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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-1, 2 avril 2024, n° 22/00621

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pellenc (SAS)

Défendeur :

MMA IARD (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Manes

Conseillers :

Mme Cariou, Mme Du Crest

Avocats :

Me Dupuis, Me Guiguet, Me Debray, Me Korvin, Me Clavier, Me Huillier

TJ Versailles, du 4 janv. 2022, n° 18/08…

4 janvier 2022

FAITS ET PROCÉDURE

Le 22 août 2008, la société Pellenc, qui a pour activité l'étude et la réalisation d'ensembles mécaniques et l'achat et la vente de matériel agricole, a déposé un brevet d'égrappoir, une machine permettant l'égrenage du raisin après vendange en séparant, par vibrations de bras oscillants, les grains de raisin du reste de la grappe.

Reprochant à la Société Occitane de Maintenance (ci-après désignée « la société Socma ») d'avoir vendu un égrappoir dénommé « le Cube », doté d'un mécanisme similaire, la société Pellenc, assistée par M. [D], avocat au barreau des Hauts-de-Seine, a fait pratiquer une saisie-contrefaçon sur le fondement de laquelle elle a assigné sa concurrente la société Socma en contrefaçon du brevet européen inclus dans sa machine à vendanger.

Par jugement du 24 octobre 2014, le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de Paris a débouté la société Pellenc de ses demandes, notamment aux motifs que :

« La revendication 1 du brevet invoqué ne couvre pas la caractéristique de l'égrenage par deux ensembles de bras animés par des moyens moteurs d'un mouvement oscillatoire à haute fréquence, prise isolément, mais un égrappoir constitué d'une bande transporteuse qui convoie les grappes, et d'un dispositif égreneur disposé au-dessus de cette bande transporteuse, constitué de deux ensembles comprenant chacun une pluralité de bras séparateurs superposés, espacés et disposés en vis-à-vis, auxquels un mouvement oscillatoire à haute fréquence est communiqué par des moteurs.

Il n'existe pas, dans le dispositif argué de contrefaçon, de bande transporteuse, la vendange étant amenée par gravité dans l'espace délimité par deux ensembles de bras, qui sont juxtaposés et non superposés, les baies et les rafles étant ensuite réceptionnées sur un ensemble de tiges situées sur le caisson. Il s'ensuit que la revendication 1 n'est pas reproduite.

La revendication 1 n'étant pas contrefaite, les revendications 2, 3, 4, 7 et 8, qui se situent dans la dépendance et couvrent des caractéristiques additionnelles, ne le sont pas davantage. »

Le 11 décembre octobre 2014, M. [C], avocat postulant de M. [D], a déposé une déclaration d'appel de ce jugement au greffe de la cour d'appel de Paris.

Le 13 mars 2015, les conclusions d'appelante ont été signifiées par M. [C] via le réseau privé virtuel avocats (RPVA).

Par ordonnance du 14 avril 2015, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de l'appel au motif que la signification des conclusions d'appelante était tardive.

Par lettre du même jour, M. [D] a fait une déclaration de sinistre auprès de sa compagnie d'assurance, Covéa Risks, aux droits de laquelle vient désormais la société MMA IARD.

La société Pellenc a assigné M. [D], la société MMA IARD et M. [C] aux fins de voir engager la responsabilité civile professionnelle des avocats et la garantie de l'assurance et d'obtenir le paiement de la somme de 1 864 000 euros en réparation de son préjudice outre la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire rendu le 4 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Versailles :

Rejette l'exception d'incompétence soulevée par Me [C],

Dit que le présent tribunal est compétent,

Déboute la société Pellenc de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Pellenc à payer à Me [D] et MMA IARD la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Pellenc à payer à Me [C] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement,

Condamne la société Pellenc aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Pellenc a interjeté appel de ce jugement le 31 janvier 2022 à l'encontre de M. [F] [D], M. [G] [C] et la société MMA IARD.

Par dernières conclusions notifiées le 18 octobre 2022, la société Pellenc demande à la cour de :

Vu les articles 47, 411 et suivants et 908 du code de procédure civile,

Vu les articles 1231-1, 1353 et 2224 du code civil,

Vu les pièces versées au débat,

Vu le rapport de M. [X] du 31 mai 2018,

Vu la Nouvelle Opinion d'Expert de M. [X] du 30 novembre 2019,

Vu le rapport de Maître [B] du 6 janvier 2020,

Vu les jurisprudences susvisées,

Déclarer la société Pellenc recevable et bien fondée en son appel,

Y faire droit,

Déclarer Me [C] mal fondé en son appel incident,

L'en débouter,

En conséquence,

Confirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Versailles en date du 4 janvier 2022 en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Me [C] et retenue sa compétence pour connaître de l'affaire,

Confirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Versailles en date du 4 janvier 2022 en ce qu'il a retenu la responsabilité de Me [C] et Me [D] à l'égard de la société Pellenc,

Infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Versailles en date du 4 janvier 2022 en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de la société Pellenc, et condamné la société Pellenc au paiement de la somme de 5.000 euros à Me [C] et 5.000 euros à Me [D] et la MMA,

Et statuant à nouveau,

Condamner solidairement Me [C] et Me [D] à verser à la société Pellenc la somme de 6 040 000 euros (six millions quarante mille euros) en réparation de son entier préjudice,

Condamner solidairement Me [C], Me [D] et la MMA à verser la société Pellenc la somme de 81 248,24 euros, à parfaire, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner Me [C], Me [D] et la MMA aux entiers dépens de la présente instance, dont distraction au profit de la SELARL Lexavoue Paris-Versailles qui sera autorisée à en poursuivre le recouvrement direct, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 21 septembre 2023, M. [F] [D] et la société MMA IARD demandent à la cour de :

Vu la Jurisprudence,

Vu les articles 1231-1 et 1240 du Code civil,

Vu l'article L. 615'7 du code de la propriété intellectuelle,

Confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Débouter la société Pellenc de l'intégralité de ses demandes ;

Y ajoutant

Condamner la société Pellenc à payer à la Compagnie MMA IARD SA la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

Condamner la société Pellenc aux entiers dépens, conformément à l'article 699 du CPC.

