CA Versailles, 6e ch., 7 juillet 2022, n° 19/03858
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Pandrol (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vendryes
Conseillers :
Mme De Larminat, Mme Gautron-Audic
Avocats :
Me Lichtlen, Me Gaillard
Le groupe Delachaux est spécialisé dans l'ingénierie et les solutions industrielles. Il emploie près de 3 800 salariés répartis sur 90 sites dans le monde.
La société Railtech International, devenue en 2018 société Pandrol, dont le siège social est situé à [Localité 5] dans le département du Nord, fait partie de la division infrastructures ferroviaires du groupe Delachaux. Cette division est spécialisée dans la fourniture de systèmes et de composants dédiés à la voie et est présente dans plus de 40 pays à travers une soixantaine de filiales qui emploient 1 700 salariés.
M. [M] [J], né le 30 octobre 1964, a été engagé par la société Railtech International le 17 septembre 1992, selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de responsable export Maghreb et Moyen-Orient.
A compter du 1er avril 1997, M. [J] a été détaché, en tant qu'expatrié, auprès de la société Railtech Calomex, filiale mexicaine de Railtech International, en qualité de directeur chargé du développement commercial et industriel. Lui était notamment confiée la mission d'assurer, pour le Mexique et les pays d'Amérique du Sud, les négociations de contrats pour Railtech Calomex mais également pour le compte de Railtech International.
Après un entretien préalable qui s'est déroulé le 3 mai 2017, M. [J] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave par la société Pandrol, par courrier du 18 mai 2017, motifs pris :
- autorisation et signature de chèques correspondant à des prestations de services non-effectuées,
- conclusion d'un contrat de bail avec une société liée à M. [J] créant une situation manifeste de conflit d'intérêts,
- remboursement abusif de dépenses personnelles,
- utilisation du PTU (dispositif de participation des salariés en vigueur au Mexique) non conforme à la loi,
- utilisation du personnel et des locaux de Railtech Calomex à des fins personnelles,
- mode de communication et attitude à l'égard de ses subordonnés intolérables au regard des valeurs d'intégrité et de respect auxquelles la société et le groupe sont profondément attachés,
- atteinte à l'image de la société Railtech International et du groupe en son ensemble rendant impossible son maintien au sein de la société française.
Dans le même temps, M. [J] s'est vu notifier la rupture de son contrat de travail local, qu'il a contestée devant les juridictions mexicaines.
M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre en contestation de son licenciement, par requête reçue au greffe le 21 septembre 2017.
La décision contestée
Par jugement contradictoire rendu le 26 septembre 2019, la section encadrement du conseil de prud'hommes de Nanterre a :
- dit le licenciement pour faute grave de M. [J] justifié,
- l'a débouté de ses demandes de licenciement sans motif réel et sérieux, de préavis, d'indemnité de congés payes sur préavis, d'indemnité conventionnelle de licenciement et d'indemnité pour licenciement sans motif réel et sérieux comme étant non fondées,
- l'a débouté de l'intégralité des demandes pour le surplus comme étant non fondées,
- débouté la société Railtech International devenue Pandrol de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [J] aux dépens.
M. [J] avait demandé au conseil de prud'hommes de :
- se voir remettre ses feuilles de paie relatives à sa rémunération au sein de Railtech International,
- ordonner la communication des éléments permettant le calcul de l'intéressement et de la participation de 1997 à 2001,
- condamner la société Railtech International devenue Pandrol à lui payer l'intéressement collectif et la participation légale par provision pour 268 869 euros,
- constater l'absence de faute et dire que le licenciement intervenu est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Railtech International devenue Pandrol à lui payer les sommes suivantes :
. préavis : 122 933,82 euros,
. congés payés sur préavis : 12 293,38 euros,
. indemnité conventionnelle de licenciement : 196 196,76 euros,
. indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 532 713,22 euros,
. au titre des faits de 'tortures' constitutives de harcèlement moral résultant des particuliers mauvais traitements subis au titre de dommages-intérêts distincts : 500 000 euros,
- article 700 du code de procédure civile : 12 500 euros,
- exécution provisoire sur la totalité du jugement à intervenir,
- dépens.
La société Railtech International avait, quant à elle, conclu au débouté du salarié et avait sollicité sa condamnation à lui verser une somme de 7 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La procédure d'appel
M. [J] a interjeté appel du jugement par déclaration du 22 octobre 2019 enregistrée sous le numéro de procédure 19/03858.
Prétentions de M. [J], appelant
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 19 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [J] conclut à l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris et demande à la cour d'appel, statuant de nouveau, de :
- dire que les fautes reprochées au salarié dans la lettre de licenciement sont prescrites,
à titre subsidiaire,
- constater l'absence de faute et dire que le licenciement intervenu est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- dire que les sommes sollicitées au titre de l'intéressement et de la participation ne sont pas prescrites,
- ordonner la communication des éléments permettant le calcul de l'intéressement et de la participation de 1997 à 2001 sous astreinte de 150 euros par jour à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- ordonner la remise des bulletins de paie de M. [J] relatifs à sa rémunération au sein de Railtech International sous astreinte de 150 euros par jour à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- ordonner la remise du plan épargne entreprise de M. [J] sous astreinte de 150 euros par jour à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
en conséquence,
- condamner Railtech International à la somme de 122 933,82 euros au titre du préavis prévu par la convention collective applicable assortie des intérêts légaux,
- condamner Railtech International à la somme de 12 293,38 euros au titre des congés payés sur préavis,
- condamner Railtech International à la somme de 196 196,76 euros au titre des indemnités conventionnelles de licenciement,
- condamner Railtech International à la somme de 532 713,22 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Railtech International à la somme de 500 000 euros au titre du préjudice distinct résultant des circonstances vexatoires et particulièrement dommageables subies,
- condamner Railtech International à la somme de 205 199,06 euros au titre de la participation et 40 817 euros au titre de l'intéressement (soit au total 246 016,06 euros) pour les années 2011 à 2016.
