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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 28 mars 2024, n° 23/09295

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Locam (SAS)

Défendeur :

Menuiserie-Charpente Chambat (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gonzalez

Conseillers :

Mme Jullien, Mme Le Gall

Avocats :

Me Trombetta, Me Baufume, Me Morel-Vulliez

T. com. Saint-Etienne, du 28 nov. 2023, …

28 novembre 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 4 août 2021, la SARL Menuiserie Charpente Chambat (la société MCC) a conclu un contrat de location financière de site internet avec la SAS Location Automobiles Matériels (Locam) moyennant le règlement de 16 loyers trimestriels de 630 euros TTC. Cette convention contenait une clause attributive de compétence au profit des tribunaux du siège social du bailleur.

Un procès-verbal de livraison et de conformité a été signé le 14 octobre 2021.

Par courrier recommandé du 15 juin 2022, la société Locam a mis en demeure la société MCC de régler les échéances impayées. Cette mise en demeure est demeurée sans effet.

Par acte du 17 août 2022, la société Locam a assigné la société MCC devant le tribunal de commerce de Saint-Etienne afin d'obtenir la somme de 11.088 euros. La société MCC a formé une demande reconventionnelle indemnitaire fondée sur l'article L. 442-1 du code de commerce.

Par jugement contradictoire du 28 novembre 2023, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a :

- constaté la volonté de la société MCC de fonder une partie de ses demandes reconventionnelles sur les dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce,

- en conséquence, s'est déclaré incompétent et a renvoyé la présente affaire pour le tout devant le tribunal de commerce de Lyon, juridiction spécialisée pour connaître des moyens fondés sur l'article L. 442-1 du code de commerce, 

- dit qu'en application de l'article 82 du code de procédure civile, le dossier de l'affaire sera transmis au tribunal de commerce de Lyon par le greffier, avec copie de la décision de renvoi, à défaut d'appel dans le délai,

- dit n'y avoir lieu en l'état à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les a déboutés de leurs demandes formées de ce chef,

- dit que les dépens dont frais de greffe taxés et liquidés à ce jour à la somme de 109,22 euros à sont à la charge de la société MCC.

La société Locam a interjeté appel par acte du 13 décembre 2023.

Par ordonnance du 19 décembre 2023, la société Locam a été autorisée à assigner à jour fixe la société MCC à l'audience du 1er février 2024.

Par dernières conclusions notifiées par voie dématérialisée le 30 janvier 2024 fondées sur l'article L. 442-4 III et l'annexe 4-2-1 du code de commerce, l'article L. 511-4 du code monétaire et financier et les articles 83 et 84 du code de procédure civile, la société Locam demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il s'est dit incompétent au profit de la juridiction consulaire lyonnaise,

- renvoyer l'affaire au tribunal de commerce de Saint-Etienne afin qu'il statue sur le fond,

- condamner la société MCC à lui payer une indemnité de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même en tous les dépens d'appel.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 25 janvier 2024 fondées sur l'article L. 442-1 du code de commerce, la société MCC demande à la cour de :

- juger mal fondé l'appel interjeté par la société LOCAM du jugement rendu par le Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE en date du 28/11/2023,

- juger que les jurisprudences produites par la société LOCAM sont inapplicables à la présente affaire,

- juger que la société LOCAM peut être soumise aux dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce,

- confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE du 28 novembre 2023,

- renvoyer l'affaire pardevant le Tribunal de Commerce de LYON afin qu'il statue sur le fond,

- débouter la société LOCAM de l'intégralité de ses demandes indemnitaires,

- condamner la société LOCAM à lui payer une indemnité de 3.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la compétence du tribunal de commerce de Saint-Etienne,

La société Locam fait valoir que :

- en cours de délibéré est intervenu l'arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2023 constituant un revirement de jurisprudence et selon lequel le moyen tiré du défaut de pouvoir de la juridiction saisie en matière de pratiques restrictives de concurrence constitue une exception d'incompétence et non plus une fin de non-recevoir,

- en tant que société de financement agréée par l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution, ses activités sont régies par le code monétaire et financier et non par le code de commerce ; dès lors, en présence d'une demande fondée sur l'article L. 442-1 du code de commerce qui est inapplicable à l'appelante et donc au litige, il n'y a pas lieu de renvoyer vers une juridiction spécialisée ; le tribunal de commerce de Saint-Etienne demeure compétent pour statuer.

La société MCC réplique que l'ensemble des arrêts cités par la société Locam visent les anciennes dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce et la nouvelle rédaction fait disparaître la notion de partenaire commercial au profit de celle d'autre partie, de sorte que la jurisprudence citée est inapplicable et la société Locam ne saurait échapper aux champs d'application de l'article L. 442-1 du code de commerce.

Sur ce,

Selon l'article L. 442-1, I, du code de commerce, Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :

1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir de l'autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ;

2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

3° D'imposer des pénalités logistiques ne respectant pas l'article L. 441-17 ;

4° De pratiquer, à l'égard de l'autre partie, ou d'obtenir d'elle des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles prévues par la convention mentionnée à l'article L. 441-4 en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ;

5° De ne pas avoir mené de bonne foi les négociations commerciales conformément à l'article L. 441-4, ayant eu pour conséquence de ne pas aboutir à la conclusion d'un contrat dans le respect de la date butoir prévue à l'article L. 441-3.

L'article L. 442-4, III, du même code prévoit que 'les litiges relatifs à l'application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret'.

Et il résulte de l'article D. 442-2 du même code et du tableau 4-2-1 en annexe, que le tribunal de commerce de Lyon est compétent pour connaître de ces litiges relevant du ressort de la cour d'appel de Lyon dans lequel se situe le tribunal de commerce de Saint-Etienne.

Enfin, l'article 33 du code de procédure civile énonce que la compétence des juridictions en raison de la matière est déterminée par les règles relatives à l'organisation judiciaire et par les dispositions particulières.

Il résulte de la combinaison de ces textes que la désignation des seules juridictions visées à l'article D. 442-2 pour statuer sur les demandes fondées notamment sur l'article L. 442-1 institue une règle de compétence et non une fin de non-recevoir.

Il s'en déduit également que, lorsqu'un défendeur à une action fondée sur le droit commun présente une demande reconventionnelle en invoquant les dispositions de l'article L. 442-1 précité, la juridiction saisie, si elle n'est pas une juridiction désignée par l'article D. 442-2 précité, doit, si son incompétence est soulevée, selon les circonstances et l'interdépendance des demandes, soit se déclarer incompétente au profit de la juridiction désignée par ce texte et surseoir à statuer dans l'attente que cette juridiction spécialisée ait statué sur la demande, soit renvoyer l'affaire pour le tout devant cette juridiction spécialisée.

Toutefois, il est jugé avec constance que les textes du code de commerce relatifs aux pratiques restrictives de concurrence ne s'appliquent pas aux activités de location financière, telle celle exercée en l'espèce par la société Locam.

Or en l'espèce, la société MCC a conclu un contrat de location avec la société Locam. Dès lors que ce contrat ne relève pas des dispositions de l'article L. 442-1, il n'y a pas lieu de renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon spécialement compétent.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement et de déclarer le tribunal de commerce de Saint-Etienne compétent pour statuer au fond.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens, ainsi que les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, seront réservés.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement,

Infirme le jugement déféré ;

Statuant à nouveau,

Déclare le tribunal de commerce de Saint-Etienne compétent pour statuer au fond ;

Réserve l'ensemble des demandes, en ce compris les dépens.