Par dernières conclusions notifiées le 9 novembre 2023, M. [G] [C] demande à la cour de :

Vu l'article L 615-17 du code de la propriété intellectuelle ;

Vu les articles 1103 et suivants du Code civil ;

Vu l'article 1231-1 du code civil ;

Vu l'article 1238 de l'avant-projet de réforme du Code civil ;

Infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence ;

Déclarer la juridiction versaillaise incompétente au profit du Tribunal Judiciaire de Paris ;

Subsidiairement :

Confirmer le jugement rendu le 04 janvier 2022 par le Tribunal Judiciaire de Versailles ;

Débouter Pellenc SAS de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de Me [G] [C] ;

Condamner Pellenc SAS à verser à Me [G] [C] la somme de 8.000euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner Pellenc SA aux dépens.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 9 novembre 2023.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de l'appel

Il résulte des écritures susvisées que le jugement est querellé en toutes ses dispositions et que le débat se présente dans les mêmes termes qu'en première instance.

Sur l'exception d'incompétence

Moyens des parties

Poursuivant l'infirmation du jugement, M. [C] considère que la cour doit se déclarer incompétente au profit du tribunal judiciaire de Paris au fondement des articles L. 615-17 et D. 211-6 du code de la propriété intellectuelle, au motif que la question de la contrefaçon de brevet est au c'ur de la présente procédure puisque l'existence d'un préjudice et son éventuelle évaluation dépend de l'examen du caractère contrefaisant de celui-ci.

Poursuivant la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par M. [C], la société Pellenc fait valoir que la présente instance en responsabilité civile professionnelle fondée sur l'article 1231-1 du code civil ne rentre pas dans le champ des actions prévues à l'article L. 615-17 du code de la propriété intellectuelle, d'interprétation stricte, en ce que les règles propres à la législation des brevets ne sont, en l'espèce, pas exclusivement en cause. Elle ajoute que les éléments techniques de la présente procédure ne visent qu'à établir sa perte de chance, mais que le fondement procédural sont les règles de droit commun de la responsabilité civile.

M. [D] ne conclut pas sur ce point.

Appréciation de la cour

L'article L. 615-17, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle dispose que (souligné par cette cour) « les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d'invention, y compris dans les cas prévus à l'article L. 611-7 ou lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux judiciaires, déterminés par voie réglementaire, à l'exception des recours formés contre les actes administratifs du ministre chargé de la propriété industrielle qui relèvent de la juridiction administrative ».

En l'espèce, la société Pellenc a formé un recours devant le tribunal judiciaire de Versailles puis devant la cour d'appel au fondement exclusif de l'article 1231-1 du code civil, afin de voir engager la responsabilité civile professionnelle de ses conseils pour ne pas avoir signifié, dans le délai prévu à l'article 908 du code de procédure civile, les premières conclusions d'appelante. La cour est donc saisie d'une action en responsabilité qui implique de déterminer, prioritairement, l'existence d'une faute professionnelle au regard de l'obligations de diligences et de conseil à laquelle est tenue l'avocat assurant une mission de représentation et d'assistance.

Il s'ensuit que l'objet de la présente procédure n'est pas relatif aux brevets d'invention, pas plus qu'à une question connexe de concurrence déloyale, l'examen de la possibilité de caractériser l'existence d'une contrefaçon au détriment de la société Pellenc n'intervenant que dans un second temps, lors de la reconstitution du débat qui aurait pu avoir lieu, en l'absence de faute, devant la cour d'appel de Paris afin d'apprécier l'existence d'une perte de chance, à supposer qu'au préalable la faute de ses conseils ait été retenue.

L'exception d'incompétence soulevée est donc mal fondée et doit être rejetée. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la faute des avocats et le lien de causalité

Moyens des parties

Poursuivant la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute imputable à M. [D] et à M. [C], la société Pellenc fait valoir, au fondement de l'article 1231-1 du code civil, que tant son avocat plaidant que son avocat postulant ont commis une faute en signifiant des conclusions d'appelant le 13 mars 2015, au-delà du délai de trois mois prévu par l'article 908 du code de procédure civile à compter de la déclaration d'appel (qui avait été déposée le 11 décembre 2014), alors qu'ils étaient tenus à une obligation de résultat quant au respect des délais de procédure. Elle précise que M. [D] n'a transmis les conclusions d'appelant à M. [C] pour signification que le 12 mars 2015 à 18h30, de sorte que M. [D] a nécessairement contribué à la réalisation de la faute, le délai s'achevant le 11 mars 2015. Elle estime que leur faute est directement à l'origine de la caducité de l'appel, l'empêchant de bénéficier d'un deuxième degré de juridiction.

M. [D] ne conteste pas avoir commis une faute.

Poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu que tant M. [D], avocat plaidant, que lui-même, avocat postulant, avaient commis une faute engageant leur responsabilité, M. [C] fait valoir qu'il a reçu les conclusions de M. [D] le 12 mars 2015 à 18h30, soit postérieurement à l'expiration du délai d'appel (le 11 mars 2015), de sorte qu'il n'est pas responsable de la tardiveté des conclusions. Répliquant à l'argument de M. [D], il ajoute que sur une matière aussi technique, il ne pouvait se contenter de copier les conclusions de première instance pour éviter une caducité d'appel.

