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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 6, 27 mars 2024, n° 22/07290

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Banque Populaire Rives de Paris

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Conseillers :

M. Braud, Mme Chaintron

Avocats :

Me Chandler, Me Delomel, Me Lallement, Me Martinet

TJ Paris, 9e ch. 3e sect., du 31 mars 20…

31 mars 2022

Entre le 21 octobre 2015 et le 10 mars 2016, [Z] [Y] (ci-après « M. [Y] ») a placé diverses sommes auprès de la société par actions simplifiée Diamantin (ci-après « la société Diamantin »), dont l'objet était le négoce, le courtage de diamants, de pierres précieuses et semi-précieuses, et le commerce de joaillerie et de bijoux. La société Diamantin détenait un compte à vue dans les livres de la société anonyme Banque populaire Rives de Paris (ci-après « la Banque populaire Rives de Paris »).

La société Diamantin a été placée en liquidation judiciaire par jugement en date du 23 février 2017. Une information judiciaire a ensuite été ouverte à son encontre des chefs d'escroquerie en bande organisée et de blanchiment d'escroquerie. 

Par lettre du 20 mai 2020, M. [Y] a mis en demeure la Banque populaire Rives de Paris de lui rembourser le montant des sommes investies, soit 622 606,59 euros selon lui, au motif que l'activité de la société Diamantin s'était révélée être une escroquerie, qu'il n'avait rien perçu de son placement, et que son banquier avait manqué à son devoir de vigilance. 

Par exploit en date du 28 juillet 2020, M. [Y] a assigné la Banque populaire Rives de Paris devant le tribunal judiciaire de Paris afin de la voir condamner : 

À lui payer :

622 606,59 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel, correspondant à la totalité de son investissement ;

124 521,32 euros au titre de son préjudice moral et de jouissance, représentant 20 % de son investissement ;

4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux dépens.

Par jugement contradictoire en date du 31 mars 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :

Révoqué l'ordonnance de clôture du 2 septembre 2021 


Déclaré recevables les conclusions de la Banque populaire Rives de Paris remises au greffe le 7 septembre 2021 ;

Prononcé la clôture ce jour ;

Débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné M. [Y] aux dépens.

 

Par déclaration remise au greffe de la cour le 9 avril 2022, M. [Y] a interjeté appel de cette décision contre la Banque populaire Rives de Paris.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 janvier 2024, [Z] [Y] demande à la cour, notamment au visa des articles L. 214-1-1 et L. 561-4 et suivants du code monétaire et financier, 1240, 1241, 1112-1 et 1231-1 du code civil et 441-1 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (ci-après « l'AMF »), de :

Infirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions.

Et statuant à nouveau :

A titre principal :

Juger et retenir que la Banque populaire Rives de Paris n'a pas respecté son obligation légale de vigilance, au titre du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

A titre subsidiaire :

Juger et retenir que la Banque populaire Rives de Paris n'a pas respecté son obligation légale de vigilance, au titre des règles du code civil.

A titre infiniment subsidiaire :

Juger et retenir que la Banque populaire Rives de Paris a commis une faute en ne contrôlant pas la légalité de l'activité de la société Diamantin.

En tout état de cause et en conséquence :

Juger que la Banque populaire Rives de Paris est responsable de préjudices subis par M. [Y] ;

Condamner la Banque populaire Rives de Paris à rembourser à M. [Y] la somme de 622 606,59 euros, correspondant à la totalité de son investissement auprès de la société Diamantin, en réparation de son préjudice matériel ;

Condamner la Banque populaire Rives de Paris à verser à M. [Y] la somme de 124 521,32 euros, correspondant à 20 % du montant de l'investissement, au titre du préjudice moral et de jouissance ;

Condamner la Banque populaire Rives de Paris à verser à M. [Y] la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la même aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 janvier 2024, la Banque populaire rives de Paris demande à la cour de :

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 1er mars 2022 dont appel ;

Débouter M. [Y] de ses demandes à toutes fins qu'elles comportent ;

Le condamner au paiement, au profit de la Banque populaire Rives de Paris, d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Pour l'essentiel, les parties développent les moyens et arguments suivants.

