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Décisions

CA Aix-en-Provence, 4e et 5e ch. réunies, 16 septembre 2021, n° 19/14484

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Novartis Pharma (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salvan

Conseillers :

Mme Alvarade, M. Leperchey

Cons. Prud’h. Grasse, du 7 août 2019, n°…

7 août 2019

FAITS ET PROCEDURE

Monsieur Axel V. a été engagé par la société Novartis Pharma en qualité de délégué hospitalier à compter du 1erjanvier 2008, suivant contrat à durée indéterminée, moyennant un salaire brut moyen mensuel qui était en dernier lieu de 5.478 euros.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des entreprises du médicament.

La société Novartis Pharma employait habituellement au moins onze salariés au moment du licenciement.

M. V. a été en arrêt de travail du 11 juillet 2016 au 21 août 2016.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 21 novembre 2016, M.V. a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement et mis à pied à titre conservatoire, et par lettre recommandée du 19 décembre 2016, il a été licencié pour faute grave.

Contestant le bien-fondé de son licenciement, M.V., le 16 février 2017, a saisi la juridiction prud'homale, afin d'obtenir diverses indemnités, notamment au titre de la nullité de la rupture du contrat de travail, en se prévalant de la protection du lanceur d'alerte et pour licenciement brutal et vexatoire.

Par jugement rendu le 7 août 2019, le conseil de prud'hommes de Grasse :

-a débouté M.V. de sa demande de nullité du licenciement,

-a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur à payer au salarié les sommes suivantes:

-35.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-17.246,13 euros à titre d'indemnité de préavis,

-24.277,25 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

-a débouté M.V. de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, brutale et vexatoire,

-a débouté M.V. de sa demande de dommages-intérêts pour remise tardive des documents sociaux,

- a débouté la société Novartis Pharma de ses demandes et l'a condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

La société Novartis Pharma a interjeté appel de cette décision dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas critiquées.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 8 avril 2021, la société Novartis Pharma fait grief à la décision critiquée sa motivation succincte et une définition inexacte de la faute grave.

Elle expose que M.V., frustré de n'avoir pas obtenu l'augmentation de salaire sollicitée à l'été 2016, a progressivement adopté un comportement d'obstruction et agressif vis à vis de la société et de ses différents managers et a commis divers manquements.

Elle soutient que le licenciement est justifié pour faute grave en ce que M.V. :

- d'une part, a usé de menaces de chantage et de propos calomnieux à l'encontre de ses supérieurs hiérarchiques et de la société, en insinuant des pratiques de la société avec ses délégués hospitaliers contraires à l'éthique, et en menaçant d'un nouvel arrêt de travail, alors qu'une enquête interne a déclaré infondées ses accusations,

- d'autre part, n'a pas respecté les procédures en vigueur au sein de la société (non suivi des formations obligatoires en temps et en heure, absence de fourniture d'une facture conforme pour un stand organisé le 15 juin 2015 (lire 2016) en dépit de nombreuses relances de la société jusqu'au mois de novembre 2016, absence de fourniture de lettres de partenariat pour quatre événements, défaut de fourniture d'un plan d'action sectoriel conforme pour l'année 2017, contrairement aux directives de la société),

- enfin plus généralement, a vu son activité baisser significativement depuis le mois de juillet 2016, cette baisse se traduisant par une absence de médecins participants aux manifestations organisées par le département Oncologie aux mois de décembre et janvier 2016, et une performance sur le produit Sandostatine, en nette baisse à partir de l'été 2016,

Elle répond à M.V. que les dispositions légales protectrices applicables au lanceur d'alerte dans l'entreprise ne lui sont pas applicables et que le licenciement n'a pas une cause économique déguisée puisque Mme A. a remplacé M.V. sur son poste le 1er février 2017, elle même ayant été remplacée par Nathalie M..