Appréciation de la cour

Selon l'article 1231-1 du code civil (ancien article 1147), le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Selon les articles 412 et 413 du code de procédure civile, la mission d'assistance en justice emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l'obliger.

Le mandat de représentation emporte mission d'assistance, sauf disposition ou convention contraire.

L'article 908 du code de procédure civile, dans sa version applicable au litige, dispose qu'à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure.

Ce délai de trois mois court à compter de l'acte de d'appel et non de l'enregistrement de ce dernier par le greffe (2ème civ., 5 juin 2014, n°13-21023).

En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [D], avocat plaidant de la société Pellenc, était investi d'une mission d'assistance. Il était donc tenu à une obligation de conseil, mais également d'une obligation de diligences et de prudence dans l'accomplissement des actes de procédure.

Après avoir interjeté appel le 11 décembre 2014, M. [D] n'a transmis ses conclusions d'appelant que le 12 mars 2015 en fin de journée, lesquelles ont été signifiées tardivement le 13 mars 2015 par M. [C], avocat postulant, entraînant le prononcé d'une caducité de l'appel.

M. [D] a donc manqué à son obligation de conseil en se trompant sur l'expiration du délai d'appel dans sa lettre adressée à M. Pellenc le 17 décembre 2014 (pièce 15 appelante), et à son obligation de diligences en signifiant des conclusions tardivement. Du reste, il n'a jamais contesté avoir commis une faute et, après avoir effectué une déclaration de sinistre, il a écrit au directeur de la société Pellenc et reconnu « son erreur » (pièces 19, 22 et 23 de l'appelante).

S'agissant de M. [C], avocat postulant devant la cour d'appel de Paris, il était tenu d'accomplir les actes de procédure et de signer les conclusions, s'appropriant par là leur contenu, même si elles avaient été préparées par l'assistant (Cass. 1re civ., 14 janv. 1981 ; Cass. 1re civ., 29 avr. 1997, n° 94-21.217). Il lui appartenait donc de s'assurer du respect des délais de procédure, et d'informer l'avocat plaidant des dates d'audience et de l'expiration des délais pour conclure.

Il est constant qu'il a reçu tardivement les conclusions d'appelant rédigées par M. [D]. Il lui appartenait cependant de s'assurer du respect du délai de l'article 908 précité, le cas échéant en appelant l'attention du plaidant sur la nécessité de transmettre des conclusions. En signifiant des conclusions d'appelant le 13 mars 2015, alors que le délai pour conclure expirait le 11 mars 2015, il a manqué à son obligation de diligences et commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Il s'ensuit que les fautes commises par M. [D] et M. [C] sont de nature à engager, à parts égales à l'égard de la société Pellenc, leur responsabilité civile professionnelle.

Sur le préjudice

Pour rejeter la demande de la société Pellenc, le jugement a considéré que la chance d'obtenir gain de cause en appel était très hypothétique, voire inexistante, de sorte qu'aucun préjudice de perte de chance n'était caractérisé.

Il a tout d'abord considéré, pour reconstituer le procès devant la cour d'appel de Paris, que seule l'analyse de chacun de moyens de l'invention pris isolément, pour déterminer l'existence d'une contrefaçon par équivalent, était envisagée dans les premières conclusions d'appel de la société Pellenc, de sorte qu'une analyse par la combinaison des moyens pour déterminer la fonction globale de l'invention ne devait pas être prise en compte lors de la reconstitution du débat.

Adoptant une analyse de chacun des moyens de la machine de la société Pellenc (égrappoir constitué d'une bande transporteuse constitué de deux ensemble comprenant chacun une pluralité de bras séparateurs superposés, espacés et disposés en vis-à-vis) et de la société Socma (égrenage par deux ensembles de bras juxtaposés animés par des moyens moteurs d'un mouvement oscillatoire à haute fréquence), il en a déduit que la contrefaçon par équivalent n'était pas constituée puisque la revendication 1 du brevet (de laquelle dépendent les suivantes) que « concerne un égrappoir ou « érafloir » linéaire à mouvements oscillants alternatifs » n'était pas reproduite.

Moyens des parties

Poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation, la société Pellenc soutient qu'elle avait une chance certaine d'obtenir condamnation de la société Socma pour contrefaçon en appel.

A titre liminaire, elle fait valoir, au fondement des articles 563 et 954 alinéa 2 du code de procédure civile, que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la reconstitution du procès qui aurait dû avoir lieu doit tenir compte du fait qu'elle avait adopté la stratégie de soutenir, au stade de l'appel, le moyen nouveau de la contrefaçon par équivalent du brevet européen (après avoir soutenu la contrefaçon littérale en première instance) en adoptant une analyse de la fonction globale par la combinaison des moyens.

Elle ajoute que ni les textes ni la jurisprudence ne précise le moment où ces nouveaux moyens peuvent être évoqués de sorte qu'une partie peut en faire état à tout moment de la procédure et jusqu'à la clôture de la procédure d'appel. Elle en déduit que cette reconstitution doit prendre en compte tous les arguments qu'auraient pu soulever les parties dans le cadre de l'instance, sans se limiter à ceux présentés dans le cadre des premières conclusions d'appel qui ont été signifiées tardivement.

S'appuyant sur un rapport d'expertise du 30 novembre 2019 (ci-après le « rapport [X] 2 ») et sur le rapport de M. [B] du 6 janvier 2020 (ci-après « le rapport [B] »), elle examine la contrefaçon par équivalent en adoptant une analyse de la fonction globale de la machine litigieuse par la combinaison des moyens mis en 'uvre. Elle précise que la combinaison nécessite la coopération des moyens en vue d'un résultat distinct de la simple addition des moyens juxtaposés, ce qui, selon elle, est visée par le brevet européen EP 514.

