Livv
Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 28 mars 2024, n° 23/04683

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

BSTP (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gonzalez

Conseillers :

Mme Jullien, Mme Le Gall

Avocats :

Me Durand, Me Nouvellet

T. com. Lyon, du 25 mai 2023, n° 2021f01…

25 mai 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

La société BSTP exploitait une activité de transactions immobilières. Elle était initialement dirigée par MM. [X] [V] et [H] [Y]. M. [Y] a démissionné au 31 mars 2019.

Par jugement du 22 juillet 2020, sur déclaration de cessation des paiements de M. [V], le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de la société BSTP, fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 12 mars 2020 et désigné la Selarl Alliance MJ en qualité de liquidateur judiciaire. Par ordonnance du 9 octobre 2020, la Selarl [R] [E], représentée par Me [E], a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire en remplacement de la Selarl Alliance MJ.

Par acte du 6 juillet 2021 signifié le 8 juillet 2021, la Selarl [R] [E], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société BSTP, a assigné la société BSTP et M. [V] devant le tribunal de commerce de Lyon afin de voir reporter la date de l'état de cessation des paiements au 31 octobre 2019.

Par jugement contradictoire du 25 mai 2023, le tribunal de commerce de Lyon a :

- reporté la date de cessation des paiements de la société BSTP au 31 octobre 2019,

- ordonné la publicité du jugement à intervenir selon les formes et modalités prévues par la loi,

- débouté M. [V] et la société BSTP de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamné M. [V] et la société BSTP à payer à la Selarl [R] [E], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société BSTP, la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de l'instance seront tirés en frais privilégiés de la procédure.

M. [V] et la société BSTP ont interjeté appel par acte du 7 juin 2023.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 19 juillet 2023 fondées sur les articles L. 631-1 et L. 631-8 du code de commerce, M. [V] et la société BSTP demandent à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a reporté la date de cessation des paiements de la société BSTP au 31 octobre 2019,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a ordonné la publicité du jugement à intervenir selon les formes et modalités prévues par la loi,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il les a déboutés de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il les a condamnés à payer à la Selarl [R] [E], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société BSTP, la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que les dépens de l'instance seront tirés en frais privilégiés de la procédure, et statuant à nouveau,

- condamner la Selarl [R] [E] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- rejeter tous moyens, fins, conclusions plus amples ou contraires,

- condamner la Selarl [R] [E], ès-qualités, aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 17 août 2023 fondées sur les articles L. 631-1 et L. 631-8 du code de commerce, la Selarl [R] [E], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société BSTP, demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, en tout état de cause,

- débouter la société BSTP et M. [V] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,

- condamner tout opposant à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- tirer les dépens en frais privilégié de procédure.

Le ministère public, par avis du 17 octobre 2023 communiqué contradictoirement aux parties le 20 décembre 2023, n'a pas formulé d'observation.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 23 janvier 2024, les débats étant fixés au 1er février 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'état de cessation des paiements au 31 octobre 2019

M. [V] et la société BSTP font valoir que :

- la date de cessation des paiements fixée de manière dans le jugement d'ouverture correspond à la réalité et il appartient à l'intimée d'établir l'état de cessation des paiements à une date antérieure,

- l'étude de l'actif disponible et du passif exigible de la concluante laisse apparaître que l'état de cessation des paiements n'était pas caractérisé au 31 octobre 2019, puisque son activité de transaction immobilière s'est bien poursuivie postérieurement au 31 octobre 2019, lui permettant de toucher un total de 260.316,67 euros de commissions,

- elle a subi les agissements frauduleux d'anciens agents, (détournement de clientèle) qui ont ainsi été condamnés par le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 20 octobre 2020 ; c'est là une cause d'aggravation de la situation,

* Sur l'actif disponible, on relève l'absence de clôture du compte courant débiteur et de demande restitution des moyens de paiement, l'autorisation d'un grand nombre d'opérations débitrices par la banque Caixa Geral de Despositos caractérisant l'acceptation cette dernière d'un découvert tacite d'au moins 36.531,04 euros pendant une période durable et régulière de 5 mois représentant l'actif disponible,

- le solde débiteur du compte bancaire a diminué dès le mois de novembre 2019, ce qui démontre que l'activité de la concluante demeurait soutenue,

- la lettre de la Banque du 23 mars 2020 n'énonce pas de comportement gravement répréhensible justifiant la résiliation immédiate et démontre l'existence d'un crédit à durée déterminée,

- elle disposait de réserve de crédit suffisantes pour poursuivre son activité par la convention de gestion de pool de trésorerie signée entre les sociétés du groupe ; la capacité de l'actionnaire du groupe à procéder à des apports en compte courant à court terme était d'un montant de 217.000 euros ; elle pouvait donc faire face à son passif exigible,