Sur les demandes indemnitaires de la société Novartis Pharma fait valoir :

- que n'est pas établie une atteinte au processus de recrutement du salarié justifiant la demande élevée de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que le salarié ne peut prétendre à plus de 6 mois de salaire,

- que la qualité des évaluations professionnelles du salarié ne fait pas obstacle à l'engagement d'une procédure de licenciement pour faute qui est justifiée en l'espèce et n'est ni vexatoire ni brutale,

- que le salarié a finalement abandonné ses prétentions indemnitaires au titre d'un licenciement nul en raison du statut de salarié lanceur d'alerte,

- que M.V. ne démontre pas subir un préjudice du fait de la remise tardive de ses documents de fin de contrat.

La société Novartis Pharma demande en conséquence d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société Novartis Pharma à payer à M.V. les sommes sus visées à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité conventionnelle de licenciement et frais non-répétibles, et de le confirmer pour le surplus.

Elle demande de juger que le licenciement repose sur une faute grave, de débouter M.V. de l'ensemble de ses demandes, à titre subsidiaire, de juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, de limiter la condamnation de la société au paiement de la somme de 17.246,13 euros à titre d'indemnité de préavis et 24.277,25 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement et de condamner M. V. au paiement de la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 5 mars 2021, M.V. expose que la relation de travail s'est déroulée normalement jusqu'à l'année 2016, au cours de laquelle il a soulevé une problématique relative au calcul de sa rémunération -notamment - variable, d'autre part des problèmes de qualité de vie au travail et enfin des problèmes de compliance. Pour seule réponse, à la suite d'un entretien qui s'est déroulé le 9 novembre 2016 avec le responsable RH, il a fait l'objet d'une convocation à un entretien préalable au licenciement durant ses congés, le 21 novembre 2016.

Il soutient que :

- la majeure partie des faits invoqués à l'appui du licenciement est antérieure de plus de 2 mois à la mise en 'uvre de cette mesure, ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes,

- le licenciement est fondé sur une motivation parfaitement discriminante, illicite et irrégulière dans le seul but de sanctionner le salarié pour avoir tenté de dénoncer des pratiques prohibées, et d'avoir mis en évidence des dysfonctionnements affectant l'évaluation des parts de marché et affectant, de facto, la rémunération de l'ensemble des DH,

- le licenciement pour faute grave est en conséquence frappé de nullité,

- le licenciement a en réalité une cause économique déguisée liée à la restructuration du service oncologie et à la suppression de son poste,

- eu égard à son ancienneté dans la société (9 ans), de son âge (45 ans à la date du licenciement), l'excellence de ses évaluations, son indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être d'au moins 12 mois de salaire, compte tenu de l'important préjudice lié à la perte de son emploi et à l'obstruction mise par la société à son recrutement même s'il a retrouvé un emploi équivalent,

- la longue mise à pied du 21 novembre 2016 a un caractère disciplinaire,

- convoqué au mois de novembre, pendant ses congés, avec mise à pied conservatoire, alors qu'il avait été en congés-maladie du 11 juillet au 26 août 2016, la procédure engagée sans tentative transactionnelle alors qu'il faisait l'objet de bonnes évaluations a été brusque et vexatoire,

- ses documents de fin de contrat lui ont été remis tardivement ce qui l'a empêché de faire certaines démarches.

Il demande à la cour de :

Dire et juger nul le licenciement pour faute grave,

Dire et juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Novartis Pharma à lui payer les sommes de:

*17.246,13 ' au titre de l'indemnité de préavis

*24.277,25 ' au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

Formant appel incident, il demande de réformer le jugement entrepris et de condamner la société à lui verser :

*la somme de 70.000 ' à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

*la somme de 50 000 ' pour procédure abusive, brutale et vexatoire

*10.632,38 ' du chef de remise tardive des documents sociaux, en application de l'article R1234-9 du code du travail .

Condamner la société à lui verser la somme de 12 000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Condamner la société aux entiers dépens avec distraction pour ceux d'appel.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 avril 2021.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement pour faute grave en date du 19 décembre 2016 est ainsi rédigée :

(...)

Par lettre recommandée du 21 novembre 2016, nous vous avons convoqué à un entretien préalable votre éventuel licenciement. Par e-mail du 5 décembre 2016 vous nous avez demandé de décaler la date de cet entretien qui s'est donc tenu le 15 décembre 2016.