Elle fait valoir qu'en l'espèce, l'invention réside dans la fonction globale qui doit être examinée comme étant celle née de la combinaison des moyens. Elle définit cette fonction globale en reprenant les termes de M. [B] : « la fonction globale de l'invention (') est de séparer les grains des rafles en détachant les grains par le mouvement alternatif imparti aux grappes. Ce mouvement alternatif provoque le détachement des grains par inerties, assurant ainsi le résultat de l'invention (l'absence de trituration) ».

S'appuyant sur le rapport d'expertise du 31 mai 2018 (ci-après « le rapport [X] 1 »), elle fait valoir qu'en tout état de cause, même si la contrefaçon par équivalent était appréciée avec une analyse de la fonction de chaque moyen pris isolément, le raisonnement aurait permis, de façon certaine, d'établir l'existence d'une contrefaçon par équivalent de son brevet européen EP 514.

La société Pellenc estime qu'elle avait une chance de succès à hauteur de 80%, ou a minima de 50%.

Considérant que l'expert [X] s'est montré très conservateur, elle précise que son préjudice doit être calculé en fonction de ce qu'elle aurait pu obtenir devant la cour d'appel de Paris ou des gains dont elle a été privée en raison de l'absence de condamnation de la société Socma. Selon elle, son préjudice est constitué :

Des dommages et intérêts qu'elle aurait pu obtenir devant la cour d'appel de Paris en application de l'article L. 615-7, alinéas 1 et 2, du code de la propriété intellectuelle, soit le bénéfice retiré par le contrefacteur, soit la somme forfaitaire qui aurait du lui être payée au regard des redevances qui auraient été dues, entre 2012 et la décision de la cour d'appel (dont elle estime qu'elle aurait pu être rendue fin 2017 ' début 2018 (soit le 31 décembre 2017). Elle estime ce premier chef de préjudice entre 720 000 euros et 2 700 000 euros ;

De l'interdiction sous astreinte de poursuivre la contrefaçon (après la décision de la cour d'appel de Paris et jusqu'à l'expiration du brevet en août 2028). S'appuyant sur les comptes publiés de la société SOCMA qui font état d'une hausse de son chiffre d'affaires et de son résultat d'exploitation à compter de 2012, la société Pellenc estime qu'elle aurait pu réaliser une marge supplémentaire estimée entre 600 000 euros et 4,8 millions d'euros ;

Des frais irrépétibles devant la cour d'appel de Paris qui ne sauraient, selon elle, être inférieurs à 50 000 euros.

Elle sollicite donc la condamnation solidaire des intimés à lui verser une somme (correspondant à l'estimation la plus haute) de 6 040 000 euros.

Poursuivant la confirmation du jugement, M. [D] demande à la cour de rejeter les demandes de la société Pellenc aux motifs :

d'une part, que cette dernière n'envisageait pas de mettre dans le débat la fonction globale de l'invention par l'examen de la combinaison des moyens, ce raisonnement n'ayant été développé, selon lui, que pour les besoins de l'action en responsabilité ; que la société Pellenc entendait soutenir que les caractéristiques relatives à la bande transporteuse, le dispositif égreneur et à la pluralité des bras séparateur étaient remplacés, sur « Le cube » par des moyens équivalents et que les fonctions visant le transport des grappes et la séparation des baies des grappes étaient nouvelles de sorte que la contrefaçon par équivalent était, selon elle, caractérisée,

d'autre part, que le raisonnement ainsi développée par la société Pellenc ne permettait pas d'établir une contrefaçon par puisque soit les fonctions de la machine Pellenc n'étaient pas reproduites à l'identique, soit elles n'étaient pas nouvelles.

En premier lieu, sur le périmètre du débat qui aurait eu lieu devant la cour d'appel de Paris, M. [D] indique que la stratégie que la société Pellenc prétend avoir envisagée de soutenir (analyse de la fonction globale de l'invention par la combinaison des moyens), outre qu'elle n'était pas développée dans les conclusions d'appel que comptait signifier la société Pellenc, n'était pas davantage invoquée ni dans l'assignation, ni dans le rapport [X] 1. Il ajoute qu'en tout état de cause, la fonction de la combinaison des moyens dans leur globalité ou la fonction des moyens pris séparément est la même c'est-à-dire séparer les baies des grappes.

En second lieu, sur l'absence de caractérisation de la contrefaçon par équivalent, il indique que deux moyens sont dits techniquement équivalents s'ils remplissent la même fonction en vue d'un même résultat ou d'un résultat de même nature, tout en ayant des formes ou des structures différentes. Il ajoute que pour que la contrefaçon par équivalent soit établie il est nécessaire que le moyen breveté n'exerce pas une fonction connue au jour du dépôt du brevet, et que la fonction doit être nouvelle.

S'appuyant sur un rapport d'expertise des cabinets Gide et Regimbeau du 12 juillet 2019, il examine chacun des moyens mis en 'uvre par « Le cube » et conclut que :

La bande transporteuse de l'égrappoir de la société Pellenc est équivalente au dispositif de transport par gravité du « Cube » et sert au transport des grappes vers le dispositif d'égrenage des grappes. Toutefois, cette fonction n'est pas nouvelle.

Le dispositif égreneur situé au-dessus de la bande transporteuse de la machine de la société Pellenc n'est pas équivalent au dispositif du Cube dans lequel les grappes sont déversées les unes au-dessus des autres dans une trémie.

