ses articles 2 et 3, signifieraient que LACTALIS s'interdirait de démarcher, contracter et/ou d'acheter du lait de vache auprès des producteurs laitiers ayant conclu un contrat avec SRL (visés en annexe dudit contrat), et réciproquement ;
Que, derrière l'objectif de rationalisation des coûts de la collecte, le contrat conclu entre LACTALIS et SRL pourrait avoir eu pour objet et/ou effet de répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache entre ces deux entreprises et ainsi d'empêcher les producteurs laitiers de contracter avec l'un des concurrents de leur acheteur actuel ;
En outre, un tel accord qui repose sur les principes de l'équilibre des volumes achetés et vendus par les parties serait également susceptible de figer les volumes de lait produits par les producteurs visés en annexe dudit contrat.
Il est reproché au juge d'avoir dénaturé les clauses précitées du contrat. SAVENCIA soutient qu'il n'est pas possible de déduire de la rédaction du contrat versé par l'Autorité, en particulier de ses articles 2 et 3, qu'un transformateur s'interdirait de démarcher, contracter et/ou d'acheter du lait de vache auprès de producteurs ayant conclu un contrat avec son concurrent. Il n'est pas possible de déduire du principe susvisé de l'équilibre des volumes la présomption que les volumes de lait produits par les producteurs concernés par le contrat pourraient se trouver figés.
Il est ainsi fait grief au juge des libertés et de la détention d'avoir donné un blanc-seing aux seuls éléments sur lesquels le Rapporteur général a bien voulu attirer son attention, de n'avoir pas relevé les différents garde-fous mis en place par les parties dans ces contrats pour s'assurer de ne pas entraver la libre concurrence sur le marché. Le juge aurait dû constater que les mesures adéquates avaient été mises en œuvre par les parties pour s'assurer que le contrat soit insusceptible de générer le moindre effet anticoncurrentiel.
L'Autorité de la concurrence réplique que les pièces communiquées au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris permettent bien de présumer l'existence d'agissements prohibés et que l'ordonnance du 14 novembre 2022 est bien fondée et proportionnée par rapport au but poursuivi. L'Autorité de la concurrence fait valoir que ce juge s'est fondé sur un faisceau d'indices lui permettant d'établir la présomption de l'existence d'une pratique anticoncurrentielle et n'a pas fondé sa décision sur ce seul contrat. L'Autorité de la concurrence fait encore valoir que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris a bien analysé le caractère secret des actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions entre les protagonistes visés qui aboutissent aux accords apparents de collecte en cause, que ceux-ci ne matérialisent pas le seul indice permettant de présumer l'existence de la pratique anticoncurrentielle recherchée (bien que l'existence d'un seul indice lui suffise pour autoriser des opérations de visite et saisie, selon la jurisprudence en vigueur) et qu'il a rendu son ordonnance en parfaite conformité avec l'article L. 450-4 du code de commerce.
L'Autorité de la concurrence fait valoir que le contrat d'optimisation s'inscrit dans un contexte bien particulier afférent au secteur de l'approvisionnement en lait de vache et que les différents témoignages de producteurs de lait ainsi que les analyses du secteur fournies dans les annexes à la requête permettent de constituer un faisceau d'indices sérieux, justifiant l'autorisation des opérations de visite et de saisie. Il est soutenu que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris a bien analysé le contrat d'achat-vente fourni en annexe n°4 ainsi que les autres pièces qui lui ont été communiquées et qu'il a parfaitement justifié son ordonnance qui, à ce stade de l'enquête préalable, se fonde sur de simples présomptions et non une démonstration de la preuve des pratiques présumées.
L'avis du ministère public repris précédemment répond dans les mêmes termes à cet argument soulevé par SAVENCIA.
Sur ce, le magistrat délégué :
Les arguments que SAVENCIA avance dans ses écritures (n° 60 à 67) touchent au fond du dossier. La question de savoir si les clauses de l'accord de collecte conclu entre LACTALIS et SAVENCIA produit en annexe n° 4 revêtent ou non un caractère anticoncurrentiel n'a pas à être tranché à ce stade de la procédure.
A ce stade de l'enquête, de simples présomptions de l'existence de pratiques anticoncurrentielles suffisent pour fonder l'autorisation délivrée. Il convient de rappeler en effet, qu'au stade de l'autorisation de visite et saisie où aucune accusation n'est portée à l'encontre des appelantes, l'Autorité de la concurrence n'a pas à produire d'éléments de preuve de l'existence de pratiques anticoncurrentielles (ou démontrer la réalité de celles-ci) mais seulement des indices qui par leur addition, leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison aboutissent à une ou plusieurs simples présomptions de pratiques prohibées.
En effet, sans dénaturer le contrat, le juge des libertés et de la détention rappelle d'abord que ce contrat s'inscrit "dans ce [le] contexte" (en page 5) qui est décrit précédemment au regard des éléments figurant dans les annexes à la requête n° 2, n° 3, n° 17 et n° 18, soit que « (...) Le marché de l'approvisionnement de lait de vache se caractériserait par une offre atomisée face à une demande en comparaison concentrée, susceptible de générer un déséquilibre dans le pouvoir de négociation au détriment des producteurs. La puissance de grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, tels que LACTALIS, SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (SRL), SODIAAL et EURIAL, la branche lait du groupe AGRIAL, serait renforcée par la place également prépondérante qu'ils occupent sur les marchés aval de la transformation et fabrication de produits laitiers (annexe à la requête n° 17, étude XERFI intitulée "La fabrication de produits laitiers".)
Il est souligné que LACTALIS et SRL ont conclu, le 3 juin 2016, un contrat d'achat-vente réciproque de lait de vache départ ferme pour une durée indéterminée à compter du 1er mai 2016 (annexe à la requête n° 4).
L'article 1er de ce contrat stipule que LACTALIS et SRL ' s'engagent à se vendre et s'acheter réciproquement du lait entier cru refroidi, départ ferme, de qualité saine, loyale et marchande et que le contrat "repose sur les principes de l'équilibre des volumes achetés et vendus et du ramassage pour ordre et compte d'autrui" et concerne des producteurs de la région Normandie (annexe à la requête n° 4).
Aux termes de l'article 2, il est prévu que « LACTALIS vendra à SAVENCIA départ ferme, la production laitière de 64 producteurs, désignés en annexe 1. La collecte de ces producteurs représente un volume annuel de 27 522 000 litres. SAVENCIA vendra à LACTALIS, départ ferme, la production laitière des 60 producteurs désignés en annexe 2. La collecte de ces producteurs représente un volume annuel de 27 965 000 litres. (...) »(annexe à la requête n° 4). Il est en outre précisé que « les parties conviennent que les listes des producteurs concernés, établies en annexes, ne pourront faire l'objet d'aucune modification sans l'accord exprès de l'autre partie. » (Annexe à la requête n° 4).
L'article 3 du contrat prévoit que « les ventes de lait réciproques s'effectuant départ ferme, la collecte des quantités de lait est assurée par l'acheteur de ces quantités pour ordre et compte du vendeur. La collecte est assurée toutes les 4 traites pour l'ensemble des producteurs. Les quantités facturées par chaque partie seront les quantités payées (litrage/MG/MP) aux producteurs. » (annexe à la requête n° 4). Cet article ajoute que « les Parties conviennent expressément que le vendeur conserve la relation avec ses producteurs visés par l'accord, notamment le paiement de la fourniture de lait et la maîtrise de la production laitière » (annexe à la requête n° 4).
Conformément à l'article 6, les achats et ventes de lait réciproques entre LACTALIS et SRL donnent lieu à des factures établies mensuellement et toutes les obligations de paiement de sommes d'argent qui naissent entre les parties de l'exécution du contrat se compenseront entre elles, le règlement du solde étant effectué une fois par mois (annexe à la requête n° 4). Ainsi, à titre d'exemple, LACTALIS a adressé à SRL plusieurs factures le 31 décembre 2017 correspondant au lait de vache départ ferme collecté par SRL pour ordre et compte de LACTALIS, qui le lui a revendu (annexe à la requête n° 5).
Le juge ajoute : « Il ressort de ce contrat que les producteurs de lait ayant un accord avec LACTALIS voient leur lait collecté par SRL et inversement. Les termes de ce contrat à durée indéterminée, en particulier ses articles 2 et 3, signifieraient que LACTALIS s'interdirait de démarcher, contracter et/ou d'acheter du lait de vache auprès des producteurs laitiers ayant conclu un contrat avec SRL (visés en annexe dudit contrat), et réciproquement. '.
En outre, l'analyse du juge se fonde également sur les autres annexes à la requête, notamment les auditions des producteurs de lait de vache et les autres représentants des organisations professionnelles entendus (annexes à la requête précitées n° 6, 7, 9,10, 11,12, 13, 14 et 15) qui viennent corroborer son analyse du risque anticoncurrentiel que présentent les articles 2 et 3 de l'accord de collecte précité.
C'est ainsi que MM. [H] [RM], [B] [J], [ZP] [ZV] et [R] [WG], respectivement directeur gestion finances, chef comptable, directeur ressources laitières du bassin ouest et responsable du contrôle de gestion et de la facture de lait de l'entreprise SRL confirment la pratique généralisée par les entreprises chargées de l'approvisionnement en lait de vache, dont SRL de la conclusion d'accord d'échanges de collecte. Ils ont déclaré le 10 avril 2018 : « Nous achetons notre lait aux producteurs qui sont regroupés en OP (ainsi que 2 indépendants), soit à des coopératives (Agrial pour l'Ouest et Terra Lacta pour le Poitou Charentes). Tout ce qui est poudre est acheté par une autre filiale. Nous avons des échanges de lait avec Lactalis et Sodiaal (principalement): nous collectons le lait de certains producteurs Lactalis et Sodiaal et inversement, de façon à optimiser les tournées de collecte. Cela représente 15 à 20 % de notre collecte (...) Le prix du lait retenu avec Lactalis et Sodiaal est un "prix d'échange" il correspond à un prix moyenne nationale », valable sur tout le territoire. Nous avons un contrat avec chacune de ces 2 entités. (Annexe à la requête n° 6).