I ' Sur le secret bancaire

M. [Y] fait valoir que la Banque populaire Rives de Paris lui oppose le secret bancaire pour s'interdire la communication de la moindre pièce aux débats. Les dispositions de l'article 1353 du code civil imposent à la Banque populaire Rives de Paris de justifier ses dires, notamment quant à son affirmation d'avoir valablement exécuté ses obligations, tant à l'ouverture du compte qu'à l'occasion de son fonctionnement. L'article 11, alinéa premier, du code de procédure civile impose aussi aux parties d'apporter leurs concours aux mesures d'instruction, sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus. En l'espèce, la Banque populaire Rives de Paris voit sa responsabilité mise en cause et doit pouvoir se défendre en fournissant des documents issus de ses relations avec ses clients, sans attenter au secret bancaire, pour autant que cette démarche soit proportionnée.

La Banque populaire Rives de Paris fait valoir qu'étant assignée par un tiers lui reprochant des prétendus manquements dans la gestion de la relation contractuelle confidentielle avec la société Diamantin, elle est soumise au secret bancaire, ledit secret ne pouvant être levé, conformément à la jurisprudence interne et internationale, qu'en l'absence de tout autre moyen de preuve pouvant être apporté par l'appelant.

Or, M. [Y] ne justifie pas de ses démarches auprès du liquidateur judiciaire de la société Diamantin ou auprès de son propre établissement bancaire afin de solliciter les documents réclamés. La mise en cause du liquidateur judiciaire de la société Diamantin n'a pas non plus été sollicitée en l'espèce. Il n'est finalement pas contesté que M. [Y] a sollicité et obtenu du procureur de la République une autorisation de communiquer dans le cadre de la présente instance plusieurs pièces issues de l'enquête pénale en cours concernant la société Diamantin, notamment une note d'information du Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (ci-après « Tracfin ») et le rapport de synthèse des officiers de police judiciaire. L'examen de ces pièces permet de confirmer que la Banque populaire Rives de Paris s'est acquittée des obligations qui lui incombaient, tant en ce qui concerne l'ouverture du compte que son fonctionnement.

II ' Sur le manquement de la Banque populaire Rives de Paris à son obligation de vigilance au titre du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

M. [Y] fait valoir que les établissements bancaires sont tenus à un devoir de vigilance au titre du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en vertu des articles L. 561 et suivants du code monétaire et financier. La Banque populaire Rives de Paris était tenue à un contrôle classique au moment de l'entrée en relation d'affaires et tout au long de celle-ci, et à un contrôle renforcé dans certaines hypothèses durant la relation d'affaires, notamment celle d'un produit ou une opération présentant, par sa nature, un risque particulier de blanchiment de capitaux. En l'espèce, la Banque populaire Rives de Paris n'a pas été vigilante face aux nombreuses alertes de l'AMF (cette dernière ayant, par ailleurs, inscrit la société Diamantin sur une « liste noire » de sites d'investissements suspects), de Tracfin et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ci-après « l'ACPR »). Il ressort aussi des pièces issues de la procédure pénale que plusieurs anomalies étaient détectables dans le fonctionnement de la société Diamantin. Elle n'a finalement effectué aucune déclaration de soupçon et n'a pas clôturé le compte de la société Diamantin avant la fin de son activité, soit en mars 2016.

La Banque populaire Rives de Paris fait valoir qu'à supposer que le fonctionnement du compte ait été de nature à l'alerter et à l'amener à procéder à une déclaration de soupçons, elle n'aurait pas pour autant été autorisée à retenir les opérations ou à alerter les auteurs des paiements, la législation lui en faisant interdiction. De surcroît, les articles L. 561-2 et suivants du code monétaire et financier, imposant une vigilance actualisée de la banque quant au fonctionnement du compte de ses clients, sont édictés uniquement dans l'intérêt général pour la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et ne sont pas source de responsabilité civile pour la banque, la Cour de cassation rappelant que les obligations de vigilance précitées « n'ont pas été édictées pour la satisfaction d'intérêts privés », ne relevant « que de la protection de l'intérêt général ». En tout état de cause, les pièces versées par l'appelant lui-même révèlent que des vérifications ont bien eu lieu en 2016, à la suite desquelles, il a été décidé d'une fermeture du compte. Si Tracfin détient, par ailleurs, le pouvoir de s'opposer à une opération jugée irrégulière, il n'est aucunement prévu que l'établissement bancaire puisse, de sa propre initiative, refuser l'opération, cette limitation étant cohérente avec l'interdiction faite aux banques de révéler à quiconque l'existence et le contenu de ses soupçons et des éventuelles déclarations qu'elle pourrait être amenée à faire à Tracfin. Ainsi, rien ne permet à M. [Y] d'affirmer que la banque n'aurait pas procédé à une déclaration de soupçon, une telle information étant confidentielle.