Dans le « cube » les bras séparateurs ne sont pas superposés, mais au contraire juxtaposés, les uns à côté des autres, dans une direction horizontale, de sorte que même si le dispositif est distinct, la fonction est la même (séparer les baies de la grappe). Il considère cependant que la fonction liée à l'utilisation de bras oscillants superposés était connue auparavant (brevet européen EP 0 826 959).

Il en déduit que la contrefaçon par équivalent n'est pas démontrée de sorte que, selon lui, la société Pellenc n'avait aucune chance d'obtenir gain de cause.

A titre subsidiaire, il conteste le chiffrage de son préjudice par la société Pellenc et ajoute que :

le taux de perte de chance ne peut légitimement pas être évalué à 80% ;

la société Pellenc réclamait au départ une provision de 200 000 euros, sans demander la désignation d'un expert pour chiffrer son préjudice, de sorte que, selon lui, la cour ne peut évaluer un préjudice qui repose sur des gains hypothétiques qui auraient pu résulter de procédures ultérieures ;

la société Pellenc ignore le nombre de « cubes » vendus par la société SOCMA et ne tient pas compte du fait que cette dernière vend une vingtaine d'autres machines vinicoles et agro-alimentaires ;

la société Pellenc n'est pas la seule société à vendre des égrappoirs sur le marché ;

la société Pellenc ne produit pas ses bilans de sorte qu'il est légitime de penser qu'elle n'a subi aucune perte en 2012 ;

qu'en sollicitant un préjudice résultant de la contrefaçon jusqu'à l'expiration du brevet, elle demande en réalité non pas une perte de chance qui résulterait d'une absence de décision de la cour d'appel de Paris mais un préjudice économique qui serait causé par l'exploitation actuelle du « cube » par la société SOCMA.

Poursuivant la confirmation du jugement, M. [C] sollicite le rejet des demandes de la société Pellenc.

Invoquant un brevet allemand DE 2 519 120 publié le 18 mars 1976 et un brevet européen EP 1002 487 (évoqué dans le rapport Gide/Regimbeau du 12 juillet 2019), il soutient tout d'abord que la fonction consistant à séparer les baies des grappes n'est pas nouvelle. Il ajoute que la société Pellenc n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause l'argumentation du tribunal.

En outre, il conteste le chiffrage de son préjudice par la société Pellenc en rappelant que la société SOCMA commercialise d'autres machines, que la société Pellenc ne tient pas compte des gains résultant de sa propre activité et que les jugements de première instance ne seraient infirmés qu'à hauteur de 20%.

Enfin, il considère que les dommages-intérêts établis sur la base des bénéfices réalisés par le contrefacteur de même que la demande procédant d'un coefficient multiplicateur de la redevance contractuelle qu'aurait dû payer le contrefacteur dans le cadre d'un contrat de licence, présentent un incontestable caractère punitif qui ne peut « par principe » s'appliquer qu'au coupable de la contrefaçon mais pas à la responsabilité civile de son avocat auquel est reproché « une simple erreur technique qui n'a rien à voir avec la contrefaçon elle-même ».

Appréciation de la cour

Le professionnel qui a manqué à son obligation de diligence sera condamné à réparer le préjudice en résultant de manière certaine. Ainsi, lorsque ses clients, dûment conseillés et assistés, auraient, de manière certaine, évité le dommage si l'avocat n'avait pas failli, ce dernier sera condamné à le réparer.

Lorsque le dommage directement causé par la faute de l'avocat consiste en la disparition de la possibilité d'un évènement favorable, sa réparation ne peut être accordée qu'au titre d'une perte de chance, entendue comme la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, qui doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. Il appartient à celui qui s'en prévaut d'établir un lien de causalité direct entre la perte de chance alléguée et la faute.

La perte de chance subie par le justiciable qui a été privé de la possibilité de faire valoir ses droits par la faute d'un auxiliaire de justice, se mesure donc à la seule probabilité de succès de la diligence omise.

Il incombe à la société Pellenc de démontrer qu'une action devant la cour d'appel de Paris avait des chances certaines, mêmes faibles, de prospérer. Il est dès lors nécessaire pour ce faire de reconstituer la discussion qui aurait pu avoir lieu devant cette juridiction.

Pour cela, il convient tout d'abord d'examiner si le périmètre des moyens nouveaux soulevés par la société Pellenc devant la cour d'appel de Paris est limité à ceux soulevés dans les premières conclusions d'appelant qu'elle a signifiées tardivement (1), puis de reconstituer le débat pour déterminer l'existence d'une perte de chance (2).

Sur le périmètre des moyens nouveaux susceptibles d'avoir été soulevés devant la cour d'appel de Paris

Selon l'article 563 du code de procédure civile relatif à l'effet dévolutif de l'appel, pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.

En l'espèce, alors qu'en première instance, la société Pellenc a développé son argumentation sur la contrefaçon littérale (reproduction à l'identique des revendications d'un brevet), elle a développé une argumentation relative à la contrefaçon par équivalence au stade de l'appel (pièces 17 et 22 de l'appelante). Cette théorie consiste à examiner les moyens de l'invention et à déterminer s'ils sont équivalents à ceux de la machine alléguée de contrefaisante.

M. [D] fait valoir que la reconstitution du débat est circonscrite aux moyens développés par la société Pellenc dans ses premières conclusions d'appelante (analyse de la fonction de chaque moyen de l'invention pris isolément), finalement déclarées irrecevables. La société Pellenc réplique qu'elle entendait au contraire élargir son argumentation à l'examen de la fonction globale de la combinaison des moyens et qu'elle était libre de soulever des moyens nouveaux postérieurement à ses premières conclusions d'appelante.

Force est de constater que l'article 953 précité n'impose aucune condition quant au moment auquel les moyens nouveaux doivent être soulevés, le concluant est seulement tenu par l'interdiction de présenter, à hauteur d'appel, des demandes nouvelles (article 564 du code de procédure civile) et par le principe de la concentration des demandes (article 910-4 du code du procédure civile).