Partant c'est à juste titre que le juge des libertés et de la détention déduit de ces déclarations « que SRL aurait conclu un accord similaire avec SODIAAL, que les comportements observés ne seraient pas circonscrits à LACTALIS et SRL et qu'une répartition similaire des sources d'approvisionnement en lait de vache pourrait avoir été convenue entre SRL et SODIAAL. Ces soupçons d'agissements illicites seraient corroborés par plusieurs déclarations de producteurs laitiers et représentants d'organisations de producteurs laitiers indiquant se trouver dans l'impossibilité de changer d'entreprise de collecte du lait, du fait notamment, d'accords passés entre les différentes entreprises actives dans ce secteur ».
C'est ainsi que dans un courriel adressé le 7 août 2017 au ministère de l'économie et des finances, M. [M] [ND], société TMCE (Technique Minérale de Culture et d'Elevage) a dénoncé une « probable entente illicite entre industriels du lait depuis environ 17 ans aux dépens des producteurs de lait. Selon ses dires, il ne serait désormais plus possible à un producteur de changer de laiterie et de signer un contrat avec une laiterie concurrente. (...) » Depuis 2000-2002, un producteur peut tenter la même démarche (changer de laiterie et signer un nouveau contrat avec une laiterie concurrente), aucune nouvelle laiterie n'accepte de venir collecter son lait. Le producteur n'a plus aucune possibilité de faire jouer la concurrence. (...) Les laiteries ont gelé la répartition de la ressource lait entre elles et toutes respectent ce pacte ; Le juge souligne que "parmi les acheteurs concernés, il a désigné" Lactalis, Savencia, (annexe à la requête n° 7).
Mme [F] [P] et MM. [WL] [MY] et [SC] [EV], respectivement prestataire en secrétariat, co-président et responsable des relations commerciales avec SRL et co-président et responsable des relations commerciales avec LACTALIS de l'association de producteurs France Milkboard (FMB) Normandie, et d'autres zones géographiques depuis 2014, ont déclaré le 6 juillet 2018 : FMB bassin normand traite avec 4 industriels : SAVENCIA, LACTALIS, FLECHARD (début de négociation depuis 2018) et MILLERET (fromagerie en France Comté, rédaction du contrat cadre, négociation en septembre prochain). (...). Un éleveur laitier n'a pas le choix de sa laiterie, selon son lieu géographique et son historique. On peut quitter sa laiterie, mais aucune autre laiterie ne nous reprendra. Avec la signature du contrat d'application, le producteur est main et poing liés avec la laiterie, car le volume est lié au contrat. Le jour où vous n'avez plus de contrat, vous n'avez plus de volumes. Il faut retrouver un autre contrat, et c'est impossible car il y a une entente entre eux. La seule exception est l'installation d'un jeune. (Annexe à la requête n° 9).
Mme [Y] [IU], conjointe de M. [G] [IU], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 12] en Normandie, a déclaré le 4 juillet 2018 : La production laitière annuelle est d'environ 230 000 litres collectés par la fromagerie de [Localité 11] (groupe SAVENCIA /EURIAL), et payé SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (SRL) du centre de [Localité 13] (...). Je n'ai pas eu le choix sur le lieu géographique du centre de collecte, je dépends de [Localité 13], et le lait part sur [Localité 11], mais il peut partir vers d'autres laiteries du groupe ou de concurrents ' (annexe à la requête n° 8).
M. [D] [RS], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 14] en Normandie, a déclaré le 13 septembre 2018 : « Je suis exploitant agricole depuis 1989. (...) Je suis producteur de lait de vache, avec un troupeau de 80 vaches laitières et une production annuelle 673 000 de litres, collectés au centre de collecte d'AGRIAL [Localité 14]. SAVENCIA a un accord avec AGRIAL concernant la collecte. (...). Pour l'historique, l'Union laitière Normande a fait faillite. BONGRAIN [aujourd'hui SAVENCIA Fromage & Dairy] a racheté cette coopérative à hauteur de 14 %, le reste des capitaux étaient privés. BONGRAIN a désormais une convention avec EURIAL pour la collecte afin d'optimiser les coûts de collecte. LACTALIS a également des conventions pour optimiser les coûts de collecte. (...). Si je souhaitais changer de laiterie, je ne pourrais pas, car les laiteries ne sont pas en recherche de nouveaux fournisseurs. Elles demandent à leurs fournisseurs actuels d'augmenter leur nombre de litres. Toutes les laiteries veulent gérer leur propre organisation de producteurs. La livraison de ma collecte est destinée au centre de collecte de [Localité 14] ; Je n'ai pas le choix. » (Annexe à la requête n° 10).
M. [W] [WB], producteur laitier en Seine-et-Marne, président de l'Association des Eleveurs Producteurs de Lait de Seine-et-Marne et président de l'établissement régional de l'élevage d'Ile-de-France, a déclaré le 13 novembre 2018 : « Les producteurs peuvent difficilement changer d'acheteur car il y a les accords de collecte notamment entre SODIAAL et LACTALIS. C'est un frein au changement lorsqu'il n'y a qu'une seule société qui collecte. La collecte est stratégique dans notre secteur de production car le produit devient rapidement non commercialisable. Il me semble que LACTALIS maintient ses producteurs dans un état de dépendance économique » (annexe à la requête n° 11).
Un article intitulé « Producteurs de lait : "Nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie" »publié par le journal Ouest France, le 31 janvier 2017, relate les déclarations de M. [A] [AN], président de l'association des producteurs de lait de la Laiterie nouvelle de l'Arguenon: « Cette année, le prix moyen annuel payé aux producteurs étant largement inférieur à la valorisation de l'entreprise, le différentiel ne revient qu'aux coopérateurs. Cette situation est forcément subie, car nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie, à cause d'accords de collecte entre industriels. » (Annexe à la requête n° 12).
Un autre article intitulé « Lactalis : les éleveurs ne veulent plus compter pour du beurre », publié par le journal Les Echos, le 24 janvier 2018, précise : « Dans tous les cas, les producteurs ont intérêt à ce que Lactalis conserve sa place de leader et maintienne sa croissance. Il est quasiment impossible de changer de laiterie », indique [C] [FA], coordinatrice de l'OPLGO (Organisation de producteurs laitiers du Grand Ouest) qui regroupe 1.500 éleveurs. La concentration de ce secteur industriel permet rarement aux éleveurs de modifier leurs conditions de livraison. La gestion des flux pour le ramassage du lait dans les fermes est organisée à partir d'ententes entre industriels. Les producteurs sont donc pieds et poings liés avec leur laiterie, sauf dans des bassins en tension, comme dans le sud-ouest et le centre de la France où le nombre des éleveurs ne cesse de se réduire, ce qui permet à ceux qui restent de plus facilement négocier avec les laiteries. Un mal pour un bien... " (annexe à la requête n° 13).
Un dernier article intitulé « La course infernale des producteurs de lait » publié par le journal Le Monde diplomatique, le 1er février 2021, mentionne : Le "bas de la chaîne" n'a d'autre choix que d'accepter les conditions des collecteurs de sa région, qu'une main invisible semble harmoniser : Moi, je suis Sodiaal, et mon voisin Lactalis, mais c'est le même camion qui nous ramasse, s'amuse M. [RX] [Z]. Ils s'arrangent entre eux. Ça me fait bien rigoler ; ce n'est pas de la concurrence. Sur les prix aussi, ils sont pareils, au centime près.' Mais gare à celui qui s'aviserait de changer de laiterie : C'est dangereux, car personne ne te prendra en face ! Les groupes s'accordent en effet pour s'épargner une coûteuse lutte de captation de producteurs. C'est ainsi que MM [K] et [SH] sont "chez Lactalis" comme leurs pères, et que MM. [Z] et [I] [E] sont "chez Sodiaal" comme les leurs. « Quand tu reprends une ferme, tu reprends ses quotas et sa laiterie résume M. [SH]. » (Annexe à la requête n° 14) ;
Dans le cadre d'un reportage audio intitulé « Journal Breton - Saison 2 ; Episode 8: La fabrique du silence : les agriculteurs sous pression des industriels » diffusé le 29 janvier 2018 par l'émission "Les Pieds sur Terre" de la radio France Culture, M. [EP] [FF], producteur laitier en Maine-et-Loire, a expliqué avoir tenté de trouver une nouvelle entreprise pour collecter le lait de vache qu'il produit à la suite de la dénonciation par LACTALIS du contrat qui les liait et il a précisé à ce sujet :
Mais ce qui a été le plus dur pour moi à accepter c'est d'entendre certaines secrétaires vous dire : Oh mais normalement on n'a pas le droit, c'est interdit par les lois, mais nous, on a des accords avec Lactalis, donc on ne touche pas à leurs producteurs et puis eux ils ne touchent pas aux nôtres. Et ça, c'est royalement interdit mais ça se pratique quasiment tout le temps. C'est des accords de non-concurrence, il faut l'appeler comme ça. (Annexe à la requête n° 15).