* Sur le passif exigible, en première instance, le liquidateur n'a pas valablement sollicité les observations du débiteur sur les créances déclarées et listées dans ses conclusions et l'absence de contestation des créances n'est pas due à la carence du concluant qui peut toujours contester,

- la créance de la société Mercedes Benz Financial Services France n'existait plus au 31 octobre 2019 et doit être retirée, le véhicule en leasing ayant été restitué et le solde réglé,

- la créance Apicil bénéficiait d'un moratoire à la date du 31 octobre 2019 pour les cotisations du 2ème et 3ème trimestre 2019,

- la créance de la société Seloger ne pouvait pas être considérée comme du passif exigible au 31 octobre 2019 compte tenu de son caractère incertain et du litige en cours entre les cocontractants,

- les autres créances n'étaient pas exigées ; le concluant a toujours adopté un comportement proactif de négociation avec les administrations dans le règlement de ses dettes fiscales et sociales ; l'administration n'a pas exigé pas le règlement des cotisations patronales, ce qui est un moratoire tacite.

La Selarl [R] [E], ès-qualités, réplique que :

- la date de cessation des paiements provisoire ne correspond pas à la réalité ; l'état de cessation des paiements était manifestement consommé au 31 octobre 2019, faute de trésorerie,

- le compte bancaire auprès de la banque Caixa Geral de Despositos n'avait pas d'autorisation de découvert et présentait un solde débiteur de -36.531,04 euros au 31 octobre 2019 ; il n'a jamais été créditeur ensuite jusqu'à sa clôture ; les rejets de chèques par la banque l'attestent,

- sur la convention de gestion de pool de trésorerie, les avances de trésoreries sollicitées à partir d'octobre 2019 caractérisent un état de cessation des paiements, leur augmentation indique une situation irrémédiablement compromise et elles sont en tout état de cause insuffisantes, le soutien ayant permis de retarder la constatation de l'état de cessation des paiements , elles sont exclues de l'actif disponible car ruineuses et constituant une dette,

- l'appelante n'a pas accompli de prestations ou touché des commissions entre octobre 2019 et janvier 2020 ; il s'agit en fait de l'activité de sa société soeur, BSTP Developpment,

- le passif exigible s'élève à 631.672,38 euros ; a minima, les créances nées avant le 31 octobre 2019 représentent 132.498,42 euros,

- la créance Mercedes Benz Financial Services France correspond à des loyers impayés au 16 septembre 2019, n'a pas été contestée par le débiteur et est définitivement fixée au passif,

- la créance Apicil correspond à des cotisations exigibles au 30 septembre 2019 ; aucun échéancier attestant d'un moratoire n'est démontré,

- la créance Seloger correspond à une facture exigible le 31 octobre 2019 sans litige en cours et donc certaine et définitive,

- la créance PRS du Rhône correspond aux impositions non réglées dont une somme exigible au 24 octobre 2019, la créance de l'Urssaf correspond aux cotisations impayées d'août 2018 à octobre 2019 et la créance de la Banque correspond au solde bancaire débiteur au 31 octobre 2019,

- la plupart des créances invoquées résultent de la déclaration de la cessation des paiements et/ou de la liste des créanciers établie par l'appelant lui-même,

- la notion de passif exigible ne doit pas être confondue avec la notion de passif exigé ; les dettes fiscales et sociales étaient bien exigibles, les créances déclarées sont anciennes pour certaines et ont fait l'objet de nombreuses relances et mises en demeure, sans réaction de la part du débiteur qui ne l'explique pas.

Sur ce,

L'article L.631-1 alinéa 1er du code de commerce dispose que 'Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.'

L'article L.631-8 du code de commerce dispose que 'Le tribunal fixe la date de cessation des paiements après avoir sollicité les observations du débiteur. A défaut de détermination de cette date, la cessation des paiements est réputée être intervenue à la date du jugement d'ouverture de la procédure. Elle peut être reportée une ou plusieurs fois, sans pouvoir être antérieure de plus de dix-huit mois à la date du jugement d'ouverture de la procédure.'

Il convient en application de ces dispositions de comparer le passif exigible et l'actif disponible.

* Le passif exigible

Celui-ci s'entend des dettes échues et exigibles (et non du seul passif exigé par notamment des mises en demeure) et il convient de reprendre les dettes de BSTP dans le détail, le mandataire ayant évalué pour sa part le passif de la société BSTP à 132.498,42 euros à la date de référence pour un passif déclaré s'élèvant à 631.672,38 euros et composé principalement de créances fiscales, sociales et bancaires.

Il ressort des productions qu'il était déjà dû à la date de référence les dettes qui suivent.

