CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 16 janvier 2024, n° 22/00524
BESANÇON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Tyrex Finance (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Wachter
Conseillers :
Mme Domenego, Mme Willm
Avocats :
Me Pauthier, Me Comte, Me Leroux
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société MSOFI a été créée en 2010 par Mme [E] [H], M. [V] [P], M. [T] [D] et Mme [B] [O] et a pour activité l'administration et l'exploitation de la société d'expertise comptable SOFIGEC et de la société de commissariat aux comptes SOFIGEC AUDIT, ses deux filiales.
En 2011, Mme [B] [G], salariée juriste de SOFIGEC, est entrée au capital de MSOFI pour une participation minoritaire, selon un pacte d'associés conclu le 23 septembre 2011 aux termes duquel celle-ci a souscrit une promesse unilatérale de cession de ses actions à ses associés en cas de cessation de ses fonctions de salarié pour quelle que cause que ce soit.
Mme [B] [O] a cédé ses actions le 25 septembre 2017.
Le 19 février 2018, Mme [B] [G] a été licenciée de la société SOFIGEC.
Par courrier en date du 3 août 2018, Mme [E] [H] et M. [V] [P] ont informé Mme [B] [G] de la levée par leurs soins de l'option portant sur la promesse unilatérale de cession de titres et lui ont proposé un prix global de rachat à hauteur de 44 722 euros.
Mme [G] ayant contesté une telle proposition et refusé les noms de tiers présentés par application des stipulations du pacte d'associés, Mme [H] et M. [P] ont saisi le 12 octobre 2018 le président du tribunal de commerce en la forme des référés pour voir ordonner la désignation d'un tiers estimateur sur le fondement des dispositions prévues à l'article 1592 du code civil.
Par ordonnance du 20 novembre 2018, le juge des référés du tribunal de commerce de Belfort a ordonné une mesure d'expertise judiciaire et désigné M. [L] [N], expert judiciaire, pour y procéder.
Le rapport d'expertise a été déposé le 2 février 2021 et a conclu à la valorisation des 6292 titres avec droit de vote à la somme de 38 098 euros et des 12202 titres sans droit de vote à la somme de 54 226 euros, soit une valeur globale proposée de 92 300 euros.
Le 2 avril 2021, Mme [E] [H] et M. [V] [P] ont mis en demeure Mme [G] de constater la vente de ses actions devenue parfaite, par suite de la fixation du prix par le tiers estimateur et conformément aux dispositions contractuelles, au prix de 92 300 euros, ainsi que leur substitution en faveur de la société TYREX FINANCE pour l'achat des titres.
Mme [G] n'ayant pas donné suite à cette mise en demeure, Mme [H], M. [P] et la SAS TYREX FINANCE ont saisi le tribunal de commerce de Besançon, lequel a, dans son jugement du 9 février 2022 :
- jugé que la détermination par l'expert, M. [L] [N], du nombre d'actions détenues par Mme [B] [G] au sein de la société MSOFI constituait une erreur grossière,
- renvoyé les parties à désigner un nouvel expert domicilié en dehors de la région Bourgogne-Franche-Comté, conformément aux dispositions du pacte d'associés, et, à défaut d'accord, renvoyé la partie la plus diligente à saisir le président du tribunal de commerce de Besançon en référé aux fins de désignation de ce nouvel expert pour déterminer le prix de cession des actions détenues par Mme [B] [G] au sein de la société MSOFI,
- dit que les frais et honoraires du nouvel expert seront supportés à 50% par Mme [B] [G] et 50% par Mme [E] [H], M. [V] [P] et la société TYREX FINANCE,
- dit que les frais du tiers évaluateur seront supportés pour moitié entre Mme [B] [G], d'une part, et Mme [E] [H], M. [V] [P] et la société TYREX FINANCE, d'autre part,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- confirmé l'exécution provisoire de la présente décision,
- dit que les dépens seront partagés pour moitié entre, d'une part, Mme [B] [G], d'autre part, Mme [E] [H], M. [V] [P] et la société TYREX FINANCE,
- liquidé les dépens du présent jugement à la somme de 109,74 euros.