C'est ainsi qu'au vu du contenu des articles 2 et 3 de l'accord entre LACTALIS et SRL produit en annexe n° 4 et rappelés ci-dessus et de l'ensemble des autres annexes n° 6, 7, 9,10, 11,12, 13, 14 et 15 présentées dans la requête reprises ci-dessus, le juge des libertés et de la détention a pu à juste titre retenir qu'il existait un risque de pratiques anticoncurrentielles de la combinaison de ce contrat d'accord de collecte et de contrats analogues, conclus entre les acteurs de l'approvisionnement en lait de vache visés par l'ordonnance d'autorisation, desquels il a pu déduire en l'espèce que « LACTALIS s'interdisait de démarcher, contracter, et/ou d'acheter du lait de vache auprès des producteurs laitiers ayant conclu avec SRL (visés en annexe dudit contrat) et inversement » (pages 5 et 6 de l'ordonnance).
Le juge des libertés et de la détention a pu également pour les mêmes motifs à juste titre retenir pour fonder son autorisation que « derrière l'objectif de rationalisation des coûts de la collecte, le contrat conclu entre LACTALIS et SRL pourrait avoir eu pour objet et/ou effet de répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache entre ces deux entreprises et ainsi d'empêcher les producteurs laitiers de contracter avec l'un des concurrents de leur acheteur actuel. En outre, un tel accord qui repose sur les principes de l'équilibre des volumes achetés et vendus par les parties, serait également susceptible de figer les volumes de lait produits par les producteurs visés en annexe dudit contrat. »
Il apparaît ainsi que des contrats d'achat-vente de lait de vache similaires à celui conclu entre SRL et LACTALIS (annexe à la requête n° 4) auraient de la même manière été conclus par les grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, qui leur permettraient de se répartir les producteurs laitiers.
Par suite le juge des libertés et de la détention a pu déduire, par des motifs que cette juridiction approuve, que « ce contrat pourrait être le support ou révéler une entente entre LACTALIS et SRL prohibée par l'article L. 420-1 4° du code de commerce. »
En outre, il convient de relever que ce ne sont pas a priori les accords d'optimisation logistique ou de collecte en eux-mêmes qui ont pour effet de figer le marché, l'objectif derrière ces contrats ainsi que leur contexte, qui en font un support susceptible de révéler une entente anticoncurrentielle, compte tenu des caractéristiques spécifiques au secteur qui ressortent très clairement des témoignages récoltés.
L'argument des appelantes tiré de l'absence de contrôle effectif du contenu de l'accord de collecte croisée par le juge des libertés et de la détention ne saurait donc prospérer.
- Sur l'absence de contrôle effectif par le juge des libertés et de la détention des autres éléments présentés dans la requête comme des indices des pratiques infractionnelles suspectées :
SAVENCIA fait grief à l'ordonnance d'avoir fondé son argument selon lequel cette répartition des sources d'approvisionnement entre collecteurs pourrait également avoir des conséquences négatives sur le prix payé aux producteurs de lait de vache (page 9) sur la base d'autres éléments d'information relevés dans la requête, essentiellement tirés des annexes 7 à 15, dont elle affirme qu'ils ne constituent pourtant en rien des indices d'agissements prohibés. Elle soutient qu'il n'est pas fait mention, de manière directe ou indirecte, des contrats d'optimisation logistique dans les annexes 7, 9 et 15, alors même que ce sont ces contrats qui fondent l'intégralité du raisonnement ayant conduit le juge à autoriser les opérations de visite et saisie. Elle argue que ces indices ne peuvent pas corroborer l'idée selon laquelle ces contrats seraient susceptibles d'avoir des effets négatifs sur la concurrence, alors même qu'ils n'y sont pas visés. SAVENCIA soutient que si certaines de ces annexes font effectivement part de difficultés que pourraient rencontrer certains producteurs pour changer de laiterie, il ne ressort pas de celles-ci que ces difficultés seraient dues à des accords anticoncurrentiels entre industriels. Elle soutient que la limitation existante de la capacité pour un producteur à changer de laiterie à bref délai s'expliquerait par le cadre législatif qui impose un système de contractualisation écrite pluriannuel, pour une durée minimale de cinq années. Si SAVENCIA concède que trois annexes (11, 12 et 14) sur les vingt annexes produites par l'Autorité semblent évoquer un possible lien entre les difficultés des producteurs à changer de laiterie et les accords d'optimisation logistique, elle considère que ces trois annexes ne constituent pas pour autant des indices suffisants pour fonder une autorisation de procéder à des visites et saisies, s'agissant de simples affirmations de producteurs ou de leurs représentants, sans autre forme de démonstration, qui ne seraient étayées par aucune pièce. SAVENCIA argue que les autres annexes (9,13, 14 et 15 ) n'ont aucun lien avec les pratiques anticoncurrentielles dénoncées dans l'ordonnance.
SAVENCIA conclut que rien dans les annexes soumises au juge ne permettait de présumer que les accords de collecte entre transformateurs pourraient leur permettre de se répartir les sources d'approvisionnement en lait cru de vache. Elle argue que la seule conséquence issue de ces accords est que les producteurs laitiers ne [sont] pas en position de choisir librement l'entreprise qui va procéder à la collecte ; ce qui selon SAVENCIA n'est pas constitutif d'une pratique anticoncurrentielle. SAVENCIA affirme ainsi que le fait pour un producteur que son lait soit matériellement collecté par une entité ou une autre n'a aucune incidence, ni sur sa liberté contractuelle, ni sur les prix de vente du lait qu'il produit, ni plus généralement sur l'état de la concurrence sur le marché car en cas de collecte croisée, la relation contractuelle entre le producteur et la laiterie avec laquelle il est engagé demeure inchangée. Elle affirme encore que le fait que certains producteurs ne puissent pas choisir la laiterie chargée de collecter matériellement leur lait n'est que la conséquence des accords d'optimisation logistique, qui ne sont pas considérés comme étant par principe problématiques en droit de la concurrence.
SAVENCIA rappelle que le contrat conclu entre SRL et Lactalis, et en particulier ses articles 2 et 3, ainsi que les copies de diverses factures ayant pour objet "Ramassage pour compte" adressées par LACTALIS à SRL le 31 décembre 2017 dans le cadre de l'exécution d'un tel contrat (annexes 4 et 5) apparaissent ainsi comme les pièces centrales du dossier construit par l'Autorité pour solliciter l'autorisation de procéder aux opérations de visite et saisie.
L'Autorité de la concurrence est d'avis qu'aucun des moyens soulevés par l'appelante n'est de nature à affecter la légalité de l'ordonnance du 14 novembre 2022 et donc d'aboutir à son annulation.
Sur ce, le magistrat délégué :
Contrairement aux allégations des appelantes, les annexes 7 à 15 précitées font bien référence directement (annexes à la requête n° 6, 9 (contrat d'application ), 11, 12, 15 ou indirectement à la pratique des contrats d'optimisation logistique' ou des accords similaires de collecte de lait de vache entre les entreprises visées par l'ordonnance d'autorisation (annexes à la requête n° 10, 13, 14) susceptibles de les empêcher de changer de laiterie et susceptibles de comporter des effets anticoncurrentiels. C'est ainsi que même à l'expiration du contrat pluriannuel il s'en déduit qu'il est impossible pour les producteurs de changer de laiterie (voir annexes à la requête n° 7 et n° 14 in fine).
Les annexes à la requête n° 6, 9, 11, 12 et 15 évoquent un lien entre les difficultés des producteurs de lait cru à changer de laiterie et les accords de collecte.
SAVENCIA dans ses écritures reprend isolément chaque annexe à la requête pour en critiquer la pertinence au regard des soupçons pesant sur SAVENCIA SA et SRL et au regard de l'autorisation donnée. Toutefois, conformément à l'article L. 450-1 du code de commerce et de la jurisprudence établie, le juge des libertés et de la détention s'est fondé ainsi qu'il a été démontré précédemment sur un faisceau d'indices qui englobe l'ensemble des annexes à la requête produites et en particulier les annexes 3, 4, 5, 6 à 17, laissant présumer l'existence d'un risque de pratique anticoncurrentielle à l'encontre des appelantes résultant de leurs pratiques sur le marché de l'approvisionnement en lait de vache ; peu important à cet égard que les appelantes ne soient pas expressément visées par toutes les annexes à la requête auxquelles le juge s'est référé.
Enfin, en réponse aux arguments développés par les appelantes dans leurs écritures consistant à analyser l'absence per se de caractère anticoncurrentiel des accords de collecte (n° 85 et 86), il convient de rappeler que l'autorisation donnée a précisément pour objet de vérifier si les contrats litigieux ne seraient pas sous-jacents à des pratiques anticoncurrentielles.
Il résulte de tout ce qui précède que le juge des libertés et de la détention a rempli son office conformément à l'article L. 450-1 du code de commerce et a parfaitement caractérisé dans son ordonnance l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles à l'encontre des sociétés SAVENCIA et SRL.
Le moyen, pris en toutes ces branches, sera rejeté.
2) Sur le caractère disproportionné des opérations de visite et de saisie autorisées :
Les appelantes contestent l'appréciation faite par le juge des libertés et de la détention en l'espèce s'agissant du caractère nécessaire et proportionné des opérations de visite et saisie qu'il a autorisé. Elles soutiennent que la conclusion d'accords de collecte entre industriels laitiers n'est pas secrète. Il n'existait donc aucun risque de disparition ou de dissimulation de ces indices que l'ordonnance retient pour justifier de l'autorisation donnée aux opérations de visite et saisie. Par suite, la vérification de l'existence du type de pratiques suspectées par l'Autorité de la concurrence aurait pu être menée sur la base de données collectées par le biais de demandes de communication de documents. SAVENCIA argue que l'Autorité elle-même a adressé plusieurs questionnaires aux entreprises ayant fait l'objet des opérations de visite et saisie litigieuses à partir du 10 février 2023, c'est-à-dire moins de trois mois après avoir procédé auxdites visites (Pièce n° 4, n° 5 et n° 6). Elle prétend que ce procédé confirmerait que les opérations autorisées par le juge des libertés et de la détention n'étaient ni proportionnées, ni nécessaires. SAVENCIA souligne qu'il n'existe pas de précédent à une autorisation de procéder à des opérations de visite et saisie délivrée sur la seule base d'éléments obtenus plus de cinq ans auparavant dans le cadre d'une enquête simple.