L'appelant sollicite en outre la remise des documents sociaux conformes et une somme de 12 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Prétentions de la société Pandrol, intimée
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 1er mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Pandrol conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris et demande donc à la cour d'appel de :
- dire et juger que le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de M. [J] est parfaitement justifié,
- dire et juger que l'intégralité des demandes de M. [J] sont infondées.
Elle sollicite une somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue le 9 mars 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 7 avril 2022.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur le licenciement pour faute grave
L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.
La faute grave se définit comme la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Il appartient à l'employeur qui entend se prévaloir d'une faute grave du salarié d'en apporter seul la preuve. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Par courrier du 18 mai 2017, la société Railtech International a notifié à M. [J] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :
" Pour mémoire, vous avez été embauché par Railtech International le 17 septembre 1992 en qualité de responsable export Maghreb et Moyen-Orient.
À compter du 1er avril 1997, vous avez été détaché auprès de Railtech Calomex en qualité de Directeur, chargé en particulier du développement commercial et industriel de notre filiale mexicaine.
Dans le cadre de vos attributions concernant le développement commercial, vous deviez notamment assurer, pour le Mexique et les pays d'Amérique du Sud, les négociations de contrats pour Railtech Calomex mais également pour le compte de Railtech International.
Par ailleurs, en votre qualité de Directeur de la filiale mexicaine, et en tant que gérant de cette société, il vous avait été demandé d'assurer, d'une manière générale, le bon fonctionnement de l'établissement, tant du point de vue technique que du point de vue production mais aussi de vous conformer à la réglementation en vigueur et aux politiques du groupe.
Vous aviez donc la pleine responsabilité de la gestion du personnel de Railtech Calomex ainsi que de la gestion financière courante et disposiez, pour ce faire, d'une grande autonomie compte tenu de votre éloignement géographique, de votre statut et des responsabilités qui vous avaient été confiées. Vous étiez, en particulier, le seul salarié à pouvoir administrer les biens et les comptes bancaires de notre filiale et à pouvoir émettre et signer des chèques. Il était toutefois contractuellement prévu que vous demeuriez sous l'autorité du Président Directeur Général de Railtech International.
En raison de votre position hiérarchique au sein de l'organisation, il était en outre attendu de votre part un comportement exemplaire et loyal dans l'exercice des responsabilités qui vous étaient confiées.
Cette attente était d'autant plus renforcée qu'au cours des dernières années le groupe Delachaux a placé l'éthique et la Compliance au c'ur de ses préoccupations.
Un nouveau Président Directeur Général du groupe Delachaux, également Président de Railtech International a ainsi été nommé fin 2013. Ce dernier a pris une série de mesures visant à promouvoir l'exemplarité de l'ensemble des salariés et des managers en particulier (mise en place d'une fonction d'audit interne, rédaction d'un code éthique, de procédures et politiques applicables à l'ensemble des entités du groupe, nomination d'un nouveau DRH groupe fin 2015 et d'un nouveau Directeur Financier groupe également en charge des questions juridiques et de l'audit en juin 2016 ...), lesquelles ont conduit à un renforcement des contrôles internes.
C'est dans ce contexte qu'à l'instar de tous les managers principaux, vous avez notamment signé un engagement de « Limit of Authority », fixant le cadre de votre intervention et que la nécessité de vous conformer aux politiques du groupe vous a été rappelée à plusieurs reprises.
Or, il est apparu que loin d'adopter un comportement irréprochable et de vous conformer à l'ensemble des politiques du groupe vous avez, bien au contraire, abusé de la confiance et de l'autonomie qui vous avaient été accordées.
Le Cabinet BDO initialement en charge de l'expertise comptable de notre filiale Railtech Calomex s'est ainsi interrogé fin novembre 2016 sur certaines anomalies de gestion pouvant vous être imputées et s'en est ouvert auprès de votre hiérarchie.
Ces suspicions d'irrégularité ont conduit le groupe à demander à un Cabinet d'expertise comptable d'approfondir les vérifications (incohérences dans le versement de la participation revenant aux salariés de la filiale, utilisation des cartes bancaires, paiement de votre rémunération via la facturation de sociétés tierces) et d'investiguer sur la gestion générale de la filiale.
Parallèlement à cet audit financier, une enquête impliquant des conseils externes a été diligentée afin de faire toute la lumière sur la réalité, la nature et l'ampleur des anomalies constatées (expertise informatique, entretiens avec les salariés de la filiale, analyse de la qualification de vos agissements du point de vue du droit pénal mexicain ...).
Le rapport d'audit rédigé par le cabinet d'expertise comptable externe remis le 14 mars 2017 aux actionnaires de Railtech Calomex et qui nous a été communiqué dans la foulée a confirmé qu'il existait de très nombreuses et graves anomalies dans la gestion de notre filiale ayant trait, en particulier, à des pratiques de gestion inacceptables, à votre absence manifeste de probité et à la confusion que vous avez délibérément entretenue entre vos intérêts personnels et ceux de Railtech Calomex.
La gravité de ces faits a conduit à votre licenciement par Railtech Calomex le 16 mars 2017.