Nous vous avons exposé les faits qui nous amenaient à envisager votre licenciement et avons tenté de recueillir vos observations. Celles-ci ne nous ont cependant pas permis de modifier notre appréciation de la situation dans la mesure où vous êtes contentés d'indiquer que vous n'aviez rien à dire.

Dans ces conditions nous vous notifions donc par la présente votre licenciement motifs ci-après exposé.

Vous avez été engagé le 1er janvier 2008 en qualité de délégué hospitalier au sein de la franchise oncologie est affecté sur le secteur 3, région 9.

À ce titre vous êtes en charge dans le cadre de la stratégie de l'entreprise dans le respect des procédures et de la réglementation en vigueur de réaliser des actions d'information, de communication et de promotion auprès des professionnels de santé de votre secteur d'attribution.

Dès 2015, nous avons constaté des manquements procédure dites «DMOS» (ou diverses mesures d'ordre social loi numéro 93'121 du 27 janvier 1993) et avons relevé plusieurs écarts de procédures internes.

Votre manager, vous alors demandé par e-mail du 18 décembre 2015 de vous montrer plus rigoureux sur le respect de ces procédures, qui s'imposent à tout laboratoire Pharmaceutique en France et fixent un cadre éthique de compliance de notre activité.

En dépit de ce rappel, la qualité de votre travail s'est progressivement dégradée à partir du milieu de l'année 2016.

Tout d'abord, vous n'avez pas jugé opportun de suivre les formations obligatoires suivantes:

•            code de conduite : invitation envoyée le 3 juin 2016 ;

•            confidentialité des données : invitation envoyée le 23 juin 2016 ;

•            médias sociaux : invitation envoyée le 2 septembre 2016 ;

•            anticorruption : invitation envoyée le 3 octobre 2016.

Pour chacune de ces formations, vous avez systématiquement reçu 3 relances postérieurement à l'invitation initiale : 14 21 et enfin 28 jours après celle-ci. N'avez pas jugé opportun de nous donner des explications à ce sujet.

Vous avez ensuite validé avec 27 jours de retard soit le 27 septembre 2016, la formation «DMOS Transparence» malgré 3 relances(les 7,15 et 22 septembre 2016) et malgré l'information claire (e-mail du 20 juin 2016) selon laquelle «le respect du planning est primordial pour permettre d'effectuer les demandes de renouvellement de vos cartes professionnelles auprès des autorités compétentes de permettre de poursuivre votre activité (...).

Ces formations tant caractère obligatoires et le défaut de validation de certaines d'entre elles peut être lourd de conséquences sur votre exercice professionnel et conduire à votre suspension.

Elles participent non seulement à votre formation continue au poste de délégué hospitalier et sont plus largement garantes du respect des règles d'éthique et de compliance, préoccupation cruciale compte tenu de notre activité réglementée.

Malgré plusieurs relances vous ne vous conformez pas aux obligations de l'entreprise :

•            vous n'avez pas fourni de factures conformes suite au stand du 15 juin 2015 malgré plusieurs relances jusqu'en novembre 2016,

•            vous n'avez pas fourni de lettres de partenariat pour 4 événements sont votre responsabilité et malgré de multiples relances en octobre et novembre 2016 (OL E399873, OL E400304 et OL E 401 639).

Lors de la réunion régionale du mois d'octobre 2016 et comme chaque année, il vous a été demandé par votre manager, d'établir le plan d'action sectorielle (PAS) ainsi que votre budget pour l'année 2017.

Ces documents et prévisions sont indispensables à l'entreprise pour avoir une visibilité sur votre activité pour l'année à venir.

La date limite de remise de ces éléments votre hiérarchie était fixée au 26 octobre 2016 à 17 heures. Ce timing vous a été rappelé par e-mail du 19 octobre 2016 puis lors de la réunion téléphonique du 20 octobre 2016.

Or, vous avez envoyé votre PAS le 26 octobre 2016 16h53, soit 7 minutes avant la deadline fixée.