L'Autorité de la concurrence réplique que les pièces communiquées au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris permettent bien de présumer l'existence d'agissements prohibés et que l'ordonnance du 14 novembre 2022 est bien fondée et proportionnée par rapport au but poursuivi.
L'avis du ministère public repris précédemment répond dans les mêmes termes à cet argument soulevé par SAVENCIA.
Sur ce, le magistrat délégué :
Il convient de rappeler qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres modes de preuve. L'enquête lourde n'est pas subsidiaire et devient inévitable lorsque les pratiques anticoncurrentielles qui sont présumées procèdent d'agissements complexes et secrets comme il est allégué en l'espèce. Il est de jurisprudence établie en matière d'opérations de visite et de saisie diligentées par l'administration qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres procédures moins intrusives (Cass. com., 26 octobre 2010, n° 09-70.509).
En cas d'enquête simple préalable, la loi ne prévoit aucun délai autre que ceux résultant de la prescription entre le recueil d'éléments dans ce cadre et le déroulement d'opérations de visite et de saisie. Il est de jurisprudence constante que des faits non prescrits peuvent être éclairés par des faits prescrits décrivant le contexte factuel et historique dans lequel peuvent s'inscrire les pratiques incriminées et partant, des documents ou des éléments datant de plus de cinq ans peuvent ainsi être pris en considération dans la requête et l'ordonnance d'autorisation. L'ordonnance au demeurant mentionne expressément que « (...) rien n'interdit de retenir, comme éléments de présomptions des faits non prescrits, des documents ou des éléments d'information datant de plus de 5 ans » (page 10 de l'ordonnance), conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation produite en annexe n° 20 à la requête (Cass crim, 28 mai 2003, n° 01-86883 et Cass crim, 2 avril 2003, n° 00-30212).
Dès lors qu'existent des présomptions d'agissements constitutifs de pratiques anti-concurrentielles, la procédure de visite domiciliaire est justifiée en ce qu'elle permet de rechercher la preuve de ces agissements et ainsi d'accéder à des documents de gestion quotidienne de l'entreprise ou relatifs à l'organisation interne, que les représentants des entreprises n'ont pas l'obligation de remettre dans le cadre d'une procédure de contrôle classique.
Du reste, le juge des libertés et de la détention dans sa décision précise à bon droit en l'espèce que l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Autorité de la concurrence de corroborer ses soupçons. En effet, il est souligné à juste titre que les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou effet de se répartir les sources d'approvisionnement sont établies suivant des modalités secrètes, de sorte que les documents nécessaires à la preuve de la pratique prohibée sont vraisemblablement détenus et conservés en des lieux et sous des formes qui facilitent leur dissimulation, destruction ou altération en cas de vérification. Contrairement aux allégations des appelantes, l'argument résultant de la nécessité de procéder à des opérations de visite et de saisie en l'espèce pour établir la réalité des comportements soupçonnés, qui peuvent être occultes, nonobstant le caractère non secret des accords d'échange de collecte qui n'est pas en cause en l'espèce et n'est pas de nature à faire obstacle à l'autorisation, apparaît dès le stade de l'ordonnance et non a posteriori dans les écritures de l'Autorité de la concurrence.
Sur l'absence de proportionnalité alléguée par les appelantes, il convient en effet de rappeler que les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce prévoient que les agents des administrations visées à l'article L. 450-1 du même code disposent d'un droit de visite et de saisie, soit dans le cadre d'une enquête demandée comme en l'espèce par l'Autorité de la concurrence, soit visant à conforter les indices selon lesquelles une entité aurait commis une infraction aux dispositions du livre IV du même code. Cette mesure, prévue par l'article L. 450-4 du code de commerce est encadrée par des règles de fond et procédurales et, notamment, ces visites sont autorisées par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui même si rendue non contradictoirement, peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel, de même que le déroulement des opérations de visite et de saisie. La décision du premier président de la cour d'appel pouvant faire l'objet d'un pourvoi.
Il convient de rappeler qu'en exerçant son contrôle in concreto sur le dossier présenté par l'autorité administrative indépendante, le juge des libertés et de la détention exerce de fait un contrôle de proportionnalité. En cas de refus, il peut inviter l'autorité requérante à avoir recours à d'autres moyens d'enquête moins intrusifs (par exemple enquête simple…). En autorisant le 14 novembre 2022 les opérations de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention a entendu accorder au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ce mode d'investigations plus intrusif en fonction de la requête présentée. Le juge des libertés et de la détention en prenant sa décision a donc bien procédé à un contrôle de proportionnalité.
En l'espèce, en effet, conformément à la jurisprudence constante en matière d'opérations de visite et de saisie, et ainsi que cela a été évalué lors de la réponse au premier moyen soulevé par les appelantes, le juge des libertés et de la détention s'est référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par le rapporteur général et a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements frauduleux, visés à l'article L. 450-4 du code de commerce.
Si l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) énonce que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance », c'est sous réserve qu' « Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Il a été jugé par la Cour de cassation que 'Les dispositions de l'article L. 450-4 ne contreviennent pas à celles des articles 6, 8 et 13 de la CEDH dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et que les droits à un procès équitable et à un recours effectif sont garantis, tant par l'intervention du juge des libertés et de la détention qui vérifie le bien-fondé de la requête de l'administration que par le contrôle exercé par la Cour de cassation. (Cass crim, 11 juillet 2017, n° 16-81065).
En l'espèce, il s'infère donc de ce qui précède qu'il n'y a pas eu violation des dispositions de l'article 8 de la CESDH et que la mesure ordonnée conformément aux dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce précité était nécessaire et n'a pas été disproportionnée eu égard au but poursuivi rappelé ci-dessus.
Ce moyen sera rejeté.
Il suit de tout ce qui précède que l'ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris sera confirmée.
SUR LES RECOURS (RG n° 22/19213 et 22/19214)
SAVENCIA et SRL demandent l'annulation des saisies des trois messageries remises postérieurement à la clôture des opérations (1), la restitution des éléments saisis en violation de la confidentialité attachée aux correspondances entre un avocat et ses clients (2) ainsi que des éléments saisis en violation du champ de l'ordonnance (3).
1) Sur l'annulation des saisies des trois messageries remises postérieurement à la clôture des opérations :
Dans leurs conclusions (§ 5 à § 24), les requérantes exposent que le téléchargement des trois fichiers de messageries de Madame [JJ] [CT] et Messieurs [SC] [T] et [S] [VR] nécessitant davantage de temps, l'Autorité a décidé de clore les opérations de visite et saisie sans attendre leur copie et a exigé de Savencia que lui soient remis ces trois fichiers de messageries dans un délai contraint postérieurement aux opérations (le 21 novembre 2022 avant 18h). Savencia a adressé à l'Autorité ces trois fichiers de messageries, sur un support externe, dans le délai fixé (Pièce n° 4).
SAVENCIA et SRL contestent la teneur du procès-verbal dressé par les Rapporteurs à la fin des opérations qui mentionne sur ce point que « l'entreprise Savencia n'ayant pas été en mesure de mettre à disposition les fichiers de messagerie de Mme [CT] et de MM. [VR] et [T], demandés durant l'opération, elle s'engage à les remettre accompagnés des clés de déchiffrement nécessaires à leur analyse, sur un disque dur externe, une clé USB ou un DVD-R, au service investigation de l'Autorité de la concurrence situé [Adresse 2] pour le 21/11/2022 à 18h au plus tard ».
Les requérantes exposent que le 2 décembre 2022, elles ont adressé à l'Autorité de la concurrence leurs demandes d'expurgation des documents numériques et des messages électroniques couverts par le secret professionnel des correspondances avocat-client (Pièce n° 7), respectivement en annexe 1 s'agissant des documents saisis chez Savencia (Pièce n° 7.1) et en annexe 2 s'agissant de SRL (Pièce n° 7.2). Ces demandes portaient également sur les messageries remises à l'Autorité postérieurement aux opérations. Dans ce courrier Savencia sollicitait la mise en œuvre des mêmes protections et garanties que pour le scellé fermé provisoire, soit la possibilité de voir expurger les éléments couverts par le privilège avocat-client dès le 13 décembre 2022, sans attendre un éventuel recours devant le Premier Président de la Cour d'appel de Paris sur ce point. Les requérantes font valoir que le 13 décembre 2022, l'Autorité de la concurrence lorsqu'elle a procédé à l'ouverture des scellés fermés provisoires aux fins de statuer sur les demandes d'expurgation a, d'une part, refusé d'examiner les demandes d'expurgation présentées pour les messageries remises postérieurement à l'opération de visite et saisie et, d'autre part, refusé d'expurger un nombre significatif de documents dont elle allègue qu'ils sont protégés par le secret professionnel des correspondances avocat-client, au motif notamment qu'ils ne relevaient pas de « l'exercice des droits de la défense dans un dossier de concurrence » (Pièce n° 8).
Les requérantes considèrent que l'Autorité de la concurrence a porté une grave atteinte aux droits de SAVENCIA en demandant à cette dernière la remise de trois fichiers de messageries postérieurement à la clôture des opérations de visite et saisie, en dehors de tout cadre légal et sans lui permettre de bénéficier de garanties équivalentes à celles offertes par la mise en 'uvre d'une procédure de scellé fermé provisoire.
