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Décisions

CA Riom, ch. com., 24 janvier 2024, n° 22/00541

RIOM

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

NSE (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubled-Vacheron

Conseillers :

Mme Theuil-Dif, M. Kheitmi

Avocats :

Me François, Me Portal

T. com. Cusset, du 1er mars 2022, n° 202…

1 mars 2022

Faits et procédure - demandes et moyens des parties :

Suivant un contrat de travail à durée indéterminée du 23 novembre 2015, la SA NSE ([Localité 4] Systèmes Electroniques), dont le siège est à [Localité 4] (Allier), a embauché M. [S] [K] en qualité de directeur administratif et financier.

M. [K] a par ailleurs été nommé membre du conseil de surveillance de la société qui l'employait, suivant une réunion de ce conseil de surveillance qui s'est tenue le 1er février 2017, la SA NSE étant devenue, à cette date, une société anonyme à directoire et conseil de surveillance.

Selon une note de synthèse non datée et non signée, il était convenu entre les dirigeants sociaux que M. [K] ne bénéficierait, au titre de son mandat social, d'aucune rémunération fixe, mais qu'il recevrait en revanche, outre ses revenus salariaux, une rémunération variable en cas de bonnes performances de la société, selon un mode de calcul précisé dans cette note, et basé sur le résultat d'exploitation, augmenté de la dotation aux amortissements et réduit de la reprise des provisions sur amortissements.

M. [K], par un message électronique et par une lettre du 30 janvier 2019, a notifié au président du conseil de surveillance, M. [H] [P], sa décision de mettre un terme à sa collaboration avec la société NSE, à effet de la fin du mois de juillet 2019. Il a précisé ensuite que cette démission portait aussi sur son mandat de membre du conseil de surveillance, et que la cessation effective de ses fonctions interviendrait finalement le 31 août 2019.

Un litige s'est élevé entre M. [K] et la société NSE, en la personne du président du conseil de surveillance, principalement sur le droit pour le démissionnaire à obtenir le versement de la rémunération variable, au titre de son mandat social pour l'année 2019.

Le 7 octobre 2020, après une lettre de mise en demeure de son avocat, M. [K] a fait assigner la société NSE devant le tribunal de commerce de Cusset, pour obtenir paiement d'une somme principale de 39 923,33 euros au titre de sa rémunération variable calculée sur la base du résultat de la société pendant l'année 2019.

Le tribunal de commerce de Cusset, suivant jugement contradictoire du 1 mars 2023, a débouté M. [K] de toutes ses demandes, a condamné la SA NSE aux dépens, et a rejeté les demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile. Le tribunal a en outre rejeté une demande reconventionnelle formée par la société NSE.

Le tribunal a fondé sa décision de rejeter la principale demande de M. [K], sur le fait que celui-ci ne pouvait obtenir de rémunération variable avant l'assemblée générale d'approbation des comptes annuels de la société, qui s'est tenue en juin 2020.

M. [K], par une déclaration reçue au greffe de la cour le 14 mars 2022, a interjeté appel de ce jugement, dans ses dispositions lui faisant grief.

M. [K] demande à la cour d'infirmer les dispositions du jugement, en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, et de condamner la société NSE à lui payer 39 923,33 euros au titre de l'indemnité en cause, outre 5 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Il fait valoir qu'aucune des dispositions convenues entre les parties, et figurant soit dans la résolution du 1er février 2017, soit dans la note de synthèse, n'exclut le droit pour M. [K] d'obtenir la rémunération de son mandat social jusqu'au terme de ses fonctions ; que cette rémunération constitue d'ailleurs l'unique contrepartie à l'exercice du mandat social, qui a comporté, dans son cas particulier, une importance et une utilité réelles pour la société. Il expose d'autre part que la recommandation n°2012-12 de l'AMF (autorité des marchés financiers) ne propose d'exclure les versements aux dirigeants sociaux démissionnaires que pour les seules rémunérations variables différées ou pluriannuelles, ce qui n'est pas le cas de celle en cause, et que cette recommandation évoque en revanche le versement d'une rémunération pour l'exercice en cours au moment du départ. M. [K] conteste d'ailleurs l'attitude déloyale que lui reproche la société NSE pour s'opposer à sa demande.