Après relecture de votre document, votre manager a constaté que celui-ci était largement lacunaire inexploitable et qu'il manquait en outre le budget pour 2017 (aucun investissement de prévu sur Afinitor et Zykadia). En dépit des relances et du support immédiatement apporté par votre manager, vous avez campé sur vos positions et n'avez pas fourni les éléments demandés.

Par ailleurs et de manière plus générale votre bilan d'activité sur 2016 fait apparaître une baisse d'activité significative à partir du mois de juillet 2016 se poursuivant jusqu'à la fin de l'année.

Cette baisse d'activité se traduit notamment par :

•            une absence totale d'inviter sur les manifestations organisées par la BU oncologie dans les mois à venir (GT décembre 2016'opération «cont'act»décembre 2016

•            une performance sur son Sandostatine en chute significative (part de marché de 65,6 % à fin mars descendu à 59 % à fin septembre).

Plus grave encore, lorsque votre hiérarchie a tenté de vous apporter son soutien pour remédier à cette baisse de qualité de votre travail, vous avez refusé cette année avez répliqué en portant des accusations gratuites contre la société.

Lors du séminaire d'entreprise de l'été 2016 au cours d'une discussion avec Madame C. et Monsieur B. portant sur un différend à propos de votre rémunération vous avez expressément menacé de «reprendre un arrêt maladie de 2 mois » car vous n'obteniez pas satisfaction concernant une demande de revalorisation de salaire.

Comme vous l'avez alors indiqué Monsieur B. dans son mail du 24 2016, cette attitude n'est pas au niveau de ce que l'entreprise est en droit d'attendre de l'un de ses collaborateurs, les arrêts de travail étant prévus pour justifier d'une maladie et non un moyen d'exprimer un désaccord vis-à-vis de son employeur.

Postérieurement à ce séminaire vous avez préféré formuler des accusations et des menaces( «des têtes vont tomber») auprès de votre manager.

Paradoxalement, vous avez indiqué que certaines règles de compliance ne seraient pas appliquées au sein de la société, sans toutefois donner plus de précisions.

Compte tenu de ces accusations la procédure BPO a été initiée et le compliance officer saisi.

Vous accusations étant étayées par aucun élément factuel, il vous a été demandé des précisions que vous n'avez pas été en mesure de fournir.

Le 23 septembre 2016, Monsieur B. vous a dû nous interroger sur ses manquements en vain. Le 3 octobre 2016, vous nous avez adressé un courrier par lequel vous avez exprimé votre mécontentement par rapport à notre niveau de salaire et avait de nouveau formulé des accusations de manquement procédures interne de l'entreprise, sans pour autant les justifier. Vous avez même soutenu avoir informé Madame C. et Monsieur D. de ses manquements.

Par courrier du 7 novembre 2016, la société vous a une fois de plus rappelé la procédure mise en place pour tout manquement aux règles de compliance et la possibilité de saisir le compliance officer pour faire remonter tout dysfonctionnement à ce sujet.

Compte tenu d'une part de la gravité de vos accusations et de l'absence de justification d'autre part vous avait été reçue au cours de plusieurs entretiens :

•            le 9 novembre 2016 par Monsieur B. : au cours de cet entretien, qui avait initialement pour objet d'échanger sur les règles de compliance, vous avez clairement exprimé votre souhait d'être licencié et d'obtenir une indemnité transactionnelle en plus de votre indemnité conventionnelle de licenciement. Vous avez même indiqué être accompagné dans votre démarche par des avocats. Vous avez renouvelé vos menaces à l'encontre de la société, affirmant de manière incompréhensible que vous iriez «au bout de votre démarche»et que vous aviez des heures d'enregistrement audio et vidéo.

•            Le 16 novembre 2016, par Madame Gauthier D. et Monsieur P., le Compliance officer expressément saisi pour mener l'enquête et faire la lumière sur les éventuels manquements aux règles de compliance que vous aviez évoqué. Lors de cet entretien, il vous a été rappelé que les salariés lanceurs d'alerte faisaient tout l'objet d'une protection. Il vous ensuite été demandé de donner des explications sur le manquement invoqué, ce qu'une fois de plus vous avez été incapable de faire.