Les requérantes soulignent que si l'article L. 450-4 du code de commerce prévoit que les agents mentionnés à l'article L. 450-1 du même code puissent procéder à des saisies, il ne prévoit pas que ces derniers puissent demander la remise, postérieurement à la clôture des opérations de visite et saisie, de documents qui n'auraient pas fait l'objet d'une saisie : une telle demande interviendrait en dehors de tout cadre légal et ne permettrait pas aux entreprises de bénéficier des garanties offertes par l'article L. 450-4 du code de commerce, notamment les garanties susvisées tenant au respect de la confidentialité des correspondances avocat-client ou au caractère pour partie utile à la manifestation de la vérité des éléments saisis.
L'Autorité de la concurrence soutient que l'article L. 450-4 du code de commerce ne fait pas obstacle à ce que l'entreprise SAVENCIA coopère et lui remette des fichiers de messagerie qu'elle n'a pas été en mesure de mettre à disposition des rapporteurs pendant l'opération du 17-18 novembre 2022, ni à ce que l'Autorité de la concurrence reçoive ceux-ci. L'Autorité de la concurrence soutient donc n'avoir nullement agi en dehors du cadre procédural auquel elle doit se conformer lors des opérations de visite et saisie. L'Autorité de la concurrence soutient en effet que les garanties prévues aux articles L. 450-4 du code de commerce et 56 du code de procédure pénale ne s'appliquent pas aux messageries remises postérieurement aux opérations de visite et saisie.
L'Autorité de la concurrence soutient que l'ordonnance LOGISTA FRANCE rendue par le Premier président de la cour d'appel de Paris du 5 avril 2023 à laquelle les requérantes font référence comme ayant annulé des remises analogues de fichiers de messagerie a été frappée d'un pourvoi en cassation.
L'Autorité de la concurrence soutient en outre que le fait que Savencia ait remis volontairement des fichiers de messagerie professionnelle postérieurement aux opérations de visite et de saisie ne constitue pas une ' saisie ' au sens de l'article L. 450-4 du code de commerce. Cette remise de trois fichiers de messagerie professionnelle est intervenue en vertu d'un engagement pris par Savencia pendant les opérations de visite et de saisie du 17-18 novembre 2022. L'Autorité de la concurrence argue que des fichiers informatiques peuvent être mis à sa disposition avant mais également après la clôture des opérations de visite et de saisie, sans violation de l'article L. 450-4 du code de commerce, dès lors que ces fichiers lui sont remis postérieurement, de manière volontaire, par une entreprise qui n'a pas été en mesure de les mettre à disposition au cours de l'opération de visite domiciliaire et qui souhaite coopérer avec bonne volonté. Elle soutient qu'il est inexact d'affirmer qu'elle aurait demandé à Savencia de fournir postérieurement aux opérations de visite et de saisie les trois messageries électroniques se référant aux énonciations, contestées par les requérantes, du procès-verbal des 17 et 18 novembre 2022. Elle affirme donc que cette volonté de coopération de la part de SAVENCIA ressort du procès-verbal, page 7, comme ayant eu lieu pendant les opérations de visites et de saisies, sans aucune réserve de la part de l'entreprise et de ses conseils.
L'Autorité de la concurrence soutient encore que le risque de délit d'obstruction invoqué par les requérantes n'aurait été que théorique, dès lors que Savencia aurait eu la liberté de s'opposer à la demande de remise volontaire des messageries et de privilégier la poursuite des opérations jusqu'à ce que la copie des messageries en cause puisse être réalisée par les rapporteurs.
L'Autorité de la concurrence ajoute que le placement sous scellé fermé provisoire ne constitue en aucune manière une obligation pour les rapporteurs et un droit pour l'entreprise. En outre, cette procédure ne peut être appliquée à des fichiers ultérieurement remis, puisqu'ils n'ont pu être analysés lors des opérations de visites et de saisies. Elle soutient que l'absence de placement sous scellé fermé provisoire des fichiers remis le 21 novembre 2022 ne cause aucun grief à Savencia, qui dispose du recours devant la Cour de céans afin de faire valoir ses prétentions que des documents remis à l'Autorité de la concurrence n'auraient pas dû l'être.
L'Autorité de la concurrence soutient encore que la vérification préalable que le contenu des fichiers de messagerie remis ultérieurement entrait, au moins pour partie, dans le champ de l'autorisation judiciaire était matériellement impossible dès lors que Savencia n'a pas mis ces fichiers à la disposition des rapporteurs de l'Autorité de la concurrence pendant l'opération de visite et de saisie du 17-18 novembre 2022.
L'Autorité de la concurrence ajoute que lorsque l'entreprise ne met pas l'Autorité de la concurrence en mesure de procéder à toutes les vérifications qui s'imposent pendant le temps de la visite, notamment en raison des temps de téléchargement qui dépendent avant tout de l'organisation informatique de l'entreprise concernée, cette situation lui est préjudiciable et ne doit pas permettre de faire échec à la mesure de vérification ordonnée par le juge. La remise ultérieure des données numériques demandées, bien qu'imparfaite, permet de limiter les possibilités d'échapper en partie au contrôle diligenté par le juge des libertés et de la détention ou d'éviter une prolongation des opérations de visite potentiellement préjudiciable au fonctionnement de l'entreprise. Elle conclut que la remise qui lui a été faite des messageries de M. [SC] [T], de Mme [JJ] [CT] et de M. [S] [VR] n'a aucunement porté atteinte aux droits fondamentaux de la société SAVENCIA.
Le ministère public est d'avis que les remises faites par les sociétés ultérieurement aux opérations de visites et de saisies si elles ne sont pas interdites, ne bénéficient pas des mêmes garanties que les autres, l'Autorité de la concurrence créant une situation discriminatoire qui ne saurait être admise. Il ajoute que dans le domaine des visites domiciliaires, sensible pour les libertés fondamentales, il convient de respecter scrupuleusement les conditions de légalité, de nécessité et de proportionnalité de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce qui empêche tout recours à des saisies n'entrant dans aucun cadre légal, à savoir ni dans l'article L. 450-3, ni dans l'article L. 450-4 du code de commerce. Il est donc d'avis de déclarer irrégulière la remise des messageries de M. [SC] [T], de Mme [JJ] [CT] et de M. [S] [VR].
Sur ce, le magistrat délégué,
Sur l'allégation selon laquelle l'Autorité de la concurrence a saisi des messageries électroniques hors de tout cadre légal :
Les opérations de visite et saisie se sont déroulées du 17 au 18 novembre 2022 dans les locaux de Savencia, [Adresse 6], de 9h03 à 3h01 le 18 novembre 2022 au matin et de SRL [Adresse 4], SRL, de 9h18 à 1h07 le 18 novembre 2022 et ont fait l'objet d'un récépissé de notification de l'ordonnance, de procès-verbaux ("PV") de visite et saisie et d'inventaires. A la demande des requérantes, deux scellés fermés provisoires ont été constitués s'agissant des fichiers informatiques sélectionnés au sein de Savencia et SRL dans le but de préserver le secret des correspondances avocat-client en lien avec l'exercice des droits de la défense. Les opérations d'ouverture des scellés fermés provisoires afin de procéder à la saisie se sont déroulées le 13 décembre 2022 dans les locaux de l'Autorité de la concurrence et ont fait l'objet d'un procès-verbal et d'un inventaire.
S'agissant des opérations intervenues dans les locaux de Savencia, celles-ci ont démarré le 17 novembre 2022 à 9h03 et se sont terminées à 3h01 le 18 novembre 2022 au matin (Pièce n° 3).
Il est reproché à l'Autorité de la concurrence de s'être fait remettre des documents volontairement par SAVENCIA postérieurement à l'opération de visite et de saisie dans les locaux de l'entreprise situés [Adresse 6], alors que les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce ne prévoient pas d'user d'un tel procédé.
Le procès-verbal de visite et saisie fait foi jusqu'à preuve contraire. Le procès-verbal dressé dans les locaux de Savencia a bien été signé par les agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce, par l'officier de police judiciaire et par le représentant de l'occupante des lieux. Cette dernière dispose cependant de la possibilité de ne pas le signer et le cas échéant, mention en est portée sur l'acte, ce qui ne s'est pas produit, en l'espèce.
Un procès-verbal de visite et saisie n'est pas un document établi de manière contradictoire entre les parties, mais relève de la responsabilité des agents habilités et autorisés à effectuer la visite et la saisie qui y relatent leurs opérations et constatations, étant précisé que l'occupant des lieux a, de toute façon, la possibilité de soumettre directement ses observations au juge des libertés et de la détention puis, le cas échéant, de développer ses remarques en contestation de l'opération dans le cadre du recours prévu par l'article L. 450-4 du code de commerce qui permet l'ouverture d'un débat contradictoire sur le déroulement des opérations en cause.
Sur ce point, il résulte du procès-verbal des 17 et 18 novembre 2022 dressé dans les locaux de la société SAVENCIA, [Adresse 6], que les rapporteurs ont demandé au directeur des systèmes d'information de ladite société, représentant de l'occupante des lieux, de mettre à leur disposition 12 fichiers de messagerie des salariés de SAVENCIA, dont ceux de M. [SC] [T], de Mme [JJ] [CT] et de M. [S] [VR]. Neuf fichiers de messagerie sur les douze réclamés ont été remis par SAVENCIA aux rapporteurs de l'Autorité de la concurrence par mise à disposition sur un disque dur externe de l'entreprise.
Par la suite, le procès-verbal précité relate le déroulement des opérations de visite et de saisie effectuées dans les locaux de la Société SAVENCIA comme suit : « En la présence de M. [MT] [X], officier de police judiciaire, l'entreprise SAVENCIA n'ayant pas été en mesure de mettre à disposition les fichiers de messagerie de Mme [CT] et de MM. [VR] et [T], demandés durant l'opération, elle s'engage à les remettre accompagnés des clés de déchiffrement nécessaires à leur analyse, sur un disque dur externe, une clé USB ou un DVD-R, au service investigation de l'Autorité de la concurrence situé [Adresse 2] pour le 21/11/2022 à 18h au plus tard » .