La société NSE demande à la cour de confirmer le jugement, en ce qu'il a débouté M. [K] de ses demandes, et de le réformer en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle.

Elle rappelle que selon l'article L. 225-63 du code de commerce, seul le conseil de surveillance est compétent pour fixer la rémunération de chacun des membres du directoire, et souligne que dans le cas de M. [K], cette autorité n'a prévu aucune rémunération pour lui, en cas de départ au cours d'un exercice social, au prorata du temps qu'il aura passé au service de la société pendant l'année de son départ. Elle invoque la recommandation n°2012-12 de l'AMF, qui suggère aux sociétés de préciser le sort des rémunérations variables, dans le cas notamment de démission d'un dirigeant, avec cette précision que dans ce cas « tout versement devrait être par principe exclu ». La société intimée relève ensuite que la rémunération du mandat social en cause était calculée sur la base des résultats de l'exercice annuel écoulé, de sorte qu'il est cohérent de la réserver à un dirigeant ayant accompli ses fonctions pendant un exercice entier. Elle fait valoir enfin que ces mêmes fonctions étaient en fait, pour M. [K], étroitement liées voire confondues avec ses fonctions de cadre salarié, et que d'autres membres du directoire, ayant eux aussi démissionné de leur mandat social en cours d'exercice, n'ont pas bénéficié de la rémunération variable pour l'année de leur départ.

La société NSE reproche d'autre part à M. [K] d'avoir eu un comportement déloyal : il a fait inscrire sur le compte épargne-temps de M. [X] [D] président du directoire, à la période de sa démission, un nombre de jours de congé supérieur à celui autorisé.

Elle réitère sa demande incidente en paiement d'une somme de 4 726,22 euros, en restitution d'un trop-perçu à la suite d'une erreur, commise dans le calcul des cotisations de retraite et de prévoyance de M. [K].

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 septembre 2023.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées le 12 et le 19 septembre 2023.

Motifs de la décision :

Sur la demande de rémunération formée par M. [K] :

Selon l'article L. 225-63 du code de commerce, l'acte de nomination fixe le mode et le montant de la rémunération de chacun des membres du directoire.

Le procès-verbal de la première réunion du conseil de surveillance de la SA NSE, tenue le 1er février 2017, contient dans sa quatrième page un paragraphe « Rémunération du directoire », ainsi rédigé : « Le président du conseil de surveillance présente les modalités de rémunération des membres du directoire. / Les membres du conseil de surveillance en prennent acte et décident de fixer la rémunération de chacun selon les modalités exposées » (pièce n°3 de la SA NSE). Il est incontesté entre les parties que les modalités ainsi exposées, et adoptées par le conseil de surveillance, sont celles détaillées dans la note de synthèse déjà citée, qui a fixé les rémunérations de chacun des trois membres du directoire, nommément désignés.

La note de synthèse, déterminant la rémunération allouée à M. [K], prévoit que celle-ci, ayant le caractère d'une rémunération variable versée en cas de bonnes performances de la société, sera calculée en deux tranches : la première est due si le résultat d'exploitation (« EBITDA ») ressortant des comptes sociaux est supérieur ou égal à 500 000 euros ; la seconde, se cumulant à la première, est due si le résultat cumulé des filiales de NSA était supérieur ou égal à 500 000 euros.

La note de synthèse prévoit ensuite que ces rémunérations seront versées, à compter de l'exercice 2019, « au début du second semestre N + 1 après approbation des comptes sociaux de l'exercice N », étant précisé que les comptes sociaux, arrêtés au 31 décembre de chaque année, sont approuvés au plus tard le 30 juin suivant par l'assemblée générale des actionnaires.