Par votre comportement, vous avez ainsi rendu toute vérification sur la réalité de vos accusations impossibles. Malgré tout, conformément aux règles internes, une enquête a été diligentée par vos supérieurs hiérarchiques ainsi que par Monsieur P.. Les informations que vous prétendiez avoir adressé vos supérieurs hiérarchiques sur le sujet n'ont jamais été retrouvés malgré d'importantes recherches vous avez refusé de les communiquer. Cette enquête a naturellement conclu que vos accusations concernant l'existence de manquement aux règles de compliance au sein de la société était en réalité totalement inondées.

L'analyse de la situation depuis 2015 nous conduit à considérer que le défaillance constatée dans l'exécution de vos obligations professionnelles ont d'abord traduit une démotivation profonde puis ensuite une volonté non dissimulée de quitter l'entreprise en tentant de lui en faire porter la responsabilité par l'utilisation de moyens déloyaux.

Si votre exigence d'être licencié dans le cas d'un accord transactionnel ne peut être analysée autrement que comme du chantage, vous accusations relatives au non-respect des règles de compliance étant inondées.

Dans des conditions nous ne disposons pas d'autre alternative que de procéder votre licenciement pour faute grave.

La rupture de votre contrat de travail prend donc effet immédiatement à la date d'envoi de ce courrier sans indemnité de préavis ni de licenciement.

(...)

Sur la nullité du licenciement

Sans justifier qu'il en remplit les conditions ni en tirer aucune conséquence indemnitaire, le salarié persiste à soutenir qu'il devait bénéficier de la protection prévue aux articles L.5312-4-2 du Code de la santé publique applicable au lanceur d'alerte en matière de sécurité sanitaire des produits de santé. La nullité du licenciement n'a pas lieu d'être prononcée.

Sur le licenciement pour faute grave

La faute grave se définit comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

Il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de la faute grave qu'il reproche au salarié.

I- Sur le grief de non-respect des procédures en vigueur au sein de la société :

La lettre de licenciement rappelle que dès 2015, l'employeur a constaté des manquements aux procédure dites «DMOS» et relevé plusieurs écarts de procédures internes.

Il est reproché au salarié le défaut de suivi des formations obligatoires prévues le 3 juin 2016, le 23 juin 2016, le 2 septembre 2016. Il lui est aussi reproché l'absence de fourniture d'une facture conforme pour un stand organisé le 15 juin 2015 (lire 2016) . Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement de poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de ces poursuites. Cette preuve n'étant pas rapportée, les griefs seront écartés comme prescrits.

S'agissant de la validation avec retard, le 27 septembre 2016, de la formation «DMOS Transparence» et du non-suivi de la formation Anti-corruption prévue le 3 octobre 2016, les faits sont établis dans leur matérialité. Toutefois, M.V. justifie avoir à la date du 31 août 2016, validé avec succès six formations sur les sept suivies dont la formation DMOS, validant la carte professionnelle pour le statut de Délégué Hospitalier. Le grief n'est donc pas sérieux.

Il est reproché au salarié en dépit de nombreuses relances de la société jusqu'au mois de novembre 2016, l'absence de fourniture de lettres de partenariat pour quatre événements. C'est le salarié lui même qui date ces événements :

*OL E-399873 du 04 octobre 2016,

*OL E-400304 du 21 octobre 2016,

*OL E-401637 du 20 octobre 2016,

*OL E-401639 du 20 octobre 2016.

Il explique avoir remis deux lettres de partenariat pour les deux premiers OL E-399873 et OL E-400304 aux deux médecins concernés, les docteurs H. et C. qui en attestent. Il expose sans être utilement contredit n'avoir pu remettre la lettre de partenariat après relance de la fonderie, pour le troisième événement en raison de sa mise à pied, puis la quatrième du fait de son départ de l'entreprise. Il en découle que le grief n'est pas caractérisé.