III ' Sur les autres manquements de la Banque populaire Rives de Paris

M. [Y] fait valoir que, sur le fondement des articles 1147 et 1134 du code civil, devenus 1231-1 et 1104, la Cour de cassation a consacré un devoir général de vigilance du banquier. Ce devoir de vigilance ou de surveillance impose notamment au banquier de ne pas exécuter sans réagir une opération présentant une anomalie apparente, que celle-ci soit matérielle ou intellectuelle, ou une opération manifestement irrégulière ou inhabituelle dans la pratique commerciale ou dans les habitudes de son client. La convergence de plusieurs critères ou indices (quant à la nature de l'opération, au fonctionnement anormal du compte bancaire, à la fréquence ou à la répétition des mouvements de fonds, entre autres) favorisent la détection d'anomalies apparentes par le banquier. Le banquier peut, par ailleurs, toujours refuser d'exécuter une opération de paiement de quelque nature qu'elle soit en vertu de l'article L. 133-10 du code monétaire et financier, pour autant qu'elle en indique les motifs à son client. En l'espèce, la Banque populaire Rives de Paris n'a pas été vigilante face aux nombreuses alertes de l'AMF (cette dernière ayant, par ailleurs, inscrit la société Diamantin sur une « liste noire » de sites d'investissements suspects), de Tracfin et de l'ACPR. Il ressort, par ailleurs, des pièces issues de la procédure pénale que plusieurs anomalies étaient détectables dans le fonctionnement de la société Diamantin. La Banque populaire Rives de Paris n'a pas non plus effectué un contrôle effectif de légalité et de l'activité de la société Diamantin, alors qu'un communiqué du 24 juillet 2014 de l'AMF précisait que « les sociétés proposant d'acquérir des droits sur des diamants en mettant en avant la possibilité d'un rendement ou son équivalent économique sont soumises au régime de l'interdiction en biens divers et à ce titre, doivent disposer d'un numéro d'enregistrement délivré par l'AMF ».

La Banque populaire Rives de Paris fait valoir, à titre liminaire, que l'appelant a tendance à mélanger, d'une part, les textes applicables à l'ouverture et au fonctionnement du compte et, d'autre part, ceux qui régissent les obligations s'imposant à la banque dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, qui ne sont pas source de responsabilité civile à son égard (cf. supra).

La Banque populaire Rives de Paris fait valoir, dans un premier temps, qu'elle n'a pas manqué aux obligations prescrites par l'article R. 312-2 du code monétaire et financier en ce qui concerne l'ouverture du compte. En vertu de la jurisprudence récente, Le banquier n'a pas à vérifier les données indiquées sur les documents qui lui sont remis, moins encore à mener d'investigations sur l'honorabilité du postulant, l'exactitude de la profession qu'il indique exercer ou encore l'objet social déclaré. Ce n'est que par exception, dans l'hypothèse où la banque relèverait sur les documents spécialement exigés par les textes une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, qu'il lui incomberait de procéder à des investigations plus poussées. M. [Y] ne conteste pas davantage en appel qu'en première instance que la Banque populaire Rives de Paris ait pu se faire remettre les documents exigés par la réglementation ni n'évoque d'irrégularités affectant ces documents et étant de nature à alerter la banque. La Banque populaire Rives de Paris s'est, par ailleurs, bien acquittée des obligations qui lui incombaient à l'ouverture du compte, en ce qu'elle a procédé aux vérifications d'usage et posé des questions sur le projet au moment du premier rendez-vous avec un représentant légal de la société Diamantin. Il n'existe pas non plus de discordance manifeste entre l'activité déclarée au K bis de la société Diamantin (qui s'est révélée volontairement erronée dans le rapport synthétique de la police transmis le 4 mai 2016) et la connaissance qu'en avait la Banque populaire Rives de Paris qui, à défaut d'une quelconque anomalie, n'avait ainsi aucune raison d'investiguer davantage.