Pour se déterminer ainsi, les premiers juges ont retenu :
- que Mme [G] étant juge consulaire au tribunal de commerce de Belfort, le tribunal de commerce de Besançon était compétent pour connaître du présent litige,
- que le pacte d'associés était parfaitement valide et que la clause relative à la désignation d'un tiers estimateur pour fixer la valeur des parts devait donc s'appliquer entre les parties,
- que le pacte ne prévoyait pas de mention spécifique sur la détermination du prix des actions, mais que la méthode de calcul retenue par l'expert judiciaire portant sur la situation comptable de l'exercíce clos au 30 juin 2018, n'était pas contestée par Mme [B] [G] et était justifiée par les règles de l'art, de telle sorte qu'elle était recevable,
- que l'expert pouvait parfaitement prendre en compte l'impact de la loi Pacte, modifiant l'activité des commissaires aux comptes, pour apprécier cette valorisation sans constituer une erreur grossière
- que l'évaluation réalisée par l'expert judiciaire, retenant 12202 actions de catégorie P, était cependant erronée à défaut pour ce dernier d'avoir pris en compte les éléments liés à la conversion d'office des actions de catégorie P en actions ordinaires ; que Mme [G] était donc ainsi titulaire de 5857 (12202 - 6345) actions de catégorie P et de 6345 actions de catégories O supplémentaire,
- que cette erreur engendrait une modification substantielle du prix de cession de la totalité des actions de Mme [B] [G] et qu'en raison de cette erreur grossière, un nouvel expert devait être désigné.
Par déclaration en date du 25 mars 2022, Mme [H], M. [P] et la SAS TYREX FINANCE ont relevé appel de cette décision.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 23 octobre 2023, les appelants demandent à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu une erreur grossière commise par l'expert et renvoyé les parties à la désignation d'un nouvel expert,
- à titre principal, infirmer le jugement sur l'interprétation qu'il a faite des dispositions du pacte d'associés quant au nombre de titres à céder par Mme [G],
- juger en conséquence que la cession par Mme [B] [G] de la totalité des 6292 actions « O » et des 12202 actions « P » lui appartenant de la société MSOFI, au profit de la société TYREX FINANCE, par substitution, soit au total 18494 actions, est parfaite,
- enjoindre, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, Mme [B] [G] à régulariser l'ordre de mouvement, contre lequel le versement de la somme de 92 300 euros par la société TYREX FINANCE,
- juger que la société TYREX FINANCE doit procéder au règlement du prix de 92 300 euros contre remise de l'ordre de mouvement régularisé par Mme [G],
- confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a écarté toute erreur grossière du tiers évaluateur quant à la prise en compte des impacts de la loi Pacte sur la valeur des actions détenues par Mme [B] [G],
- rejeter toutes les demandes de Mme [B] [G] tendant à faire constater une erreur grossière commise par le tiers évaluateur,
- à titre subsidiaire, confirmer sur le nombre de titres à céder par Mme [G],
- juger en conséquence que la cession par Madame [B] [G] de la totalité des 12637 actions « O » et des 5857 actions « P » lui appartenant de la société MSOFI, au profit de la société TYREX FINANCE, par substitution, soit au total 18494 actions, est parfaite,
- enjoindre, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, Mme [B] [G] à régulariser l'ordre de mouvement, contre lequel le versement de la somme de 102 546 euros par la société TYREX FINANCE,
- juger que la société TYREX FINANCE doit procéder au règlement du prix de 102 546 euros contre remise de l'ordre de mouvement régularisé par Mme [G],
- condamner en tout état de cause Mme [B] [G] à leur payer à chacun, une somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [B] [G] aux entiers dépens, en ce compris 50 % des honoraires et frais du tiers évaluateur.