Il est reproché au salarié le défaut de fourniture d'un plan d'action sectoriel conforme pour l'année 2017, contrairement aux directives de la société, ce plan d'action ayant été adressé par M.V., le 26 octobre 2016 à 16h53, soit 7 minutes avant la date limité fixée. Le manager de M.V. a alors écrit à ses supérieurs et à M.V. avoir constaté que celui-ci était inexploitable et qu'il manquait en outre le budget pour 2017. Ces faits objectifs et matériellement vérifiables sont établis. Ils ne sont pas démentis par les justifications avancées par M.V. ( en l'occurrence le refus de dresser sur papier libre des données confidentielles et stratégiques).

Le grief de non-respect des procédures en vigueur au sein de la société est en conséquence partiellement caractérisé mais seulement en ce qui concerne le défaut de fourniture d'un plan d'action sectoriel conforme pour l'année 2017.

II-Sur la baisse d'activité depuis le mois de juillet 2016,

Selon la lettre de licenciement cette baisse se traduit par une absence de médecins participants aux manifestations organisées par le département Oncologie aux mois de décembre et janvier 2016, une performance sur le produit Sandostatine en nette baisse à partir de l'été 2016,

En défense, le salarié fait exactement observer qu'il n'est pas responsable de la non participation des médecins aux manifestations qu'il a organisées, et que les chiffres pour la Sandostatine démontrent que Monsieur V. se trouve au-dessus de la moyenne nationale pour toute l'année 2016 et ce, jusqu'en novembre 2016 en dépit d'un arrêt de maladie.

Ce grief dont l'imputabilité au salarié n'est pas établie sera écarté.

III-Sur l'usage de menaces de chantage et de propos calomnieux à l'encontre de ses supérieurs hiérarchiques et de la société,

La lettre de licenciement énonce :

Lors du séminaire d'entreprise de l'été 2016 au cours d'une discussion avec Madame C. et Monsieur B. portant sur un différend à propos de votre rémunération vous avez expressément menacé de «reprendre un arrêt maladie de 2 mois » car vous n'obteniez pas satisfaction concernant une demande de revalorisation de salaire.

Comme vous l'avez alors indiqué Monsieur B. dans son mail du 24 2016, cette attitude n'est pas au niveau de ce que l'entreprise est en droit d'attendre de l'un de ses collaborateurs, les arrêts de travail étant prévus pour justifier d'une maladie et non un moyen d'exprimer un désaccord vis-à-vis de son employeur.

Postérieurement à ce séminaire vous avez préféré formuler des accusations et des menaces («des têtes vont tomber») auprès de votre manager.

Paradoxalement, vous avez indiqué que certaines règles de compliance ne seraient pas appliquées au sein de la société, sans toutefois donner plus de précisions.

Compte tenu de ces accusations la procédure BPO a été initiée et le compliance officer saisi.

Vous accusations étant étayées par aucun élément factuel, il vous a été demandé des précisions que vous n'avez pas été en mesure de fournir.(...) Par votre comportement, vous avez ainsi rendu toute vérification sur la réalité de vos accusations impossibles. Malgré tout, conformément aux règles internes, une enquête a été diligentée par vos supérieurs hiérarchiques ainsi que par Monsieur P.. Les informations que vous prétendiez avoir adressé vos supérieurs hiérarchiques sur le sujet n'ont jamais été retrouvés malgré d'importantes recherches vous avez refusé de les communiquer. Cette enquête a naturellement conclu que vos accusations concernant l'existence de manquement aux règles de compliance au sein de la société était en réalité totalement inondées

Il ressort de cette lettre dont l'exposé chronologique des faits est conforme aux contenu des mails versés au dossier, que dès sa demande de rendez-vous pour débattre de sa revalorisation salariale, en date du 4 juillet 2016, puis lors de l'entrevue obtenue le 22 août 2016 à la suite d'un séminaire d'été, avec Nicolas B. le DRH Oncologie, et jusqu'à son licenciement, M.V., a mis en doute les pratiques de la société en matière de respect des règles de compliance en précisant oralement avoir des preuves des manquements de la société aux règles éthiques et notamment des enregistrements audio et vidéo.