La Banque populaire Rives de Paris fait valoir, dans un second temps, qu'elle n'a pas manqué à ses obligations en ce qui concerne le fonctionnement du compte. En vertu du principe de non-immixtion, elle est tenue d'enregistrer sans délai les opérations qui se présentent et n'engage pas sa responsabilité en enregistrant des opérations qui se révéleraient ultérieurement illicites. Contrairement à ce qu'affirme M. [Y], l'obligation de vigilance des banques n'est pas générale et ne s'applique en réalité que dans deux hypothèses : lorsque le banquier procède au débit ou au crédit du compte de son client dans le cadre d'opérations de paiement, et en vertu de l'article L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier dans le cadre du système de contrôle des opérations inhabituelles ou suspectes mis en 'uvre pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (cf. supra). Il n'est pas soutenu que la Banque populaire Rives de Paris aurait manqué à son devoir de vérification formelle des opérations émises par M. [Y] puisque, selon M. [Y] lui-même, tous les paiements émanent bien de leur auteur Si M. [Y] fait aussi état d'un droit que tirerait la banque de ne pas exécuter les opérations de ses clients en vertu de l'article L. 133-10 du code monétaire et financier, cette faculté est prévue pour des cas spécifiques définis par la loi (à titre d'exemple, le décès du titulaire du compte bancaire), non caractérisés en l'espèce.

IV ' Sur les préjudices de M. [Y]

M. [Y] fait valoir, dans un premier temps, qu'il a subi un préjudice matériel, en ayant versé la somme totale de 622 606,59 euros au profit de la société Diamantin. Le banquier peut, par ailleurs, toujours refuser d'exécuter une opération de paiement de quelque nature qu'elle soit en vertu de l'article L.133-10 du code de commerce, pour autant qu'elle en indique les motifs à son client. Sans la Banque populaire Rives de Paris, la société Diamantin n'aurait pu avoir une telle activité illégale, ni bénéficier de virements et encaissements. Il demande ainsi que soit condamnée la Banque populaire Rives de Paris à lui rembourser la somme totale de 622 606,59 euros, en réparation de son préjudice matériel, correspondant au montant de l'investissement effectué auprès de la société Diamantin.

M. [Y] fait valoir, dans un second temps, qu'il a subi un préjudice moral et de jouissance important, en ayant été victime d'une escroquerie internationale, organisée de manière précise. L'AMF et l'ACPR évoquaient, par ailleurs, une « industrialisation » de ce genre d'escroqueries. Il demande ainsi que soit condamnée la Banque populaire Rives de Paris à lui verser la somme de 124 521,32 euros, correspondant à 20 % du montant total de son investissement.

La Banque populaire Rives de Paris fait valoir que M. [Y] n'apporte ni la preuve du préjudice matériel ni la preuve du préjudice moral qu'il prétend avoir subis. Il ne démontre pas non plus le lien de causalité entre les fautes reprochées à la Banque populaire Rives de Paris et son préjudice. En ce qui concerne le préjudice matériel, il n'est pas prouvé que M. [Y] ait procédé à des déclarations de créances au passif de la société Diamantin dans le cadre de la liquidation judiciaire ouverte le 23 février 2017 et que, s'il les a faites, le liquidateur judiciaire ait effectivement constaté ces dernières. En ce qui concerne le préjudice moral, il tient, à le supposer démontré, non à des faits imputables à la Banque populaire Rives de Paris mais à des choix patrimoniaux de M. [Y].

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 février 2024 et l'audience fixée au 13 février 2024.

CELA EXPOSÉ,

Sur la responsabilité de la Banque populaire Rives de Paris :

Les premiers juges ont rappelé à bon droit que les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et les victimes d'agissements frauduleux ne peuvent s'en prévaloir pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier, étant ajouté qu'en l'espèce aucun soupçon de cette nature n'affecte l'origine des fonds virés, qui provenaient de l'épargne de [Z] [Y]. Celui-ci ne peut donc pas davantage se prévaloir des dispositions de l'article R. 561-12 du code monétaire et financier prévoyant les éléments d'information que doivent recueillir et analyser les établissements de crédit, tant avant d'entrer en relation d'affaires que pendant toute la durée de la relation d'affaires.

Il résulte en effet de l'article L. 561-19 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance no 2016-1635 du 1er décembre 2016, que la déclaration de soupçon mentionnée à l'article L. 561-15 est confidentielle et qu'il est interdit de divulguer l'existence et le contenu d'une déclaration faite auprès du service mentionné à l'article L. 561-23, ainsi que les suites qui lui ont été réservées, au propriétaire des sommes ou à l'auteur de l'une des opérations mentionnées à l'article L. 561-15 ou à des tiers, autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales visés à l'article L. 561-36. Aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d'assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration mentionnées ci-dessus et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs. Selon l'article L. 561-29, paragraphe premier, du même code, sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, les informations détenues par le service mentionné à l'article L. 561-23 ne peuvent être utilisées à d'autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.