Compte tenu de la gravité de vos agissements illustrés par les faits suivants, ces derniers ne nous permettent naturellement pas d'envisager votre reclassement au sein de notre Société et nous contraignent à vous licencier pour faute grave :
Autorisation et signature de chèques correspondant à des prestations de services non effectuées
L'audit a révélé que vous avez autorisé et signé des chèques correspondant à des prestations de services en faveur de trois sociétés (Grupo Ravicsah, Servicios Ottens, Servicios y Asesorias Orenid) pour un montant total de 2 786 553,05 pesos mexicains, soit environ 140 000 euros en 2016.
Or, ni la société Railtech Calomex ni Railtech International n'avaient connaissance de l'existence d'une collaboration quelconque avec l'une de ces sociétés ou de l'utilité de faire appel à leurs services.
Vous avez d'ailleurs été incapable de justifier de la signature d'un contrat entre Railtech Calomex et ces sociétés et de la réalité des prestations de services administratives, commerciales ou financières qui auraient été rendues par ces sociétés à Railtech Calomex et qui correspondraient aux factures émises et payées à ces sociétés avec l'argent de notre filiale.
Lors de l'entretien préalable, vous avez confirmé que ces sociétés n'avaient effectué aucune prestation pour le compte de Railtech Calomex et que les factures émises par ces dernières correspondaient en réalité à des « arrangements » vous permettant de percevoir une partie de votre rémunération.
L'audit externe a également révélé que vous aviez signé au nom de Railtech Calomex un contrat de bail d'une durée de cinq ans avec la société Desarrolos Piedra y Vivienda dont le représentant légal n'est autre que [X] [P] [I] [N], votre épouse, et dont vous êtes de surcroît l'actionnaire majoritaire.
Vous avez par la suite autorisé et procédé au paiement par chèque des loyers correspondants à la location de ces biens immobiliers au titre de bureaux et entrepôts avec des fonds appartenant à Railtech Calomex.
Il est apparu que ces locations n'étaient d'aucune utilité à la filiale dont vous aviez la gestion puisque le bien situé [Adresse 4] n'a jamais été utilisé par Railtech Calomex, ni comme bureau, ni comme entrepôt ; l'immeuble mentionné dans le contrat de location conclu avec la société gérée par votre épouse correspond à un immeuble d'appartements (les factures d'électricité que vous avez également fait prendre en charge par notre filiale sans autorisation démontrent que vous habitez l'un des appartements de cet immeuble) et n'a donc, de la même manière, jamais été utilisé par Railtech Calomex. Vous nous avez confirmé lors de l'entretien préalable que ce dernier bien correspondait à la location de votre logement pour lequel vous bénéficiez d'une indemnité contractuelle. Vous vous êtes donc mis volontairement dans une position de conflit d'intérêt et avez de surcroît masqué la nature exacte des biens loués pour des raisons inexpliquées. Par contre, cette situation n'a pas échappé aux autorités fiscales mexicaines.
En effet, deux audits fiscaux sont en cours et il nous a été indiqué que les autorités mexicaines avaient elles-mêmes souligné lors de leur contrôle qu'aucun service correspondant à ces paiements n'avait manifestement été rendu à Railtech Calomex par les sociétés précitées ; ce qui est bien entendu particulièrement problématique puisque cela a diminué d'autant le résultat fiscal imposable de notre filiale. Notre filiale risque donc d'être contrainte de réintégrer dans son résultat fiscal ces montants considérés par l'administration fiscale comme injustifiés et donc non déductibles, ce qui aura naturellement des répercussions sur ses résultats et par conséquent ceux de Railtech International. La même observation vaut pour les loyers correspondant à des bâtiments non utilisés par Railtech Calomex que vous avez fait prendre en charge indûment par notre filiale.
Vous avez reconnu les faits et nous avez indiqué, pour toute justification, avoir agi de la sorte et procédé à ces « montages financiers » pour servir non seulement vos intérêts économiques mais également, selon vous, ceux de Railtech Calomex et de Railtech International. Vous nous avez par ailleurs précisé savoir « gérer et man'uvrer » la situation en cas de contrôle fiscal et avez souligné, pour tenter de nous convaincre, n'avoir subi aucun redressement fiscal depuis votre arrivée en poste au Mexique ! Nous vous avons rappelé la volonté impérative de la Direction en place d'avoir des pratiques conformes à la législation partout où nous opérons.
De telles explications, contraires à la plus élémentaire probité, aux pratiques et aux valeurs du groupe, sont bien entendues inacceptables.
Remboursement abusif de dépenses personnelles
Vous utilisiez, dans le cadre de vos fonctions de directeur de la filiale, quatre cartes de crédit ouvertes à votre nom.
Nous vous avions plusieurs fois alerté sur la nécessité de mettre un terme sans délai à des pratiques inacceptables en matière de confusion dans le paiement de vos dépenses privées et de celles effectuées à titre professionnel.
Or, le récent rapport d'audit a révélé que vous persistiez à donner instruction de faire payer chaque mois par Railtech Calomex, l'intégralité des dépenses effectuées à partir de ces cartes, sans distinction de vos dépenses effectuées à titre personnel ou professionnel.
Cette pratique consistant à faire financer par la société vos dépenses personnelles est bien évidemment contraire aux règles édictées par notre groupe dans la mesure où nous ne sommes ni un organisme de crédit bancaire, ni ne nous vous avons jamais autorisé à vous accorder des avances sur salaire.
D'autant que vous avez tenu votre responsable hiérarchique dans l'ignorance : au moment où vous lui donniez à approuver vos dépenses professionnelles par l'intermédiaire des notes de frais, il pensait en approuver le remboursement. Or celui-ci avait déjà été effectué.