Pour déterminer si une partie avait une chance d'obtenir gain de cause devant la juridiction, la cour doit procéder à une reconstitution fictive des débats, « au vu des conclusions complémentaires et des pièces nouvelles susceptibles d'enrichir le débat, de la discussion qui aurait pu s'instaurer » (souligné par la cour) (Civ. 1ère, 1er juin 2016, n°15-20.397 ; Civ. 1ère, 12 juillet 2007, 06-14.734). Il résulte de cette jurisprudence que le débat n'est pas limité aux moyens soulevés avant le prononcé de la caducité, mais à l'ensemble des moyens qui « aurait pu » (l'emploi du conditionnel est significatif) être soulevé si la caducité n'avait pas eu lieu.

Il s'ensuit que c'est à tort que les premiers juges ont retenu que le débat était circonscrit aux moyens tels que développés dans les premières conclusions d'appelante.

Sur la perte de chance

Pour tous les brevets, selon l'article L. 613-2 du code de la propriété intellectuelle, l'étendue de la propriété est déterminée par l'articulation de la description et des revendications. C'est uniquement par une analyse de celles-ci que l'on connaît précisément le périmètre de la propriété. Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter les revendications. Une revendication, qui ne s'appuierait pas sur un élément de la description, ne peut pas engendrer un effet d'appropriation, une description non revendiquée intègre le domaine public. L'un des enjeux de la définition du périmètre de la propriété réside alors dans l'interprétation des revendications. La jurisprudence écarte une simple analyse littérale de celles-ci, et recherche leur sens exact en utilisant l'ensemble des éléments du titre de propriété (Cass. com., 7 déc. 1982, n° 81-13.662 ; Com. 6 nov. 1984, n° 82-16.696) tout en évitant toute dénaturation, tout ajout d'une caractéristique. Si la revendication est ambiguë, elle doit être annulée car il n'est pas possible de lui donner un sens certain en raison des contradictions qu'elle porte au regard de la description. Si la revendication est complexe, elle doit être appréciée pour chacun de ses moyens séparément (Com., 9 mai 1990, n° 88-17.846).

Suivant la doctrine des équivalents, la portée de la propriété est étendue au-delà de l'énoncé littéral des revendications en incluant les différences mineures avec l'invention appropriée comme un équivalent et donc comme portant effectivement atteinte au droit de propriété (Cass. com., 2 nov. 2011, n° 10-30.907). La doctrine des équivalents vise à empêcher un tiers d'apporter des modifications mineures à l'invention appropriée par un brevet afin d'éviter de porter littéralement atteinte aux droits de propriété. Elle s'applique non pas à l'invention dans son ensemble, mais aux différents éléments exposés dans les revendications et permet de déterminer si des différences mineures existent entre l'invention appropriée et la technique considérée comme portant atteinte au brevet. En revanche, le propriétaire d'un brevet ne peut pas utiliser la doctrine des équivalents pour étendre la portée de ses revendications à des domaines qui n'auraient pas été légitimement acceptés par l'office des brevets. L'état de la technique limite la portée des équivalents généralement admis pour une revendication. La notion de contrefaçon par équivalence permet de ne pas réduire artificiellement la protection attachée au brevet. Cette théorie empêche les industriels de s'inspirer de l'enseignement d'un brevet et de remplacer les moyens de l'invention par d'autres moyens qui, bien que de forme différente, exercent la même fonction en vue d'un résultat similaire. Cette théorie est appliquée régulièrement par la jurisprudence.

Par ailleurs, la contrefaçon par équivalence de moyens suppose que le moyen breveté n'exerce pas une fonction connue, la fonction du moyen étant définie comme l'action de produire, dans l'application qui lui est donnée, un premier effet technique (Cass. com., 6 févr. 2019, n° 17-21.585). Si le moyen protégé est à la fois nouveau dans sa forme et dans sa fonction, il y a contrefaçon par équivalence (Cass. com., 8 juin 2017, n° 15-24.372).

Enfin, en présence de différences de forme des moyens mis en 'uvre, la reproduction de l'invention ne constitue pas une reproduction littérale des caractéristiques des revendications, mais que, remplissant les mêmes fonctions en vue du même résultat que l'invention, ou la fonction exercée par cette forme différente des moyens procurait les mêmes avantages en vue du même résultat, constitue une contrefaçon par équivalence (Cass. com., 5 juill. 2017, n° 15-20.554).

Pour qu'il y ait équivalence, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

il faut tout d'abord que le moyen ait une forme différente. Si le moyen consiste en un produit ou en un dispositif, le moyen équivalent sera une autre substance, s'il constitue en procédé, le moyen équivalent sera une autre manière d'agir. Il ne faut pas confondre cette condition avec les différences secondaires qui peuvent exister entre l'invention protégée et celle litigieuse. En cas d'équivalence, la forme même du moyen est différente, alors que quand il n'y a que des différences secondaires, la forme du moyen est identique. Ce sont seulement les modalités de l'invention qui diffèrent ;

ensuite, les moyens doivent remplir la même fonction ;

enfin les résultats doivent être semblables. La similitude n'implique pas l'identité. Ainsi peuvent-ils être de qualité ou de degrés différents.

Quand ces trois conditions sont remplies, pour savoir s'il y a une contrefaçon par équivalence, il faut distinguer deux hypothèses différentes :

Si le moyen protégé est à la fois nouveau dans sa forme et dans sa fonction, il y aura contrefaçon par équivalence.