Se prévalant de ce procès-verbal, l'Autorité de la concurrence a soutenu qu'elle n'avait pas demandé à Savencia de fournir postérieurement aux opérations de visite et de saisie les trois messageries électroniques.
Il en résulte néanmoins du procès-verbal précité :
- que lors des opérations de visite et de saisie, SAVENCIA a pleinement coopéré avec les rapporteurs afin de leur permettre d'avoir accès aux documents informatiques dont la saisie était sollicitée ;
- que nonobstant les prétentions de l'Autorité de la concurrence dans ses observations, la remise volontaire a bien porté, par définition sur des fichiers de messagerie "demandés" par les rapporteurs de l'Autorité "durant l'opération" de visite et de saisie, ce qui rattache nécessairement la remise postérieure de ces fichiers aux dites opérations et leur caractère contraignant.
Or, l'article L. 450-4 du code de commerce ne prévoit pas la remise volontaire de fichiers à l'Autorité de la concurrence par une entreprise faisant l'objet d'une autorisation de visite et de saisie, postérieurement à la clôture des opérations.
En effet, la remise volontaire par une entreprise faisant l'objet d'une opération de visite et de saisie, suite à un autorisation judiciaire prise sur le fondement des dispositions de l'article 450-4 du code de commerce, de fichiers de messageries électroniques, comme en l'espèce, postérieurement à la clôture des dites opération intervenue le 18 novembre, soit en l'espèce le 21 novembre 2022, n'est pas prévue par l'article L. 450-4 du code de commerce.
L'Autorité de la concurrence ne saurait énoncer que les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce ne sont pas applicables à la remise volontaire par une entreprise de fichiers et affirmer concomitamment que ces mêmes dispositions ne s'opposent pas à cette remise volontaire, dès lors que l'entreprise aurait de la sorte entendu coopérer à l'enquête diligentée à son encontre sur des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 2° du code de commerce et 101-1 a) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et alors que cette entreprise est fondée à ne pas contribuer à sa propre incrimination et ce alors également que dans les procédures fondées sur la violation du droit de la concurrence, l'obligation d'assurer l'exercice des droits de la défense doit être respectée dès le stade de l'enquête préalable (Cass crim, 25 juin 2014, n° 13-81.471).
En outre, tout comme la lettre de l'article L. 450-4 du code de commerce, que sa ratio legis l'indique, cette disposition n'a pas pour objet de mettre en œuvre une "coopération" entre les entreprises visées et l'Autorité de la concurrence, mais est mise en œuvre lorsque d'autres dispositions ou mesures d'enquêtes simples ne peuvent produire les effets escomptés pour rapporter la preuve des infractions suspectées en l'espèce.
C'est ainsi que les fichiers de messagerie remis volontairement, comme affirmé par l'Autorité de la concurrence à juste titre, ne possèdent pas le statut de messageries "saisies" et ne bénéficient pas de garanties ou du respect des exigences de l'article L. 450-4 du code de commerce, comme la vérification préalable de ce qu'ils entrent dans le champ de l'autorisation donnée par le juge, l'obligation d'en établir un inventaire ou de la possibilité de les mettre sous scellés provisoire afin de préserver le principe de la confidentialité des correspondances avocat-client.
En l'espèce, il ressort de la décision d'autorisation du juge des libertés et de la détention prise sur le fondement des dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce et motivée, du procès-verbal des 17 et 18 novembre 2022 précité de mise en œuvre de la décision d'autorisation et des écritures de SAVENCIA, qu'en dehors du cadre d'une mesure coercitive telle que l'opération de visite et de saisie diligentée à son encontre à ces dates dans ses locaux [Adresse 6], la société SAVENCIA n'aurait pas remis volontairement les trois fichiers de messageries qu'elle a remis le 21 novembre 2022 à l'Autorité de la concurrence.
Pour autant les documents ainsi remis à l'Autorité de la concurrence abonderont nécessairement les saisies des autres documents des sociétés SAVENCIA et SRL opérées dans le cadre des deux visites domiciliaires, dans le cadre de l'enquête menée.
Par suite, la remise volontaire de ces fichiers de messageries par la société SAVENCIA a été directement induite et découle des opérations de visite et de saisie diligentées les 17 et 18 novembre 2022 dans ses locaux et, n'étant pas prévue par les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce, elle s'apparente à un détournement de procédure et sera annulée et les fichiers restitués à la société SAVENCIA.
2) Sur la violation de la confidentialité avocat-client :
Les requérantes rappellent qu'elles ont présenté le 2 décembre 2022 à l'Autorité de la concurrence des demandes relatives à l'expurgation des correspondances avocat-client couvertes par le secret professionnel, incluant des demandes relatives aux fichiers de messagerie remis postérieurement à la clôture de l'opération de visite et saisie (Pièce n° 7).
Concernant les saisies réalisées chez Savencia, les Requérantes ont donc présenté (Pièce n° 7.1) 1727 demandes d'expurgation concernant les fichiers de messageries de Madame [ZF] [O] et Messieurs [FK] [U], [NN] [V], [SC] [T], [BG] [VW], [H] [RM], et [S] [VR] et 67 demandes d'expurgation relatives aux documents issus des saisies numériques.
Concernant les saisies réalisées chez SRL, les requérantes ont présenté (Pièce n° 7.2) 62 demandes d'expurgation relatives aux documents issus des saisies numériques.
Elles soutiennent que le déroulement de la procédure d'ouverture des scellés fermés provisoires n'aurait pas permis de garantir l'effectivité de la protection de ce secret, dès lors que l'Autorité a refusé de statuer sur les demandes d'expurgation relatives aux trois fichiers de messagerie remis postérieurement à l'opération de visite et saisie et, refusé de faire droit à un nombre significatif de demandes d'expurgation s'agissant des opérations de saisies réalisées dans le cadre des pouvoirs énoncés à l'article L. 450-4 du code de commerce.
Pour permettre le contrôle in concreto prévu par le droit positif, les requérantes communiquent donc en Pièce n° 9 une clé USB contenant, dans un fichier intitulé « Demandes d'expurgation au titre du secret professionnel », le tableau récapitulatif de 563 correspondances et documents numériques confidentiels concernés précisant pour chacun d'entre eux, le nom de l'avocat concerné, arguant qu'elles donnent les motifs justifiant de son caractère confidentiel, ainsi qu'une copie du document lui-même.
Considérant que ces exclusions n'étaient pas conformes aux textes, les requérantes réclament la restitution « des 77 messages et documents saisis en violation du secret » ainsi que de 486 correspondances tirées des remises postérieures si par extraordinaire la Cour ne prononçait pas l'annulation intégrale de ces saisies.
L'Autorité de la concurrence rappelle que la protection du principe de la confidentialité des correspondances entre les avocats et leurs clients est réservée aux avocats indépendants et n'est pas applicable, en droit positif, aux juristes d'entreprise, que la Cour de cassation a ainsi refusé d'étendre la confidentialité des échanges aux simples documents internes à l'entreprise au motif qu'ils reprendraient une stratégie de défense arrêtée par un avocat et cette protection est également réservée à la correspondance échangée dans le cadre et aux fins du droit de la défense du client. L'Autorité souligne que les requérantes ne soutiennent pas qu'un véritable rapport d'audit externe constitué d'une consultation présentant la stratégie de défense de Savencia et SRL proposée par un avocat externe indépendant en vue d'un contentieux futur ait été saisi, mais que les échanges entre les juristes internes à l'entreprise et/ou les salariés des requérantes seraient de facto protégés par le secret des correspondances avocat-client, ce qui est inexact, en l'absence d'un tel rapport d'audit juridique réalisé par un avocat externe indépendant dont les échanges entre salariés de l'entreprise reprennent le contenu ( s'agissant de l'ordonnance du Premier président de la CA de Paris du 8 novembre 2017 dans l'affaire Whirlpool n° 14/13384, confirmée par Cass crim, 26 janvier 2022, n° 17-87359, invoquée par les requérantes). L'Autorité de la concurrence rappelle qu'en outre, le juriste, le directeur ou responsable juridique d'une entreprise (tout comme l'avocat salarié de celle-ci) ne jouit d'aucune protection particulière, tant en droit national qu'en droit de l'Union européenne. Elle rappelle que pour qu'un document soit annulé par le Premier président de la cour d'appel au titre de la protection de la correspondance avocat-client en lien avec l'exercice des droits de la défense, il est indispensable que l'expéditeur ou le destinataire direct dispose de la qualité d'avocat extérieur indépendant de l'entreprise, ou que le courriel entre salariés de l'entreprise consiste en la retranscription d'un échange se bornant à reprendre exclusivement le texte ou le contenu d'une communication avocat-client.
Sur la saisie de correspondances couvertes par le secret professionnel, l'Autorité de la concurrence rappelle qu'il appartient aux sociétés requérantes de produire précisément les pièces qu'elles avaient inventoriées en indiquant pour chacune les raisons qui les rendent insaisissables.
En étudiant la pièce n° 9 contenants les 563 correspondances mise en avant par les requérantes, l'Autorité de la concurrence constate que :
Parmi les 47 éléments produits s'agissant des messageries saisies dans les locaux de Savencia, l'Autorité de la concurrence constate la présence d'éléments qui ne relèvent manifestement pas de l'exercice des droits de la défense et les énumèrent (en page 60 à 62 de ses observations du 6 décembre 2023).