- La créance Urssaf s'élevait à 27.805,46 euros pour la période antérieure.

- La créance PRS du Rhône (impôts non réglés) de 59.168 euros exigible le 24 octobre 2019.

- La créance d'Apicil de 4.653,42 euros.

- La créance Digital classified exigible le 31 octobre 2019 pour 3.829,20 euros.

- La créance de la société Mercedes Benz, de 691,30 euros qui n'a jamais été contestée et est admise définitivement.

- La créance bancaire auprès de la Caixa Geral de 36.351,04 euros.

La cour relève que les appelants ne rapportent la preuve concrète d'aucun moratoire obtenu des créanciers concernant ces créances, ne procédant que par affirmations.

C'est par ailleurs vainement que les appelants entendent désormais contester les créances qu'ils ont déclarées dans la liste des créanciers, qu'ils n'ont pas remises en cause ensuite et pour lesquelles ils ne font valoir en tout état de cause aucune objection sérieuse dans le cadre du présent litige.

* l'actif disponible

Celui-ci s'entend des actifs de l'entreprise immédiatement disponibles et recouvrent principalement les liquidités.

S'agissant des liquidités bancaires, le solde du compte détenu auprès de la Caixa Geral de depositos était débiteur à la date de référence (- 36.531,04 euros) et l'est resté jusqu'à sa clôture.

Le débiteur ne procède que par affirmations lorsqu'il prétend avoir bénéficié d'un découvert autorisé de la Banque. Le tribunal de commerce a ainsi, à juste titre, relevé que si la Banque n'a manifesté sa volonté de résiliation de la convention de gestion de compte que le 23 mars 2020, celle-ci n'accordait en effet aucune autorisation de découvert (stipulant au contraire que le compte avait vocation à fonctionner en position débitrice) et que si une période ce 5 mois s'était effectivement écoulée depuis la position débitrice du compte, ceci ne caractérisait aucune autorisation de découvert tacite, la Banque se prévalant au contraire de manière non équivoque d'un 'comportement gravement répréhensible', ce qui est contraire à toute tolérance, et ayant comptabilisé régulièrement des frais de rejet bancaire dès le 24 octobre 2019. Le tribunal de commerce a donc de manière parfaitement argumentée rejeté l'existence d'une autorisation de découvert à la date du 31 octobre 2019 et la cour s'approprie ces motifs.

C'est ensuite vainement que les appelants entendent se prévaloir d'une faute de la Banque dans sa demande de remboursement du découvert alors que comme vu supra, aucune autorisation n'avait été octroyée.

Par ailleurs, l'ordonnance de référé du 30 mars 2020 dont se prévaut le débiteur concerne la société BSTP Développement et non BSTP de sorte qu'aucun amalgame ne peut être effectué entre ces deux sociétés parfaitement distinctes.

S'agissant de la réserve de crédit tirée de la convention de gestion de pool de trésorerie conclue entre les sociétés du groupe sous la gestion de la société holding Infinity Capital, il apparaît que cette dernière a accordé des apports en compte courant sollicités dès octobre 2019 et qui n'ont pas permis d'apurer le découvert bancaire.

Ces vains apports n'ont cessé d'augmenter sans apurer la situation comptable. Alors que le dirigeant de la holding est également M. [V] d'où des apports accordés sans mesure ni conditions, ils caractérisent effectivement un soutien anormal ayant artificiellement maintenu l'activité de la société BSTP.

En effet, s'agissant de l'activité de la société, que les appelants entendent considérer comme saine après le 31 octobre 2019 en se prévalant de la signature de nombreux mandats et compromis, la production de tels mandats et compromis en pièces 22 et 23 n'emporte pas la conviction de la cour sur la poursuite normale de l' activité de BSTP, à supposer avéré le fait que c'est bien la société BSTP qui en était personnellement la négociatrice, ce que ne révèlent pas expressément les actes produits qui ne visent pas cette société, ni les factures qui prévoyaient que les versements devaient être effectués sur le compte de la société BSTP Développement, société tiers.

Les apports de la holding susvisés ne peuvent dans ces circonstances être comptabilisés dans les actifs.

Le jugement a donc à juste titre retenu l'absence d'actifs disponibles à la date de référence du 31 octobre 2019.

Il découle sans équivoque de ce qui précède que la société BSTP était en état de cessation des paiements dès le 31 octobre 2019, la situation d'ores et déjà obérée à cette date n'était jamais redevenue créditrice, de sorte que le jugement est confirmé.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens d'appel sont employés en frais privilégiés de procédure collective.

Il est équitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement déféré.

Y ajoutant,

Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dit que les dépens sont employés en frais privilégiés de procédure collective de la société BSTP.