A l'appui, les appelants font principalement valoir que le tribunal a fait une interprétation fantaisiste du pacte d'associés ; que les dispositions de ce pacte étaient pourtant explicites et claires ; que Mme [G] n'ayant pas atteint le chiffre d'affaires convenu, elle ne pouvait prétendre à une conversion de ses actions 'P' en actions 'O' ; que l'expert n'avait ainsi commis aucune erreur grossière dans l'appréciation du nombre de titres dont Mme [G] était détentrice ; qu'il n'avait également pas commis une telle erreur en appliquant une décote de minorité de 30 % comme en prenant en compte les incidences de la loi Pacte sur la valorisation des titres ; que l'expert avait enfin parfaitement respecté le principe du contradictoire ; que la cession des titres devait donc être déclarée parfaite aux conditions fixées par l'expert, et très subsidiairement selon le décompte opéré par les premiers juges dans la décision querellée.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 18 octobre 2013, Mme [B] [G], intimée, demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
-jugé que la détermination par l'expert, M. [L] [N], du nombre d'actions détenues par Mme [B] [G] au sein de la société MSOFI constituait une erreur grossière,
- renvoyé les parties à désigner un nouvel expert domicilié en dehors de la région Bourgogne-Franche Comté, conformément aux dispositions du pacte d'associés, et à défaut d'accord, renvoie la partie la plus diligente à saisir le président du tribunal de commerce de Besançon en référé aux fins de désignation de ce nouvel expert pour déterminer le prix de cession des actions détenues par Mme [B] [G] au sein de la société MSOFI,
- dit que les frais et honoraires du nouvel expert seront supportés à 50%par Mme [B] [G] et 50% par Mme [E] [H], M. [V] [P] et la société TYREX FINANCE,
- dit que les frais du tiers évaluateur seront supportés pour moitie entre Mme [B] [G], d'une part, et Mme [E] [H], M. [V] [P] et la société TYREX FINANCE, d'autre part,
- au surplus, juger que l'application d'une décote de minorité de 30 %, le non-respect du principe du contradictoire, la prise en compte de la loi Pacte dans le rapport d'expertise constituent des
erreurs grossières,
- fixer à 24428 actions ordinaires le nombre d'actions qu'elle détient,
- en tout état de cause, débouter Mme [E] [H], M. [V] [P] et la société TYREX FINANCE de toutes leurs demandes,
- condamner Mme [E] [H], M. [V] [P] et la société TYREX FINANCE à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Mme [G] fait principalement valoir que l'expert a fait une interprétation erronée du pacte d'associés et a ainsi commis une erreur grossière en déterminant le nombre de titres qui devaient lui être attribués ; qu'il a également commis d'autres erreurs grossières en appliquant une décote de minorité à hauteur de 30 %, en prenant en compte l'impact de la loi Pacte sur la valeur des titres et en ne respectant pas le principe du contradictoire, à défaut de lui avoir communiqué une partie des documents sur lesquels il a fondé son analyse ; que le rapport ne peut en conséquence servir pour déterminer le nombre et la valeur de ses titres et conduire à déclarer parfaite leur vente.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 octobre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
I - Sur la valorisation des titres faite par l'expert :
Si aux termes de l'article 1591 du code civil, le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties, l'article 1592 du code civil dispose cependant que ce prix peut être laissé à I'estimation d'un tiers et subsidiairement, d'un autre tiers, si le premier tiers ne veut ou ne peut faire l'estimation.
Le prix ainsi déterminé vaut loi entre les parties, sauf en cas d'erreur grossière, laquelle peut seule remettre en cause le résultat des opérations menées par le tiers (Cass com 6 juin 2001 n° 98-18.503).
Au cas présent, les premiers juges ont écarté le rapport de M. [N], tiers estimateur désigné par le président du tribunal de commerce de Belfort en application des stipulations du pacte d'associés en date du 23 septembre 2011, au motif que ce dernier avait commis une erreur grossière dans la détermination et la valorisation des titres de Mme [G].
Une telle appréciation est contestée en l'état par les appelants qui soulèvent que le rapport de ce tiers estimateur était au contraire exempt de toute critique tant au regard de la détermination du nombre de titres dont était détentrice Mme [G] que de la méthode d'évaluation retenue en l'absence de toute précision dans les statuts sociaux et dans le pacte d'associés.
Mme [G] fait quant à elle grief aux premiers juges d'avoir omis d'apprécier l'erreur grossière que constituent également la décote de minorité qui a été appliquée à ses titres, la prise en compte de l'impact de la loi Pacte sur la valorisation retenue et le non-respect du principe du contradictoire.
- sur le nombre de titres détenus par Mme [G] :
Pour écarter la valorisation faite par le tiers estimateur, les premiers juges ont relevé que ce dernier n'avait pas appliqué l'article III du pacte d'associé prévoyant la conversion automatique de certaines actions et qu'une telle omission constituait une erreur grossière dès lors qu'elle modifiait de manière importante le nombre de titres détenus par Mme [G] et leur valorisation, en lui attribuant 12202 titres sans droit de vote et de 6292 titres avec droit de vote alors qu'elle devait bénéficier de 5857 actions de catégorie P sans droit de vote et de 6345 actions ordinaires avec droit de vote supplémentaires.