Il s'en déduit que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier (Com., 28 avr. 2004, no 02-15.054 ; 21 sept. 2022, no 21-12.335).

Sans avoir à se référer à ces obligations de vigilance spécifiques imposées au titre de la règlementation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, que les premiers juges ont à juste titre écartées, il résulte des dispositions du code civil une obligation générale de vigilance dont le non-respect, s'il cause un préjudice à un tiers, même en l'absence de tout lien contractuel, oblige son auteur à le réparer.

En application de l'article 1147 ancien, devenu1231-1, du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass. plén., 6 oct. 2006, no 05-13.255).

[Z] [Y] entend ainsi invoquer un manquement de la Banque populaire Rives de Paris à l'obligation de vigilance à laquelle elle est tenue en qualité de teneur du compte de la société Diamantin, et engager à son égard la responsabilité délictuelle de la banque.

Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine et l'importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l'interroger sur l'existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu'aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de payement, tenu d'un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n'a pas, en principe, à s'ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s'assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.

S'il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l'obligation de vigilance de l'établissement de crédit prestataire de services de payement, c'est à la condition que l'opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l'opération ou encore du fonctionnement du compte.

[Z] [Y] reproche à la banque un défaut de contrôle tant lors de l'entrée en relation d'affaires qu'au cours de ladite relation d'affaires.

Le compte de la société Diamantin a été ouvert dans les livres de la Banque populaire Rives de Paris le 15 mai 2015, après un premier rendez-vous le 5 mai 2015 ayant pour objet le dépôt du capital social, et l'immatriculation de la société le 7 mai suivant. Lors de l'entrée en relation d'affaires, les obligations de la banque étaient définies, comme l'a retenu le tribunal, par l'article R. 312-2 ancien du code monétaire et financier. Il ressort de la cote D47 du dossier d'instruction que le représentant légal de la société Diamantin, [K] [H], s'est présenté avec tous les justificatifs requis, dont copie fut remise aux enquêteurs (pièce no 36 de l'appelant). L'activité déclarée de la société est le « négoce, courtage de diamants, pierres précieuses et semi-précieuses, commerce de joaillerie et de bijoux » (pièce no 7 de l'appelant). Cette activité, licite, correspond aux explications fournies par [K] [H] qui « se mettait à son compte dans le négoce de bijoux fantaisie de haute gamme » (pièce no 36 de l'appelant). Ainsi que le note le tribunal, il ne s'agit pas d'intermédiation en biens divers de sorte que la Banque populaire Rives de Paris n'avait pas à s'inquiéter auprès de son client de l'agrément éventuellement requis.

En l'absence d'anomalie apparente lors de l'ouverture du compte, aucune faute ne peut être retenue contre la Banque populaire Rives de Paris, le rapport d'enquête préliminaire faisant d'ailleurs état d'une « présentation volontairement erronée à la banque de l'activité de la société et usage d'un faux bail pour l'ouverture d'un compte » (pièce no 34 de l'appelant).

S'agissant de l'activité ultérieure de la société Diamantin, le tribunal a, par des motifs détaillés et pertinents, écarté les irrégularités qui n'avaient été révélées que par les enquêtes menées tant par la cellule de renseignement financier nationale que par la police judiciaire, et dont il n'est pas démontré que la Banque populaire Rives de Paris ait pu se rendre compte par elle-même. Ne peuvent en effet être retenues, pour apprécier la responsabilité de la Banque populaire Rives de Paris, que les anomalies apparentes pour elle. Il convient de préciser à cet égard que la société Diamantin disposait de plusieurs comptes ouverts dans les livres de trois banques.