Ensuite, parmi les 486 éléments produits s'agissant des messageries remises postérieurement aux opérations de visite et saisie par Savencia, l'Autorité de la concurrence constate la présence d'éléments qui ne relèvent manifestement pas de l'exercice des droits de la défense et expose en détail ces arguments dans ses observations pour chaque document.
L'Autorité de la concurrence argue ainsi que parmi les 486 éléments produits s'agissant des messageries remises par Savencia postérieurement aux opérations de visite et de saisie, 352 ne relèveraient manifestement pas de l'exercice des droits de la défense. Parmi les 30 éléments produits s'agissant des messageries et fichiers saisis dans les locaux de SRL, l'Autorité de la concurrence constate la présence d'éléments qui ne relèveraient manifestement pas de l'exercice des droits de la défense :
- Pièce n° 1, tableau Excel ;
- Pièce n° 2, document PDF sur la formule de détermination du prix de base SunlaitSavencia (protocole d'accord du 21 juin 2018) ;
- Pièce n° 3, document PDF, rapport d'expertise pour l'analyse du prix du lait payé par SRL à la demande de l'association d'OP SUNLAIT du 15 février 2022 ;
- Pièce n° 4, document Excel sur l'analyse du prix du lait ;
- Pièce n° 5, document Excel relatif à un accord du 29 septembre 2020 ;
- Pièce n° 6, document PDF, document en allemand relatif au "monde laitier" ;
- Pièce n° 7, document PDF, enquête mensuelle laitière sur le lait de vache de FranceAgriMer, données arrêtées au 10 février 2022 ;
- Pièce n° 8, document PDF, enquête mensuelle laitière sur le lait de vache de FranceAgriMer, données arrêtées au 10 mai 2022 ;
- Pièce n° 9, document PDF, " Conjoncture, les indicateurs économiques suivis par FranceAgriMer, prix des produits laitiers industriels, semaine n° 36 du 02/09/2019 au 08/09/2019 " ;
- Pièces n° 10 et 11, document Excel sur le prix du lait ;
- Pièces n° 12 et 13, document Excel relatif au rapport d'expertise ;
- Pièce n° 14, document Excel, chiffres clés de Savencia ;
- Pièce n° 15, document Excel, informations relatives à Savencia ;
- Pièce n° 16, document Excel, Paiements détaillés du lait par Savencia pour l'année 2019 ;
- Pièce n° 17, document Excel, Paiements détaillés du lait par Savencia pour l'année 2020 ;
- Pièce n° 18, document PDF, Avenant n° 2 au contrat-cadre d'achat vente de lait cru de vache entre l'Organisation de Producteurs "France Milk Board Sud-Ouest" et SRL ;
- Pièce n° 19, document PDF, Protocole d'accord du 6 juillet 2022 entre SRL et FMB Sud-Ouest;
- Pièce n° 20, document PDF, Protocole d'accord transactionnel entre SRL et l'Organisation de Producteurs "France Milkboard Sud-Ouest" ;
- Pièce n° 21, document Word, Avenant n° 1 au contrat cadre d'achat/vente de lait cru de vache; - Pièce n° 22, document Excel, volumes de lait ;
- Pièce n° 23, document PDF, Avenant n° 2 au contrat cadre d'achat/vente de lait cru de vache entre L'association des Producteurs de Lait CLE-P&S Ouest et SRL ;
- Pièce n° 24, document PDF, Contrat cadre d'achat/vente de lait cru de vache entre l'Association des Producteurs de Lait CLE-P&S Ouest et la société CLE Production et Services ;
- Pièce n° 25, document PDF, jugement du tribunal judiciaire de Coutances du 30 août 2022 Sunlait c/ Savencia ;
- Pièce n° 26, document PDF, Communiqué de presse de Savencia "SAVENCIA Fromage & Dairy fait appel du jugement du tribunal judiciaire de Coutances du 30 août 2022" ;
- Pièce n° 27, document Excel relatif au rapport d'expertise ;
- Pièce n° 28, 29 et 30, documents Excel, chiffres clés de Savencia ;
L'Autorité de la concurrence soutient donc que parmi les 30 éléments produits s'agissant des messageries et fichiers saisis dans les locaux de SRL, aucun ne relèverait de l'exercice des droits de la défense. De surcroît, ce ne seraient pas des correspondances, mais de simples documents ne permettant pas d'identifier le contexte dans lequel ils s'inscrivent.
L'Autorité de la concurrence soutient donc qu'il ne pourra sérieusement être fait droit à la demande des requérantes d'ordonner la restitution de l'ensemble des 77 messages et documents saisis. Il en va de même pour la demande de restitution des 486 correspondances contenues dans les trois fichiers de messagerie remis de Madame [CT] et Messieurs [T] et [VR], si par extraordinaire la Cour de céans devait considérer que les saisies [de ces fichiers] ne devaient pas être intégralement annulées.
Elle soutient encore que c'est donc à tort que les requérantes exigent l'annulation des 563 éléments listés en pièce adverse n° 9 dans leur intégralité pour violation du secret de la correspondance avocat client en lien avec l'exercice des droits de la défense, tant les justifications avancées pour chacun de ces 563 documents que les vérifications effectuées ne permettant pas d'établir pour un grand nombre d'entre eux qu'ils remplissent les deux conditions cumulatives pour bénéficier de la protection invoquée, à savoir une correspondance échangée avec un avocat externe indépendant destinataire ou expéditeur direct et en lien avec l'exercice des droits de la défense de Savencia et SRL.
Le ministère public est d'avis qu'il revient aux requérantes de produire les documents qu'elles estiment illicitement saisis, et de motiver pourquoi, selon elles, ils relèvent de la confidentialité des échanges avec leurs avocats. La saisie des documents provenant ou destinés à un avocat indépendant et concernant l'exercice des droits de la défense de l'entreprise devra être annulée, à l'exclusion des documents internes issus du service juridique.
Sur ce, le magistrat délégué :
Un document n'est insaisissable qu'aux deux conditions cumulatives qu'il soit couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, d'une part, et qu'il relève de l'exercice des droits de la défense.
Il n'est pas interdit aux agents de l'Autorité de la concurrence de prendre connaissance de manière sommaire des documents afin de décider s'ils doivent ou non les saisir ; cette connaissance se justifiant par la nécessité de vérifier s'ils entrent manifestement, explicitement et véritablement dans le cadre de la protection alléguée pour être écartés ou, le cas échéant annulés. C'est ainsi que la simple lecture d'un échange avocat-client ne peut avoir pour effet l'annulation de l'ensemble de la saisie et seule sa saisie aurait pour effet d'entraîner l'annulation du document relevant de la protection légale de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée (CA Paris 1er février 2017, n° 16/05170).
Le seul fait vérifié par le juge, qu'une messagerie électronique contienne pour partie seulement des éléments entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire suffit à valider la saisie globale opérée. La saisie, dans ce cadre global, de certains documents personnels à des salariés ou de correspondances avocat-client bénéficiant à ce titre de la protection prévue par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, n'invalide pas la saisie, mais doit conduire l'administration à restituer les documents concernés dès lors qu'ils auront été identifiés par les intéressés.
La procédure de scellé fermé provisoire permet dans ce cadre de protéger la confidentialité des correspondances avocat-client et de garantir les objectifs d'efficacité de l'enquête. Même si elle participe des garanties offertes aux personnes saisies et au respect de la protection prévue par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, ce qui la rend en pratique fréquente et souhaitable, elle n'est pas obligatoire pour l'Autorité, la saisie des pièces pouvant être par la suite contestée devant le premier président.
Il est de jurisprudence constante en outre qu'il appartient aux sociétés requérantes de produire individuellement les pièces contestées et d'expliquer pour chacune les raisons qui la rende insaisissable, afin qu'un contrôle in concreto sur le respect de la confidentialité avocat-client puisse être exercé sur cette pièce, notamment que chaque pièce est en lien avec l'exercice des droits de la défense.
Il n'est pas suffisamment précis de se référer à l'objet d'un courriel, quand bien même son intitulé pourrait le rattacher à un litige, pour en déduire qu'il est protégé au titre de la correspondance avocat-client et se réfère à l'exercice des droits de la défense. Il appartient aux sociétés requérantes de verser aux débats les pièces contestées en précisant les raisons qui les rendent insaisissables (Cass. com, 5 janvier 2016, n° 14.24-266) et de justifier et motiver pour chaque courriel repris à la pièce n° 9 son lien avec l'exercice effectif des droits de la défense.
En l'espèce, il apparaît à la lecture de la pièce numéros 9 (clé USB) sur la demande concernant les 47 éléments produits issus de messageries saisies dans les locaux de SAVENCIA, que si les requérantes produisent les documents concernés, s'agissant des motifs tenant pour chaque document à leur rattachement à la protection sollicitée, elles se limitent à produire un tableau en format Excel reprenant pour chaque document une motivation très sommaire et identique, soit pour 40 d'entre eux la formule « échanges avocat-client pour l'exercice des droits de la défense dans le cadre d'un contentieux devant le tribunal de commerce de Coutances "– ou" échanges internes reprenant des échanges avocat-client pour l'exercice des droits de la défense dans le cadre d'un contentieux devant le tribunal de commerce de Coutances "- ou (...)" dans le cadre d'un conseil dans un litige sur (...) », les autres documents listés étant assortis de la mention « échanges avocat-client pour l'exercice des droits de la défense dans le cadre d'une enquête pénale », ce qui ne permet à cette juridiction d'exercer son contrôle de proportionnalité manière contradictoire et appropriée selon la jurisprudence établie. En effet, dès lors que l'Autorité de la concurrence dans ses observations a contesté l'annulation demandée pour chaque document produit en motivant plus précisément ses griefs (en pages 63 à 65), de telles motivations sont insuffisantes. Autrement dit, les requérantes ne motivent pas suffisamment pour chaque document son lien avec l'exercice effectif des droits de la défense. Il n'appartient en effet pas à cette juridiction, en l'absence de véritable motivation fournie par les requérantes sur les raisons pour lesquelles chacun des document produit relèverait individuellement de la protection de la confidentialité des correspondances entre les avocats et leurs clients, dont la portée a fait l'objet d'une abondante jurisprudence, de se substituer à l'appréciation des requérantes afin de déterminer en quoi il relève au cas par cas de ladite protection.