Comme le rappellent cependant à raison les appelants, si l'article III du pacte d'associé prévoit certes une conversion des actions de catégorie P sans droit de vote en actions ordinaires avec droit de vote, à raison de 218 actions ordinaires pour 160 actions de catégorie P, il conditionne cependant une telle conversion, dès lors qu'elle intervient avant la vente par M. [D] de ses titres, à 'l'apport par Mme [G] d'un chiffre d'affaires d'un montant de 75 000 euros hors taxes avant le 31 décembre 2020" , soit 52 000 euros à la date de rupture du contrat de travail.
Or, en l'état, comme l'admet elle-même Mme [G] dans ses conclusions, cette dernière n'a réalisé au 19 février 2018 qu'un chiffre d'affaires de 27 000 euros, soit 52 % du montant qu'elle se devait de remplir au prorata temporis pour respecter la clause ci-dessus rappelée et générer la conversion automatique revendiquée.
C'est donc à tort que les premiers juges ont procédé à une conversion automatique des titres P sans droit de vote de Mme [G], sans respecter au surplus les ratios de conversion contractuellement prévus, cette dernière n'étant aucunement uninominale.
Au contraire, comme le rappellent pertinemment les appelants, Mme [G] est détentrice à la date de rupture de son contrat de travail, non pas des 24 28 actions ordinaires qu'elle revendique désormais à hauteur de cour, mais :
- de ses 12202 actions de catégorie P sans droit de vote souscrites à son arrivée dans l'entreprise
- des 3760 actions ordinaires avec droit de vote acquises au départ de Mme [O] le 25 septembre 2017,
- de 2532 actions ordinaires avec droit de vote (1 266 actions x2), cédées par Mme [H] et M. [P] par application de l'article III du pacte d'associés, en cas de 'rupture du contrat de travail de Mme [G] avant le rachat des titres de M. [D]' et à charge pour Mme [G] de ' détenir une participation au moins égale à 7,54 % du capital'.
Si Mme [G] conteste cette dernière catégorie d'actions, sollicitant au contraire l'attribution de 3798 actions, une telle revendication ne peut prospérer dès lors que l'article III ne met à la charge de chacun des actionnaires que la cession de 1266 actions, de telle sorte qu'il n'appartient aucunement à M. [P] et à Mme [H] d'acquitter la part que le pacte d'associés avait réservé à Mme [O]. La cession des 2532 actions permet par ailleurs à Mme [G] de bénéficier d'une participation à hauteur de 8,71 % du capital social, supérieure au minimum de 7,54 % garanti dans le pacte d'associés.
Si Mme [G] revendique également l'allocation de 1652 actions ordinaires en suite de la cession des titres de M. [D], elle ne démontre pas qu'une telle cession était d'ores et déjà intervenue lors de son licenciement.
En effet, si M. [D] a certes signé une promesse unilatérale de vente de ses 50000 actions à M. [P] par acte séparé en date du 1er août 2011, le pacte d'associés prévoit cependant expressément que cette vente ne pourra survenir avant le remboursement de la somme de 800 000 euros prêtée par M. [D] et versée sur le compte-courant de la société MSOFI.
Or, les stipulations contractuelles précisent que ce prêt ne peut intervenir avant le remboursement définitif du prêt principal consenti par la banque CREDIT LYONNAIS d'un montant de 2 319 750 euros, amortissables sur 10 ans, soit fin 2020 et 'au plus tard le 30 juin 2025".
Il se déduit de l'ensemble de ces développements qu'à la date de rupture de son contrat de travail, Mme [G] était détentrice de 12202 titres sans droit de vote et de 6292 titres avec droit de vote, quantum retenu par le tiers estimateur dans son rapport de valorisation des titres.
C'est donc à tort que les premiers juges ont retenu l'erreur grossière affectant la détermination du nombre d'actions de Mme [G].
- sur l'application d'une décote de minorité de 30 % sur les titres :
Au cas présent, Mme [G] fait grief aux premiers juges de ne pas avoir statué sur l'erreur grossière issue de l'application d'une décote de minorité de 30 % sur ses titres, alors même que
ni le pacte d'associés ni les statuts ne prévoient une telle décote et que lors de la vente des actions de Mme [O], aucune décote ne lui a été appliquée.
Comme le soulèvent cependant de manière pertinente les appelants, aucune méthode d'évaluation n'était prévue dans le pacte d'associés, lequel renvoyait la détermination de cette dernière au seul tiers estimateur.