De plus, ce fonctionnement « inversé » que vous avez instauré, par lequel vous faites payer par l'entreprise indistinctement toutes les dépenses que vous effectuez sur les quatre cartes de crédit et décidez ensuite unilatéralement du moment et de la forme par laquelle vous remboursez éventuellement l'entreprise de vos dépenses privées, crée une grande confusion dans le suivi et le contrôle de la procédure. Les choses sont si compliquées que les auditeurs eux-mêmes ont eu les plus grandes difficultés à comprendre le « montage » que vous avez mis en place et à démêler la situation.
Pour toute justification, vous nous avez indiqué lors de l'entretien préalable que vous remboursiez à Railtech Calomex vos dépenses personnelles « tous les trois ou quatre mois ». Vous nous avez également assuré que la répartition de vos dépenses et leur remboursement étaient vérifiées par plusieurs salariés de la filiale.
Ces explications ne sont, une fois de plus, pas admissibles !
Outre qu'elles démontrent votre manque flagrant de probité et d'exemplarité il est bien évident que nous ne pouvons accepter de n'avoir aucun moyen de contrôle sur les remboursements de vos dépenses personnelles.
Il est notamment apparu lors de l'audit mené avec l'assistance du cabinet EY, que le montant des frais personnels non encore remboursés par vous-même à la société à ce moment-là s'élevait à plus de vingt-trois mille euros.
Par ailleurs, le fait que des salariés de la filiale « vérifient » selon vos dires vos remboursements ne permet bien évidemment pas de minimiser la gravité de vos agissements. Ces personnes sont en effet placées sous votre autorité hiérarchique et n'ont pas l'indépendance ou l'autorité leur permettant de contester votre appréciation ' et, de plus, le soit-disant « contrôle » que vous leur demandez d'effectuer du fait de ce système obscur, les détourne de leur activité au service de l'entreprise.
Utilisation du PTU (système de participation des salariés)
L'audit a révélé qu'il y avait des anomalies majeures entre le montant de la participation revenant à certains salariés et les montants leur ayant été effectivement versés.
Ainsi, alors que Monsieur [K] [D] [C] a reçu un bulletin mentionnant qu'il percevait un montant de 175 746,04 pesos mexicains, il a en réalité perçu 205 746,04 pesos mexicains.
D'autre part, Monsieur [V] [H] aurait dû percevoir 185 021,66 pesos mexicains selon le document émis par la filiale et signé par lui. Or, il a en réalité perçu uniquement 155 021,67 pesos mexicains.
Enfin et plus grave, il apparaît que, suite à un ajustement du montant de la PTU au titre de l'exercice 2015, vous avez indûment autorisé et signé trois chèques pour un montant de 27 849,60 pesos mexicains chacun à l'ordre de Monsieur [K] [D] [C]; alors même qu'il n'avait pas droit à cette somme qui aurait dû revenir en particulier à trois ex-salariés de Railtech Calomex.
À la suite de l'alerte émise par le cabinet d'expertise comptable mexicain BDO concernant ces anomalies de gestion dans la distribution du PTU, vous avez décidé de mettre unilatéralement un terme à sa mission.
Cette soudaine résiliation, prise alors que les prestations de ce cabinet donnaient entière satisfaction au groupe, outre qu'elle est contraire à la procédure prévue au sein du groupe que vous vous étiez engagé à suivre (« Limit of authority » signée le 8 octobre 2015) confirme encore davantage votre responsabilité dans les anomalies de gestion qui ont été relevées et dont la responsabilité vous est imputée.
Utilisation du personnel et des locaux de Railtech Calomex à des fins personnelles
L'audit a également révélé que vous n'hésitiez pas à solliciter certains membres du personnel de Railtech Calomex, notamment le comptable, M. [V] [H], pour qu'il réalise, sur une partie importante de son temps de travail et en étant rémunéré pat notre filiale, la comptabilité des sociétés (société immobilière, société de prêts sur gage, école de langue, etc.) que vous détenez par ailleurs. Les dossiers informatiques correspondants sont présents sur son ordinateur de bureau et le démontrent.
Il est également apparu que vous utilisez les locaux de notre filiale à des fins personnelles.
Ainsi, l'une de vos sociétés réalise des prêts sur gage. Or nous avons eu la stupeur d'apprendre que des objets et du matériel déposés par vos clients (voiture, moto, ordinateurs, mobilier, etc.) contre obtention d'un prêt étaient stockés dans les entrepôts de Railtech Calomex.
L'enquête a également révélé que vous aviez pris la liberté de faire domicilier sans même solliciter notre accord préalable, l'école de langues dont vous êtes actionnaire au siège de Railtech Calomex.
Ces pratiques sont bien évidemment inacceptables.
Parallèlement à l'audit comptable qui a été mené, six salariés de Railtech Calomex ont été interrogés le 16 mars 2017, et ont, en sus de confirmer les conclusions de l'audit, révélé des faits additionnels particulièrement graves.
Il en ressort que votre management, votre mode de communication et votre attitude à l'égard de vos subordonnés ne sont pas tolérables au regard des valeurs d'intégrité et de respect auxquelles notre société et le groupe sont profondément attachés.
Les échanges avec les salariés de Railtech Calomex ont en effet permis d'établir que vous utilisez votre autorité de manière inappropriée. Plusieurs salariés ont ainsi évoqué le fait qu'ils vous craignaient et avaient peur de votre réaction s'ils émettaient la moindre objection ou remarque. Plusieurs salariés ont mentionné le fait que vous criiez sur eux, il a même été question que vous ayez frappé un salarié.