Les autres documents de valeur normative internes à la SA NSE (règlement du conseil de surveillance, règlement du directoire) ne contiennent aucune précision sur la question de savoir si le dirigeant cessant ses fonctions au cours d'un exercice comptable, a droit au versement d'une rémunération variable, calculée a posteriori sur les résultats de cet exercice.

La recommandation n°2012-12 de l'AMF, dans sa partie relative à la partie variable de la rémunération des dirigeants sociaux, suggère que les sociétés concernées « précisent ce qu'il advient de la rémunération variable différée ou pluriannuelle dans les différentes hypothèses de départ du dirigeant », entre autres la démission, hypothèses « pour lesquelles tout versement devrait être par principe exclu sauf à justifier de circonstances exceptionnelles ».

Cette recommandation n'a cependant pas de valeur impérative, et ne saurait suppléer les omissions de l'acte de nomination des membres du directoire, seul acte qui, selon la loi, puisse fixer leur rémunération ; de plus, la recommandation n'est pas applicable à la rémunération en cause, qui est certes variable, mais non pas différée ou pluriannuelle, puisqu'elle a vocation à être versée en une seule fois, sur la base des résultats de la seule année précédente.

Le « Code AFEP MEDEF », invoqué lui aussi par la SA NSE, ne constitue pas davantage une norme directement applicable, à défaut de disposition expresse des instances dirigeantes de la société.

L'absence de toute précision, dans la note de synthèse ou dans les autres documents internes à la société, sur la question du versement de la rémunération variable au titre de l'année au cours de laquelle le mandataire quitte ses fonctions, ne permet pas à elle seule d'exclure le droit de ce mandataire à obtenir ce versement : aucune disposition ne l'interdit, lorsque le départ du mandataire intervient avant la fin d'un exercice comptable ; la rémunération a pour objectif de rétribuer les efforts déployés par les dirigeants dans l'intérêt de la société, pendant tout le cours de leur mandat : aucun motif de principe ne s'oppose donc à ce que le bénéfice leur soit refusé, pour l'année au cours de laquelle ils ont continué, pour partie, d'exercer leurs fonctions dans l'intérêt social. La circonstance, d'autre part, que les comptes sociaux de cette année n'ont pas été approuvés à la date de ce départ, n'interdit pas de calculer et de verser la rémunération après cette date, après que les comptes aient été approuvés.

Le fait d'ailleurs que M. [K] ait eu, selon la SA NSE, un comportement déloyal en faisant inscrire sur le compte épargne-temps de M. [D] un nombre de jours supérieur à celui autorisé, et le fait qu'aucun autre des dirigeants sociaux ayant quitté leurs fonctions au sein de la société, n'ait bénéficié de la rémunération variable sur la base des résultats de l'année de leur départ, ne sont pas de nature à exclure le droit pour chaque dirigeant d'obtenir cette rémunération.

Il en résulte que M. [K] est fondé, en l'absence de toute disposition contraire prise par le conseil de surveillance, à obtenir le versement de la rémunération calculée sur la base des résultats obtenus par la société pendant l'année de son départ (l'année 2019), cette rémunération devant être fixée pro rata temporis, pour la fraction de cette année pendant laquelle il a exercé ses fonctions.

M. [K] produit aux débats le rapport de gestion de la SA NSE pour l'année 2019, dont il ressort que l'EBITDA s'est élevé pour cette année à 11 177 000 euros, soit au-delà du seuil de 500 000 euros, à partir duquel le versement de la rémunération variable lui est due (pièce n°16, page 19) ; il a donc droit, en application de la note de synthèse susdite, à une rémunération qui serait, selon le calcul présenté par M. [K], et non contesté par la société intimée, fixé pour une année entière à 4 % de sa rémunération fixe brute (salariale), outre « 0,5 % de l'EBITDA constaté », soit une somme de 4 000 + (11 177 000 x 0,5%) = 4 000 + 55 885 = 59 885 euros ; cette somme, rapportée au nombre de mois d'activité de M. [K] pendant l'année 2019, permet de calculer la rémunération en cause à 59 885 x (8/12) = 39 923,33 euros. M. [K] est donc bien fondé en sa demande présentée à hauteur de cette somme, il convient d'y faire droit en réformant le jugement déféré.