Or, le tiers estimateur a exposé en pages 6 et 7 de son rapport la méthode retenue pour procéder à la valorisation de la société MSOFI et l'exercice comptable sur lequel il s'appuyait, et a appliqué une décote pour minorité de 30 %, qu'il a expliquée en précisant ' la pratique enseigne que la valeur d'un titre majoritaire est la plupart du temps bien supérieure à celle d'un titre minoritaire, d'où l'application d'une prime de minorité ( par opposition à une prime de majorité voire une prime de contrôle) - il est à noter qu'une prime de minorité est en principe acceptée par l'administration fiscale'.
Si Mme [G] conteste l'application d'une telle décote, elle ne démontre cependant pas en quoi une telle démarche menée par l'expert selon une pratique bien ancrée constituerait une appréciation gravement erronée caractérisant une erreur grossière et justifiant de voir écartée la valorisation ainsi faite de ses titres.
En effet, la cour relève que Mme [G] se trouvait bien en position d'actionnaire minoritaire au regard du nombre d'actions avec droit de vote dont elle était détentrice et qui étaient sans incidence sur le bloc de contrôle dont Mme [H] et M. [P] disposaient depuis la cession par Mme [O] de ses parts.
Mme [G] ne peut par ailleurs revendiquer l'application des mêmes conditions de vente que celles retenues pour la cession des titres de Mme [O], alors même que cette dernière, qui détenait 25 % des actions avec droit de vote de la société, cédait des titres qui représentaient un réel enjeu de pouvoir au sein de la société MSOFI et pouvait manifestement justifier, quand bien même ils demeuraient minoritaires dans leur quantum, une valorisation sans décote.
Aucune erreur grossière ne saurait en conséquence s'exciper de l'application d'une décote de minorité de 30 % , alors même que les conditions pour y recourir étaient réunies.
- sur la prise en compte de la loi Pacte :
Au cas présent, Mme [G] fait grief aux premiers juges d'avoir, à l'instar du tiers estimateur, pris en compte l'impact de la loi du 22 mai 2019, dite loi Pacte, pour procéder à la valorisation de ses
titres et d'avoir ainsi appliqué une décote de 50 % sur le chiffre d'affaires retenu pour calculer la valorisation de la clientèle de sa filiale, la société SOFIGEC AUDIT.
Pour revendiquer l'erreur grossière qu'une telle prise en compte constitue, Mme [G] soutient d'une part, que la loi a été promulguée plus de 14 mois après son licenciement, et d'autre part, que les comptes des exercices clos de la société SOFIGEC AUDIT font apparaître de manière significative l'augmentation du chiffre d'affaires réalisé postérieurement à la promulgation de la loi Pacte.
Comme le rappellent cependant de manière pertinente les appelants, en l'absence de dispositions particulières sur une méthode de fixation de prix dans les statuts sociaux ou dans le pacte d'associés, le tiers estimateur apprécie de manière souveraine les éléments à prendre en considération pour fixer la valeur des titres, laquelle doit être, en application de l'article 1869 du code civil, déterminée à la date la plus proche de celle de remboursement de la valeur de ces droits (Cass com 4 mai 2010 n° 08-20.693).
Le tiers estimateur était donc parfaitement fondé à prendre en compte les conséquences de la loi Pacte, dès lors que le remboursement des titres de Mme [G] n'était pas encore intervenu lors de la promulgation de cette dernière.
Mme [G] ne démontre pas par ailleurs l'erreur grossière qu'aurait commise le tiers estimateur en déterminant la valeur des titres en considération de cette loi.
Si l'examen de chiffres d'affaires sur les années 2018 (376 788 euros) à 2022 ( 508 676 euros) témoigne certes d'une augmentation de ce dernier, les années 2018 à 2021 inclus étaient cependant bien inférieures aux chiffres d'affaires effectués sur les années 2016 (480 493 euros) et 2017 (486 493 euros) ne témoignant pas ainsi d'une appréciation gravement erronée faite par l'expert de l'application dans le temps de la loi Pacte, les appelants justifiant au contraire avoir perdu 33 mandats sur les 44 dont ils étaient détenteurs avant la réforme.
Si l'année 2022 présente par ailleurs un chiffre d'affaire en nette progression, les appelants mettent cependant en lien ce dernier avec les missions complémentaires mais non récurrentes qu'ils se sont vu confier et en contestent tout caractère pérenne, soulevant la mauvaise santé financière de plusieurs de leurs clients. Ils justifient également, par le biais d'une directive déléguée en date du 17 octobre 2023, que des discussions sont encore en cours à la commission européenne pour relever les seuils rendant obligatoire la présence d'un commissaire aux comptes.