Enfin, les salariés interrogés ont, d'une manière générale, fait état de votre comportement irrespectueux et humiliant à leur égard.
Le comportement qui a été le vôtre au sein de Railtech Calomex est contraire à la plus élémentaire probité, parfaitement répréhensible et porte non seulement atteinte au fonctionnement et aux finances de la filiale mais encore à l'image et au patrimoine de notre société et du groupe en son ensemble.
Il apparaît d'ailleurs en totale contradiction avec le code éthique du groupe (respect des personnes, non-violence, utilisation des ressources du groupe, conflit d'intérêts, etc.).
Votre comportement inadmissible ne nous permet donc pas d'envisager vote reclassement dans notre société.
Nous pouvons d'autant moins vous proposer d'occuper un nouveau poste que votre comportement menaçant, générateur de stress et de tensions permanentes pour les collaborateurs risque en sus de porter atteinte à l'obligation de résultat en matière de santé et de sécurité dont nous sommes débiteurs envers nos salariés. Ces derniers ne comprendraient d'ailleurs pas qu'un de leurs homologues ayant commis de tels manquements puisse continuer à faire partie de nos effectifs."
Aux termes de cette lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, plusieurs griefs sont reprochés à M. [J] :
- autorisation et signature de chèques correspondant à des prestations de services non effectuées,
- conclusion d'un contrat de bail avec une société liée à M. [J] créant une situation manifeste de conflit d'intérêts,
- remboursement abusif de dépenses personnelles,
- utilisation du PTU (dispositif de participation des salariés en vigueur au Mexique) non conforme à la loi,
- utilisation du personnel et des locaux de Railtech Calomex à des fins personnelles,
- mode de communication et attitude à l'égard de ses subordonnés intolérables au regard des valeurs d'intégrité et de respect auxquelles la société et le groupe sont profondément attachés,
- atteinte à l'image de la société Railtech International et du groupe en son ensemble rendant impossible son maintien au sein de la société française.
Le salarié soulève la prescription de ces griefs et en conteste le bien-fondé.
S'agissant de l'autorisation et de la signature de chèques correspondant à des prestations de services non effectuées
Concernant la prescription du grief
M. [J] soutient, de façon générale concernant tous les griefs, que la société Pandrol ne peut prétendre n'avoir rien vu puisqu'elle était en charge du contrôle comptable de la filiale.
L'article L. 1332-4 du code du travail dispose : « Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ».
Le délai de prescription de deux mois court à compter du moment où l'employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits.
Ce délai est par ailleurs suspendu en cas de persistance ou de réitération du comportement fautif du salarié.
La société Pandrol justifie qu'elle a reçu, le 23 novembre 2016, une alerte du cabinet d'expertise comptable BDO Mexico, chargé de la tenue de la comptabilité de la société Railtech Calomex depuis plusieurs années, l'informant de l'existence de certaines irrégularités financières, comptables et de gestion au sein de la filiale mexicaine en ces termes : « Cher M. [R], je m'appelle [O] [H] [Y] et l'on m'a désigné comme associé en charge des services comptabilité (tenue des comptes et déclaration), de paie et de conformité à la législation fiscale au sein de BDO, engagé par Railtech Calomex depuis mai 2015. Je vous contacte (') afin de faire une communication importante d'informations sensibles que, selon nous, vous auriez intérêt à connaître et confirmer. Nous avons remarqué que l'intéressement légal des employés au titre de l'exercice 2015 n'a toujours pas été versé aux employés encore présents au cours de l'exercice 2016 (') S'agissant d'une question distincte à présent : nous devons vous informer que les montants retirés de la société par M. [M] [J], décrits comme des « avances sur frais de déplacement à justifier » et les paiements que l'équipe chargée des services financiers était tenue de réaliser afin de payer ses propres cartes de crédit personnelles sont vraiment considérables. Il nous a indiqué que tous les frais sont en réalité liés à la représentation et qu'ils finiront par être correctement justifiés par les reçus concernés et/ou par des preuves pertinentes. En réalité, le solde ne cesse d'augmenter bien plus rapidement qu'il ne peut actuellement le justifier. Nous considérons qu'il s'agit là d'un détournement de l'argent de la société (') Honnêtement, nous ne souhaitons déclencher aucune représailles et continuons à appliquer notre contrat de prestation de services de bonne foi, en espérant que vous continuerez à nous témoigner votre confiance qui nous est précieuse. » (pièce 17 de l'employeur avec traduction).
La société Pandrol explique que cette alerte ne concernait toutefois qu'une partie des irrégularités qui ont finalement justifié le licenciement de M. [J], à savoir, le remboursement abusif de dépenses personnelles et l'utilisation non conforme du PTU, qu'elle n'était de surcroît étayée par aucun élément probant, qu'elle a donc considéré qu'elle nécessitait d'être confirmée par une analyse comptable approfondie.
Elle indique, sans être démentie par le salarié, qu'aucun rapport d'expertise n'a été établi par le cabinet BDO, qui s'est limité à alerter la société-mère de l'existence de certaines irrégularités comptables au sein de sa filiale mexicaine.
La société Pandrol indique qu'elle a confié une première mission au cabinet d'audit EY (Ernst & Young), qui au mois de janvier 2017 a fait part au groupe d'un certain nombre d'observations préliminaires en ces termes : « Delachaux a engagé le cabinet EY afin qu'il mène une enquête dans sa filiale mexicaine dénommée Railtech Calomex. Cette enquête impliquait trois allégations liées à un détournement d'argent, les deux premières ont été soumises par M. [O] [H] [Y], associé au sein de BDO, le 23 novembre 2016, et la dernière a été soumise lors d'un entretien entre EY et M. [A] le 12 décembre 2016.