Le 15 septembre 2016, la société a rappelé à l'ensemble des salariés qu'il convenait de faire remonter ce type d'information au Compliance Officer.

Le 23 septembre 2016, Nicolas B. a écrit à M. V. en ces termes:

« Tu as indiqué à ton manager à la suite du séminaire que tu n'admettais pas l 'absence de revalorisation salariale, que tu as été « berné » par des promesses non tenues et que tu étais en rupture avec l'entreprise. Tu as également affirmé que « des têtes allaient tomber » ( en précisant que tu avais des preuves de non compliance).

Je t'ai alors contacté par téléphone le mercredi 7 septembre 2016 pour t'indiquer que les allégations de non-respect des règles de l'entreprise ou des règles d'ordre publique(sic) nécessitent une investigation au titre de la procédure BPO et qu'il relève de ma responsabilité de communiquer de telles allégations au Compliance Officer.

Je t'ai donc demandé de me communiquer les éléments en ta possession et tu as indiqué que tu les enverrais la semaine suivante.

A date , je n'ai toujours rien reçu.

Je te demande donc à nouveau de bien vouloir nous adresser ces éléments ou de les communiquer directement au Compliance Officer ( en copie) afin de faire la lumière sur ces allégations et de prendre les mesures qui s'avéreraient nécessaires.(...) »

Le 3 octobre 2016, M.V. s'est adressé à sa direction en la personne de Monsieur C., directeur exécutif BU Oncologie, par mail et par lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçue le 7 octobre 2016, en évoquant des « erreurs de données et ou d'analyses ayant artificiellement réduit sa performance » et en dénonçant « des difficultés résultant notamment des procédures internes (...) J'ai attiré l'attention de Madame C. et Monsieur D. à plusieurs reprises sur notre absence de conformité (exemple : facture de stand modifié à la demande du service réglementaire). Ils connaissent d'ailleurs en partie les éléments dont je dispose sur les différentes problématiques et ambiguïtés rencontrées au sein du laboratoire. Pourtant, là encore aucune mesure n'a été prise pour remédier à ces dysfonctionnements dont je ne saurais être tenue pour responsable qui viennent entacher la bonne exécution des obligations contractuelles. Dans ce contexte je souhaiterais donc vivement m'entretenir avec vous très rapidement sur l'avenir de mes relations contractuelles au sein de la société (...)»( pièce 32 extraits)

Le 2 novembre 2016, M.V. s'est adressé à M. B. directeur général Novartis Group France, pour déplorer l'absence de réponse au courrier du 3 octobre 2016, en faisant allusion à « l'image du laboratoire » « aux raisons qui ont récemment poussé un directeur ainsi que certains collègues au départ », concluant: « sans réponse de votre part j'en prendrai acte et serai dans l'obligation d'aller au bout de ma démarche.» . Les divers mails échangés au cours des mois de septembre à novembre 2016, entre les supérieurs de M.V. font apparaître que ce dernier a en outre évoqué le fait qu'il « ne donnerait rien » et qu'il ne ferait pas de « remontée au Compliance Officer ».

Le 7 novembre 2016, la société Novartis Pharma par l'intermédiaire de M. C. a rappelé à M.V. la procédure mise en place pour tout manquement aux règles de compliance et la possibilité ouverte aux salariés de saisir le Compliance Officer. Rendez-vous a été pris le 16 novembre 2016 entre M.V. et le Compliance Officer, M. P..

La société Novartis Pharma fait grief à M. V. des accusations calomnieuses : des manquements de la société aux règles de compliance qui n'ont été ni explicités ni étayés par le salarié par des éléments précis alors qu'un rapport d'enquête interne n'aurait pas conclu à la réalité des faits dénoncés.

La société Novartis Pharma ne verse pas le compte rendu de l'enquête interne diligentée par les supérieurs hiérarchiques de M. V. ainsi que par Monsieur P., Compliance Officer qui, selon la lettre de licenciement, ont infirmé les faits allégués par le salarié.