La demande d'annulation de la saisie et de restitution de 30 éléments produits s'agissant de messageries et de fichiers saisis dans les locaux de la société SRL sera rejetée, ces éléments à leur analyse pièce par pièce ne relevant pas de la protection de l'exercice des droits de la défense, s'agissant de fichiers excel, de rapports, de contrats sur l'activité laitière.
La demande de restitution des 486 éléments produits et contenus dans les messageries remises par SAVENCIA postérieurement aux opérations de visite et de saisie est sans objet dès lors que cette remise sera annulée à un autre titre ainsi qu'il sera explicité ci-dessous.
La demande de restitution des documents listés en pièce n° 9 et versés aux débats n'est donc pas fondée et sera rejetée, à l'exception de celles des messageries remises a postériori.
3) La restitution demandée des documents saisis en violation du champ de l'ordonnance
Les requérantes, dans leurs conclusions (§ 62 et suiv.) soulignent qu'il ressort de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 14 novembre 2022 que le champ de l'enquête à l'encontre de Savencia et SRL concerne précisément des pratiques alléguées entrant dans le champ de l'article L. 420-1 al. 4 du code de commerce qui interviendraient sur le marché de l'approvisionnement de lait de vache cru. Elles relèvent qu'en matière de collecte laitière, la pratique décisionnelle nationale et européenne retient traditionnellement que les marchés de la collecte doivent être distingués selon le type de lait concerné (lait de vache, lait de brebis, lait de chèvre, etc). Elles arguent qu'ainsi, il n'existe pas de doute sur la manière d'apprécier les marchés de la collecte de lait : la distinction s'opère en fonction du type de lait concerné.
Les requérantes communiquent en pièce n° 10 une clé USB contenant, dans un fichier intitulé 'Demandes d'expurgation au titre du hors champ ', un tableau récapitulatif des 340 éléments dont elles allèguent qu'ils n'entrent pas dans le champ de l'ordonnance, précisant, pour chacun d'entre eux, le nom du document et la raison de son caractère hors champ, ainsi qu'une copie du document lui-même. Elles expliquent que parmi ces 340 éléments, l'Autorité de la concurrence ne s'oppose pas à leurs demandes de restitution pour 148 correspondances se trouvant au sein des messageries saisies, mais que pour 192 autres éléments (correspondances et fichiers numériques), elle s'y oppose au motif que la plupart font référence à des concurrents de Savencia.
Elles font valoir que néanmoins de nombreux documents saisis dans les locaux de SAVENCIA et de SRL concernent l'approvisionnement en lait de brebis ou en lait de chèvre qui relèvent de marchés différents. Conformément à la jurisprudence habituelle en la matière, elles sollicitent que les 340 documents concernés leur soient restitués.
L'Autorité de la concurrence s'oppose à toute annulation et à la restitution sollicitée. S'agissant de la pièce n° 10 contenants les 340 documents mis en avant par les requérantes, l'Autorité de la concurrence constate que parmi 303 éléments (tableau n° 1), 12 font pourtant référence au lait de vache ou ne se réfèrent pas à un type de lait particulier et 143 font référence à un ou des concurrents des requérantes. Parmi les 37 autres documents (tableau n° 2), 12 font pourtant référence au lait de vache ou ne se réfèrent pas à un type de lait particulier et 20 font référence à un ou des concurrents.
Elle soutient que le champ de l'ordonnance n'est pas limité par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Paris au lait de vache qui rappelle que les agissements décrits et analysés ne sont que des illustrations de la pratique frauduleuse entre entreprises dont la preuve est recherchée.
L'Autorité de la concurrence soutient qu'il appartiendra à l'instruction en cours de délimiter le ou les différents marchés ou segments de marché pertinents ayant un lien de connexité et l'existence ou pas de compensations réciproques, entre les entreprises suspectées, parmi les différents produits collectés et/ou les différents départements et régions du territoire national, le cas échéant.
L'Autorité de la concurrence s'oppose donc aux demandes de restitution des 340 éléments listés et produits par les requérantes en pièce adverse n° 10, dont il est soutenu qu'il s'agit d'éléments obtenus lors de la saisie et de la remise de fichiers de messagerie professionnelle indivisibles et pour partie utiles à la preuve des agissements retenus par l'ordonnance d'autorisation.
Le ministère public est d'avis qu'il est incontestable que la requête et l'ordonnance ont développé des présomptions sur des pratiques anticoncurrentielles qui pourraient exister sur le marché de la collecte du lait cru. Le ministère public est d'avis que la saisie des documents ne concernant que le lait de chèvre ou de brebis, doit donc être annulée, sauf s'il est démontré in concreto par l'Autorité de la concurrence que certains d'entre eux peuvent être utiles à l'enquête en cours étant précisé que le simple fait qu'ils mentionnent le lait de vache ou un concurrent ne suffit pas à une telle démonstration.
Sur ce, le magistrat délégué :
L'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 14 novembre 2022 fait suite à une requête en date du 7 novembre 2022 et des pièces qui y sont jointes, du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence aux fins d'établir si lesdites entreprises se livrent à la pratique prohibée par les articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après "TFUE") relevée dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache.
La requête et l'ordonnance ont développé des présomptions sur des pratiques anticoncurrentielles qui pourraient exister sur le marché de la collecte du lait cru. L'ensemble des annexes jointes à la requête ont trait au marché du lait de vache. Le marché du lait de chèvre est donc un marché distinct se situant en dehors du champ de l'autorisation délivrée par le juge des libertés et de la détention qui a trait à l'approvisionnement en lait de vache. L'Autorité de la concurrence ne justifie pas que le champ des investigations puisse être élargi à d'autres types de lait que le lait cru de vache. En toute hypothèse, contrairement à ses affirmations, il ne résulte pas de sa requête et de l'ordonnance d'autorisation que cette possibilité ait été envisagé ab initio.
L'annulation des saisies effectuées et la restitution aux requérantes des documents en lien avec le lait de chèvre et de brebis sera donc ordonnée (documents listés dans un tableau en pièce n° 10 et versés aux débats) ; la présence parmi ces documents de références très ponctuelles et limitées au lait de vache pour certains d'entre eux seulement n'étant pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de l'annulation.
Pour le surplus, dans la mesure où il a été répondu aux moyens des requérants contestant les opérations de saisie et sous réserve de ce qui a été décidé en réponse à ces moyens qui sera repris au dispositif de cette ordonnance, les opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées du 17 au 18 novembre 2022, dans les locaux de Savencia, [Adresse 6] et dans les locaux de SRL [Adresse 4], seront déclarées régulières.
SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE :
Les circonstances de l'espèce justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice des sociétés SAVENCIA RESSOURCES LAITIÈRES et SAVENCIA qui succombent pour partie en leurs demandes.
Les circonstances de l'espèce justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'Autorité de la concurrence qui succombe pour partie en ses prétentions.
SUR LES DÉPENS :
Chacune des parties succombant pour partie sur ses prétentions, la charge des dépens sera partagée par moitié entre d'une part les sociétés SAVENCIA RESSOURCES LAITIÈRES et SAVENCIA et, d'autre part, l'Autorité de la concurrence.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement et en dernier ressort,
Ordonnons la jonction des instances enregistrées sous les numéros de RG 22/19211, RG 22/19213 et 22/19214 et disons que l'instance se poursuivra sous le numéro RG le plus ancien, soit le numéro de RG 22/19211.
Confirmons l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris rendue le 14 novembre 2022,
Déclarons irrégulière et annulons la saisie des fichiers de messagerie de Madame [JJ] [CT] et Messieurs [SC] [T] et [S] [VR] remis à l'Autorité de la concurrence par la société SAVENCIA SAS le 21 novembre 2022,
Ordonnons la restitution à la société SAVENCIA SAS des fichiers de messagerie de Madame [JJ] [CT] et Messieurs [SC] [T] et [S] [VR] remis par celle-ci aux agents de l'Autorité de la concurrence le 21 novembre 2022, sans possibilité pour l'Autorité de la concurrence d'en garder copie, ni d'en faire usage,
Rejetons les demandes d'annulation de la saisie et de restitution des documents figurant en pièce n° 9, à l'exception de celles des messageries remises a postériori, ainsi qu'il a été précisé au paragraphe précédent,
Déclarons irrégulière et annulons la saisie de 340 documents en lien avec le lait de chèvre et de brebis (documents listés en pièce n° 10 des requérantes),
Ordonnons la restitution aux sociétés SAVENCIA RESSOURCES LAITIÈRES SAS et SAVENCIA SA de ces documents figurant en pièce n° 10, sans possibilité pour l'Autorité de la concurrence d'en garder copie, ni d'en faire usage,
Déclarons pour le surplus régulières les opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées du 17 au 18 novembre 2022, dans les locaux de Savencia, [Adresse 6] et dans les locaux de SRL [Adresse 4],
Rejetons les demandes formées par les sociétés SAVENCIA RESSOURCES LAITIÈRES SAS et SAVENCIA SA et l'Autorité de la concurrence sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejetons toute autre demande,
Disons que la charge des dépens de l'instance sera partagée entre, d'une part, les sociétés SAVENCIA RESSOURCES LAITIÈRES et SAVENCIA et, d'autre part, l'Autorité de la concurrence.