En revanche, si le moyen protégé n'est nouveau que dans sa forme, la fonction n'est pas protégée. L'usage d'un moyen de forme différente, donc non protégée, pour remplir la même fonction, par hypothèse non protégée, n'est pas une contrefaçon par équivalent.

En l'espèce, il appartient à la société Pellenc de démontrer qu'elle avait une chance certaine d'obtenir la condamnation en appel de la société Socma en établissant l'existence d'une contrefaçon par équivalence entre sa propre machine et « le cube ».

Il est constant que la société Pellenc a déposé le brevet EP 514 le 22 août 2008, brevet délivré le 12 octobre 2011. Ce brevet, comportant une revendication principale : la revendication n°1 et 9 revendications dépendantes, porte sur un égrappoir linéaire à mouvements oscillants alternatifs ayant, pour objet d'égrener des petits fruits, et plus précisément des grappes de raisin suite à leur vendange.

La revendication 1 fait été de deux caractéristiques, que la société Pellenc reproche à la société SOCMA d'avoir reproduit indûment de façon équivalente :

Une bande transporteuse assurant le transport des grappes vers le dispositif égreneur ;

Le dispositif égreneur est situé au-dessus de la bande transporteuse ;

Le dispositif égreneur constitué d'une pluralité de bras séparateurs superposés qui, grâce à des moyens moteurs, permettent de communiquer un mouvement oscillatoire à haute fréquence aux ensembles de bras séparateurs, permettant ainsi de séparer les baies des rafles (pièce 1 appelante).

La contrefaçon par équivalence de moyens suppose que le moyen breveté n'exerce pas une fonction connue, la fonction du moyen étant définie comme l'action de produire, dans l'application qui lui est donnée, un premier effet technique (Chambre commerciale, 6 février 2019, 17-21.585).

La cour examinera tout d'abord l'existence d'une contrefaçon par équivalence de chacun des moyens pris isolément (a), puis d'une contrefaçon par équivalence au regard de la fonction globale de la combinaison des moyens (b).

La contrefaçon par équivalence de chacun des moyens pris isolément

Bande transporteuse (caractéristique B)

L'égrappoir de la société Pellenc est composée d'une bande transporteuse qui a pour fonction de convoyer les petits fruits cueillis en grappe jusqu'au dispositif égreneur.

Sur le « Cube », il n'y a pas de bande transporteuse, les grappes étant déversées par le haut, c'est la gravité qui amène les grappes vers le dispositif égreneur.

Ainsi que l'admet le rapport Gide du 12 juillet 2019, il s'agit de deux moyens différents permettant d'assurer une même fonction qui est celle du transport des grappes vers le dispositif égreneur (pièce 4 [D], pages 13 et 14). Il s'agit donc de deux moyens équivalents assurant la même fonction.

Le rapport Gide poursuit en indiquant que cette fonction n'est pas nouvelle car elle a été décrite dans la demande de brevet européen EP 1 002 467 (grappes de raisin convoyées vers le hérisson (dispositif égreneur) permettant de séparer les baies des grappes).

S'appuyant sur le rapport [X] 2 du 30 novembre 2019 (pièce 34 de l'appelante), la société Pellenc réplique que la fonction de la bande transporteuse revendiquée (qui amène la vendange vers un hérisson qui triture les grappes) n'est pas divulguée dans le brevet EP 1 002 467.

Le brevet EP 1 002 467, produit par M. [D] (pièce 5/e), publié le 24 mai 2000 par la société Socma concerne une autre machine destinée à égrener les grains de raisin avant vinification qui est décrite, d'après la revendication 1, comme « un tamis plan apte à laisser passer uniquement les jus et les grains de raison, et au moins un hérisson mu en rotation axiale du type comprenant des doigts d'égrenage (') ». Selon la revendication 2, « le tamis est sans fin et est tendu entre des galets d'entraînement (') le hérisson est disposé transversalement au sens d'avancement » du tamis (pièce 5/e [D]).

Il en résulte que la bande transporteuse du brevet Pellenc EP 514 et le tamis plan du brevet Socma EP 1 002 467 ont bien la même fonction : faire avancer les grappes déposées sur une surface plane vers un dispositif égreneur.

Il s'ensuit que la fonction assurée par la bande transporteuse revendiquée en 2009 par la société Pellenc n'est pas nouvelle, de sorte que la contrefaçon par équivalence n'avait aucune chance d'être établie concernant ce moyen.

Agencement du dispositif égreneur au-dessus de la bande transporteuse (caractéristique C)

Le rapport [X] 2, versé aux débats pas la société Pellenc, indique que cette caractéristique n'est « pas essentielle. En premier lieu, le moyen est dans le préambule de la revendication (ce qui révèle que dispositif n'est pas nouveau mais existait dans l'art antérieur). En second lieu, ce qui est essentiel est que les grappes soient amenées dans le dispositif égreneur ' quelle que soit la direction d'amenée. Je suis donc d'avis que cette caractéristique n'est pas essentielle, et que l'absence de sa reproduction n'exclut pas la contrefaçon » (pièce 34 p.18 appelante).

Selon le rapport Gide (pièce 4 p.16 M. [D]), le « Cube » ne reprend pas cette caractéristique puisque les grappes de fruits sont déversées les unes sur les autres dans une trémie, sans qu'il y ait étalement des fruits. Donc la fonction de ce dispositif n'est pas reproduite par le « Cube ».

Il résulte de ces observations que l'agencement du dispositif n'est pas de nature à établir une contrefaçon puisque soit il s'agit d'une caractéristique qui n'est pas couverte par la protection du brevet (puisque évoquée en préambule), soit qui n'est pas reproduite ni équivalente (selon l'intimé).