Le courrier ci -dessus visé, adressé le 3 octobre 2016 par le salarié à son supérieur , comporte des développements précis sur les difficultés rencontrées par M. V. liées selon lui à un manque de transparence dans le calcul de sa rémunération . Il évoque des non conformités aux règles internes (factures de stands non conformes notamment).

Des non conformités avaient déjà été portées à la connaissance de l'employeur par mail de M.V. à Mme G.-C. et Mme C. en date du 29 juin 2016.

La société n'était donc pas placée dans l'incapacité de vérifier ces éléments ainsi qu' elle l'explique dans la lettre de licenciement .

En conséquence, même si la société Novartis Pharma est fondée à soutenir que le salarié n'a pas agi au niveau de ses responsabilités, il n'est pas établi que M. V. a violé les obligations de son contrat de travail au sens du texte sus-visé, d'où il suit que le grief n'est pas constitué.

Le seul grief retenu par la cour tient au défaut de fourniture d'un plan d'action sectoriel conforme pour l'année 2017 ; il ne constitue pas un motif de rupture du contrat de travail compte tenu de l'ancienneté et des bonnes évaluations et du salarié.

Il en découle que le licenciement de M. V. n'est pas nul ni n'a une cause économique déguisée puisque son poste n'a pas été supprimé, mais qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement

Au moment de la rupture de son contrat de travail M.V. comptait au moins deux années d'ancienneté et la société Novartis Pharma employait habituellement au moins onze salariés.

En application de l'article L.1235-3 du code du travail, en sa version applicable, M.V. peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant des salaires bruts qu'il a perçus pendant les six derniers mois précédant son licenciement, soit en l'espèce un salaire de 32 868 euros.

Le conseil de prud'hommes, compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versé au salarié ( 5.478 euros), de son âge (45 ans), de son ancienneté (9 ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, a fait une juste appréciation des dommages-intérêts qu'il a alloué en réparation du préjudice consécutif à ce licenciement.

Les autres indemnités de rupture allouées par la décision déférée ne sont pas critiquées.

M.V. sollicite en outre la condamnation de la société Novartis Pharma à lui payer des dommages intérêts compte tenu du caractère brutal et/ou vexatoire du licenciement et du préjudice moral ainsi subi.

En l'espèce, la société Novartis Pharma a reporté la date de l'entretien préalable au licenciement à la demande du salarié alors en congés. Elle a délivré une mise à pied conservatoire dans l'attente des résultats d'une enquête interne sur les faits. Les qualités professionnelles du salarié soulignées dans ses évaluations ne faisaient pas obstacle à l'engagement d'une procédure de licenciement disciplinaire, laquelle , même injustifiée n'a pas un caractère vexatoire.

Les circonstances qui ont accompagné de licenciement ne sont donc ni brutales ni vexatoires.

En conséquence, M.V. sera débouté de sa demande par confirmation du jugement déféré.

Sur les dommages-intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat

Il est démontré que ce n'est que le 6 février 2017, soit près de deux mois après la notification du licenciement que la société Novartis Pharma a adressé à M.V. ses documents sociaux de fin de contrat et ce après deux mises en demeures de sa part ainsi que de son conseil, ce qui justifie le versement d'une indemnité.

En conséquence, compte tenu des justificatifs produits, la cour allouera à M.V. la somme de 3.000 euros en réparation du préjudice subi, par infirmation du jugement déféré.

Sur les dépens et les frais non-répétibles

La société Novartis Pharma qui succombe dans la présente instance, doit supporter les dépens et il y a lieu de la condamner à payer à M.V. une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 2.500 euros, en sus de celle qui lui a été allouée en première instance ; la société Novartis Pharma doit être déboutée de cette même demande.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il déboute M.V. de sa demande d'indemnité pour remise tardive des documents de fin de contrat,

Infirmant de ce seul chef et statuant à nouveau, condamne la société Novartis Pharma à payer à M.V. la somme de 3.000 euros,

Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Novartis Pharma à payer à M.V. une somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société Novartis Pharma de sa demande d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Novartis Pharma aux dépens de la procédure d'appel, ces derniers distraits au profit de la SCP C.-G.,M., D.-G. sur son offre de droit.