L'intéressement légal non versé aux bénéficiaires pouvant y prétendre (')
La carte de crédit personnelle de M. [M] [J] [G], le directeur général de Railtech Calomex, est payée par celle-ci (')
Le salaire de M. [M] [J] [G] est versé par le biais de sociétés externes (')
Autres remarques relevées
1. Paiement en faveur d'un notaire chargé d'établir les deux sociétés dont M. [J] semble être actionnaire
2. Paiements réalisés en faveur d'une société qui serait détenue par l'épouse de M. [J]
3. Différences constatées dans le paiement de l'interagissement légal
4. deux chèques non justifiés par des documents
Remarques concernant le contrôle interne
Outre les remarques décrites dans le présent document, EY a identifié d'autres défaillances dans le contrôle interne, notamment :
1. L'absence de contrats signés avec des tiers.
2. L'absence de contrats signés avec les employés de Railtech Calomex et M. [J] (...)
3. Il n'existe aucune preuve des services exécutés par certains fournisseurs.
4. La société n'a établi aucun processus de sélection des fournisseurs.
5. EY n'a identifié aucun bon de commande lié aux services professionnels.
6. Absence de politique RH.
7. Absence de politiques en matière de déplacement et de divertissement contenant des directives et seuils.
La société Pandrol indique que ces observations préliminaires se sont révélées particulièrement alarmantes, de telle sorte qu'il lui est apparu indispensable d'approfondir les premières investigations réalisées aux fins d'une part d'obtenir une vision exacte et complète de la situation financière et comptable de la filiale mexicaine et d'autre part, de confirmer l'imputabilité des irrégularités comptables et financières pressenties.
Le groupe Delachaux indique avoir alors décidé de confier la poursuite de ces investigations au cabinet d'audit comptable de Mme [E] [S] [U], présentant l'avantage de pouvoir établir un rapport susceptible de faire foi devant la justice mexicaine dans le cadre d'une éventuelle procédure pénale et, en parallèle, de faire procéder à une analyse informatique de trois disques durs de la filiale mexicaine.
C'est en définitive le 14 mars 2017 que Mme [E] [S] [U] a communiqué au groupe Delachaux un rapport d'expertise comptable initial, mettant au jour, de manière circonstanciée et dûment étayé selon l'employeur, les différentes irrégularités financières et comptables intervenues au sein de la filiale mexicaine, étant précisé que certaines irrégularités pressenties par EY se sont finalement révélées erronées et ont été abandonnées, comme des frais liés à des cadeaux autorisés par le groupe validés en définitive comme frais professionnels et non personnels ou les honoraires de notaire.
Au regard de ces éléments, il y a lieu de fixer au 14 mars 2017, date du dépôt du rapport de Mme [E] [S] [U], la date à laquelle l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits.
Les poursuites disciplinaires, engagées par l'envoi de la lettre de convocation à entretien préalable le 21 mars 2017 (pièce 4 de la société), ont donc été initiées moins de deux mois après la connaissance des faits par l'employeur.
M. [J] prétend toutefois que la prescription serait acquise au motif que M. [K] [D], ancien responsable administratif et financier de la société Railtech Calomex, aurait été parfaitement informé des malversations financières et comptables qui lui sont reprochées.
Ce moyen est cependant inopérant puisque la connaissance des faits fautifs par un des subordonnés du salarié fautif est indifférente, faute pour ce dernier de pouvoir utilement mettre en 'uvre le pouvoir disciplinaire.
M. [J] prétend encore que le groupe aurait préparé son licenciement dès 2016 en engageant M. [Z] [B] [F] [L] comme nouveau responsable administratif et financier de la filiale mexicaine. La société Pandrol produit toutefois des courriels (ses pièces 71 et 81) démontrant que M. [J] a participé activement au recrutement de cette personne, ce qui contredit son allégation.
M. [J] prétend également que son licenciement aurait été décidé avant le dépôt du rapport de Mme [E] [S] [U] puisqu'un pouvoir aurait été donné en ce sens le 9 mars 2017 en vue de la révocation de ses mandats sociaux. La société Pandrol, sans démentir ce fait, fait cependant utilement valoir que c'est à l'aune des échanges informels avec Mme [E] [S] [U], laquelle finalisait son rapport, qu'elle a transmis quelques jours plus tard un pouvoir en vue de la révocation des mandats sociaux de l'intéressé. Elle souligne à juste titre qu'au regard des informations disponibles à cette date, et quelle que soit l'étendue des malversations réalisées, M. [J] ne pouvait plus occuper des fonctions de mandataire social au sein du groupe Delachaux, sans que cela ne préjuge de la poursuite de son contrat de travail.
Le grief, tenant à l'autorisation et la signature de chèques correspondant à des prestations de services non effectuées, n'est donc pas prescrit.
Concernant la réalité du grief
L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.
La faute grave se définit comme la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Il appartient à l'employeur qui entend se prévaloir d'une faute grave du salarié d'en apporter seul la preuve. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La société Pandrol reproche à M. [J] d'avoir signé des chèques en faveur de trois sociétés, relatifs à des prestations de services administratifs non réalisées.
Elle explicite qu'une partie de la rémunération de M. [J] était versée par la société française Railtech International sous forme de primes d'expatriation mais que l'autre partie devait être versée par la société Railtech Calomex et qu'il était naturellement de la responsabilité de M. [J] de s'assurer, en tant que dirigeant de cette filiale, que son versement s'opère selon des modalités conformes à la législation mexicaine.