Bras superposés (caractéristique F)

Le brevet E 514 concerne un dispositif égreneur constitué d'une pluralité de bras séparateurs « superposés » qui, grâce à des moyens moteurs, permettent de communiquer un mouvement oscillatoire à haute fréquence aux ensembles de bras séparateurs, permettant ainsi de séparer les baies des rafles.

A l'inverse, dans le « Cube », les bras séparateurs sont « juxtaposés » les uns à côté des autres dans une direction horizontale.

Ainsi, le moyen est différent mais la fonction exercée est la même. Elle consiste à exercer un mouvement oscillant pour séparer les baies de la grappe.

D'après les rapports Gide 1 (p.16) et Gide 2 (p.5) (pièces 4 et 6 [D]), cette fonction n'est pas nouvelle car des systèmes à bras oscillants superposés étaient connus de la demande de brevet européen EP 0 826 959.

Le rapport [X] 2 conteste ce point en indiquant que ce brevet concerne un dispositif de secouage des cèpes de vignes entiers pour détacher les grappes, la distance entre les bras étant telle qu'il est impossible que les bras superposés puissent traiter les grappes.

Il ressort de l'examen du brevet EP 0 826 959 qu'il s'agit bien d'une machine visant à secouer les arbustes pour recueillir les fruits. La revendication 13 du brevet précise « machine de récolte agricole comprenant un châssis enjambeur mobile à travers champs : un ensemble de secouage monté sur le châssis pour détacher les fruits, baies et similaires des arbres ou arbustes et au moins un convoyeur pour recueillir les fruits détachés et les acheminer vers une benne » (pièce 5/d [D]).

Ainsi la « récolte des baies » et plus généralement des fruits est précisément et expressément visée dans la revendication du brevet EP 0 826 959 et c'est bien par un mouvement de secouage, similaire à un mouvement oscillant, que la machine détache les fruits des arbres.

Dès lors, la fonction opérée par les bras oscillants telle que décrite dans le brevet 514 de la société Pellenc, postérieur au brevet EP 0 826 959, n'est pas nouvelle.

La contrefaçon par équivalence de ce moyen n'avait donc aucune chance d'être caractérisée.

La contrefaçon par équivalent de la combinaison des moyens

La cour rappelle que la théorie de la contrefaçon par équivalent vise à empêcher un tiers d'apporter des modifications mineures à l'invention appropriée par un brevet afin d'éviter de porter littéralement atteinte aux droits de propriété. Elle s'applique non pas à l'invention dans son ensemble, mais aux différents éléments exposés dans les revendications et permet de déterminer si des différences mineures existent entre l'invention appropriée et la technique considérée comme portant atteinte au brevet.

En revanche, le propriétaire d'un brevet ne peut pas utiliser la doctrine des équivalents pour étendre la portée de ses revendications à des domaines qui n'auraient pas été légitimement acceptés par l'office des brevets.

La jurisprudence admet qu'il puisse être recherché, pour déterminer l'existence d'une contrefaçon par équivalence, si la fonction créée par une combinaison de moyens est inventive ou non. Ainsi, l'existence d'une combinaison brevetable implique la reconnaissance d'une fonction propre obtenue par le groupement de moyens et caractérisée par la production d'un effet technique distinct de la somme des effets techniques de ses composants (Com., 15 septembre 2009, n°08-14.741 ; com., 23 juin 2015, n°13-25.082).

En l'espèce, le rapport [X] 2, produit par l'appelante, décrit la fonction globale par la combinaison des moyens de la machine Pellenc comme « consistant à séparer les grains des rafles en détachant les grains par le mouvement alternatif imparti aux grappes » (pièce 35 p.12).

Pour conclure à la nouveauté de cette fonction, le rapport [X] 2 conteste l'existence d'une fonction déjà connue décrite dans le brevet EP 0 826 959 que lui oppose le rapport Gide en indiquant que ce brevet concerne un dispositif de secouage des cèpes de vignes entiers pour détacher les grappes, la distance entre les bras étant telle qu'il est impossible que les bras superposés puissent traiter les grappes.

Or, comme précédemment évoqué, Il ressort de l'examen du brevet EP 0 826 959 qu'un mouvement oscillant permet également la « récolte des baies » et plus généralement des fruits, de sorte que la fonction couverte ultérieurement pas le brevet E 514 n'est pas nouvelle et n'est donc pas susceptible de contrefaçon.

Le rapport [B] du 6 janvier 2020 se contente de critiquer le rapport Gide 2 qui, selon lui, n'a pas tenu compte de l'examen de la fonction par la combinaison des moyens. Il n'apporte cependant aucun élément technique précis démontrant l'existence d'une combinaison de moyens dans la machine Pellenc, spécialement protégée par le brevet E 514 (pièce 35 appelante).

Dès lors, force est de constater que la société Pellenc ne démontre pas l'existence d'une fonction spécifique, brevetée, née de la combinaison des moyens, qui serait différente de la fonction issue de l'action des bras séparateurs soit celle qui consiste, sous l'action d'un moteur, à séparer les baies des grappes (fonction qui a déjà été ci-dessus examinée dans la partie « bras superposés »).

Du reste, le brevet E 514 n'évoque à aucun moment l'existence d'une « combinaison ».

Par voie de conséquence, la société Pellenc n'avait aucune chance de voir établie à l'encontre de la société Socma une contrefaçon par équivalence.

La chance qu'elle avait d'obtenir gain de cause devant la cour d'appel de Paris était donc très hypothétique.

En l'absence d'une perte de chance certaine démontrée, ses demandes d'indemnisation seront rejetées. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Pellenc au titre des frais irrépétibles et des dépens.

Partie perdante, la société Pellenc sera condamnée aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile. Sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

CONFIRME le jugement ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Pellenc aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toutes autres demandes.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.