Au cours de l'enquête préliminaire, à la question « Avez-vous constaté des anomalies sur le compte ' », la directrice de l'agence bancaire, [U] [D], a répondu :

« Après coup, oui, quand le siège s'est intéressé à ce compte. [...] C'est la mise en alerte du siège qui a fait que je suis restée vigilante sur ce compte. [...] La première des choses, ce sont les mouvements que l'on a enregistré sur le compte par rapport au prévisionnel fourni en mai 2015, lors de l'ouverture du compte. Ce rapport prévisionnel prévoyait une première année à un peu moins de 900 000 euros, la deuxième à un peu plus de 900 000 euros et la troisième à moins d'un million. En juillet 2015, était déjà enregistrée la première année provisionnelle. Il aurait fallu à ce moment-là, prendre contact avec le client pour qu'il explique cette évolution fulgurante, en trois mois, il a atteint ce qu'il comptait pour l'année. Actuellement [14 avril 2016], les mouvements ne sont pas en rapport par rapport au prévisionnel transmis. » (pièce no 35 de l'appelant)

A également été interrogée l'employée de l'agence, [O] [V], qui a décrit le cours de sa relation d'affaires avec la société Diamantin, indiquant notamment :

« [[K] [H]] m'a sollicitée au mois de juin 2015 pour effectuer un virement important [...] Ce virement était en faveur d'un de ses fournisseurs belges, M. D. Pienica BVBA, pour un montant de 27 792,77 euros. J'ai obtenu de M. [H] une copie d'une facture de cette société belge après qu'il m'eut présenté la facture originale. [...]

« En janvier 2016, après avoir jeté un 'il sur le compte bancaire de la société, j'ai vu que des gros montants apparaissaient sur le compte en décembre 2015. J'ai donc demandé à M. [H] de me fournir deux justificatifs, qu'il m'a transmis en début février 2016. Il s'agissait de factures correspondantes. Au même moment, en février 2016, le siège de la banque m'a demandé plus d'informations concernant mon client. J'en ai profité pour redemander d'autres factures à M. [H], qu'il m'a fournies bien ultérieurement. » (pièce no 36 de l'appelant)

La cour constate ainsi, à la suite du tribunal, que la BPRB a relevé l'anomalie que constituait l'importance des mouvements sur le compte de la société Diamantin au regard de son plan prévisionnel, et qu'elle en a sollicité des justificatifs au cours de la relation d'affaires. Elle a ainsi satisfait à son devoir de surveillance du compte de sa cliente.

Comme le reconnaît [U] [D], les justificatifs obtenus révélaient que l'activité exclusive de la société était le commerce de diamants : « Lors de l'ouverture du compte, il avait été question de travailler avec des particuliers et des professionnels sachant que l'origine était du bijou fantaisie haut de gamme alors que cela a toujours été du négoce de diamant. Toutes les factures font état de négoce de diamant et non de bijou fantaisie » (pièce no 35 de l'appelant).

Pour autant, cette activité ne constituait pas une anomalie en soi. Elle ne pouvait justifier, au titre du devoir contractuel de vigilance de la banque à l'égard de son client, que la Banque populaire Rives de Paris refuse d'exécuter les opérations de payement ordonnées par celui-ci, moins encore qu'elle procède à la clôture du compte.

Si la Banque populaire Rives de Paris a décidé de clore le compte en mars 2016, elle a agi non pour se conformer à une obligation contractuelle, mais selon des considérations internes exposées par la directrice de l'agence :

« Question : Que savez-vous des placements en diamant proposés par la société '

« Réponse : Quasiment rien. Si ce n'est les factures que j'ai pu regarder sur le compte et qui m'ont permis de me faire une petite idée. Ce ne sont pas des activités avec lesquelles on entre en relation, ce n'est pas notre c'ur de métier. C'est une activité susceptible de risque donc on ne rentre pas en contact. Si on m'avait soumis l'ouverture de ce compte, ce n'est pas sûr que je l'aurais accordée. Ce ne sont pas des activités que l'on connaît suffisamment pour avoir une fine maîtrise du risque. On a assez de clients en portefeuille pour ne pas prendre des clients à risques. Et en fonction du volume que ce soit en flux ou en besoin à court ou moyen terme, on les dirige vers le centre d'affaires plus à même de répondre à ce type de client. » (pièce no 35 de l'appelant)

En l'absence de tout manquement contractuel de la Banque populaire Rives de Paris à l'égard de la société Diamantin,sa responsabilité à l'égard de [Z] [Y] n'est pas engagée. En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et de condamner [Z] [Y] aux dépens d'appel, l'équité commandant de ne pas prononcer de condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

DIT n'y avoir lieu au prononcé d'une condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [Z] [Y] aux entiers dépens ;

REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.