La lettre de détachement du 21 février 1997 (pièce 2 de l'employeur) prévoyait en effet une rémunération fixée de la manière suivante : « Vos appointements mensuels de référence sont de 32 500 francs bruts, soit 390 000 francs par an, votre salaire vous étant versé sur 12 mois (la prime de 13ème mois étant intégrée dans ce salaire).
Vos appointements vous seront versés de la manière suivante :
- 150 000 francs par an, soit une somme forfaitaire mensuelle directe de 12 500 francs (sur 12 mois) versée au Mexique par Railtech Calomex,
- 240 000 francs par an, soit une somme de 20 000 francs par mois (sur 12 mois) qui vous sera versée en France par Railtech International ».
La société Pandrol explique avoir découvert qu'au lieu de se verser directement la totalité de cette rémunération sous forme de salaires, M. [J] avait mis en place un système frauduleux de fausses facturations lui permettant d'en percevoir la plus grande partie, via des sociétés écrans, pour ne recevoir qu'une somme dérisoire à titre de salaire, probablement pour bénéficier à moindre frais d'une couverture sociale au Mexique.
Le rapport comptable initial fait ainsi état de six factures, d'un montant total de 140 000 euros, émises par trois sociétés, lesquelles ont été réglées par chèques signés par M. [J], sans qu'elles ne correspondent à de réelles prestations dont la société Railtech Calomex aurait bénéficié (pièce 20 de la société).
La société Pandrol souligne au demeurant que les autorités fiscales mexicaines ont fait, en 2018, le même constat sur les exercices 2010 à 2012, ce qui les a conduites à redresser la filiale mexicaine, notamment de ce chef, pour un montant total de plus de 2,3 millions d'euros.
Ainsi, le grief reproché à M. [J], tenant au fait que le salarié a permis le règlement par la société Railtech Calomex qu'il dirigeait, plusieurs factures qui ne correspondaient à aucune prestation réelle et qu'il a utilisé ce système de facturation fictive pour dissimuler une grande partie de sa rémunération, est matériellement établi.
Eu égard à la nature des fonctions de M. [J] et à son niveau de responsabilité au sein de la filiale mexicaine, ce seul fait constitue un manquement grave à ses obligations de loyauté, de probité, de rigueur financière et de respect des procédures internes, d'une importance telle qu'il rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Le licenciement prononcé par la société Pandrol à l'égard de M. [J] est donc fondé sur une faute grave.
Il s'ensuit le rejet des demandes subséquentes du salarié, par confirmation du jugement entrepris, sans qu'il n'y ait lieu d'examiner les autres griefs présentés à l'appui du licenciement, ni donc la prescription soulevée.
Sur les conditions vexatoires du licenciement
M. [J] sollicite l'allocation d'une somme de 500 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement et traitements particuliers. Il soutient que le licenciement a été prononcé dans des conditions plus que vexatoires, que les circonstances de l'espèce vont largement au-delà de l'imaginable.
La société Pandrol nie être à l'origine de l'arrestation de M. [J] par les autorités policières mexicaines.
Il est constant qu'un licenciement pour autant fondé peut néanmoins ouvrir droit à une indemnisation au profit du salarié du fait des circonstances brutales et vexatoires ayant accompagné ce licenciement, à la condition de justifier d'une faute de l'employeur dans les circonstances entourant le licenciement.
M. [J] prétend que Railtech International, au courant de son retour imminent en France avec ses enfants, puisqu'il avait fait valoir son droit au retour auprès du service RH, a sollicité son maintien en détention au Mexique auprès des autorités mexicaines au motif que, selon Railtech, il aurait souhaité quitter le Mexique pour se soustraire à la justice. Il prétend encore que Railtech a demandé par écrit sa mise en détention, ainsi que cela résulte, selon lui, de ses pièces 20, 21 et 76.
Il prétend encore que c'est bien Railtech qui a fait en sorte qu'il soit arrêté par un agent fédéral lors du passage à la frontière et ce devant ses filles et amies de ses filles, puis mis en détention provisoire et ce, également sans autorisation d'un juge. Il considère tout à fait inouï qu'une grande société française use de tels moyens dans un pays où de tels procédés sont manifestement possibles.
Toutefois, il ne se déduit pas des pièces versées aux débats un lien entre les faits dénoncés et la relation salariale.
Par ailleurs, il n'est pas démontré de faute imputable à l'employeur
Au demeurant, la prétention de la société Pandrol, qui soutient que cette demande de dommages-intérêts échappe à la compétence prud'homale, sans cependant reprendre une telle demande dans le dispositif de ses conclusions, au motif qu'elle doit s'analyser en une action en responsabilité formée contre un ancien employeur à raison de faits commis postérieurement à la cessation du contrat de travail, sera écartée, cette demande devant s'analyser, au regard des arguments présentés par le salarié, en une demande tendant à l'octroi de dommages-intérêts pour circonstances vexatoires entourant le licenciement, relevant donc de la compétence de la juridiction prud'homale.
M. [J] sera débouté de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.
Sur l'épargne salariale
M. [J] prétend être bénéficiaire d'un droit à participation et à intéressement pour l'ensemble de sa période de travail en tant qu'expatrié.
Il demande en conséquence la condamnation de Railtech International à lui payer la somme de 205 199,06 euros au titre de la participation et celle de 40 817 euros au titre de l'intéressement, pour les années 2011 à 2016.
Il demande également la communication sous astreinte des éléments permettant le calcul de l'intéressement et de la participation de 1997 à 2001.