Enfin, la cour relève que la valorisation à hauteur de 599 582 euros de la société SOFIGEC AUDIT ne constitue que 30 % du patrimoine total de la société MSOFI, qui comprend également la société SOFIGEC , dont la valorisation à hauteur de 1 958 260 euros n'est pas contestée par Mme [G].
Aucun élément ne vient en conséquence démontrer qu'en appliquant une décote de 50 % sur le chiffre d'affaires réalisé en 2018 au regard des incertitudes certaines pesant sur la profession de commissaire aux comptes , le tiers estimateur aurait commis une erreur grossière justifiant de voir écarté son rapport.
- Sur le respect du principe du contradictoire :
Mme [G] soutient enfin que l'expert a porté atteinte aux droits de la défense en recevant la communication par la partie adverse 'de documents concernant la cession d'un site' et un 'acte de cession de clientèle correspondant' et en ne les lui communiquant pas.
Contrairement à ce qu'allègue Mme [G], si le tiers estimateur a certes demandé le 21 janvier 2019, comme relaté en page 10 de son rapport, la communication de divers documents, dont 'les documents concernant la cession d'un site' et 'l'acte de cession de clientèle correspondant', les échanges postérieurs entre les parties et la liste des pièces communiquées à l'appui de leurs dires témoignent que de telles pièces, qui présentaient manifestement un caractère confidentiel, n'ont pas été communiquées à M. [N] à l'exception du prix de cession des actions de Mme [O].
Or, Mme [G] a eu connaissance de ce prix, puisqu'elle se fonde sur ce dernier pour justifier ces demandes. Le tiers estimateur n'a par ailleurs pas tenu compte d'un tel élément pour déterminer la valeur des parts sociales.
Aucune atteinte n'a ainsi été portée au principe du contradictoire de telle sorte que l'erreur grossière invoquée de manière subséquente est infondée.
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C'est donc à tort que les premiers juges ont retenu l'erreur grossière commise par le tiers estimateur dans la détermination de la valeur des parts sociales de Mme [G] et ont renvoyé les parties à désigner un nouveau tiers estimateur.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ces chefs.
II- Sur les autres demandes :
Le rapport du tiers estimateur n'étant entaché d'aucune erreur grossière, il y a lieu de fixer les conditions de la cession des 6292 actions ordinaires et des 12202 actions P sans droit de vote de Mme [G] à hauteur de 92 300 euros, selon la valorisation fixée par M. [N].
L'acte de cession devra intervenir dans un délai de trois mois à compter de la présente décision, avec règlement de la somme de 92 300 euros par la SAS TYREX FINANCE en contrepartie de la remise par Mme [G] de l'ordre de mouvement des actions.
Les circonstances de l'espèce ne commandent pas de voir assortir cette décision d'une astreinte.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles et les dépens, fixés par les premiers juges à 109,74 euros.
Mme [G] sera condamnée aux dépens d'appel, qui comprendront 50 % des honoraires et frais du tiers évaluateur, et déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [G] sera condamnée à payer à Mme [H], M. [P] et la SAS TYREX FINANCE la somme de 1 500 euros chacun au titre de leurs frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi :
- Infirme le jugement du tribunal de commerce de Besançon en date du 9 février 2022, sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et a partagé par moitié les dépens, fixés à la somme de 109,74 euros, entre les parties ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
- Dit que le rapport de M. [N], tiers estimateur, ne comporte aucune erreur grossière affectant la valorisation des titres détenus par Mme [B] [G] dans la société MSOFI ;
- Dit en conséquence que la cession des 6 292 actions ordinaires avec droit de vote et des 12 202 actions P sans droit de vote de Mme [G] s'effectuera selon les conditions prévues au pacte d'associés du 23 septembre 2011 et moyennant un prix de 92 300 euros, selon la valorisation retenue par M. [N] ;
- Dit que l'acte de cession devra intervenir dans un délai de trois mois à compter de la présente décision, avec règlement de la somme de 92 300 euros par la SAS TYREX FINANCE en contrepartie de la remise par Mme [G] de l'ordre de mouvement des actions ;
- Dit n'y avoir lieu à assortir cette décision d'une astreinte ;
- Condamne Mme [B] [G] aux dépens d'appel, qui comprendront en outre 50 % des honoraires et frais du tiers évaluateur ;
- Et vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme [B] [G] à payer à Mme [E] [H], M. [V] [P] et la SAS TYREX FRANCE la somme de 1 500 euros chacun et la déboute de sa demande présentée sur le même fondement.