Sur les autres demandes :

La SA NSE demande paiement, par M. [K], d'une somme totale de 4 726,22 euros, au titre d'un « trop perçu de cotisations de retraite et de prévoyance au bénéfice de M. [S] [K] », pour les années 2018 (2115,48 euros) et 2019 (2 610,74 euros). Cette société expose que l'une de ses salariée Mme [V] « s'est aperçue d'une erreur qu'elle aurait commise fin août 2021 dans le calcul des cotisations, » mais affirme ensuite en revanche que c'est « l'organisme de prévoyance qui a sollicité la société NSE aux fins de régularisation » (page 29 de ses conclusions).

La SA NSE ne précise pas la cause exacte du trop-perçu dont elle fait état, expression qui semble suggérer que M. [K] aurait reçu un versement indu ; les pièces justificatives qu'elle présente au soutien de sa demande sont des décomptes non signés concernant chacune des années 2018 et 2019, indiquant les « montants de retraite » (ou les « montants de prévoyance ») « que [S] doit à NSE », et les copies de messages échangés en juillet 2019, puis en septembre 2021, entre plusieurs dirigeants ou collaborateurs de la SA NSE ; il ressort de ces messages que la salariée alors chargée d'établir les bulletins de paie, Mme [I] [V], aurait fait une erreur, en omettant d'intégrer, dans la base des cotisations sociales dues pour les rémunérations versées à M. [K] au titre de son mandat, un « bonus » qu'il aurait reçu à ce titre ; et qu'un autre dirigeant social qui s'était trouvé dans la même situation, M. [U], aurait « régularisé » ses cotisations, sans autre précision sur les modalités de cette régularisation (attestation informelle de Mme [R] [N] directrice des ressources humaines).

M. [K] conteste cependant cette demande, et fait valoir que le président du conseil de surveillance avait décidé de ne plus soumettre la rémunération variable aux charges sociales.

Il ne ressort pas de ces éléments la preuve que M. [K] ait perçu indûment, en exécution de son mandat social pendant les années 2018 et 2019, certaines sommes qui auraient dû être prélevées au titre de cotisations sociales : les documents que produit cette société, émanant pour la plupart de ses propres services (sauf un message de M. [A] [W] commissaire aux comptes), sont insuffisamment précis et explicites. De plus, dans le cas même où ces prélèvements auraient dû être opérés, les cotisations éludées seraient dues non pas à la SA NSE, mais à l'organisme ou aux organismes sociaux ou de prévoyance, créanciers éventuels de ces cotisations ; or la SA NSE ne fait pas état de contrôles de la part de ces organismes, ou de régularisations qu'ils auraient opérées à ce titre. Sa demande n'apparaît fondée ni en répétition de l'indu (elle n'était pas créancière des sommes en cause), ni pour un quelconque autre motif ; le tribunal l'a rejetée à bon droit et le jugement sera confirmé de ce chef.

La résistance de la SA NSE au paiement de la somme demandée en principal par M. [K] ne peut être qualifiée d'abusive, la demande de dommages et intérêts qu'il présente pour ce motif a été rejetée à bon droit par le tribunal. Le jugement sera encore confirmé, en ce qu'il a condamné la SA NSE aux dépens. Il sera fait droit pour partie à la demande de M. [K] fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;

Infirme le jugement déféré, en ce qu'il a débouté M. [K] de toutes ses demandes ;

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la SA NSE à payer à M. [S] [K] une somme de 39 923,33 euros à titre de rémunération variable de son mandat social, calculée sur la base des résultats de l'année 2019, et une somme de 2 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Confirme le jugement déféré en ses autres dispositions ;

Condamne la SA NSE aux dépens d'appel ;

Rejette toutes autres demandes.