La société Pandrol s'oppose à ces demandes. Elle soutient en premier lieu qu'en tant qu'expatrié, M. [J] ne bénéficiait d'aucun droit à l'épargne salariale et à titre subsidiaire, que la quasi-totalité des demandes est prescrite.
S'agissant du droit à l'épargne salariale
Il est rappelé que les dispositifs d'épargne salariale sont des dispositifs légaux prévoyant la redistribution au profit des salariés d'une partie des bénéfices qu'ils ont contribué, par leur travail effectif au sein de l'entreprise, à réaliser.
Lorsqu'un salarié envoyé à l'étranger cesse d'appartenir au personnel de l'entreprise française pour devenir salarié de l'entreprise d'accueil auprès de laquelle il est durablement détaché, il ne peut plus se prévaloir de son contrat de travail initial et perd toute vocation aux dispositifs d'épargne salariale dans son entreprise d'origine.
Ne faisant plus partie de la collectivité ayant concouru à la réalisation des bénéfices de la société, les accords de participation et d'intéressement ne sont pas applicables au salarié expatrié.
Il est constant en l'espèce que M. [J] était salarié direct et exclusif de la société mexicaine Railtech Calomex et que son contrat de travail d'origine français a été suspendu pendant toute la période d'expatriation.
Dès lors, ne faisant plus partie de la communauté de travail de la société Railtech International, M. [J] ne peut prétendre à un quelconque droit à participation ou intéressement pour la période d'expatriation.
La société Pandrol précise que si M. [J] a bénéficié de la participation et de l'intéressement à partir de l'exercice 2014, ce n'est que de façon purement volontaire, qu'en effet M. [J] ne bénéficiait pas du dispositif équivalent de participation mis en place au sein de la filiale mexicaine, que consciente de l'impossibilité pour M. [J] de bénéficier tant des dispositifs d'épargne salariale français que du dispositif de participation mexicaine et afin de lui permettre de disposer d'une rémunération variable lui permettant d'être intéressé aux résultats de la filiale, elle a mis en place, de manière volontaire et contractuelle, une prime d'intéressement versée annuellement et qui est fonction des résultats financiers de Railtech Calomex, dans la limite de dix mois de salaire brut.
Elle souligne que la prime d'intéressement contractuelle a représenté un montant de 77 275 euros pour l'exercice 2015.
Il s'ensuit le rejet des demandes de M. [J] à ce titre, par confirmation du jugement entrepris, sans qu'il n'y ait lieu d'examiner l'argumentation subsidiaire.
Sur la remise de bulletins de paie par la société Pandrol
M. [J] réclame la remise de bulletins de paie relatif à sa rémunération au sein de Railtech International, depuis 1997, sous astreinte, pour lui permettre de justifier de ses droits, notamment à la retraite.
La société Pandrol prétend, à titre principal, qu'elle n'était pas tenue d'émettre des bulletins de paie en raison de la suspension du contrat de travail français et de l'assujettissement exclusif du salarié à la sécurité sociale mexicaine et, à titre subsidiaire, que les demandes de M. [J] sont en grande partie prescrites.
Concernant l'obligation d'émettre des bulletins de salaire
L'article L. 3243-1 du code du travail délimitée le champ d'application de l'obligation d'établir des bulletins de paie dans les termes suivants : « Les dispositions du présent chapitre s'appliquent à toutes les personnes salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leurs rémunérations, la forme, ou la validité de leur contrat. »
L'article L. 311-2 du code de la sécurité sociale énonce : « Sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat. »
Il résulte de ces deux textes, dont les champs d'application sont identiques, que les employeurs ne sont tenus d'émettre des bulletins de salaire que pour les salariés qui sont assujettis en France au régime général de la sécurité sociale.
S'agissant d'un salarié travaillant au sein d'une filiale étrangère, l'existence ou non de l'obligation de remise des bulletins de paie dépend de savoir si le salarié est ou non maintenu au régime de sécurité sociale français.
L'article R. 761-1 du code de la sécurité sociale pose le principe que les salariés détachés temporairement à l'étranger par leur employeur peuvent être maintenus au régime français de sécurité sociale pour une durée maximale de trois ans, renouvelable une fois.
En l'espèce, M. [J] a relevé, dès le début en 1997, du statut d'expatrié, de telle sorte qu'il n'a plus relevé de la sécurité sociale française à compter de cette date.
L'avenant du 21 février 1997 prévoit en effet : « Du fait de l'impossibilité de votre maintien au régime de sécurité sociale française, nous vous rappelons que vous devez continuez à adhérer aux régimes suivants qui demeurent à votre charge, la société Railtech International vous remboursant 75% de ces frais ».
Dès lors, M. [J] étant exclu du champ d'application du régime général de la sécurité sociale française, les sommes qui lui étaient versées par la société française n'étaient donc pas soumises aux cotisations de sécurité sociale française et la société Railtech International n'était donc pas tenue d'établir un bulletin de paie.
M. [J] sera en conséquence débouté de cette demande, par confirmation du jugement entrepris, sans qu'il n'y ait lieu d'examiner l'argumentation subsidiaire.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure
M. [J], qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Il sera en outre condamné à payer à la société Pandrol une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 3 000 euros.
M. [J] sera débouté de sa demande présentée sur le même fondement.
Le jugement de première instance sera confirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 26 septembre 2019,
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [M] [J] à payer à la SAS Pandrol, anciennement Railtech International, une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE M. [M] [J] de sa demande présentée sur le même fondement,
CONDAMNE M. [M] [J] au paiement des entiers dépens.