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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. civ., 28 mars 2024, n° 23/03111

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Le 17 (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Torrecillas

Conseillers :

Mme Carlier, Mme Herment

Avocats :

Me Pepratx Negre, Me Pelissier, Me Bermond, Me Lacotte

TJ Montpellier, du 1 juin 2023, n° 23/30…

1 juin 2023

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 3 juin 2014, M. [Z] [U] et M. [Y] [U] ont donné à bail à la SARL Le 17 un local commercial situé [Adresse 1] à [Localité 5], destiné à l'usage de tous commerces, moyennant le paiement d'un loyer de base annuel hors charges de 42 000 euros.

Un commandement de payer la somme principale de 36 301, 96 euros au titre des loyers, visant la clause résolutoire insérée au bail, a été délivré le 19 décembre 2022 à la société Le 17, à la demande de M. [Z] [U] et M. [Y] [U].

Par acte en date du 1er février 2023, M. [Z] [U] et M. [Y] [U] ont fait assigner en référé la société Le 17 devant le président du tribunal judiciaire de Montpellier afin qu'il constate la résolution du bail à effet au 20 janvier 2023 par le jeu de la clause stipulée au bail, qu'il ordonne l'expulsion immédiate de la société Le 17 et de tous occupants de son chef des locaux loués, au besoin avec le concours de la force publique et sous astreinte, et qu'il la condamne par provision à leur verser la somme de 40 663, 86 euros avec intérêts au taux de 1% par mois de retard depuis le 19 décembre 2022, au titre des loyers et accessoires échus entre le mois d'octobre 2021 et le mois de janvier 2022, ainsi qu'une indemnité d'occupation de 145, 39 euros par jour calendaire, à compter du 20 janvier 2023 et jusqu'à libération des lieux et remise des clés, outre une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Aux termes d'une ordonnance rendue le 1er juin 2023, le président du tribunal judiciaire de Montpellier statuant en référé a :

- constaté à compter du 19 janvier 2023 la résiliation de plein droit du bail commercial liant les parties par l'effet du commandement de payer du 19 décembre 2022,

- condamné la société Le 17 à payer à M. [Z] [U] et M. [Y] [U] à titre provisionnel une indemnité d'occupation mensuelle égale au loyer, soit la somme de 3 500 euros, à compter du 19 janvier 2023 et jusqu'à libération effective des lieux,

- condamné la société Le 17 à payer à M. [Z] [U] et M. [Y] [U] une provision de 40 663, 86 euros en deniers et quittances à valoir sur les loyers et charges dus au 1er janvier 2023, outre les intérêts au taux légal à compter du commandement de payer du 19 décembre 2022 sur la somme de 36 301, 96 euros et à compter de la décision sur le surplus,

- suspendu la réalisation et les effets de la résiliation du bail sous la condition pour le preneur de régulariser l'arriéré des loyers selon 24 échéances égales et consécutives, la dernière représentant le reliquat de ce qui est dû, payable en sus des échéances de loyer courantes, le premier jour de chaque mois à compter de la signification de la décision,

- dit qu'en cas de strict respect de l'échéancier ci-dessus, ou en cas de régularisation anticipée de la dette, les effets du commandement de payer du 19 décembre 2022 seraient caducs et que le bail pourrait se poursuivre normalement,

- dit au contraire, qu'en cas de manquement par la société Le 17 à l'échéancier ci-dessus, ou au paiement d'un loyer, et huit jours après l'envoi d'une simple mise en demeure adressée par lettre recommandée avec avis de réception, la totalité de la dette deviendrait immédiatement exigible, la clause résolutoire reprendrait tous ses effets, et qu'en ce cas le locataire devrait quitter les lieux spontanément, à défaut de quoi le bailleur pourrait faire procéder à son expulsion, au seul vu de l'ordonnance exécutoire,

- dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de M. [Z] [U] et M. [Y] [U] formulée au titre de la clause pénale relative aux intérêts,

- condamné la société Le 17 à payer à M. [Z] [U] et M. [Y] [U] une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Le 17 aux dépens, en ce compris le coût du commandement de payer du 19 décembre 2022.

Aux termes d'un jugement rendu le 22 mai 2023, le tribunal de commerce de Montpellier a constaté l'état de cessation des paiements, prononcé l'ouverture du redressement judiciaire à l'égard de la société Le 17 et désigné maître [D] [X] en qualité de mandataire judiciaire et maître [V] [W] en qualité d'administrateur.

Par déclaration en date du 16 juin 2023, maître [D] [X] en qualité de mandataire judiciaire de la société Le 17 a relevé appel de l'ordonnance rendue le 1er juin 2023 en critiquant chacune de ses dispositions. L'instance a été enregistrée sous le numéro RG 23/03111.

Par déclaration en date du 4 juillet 2023, maître [V] [W] en qualité de mandataire judiciaire de la société Le 17 a relevé appel de l'ordonnance rendue le 1er juin 2023 en critiquant chacune de ses dispositions. L'instance a été enregistrée sous le numéro RG 23/03414.

Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 25 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, maître [D] [X] en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Le 17 demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance du 1er juin 2023,

- annuler l'ordonnance du 1er juin 2023,

- condamner M. [Z] [U] et M. [Y] [U] aux entiers dépens, dont distraction au profit de son avocat en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle expose qu'aux termes d'un jugement rendu le 22 mai 2023, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert à l'endroit de la société Le 17 une procédure de redressement judiciaire la désignant en qualité de mandataire judiciaire et désignant maître [V] [W] en qualité d'administrateur judiciaire.

Elle fait valoir que conformément au principe de l'interdiction des poursuites édicté par l'article L. 622-21 du code de commerce et compte tenu de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, l'ordonnance déférée ne pourra qu'être infirmée et annulée.

Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 25 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, maître [V] [W] en qualité d'administrateur judiciaire de la société Le 17 demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance du 1er juin 2023,

- annuler l'ordonnance du 1er juin 2023,

- condamner M. [Z] [U] et M. [Y] [U] aux entiers dépens, dont distraction au profit de son avocat en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Il soutient qu'en application du principe de l'interdiction des poursuites édicté par l'article L. 622-21 du code de commerce et compte tenu de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, l'ordonnance déférée ne pourra qu'être infirmée et annulée.

Aux termes de leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 10 août 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de leurs moyens et prétentions, M. [Z] [U] et M. [Y] [U] demandent à la cour de :

- joindre les instances pendantes devant la cour d'appel de Montpellier, 2ème chambre civile, tendant à l'infirmation de l'ordonnance de référé du 1er juin 2023 et enregistrées sous les numéros RG 23/03414 et 23/03111,

- rejeter la demande tendant à l'annulation de l'ordonnance de référé du 1er juin 2023,

- statuer ce que de droit sur l'ordonnance de référé du 1er juin 2023,

- condamner la société Le 17 à leur verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Le 17 aux entiers dépens.

Ils soulignent en premier lieu que dans la mesure où deux appels ont été interjetés contre la même ordonnance, il est de l'intérêt d'une bonne justice que ces instances soient jugées ensemble et qu'il convient donc d'ordonner leur jonction au visa de l'article 386 du code de procédure civile.

Ils rappellent les dispositions des articles L. 622-21 et L. 631-14 du code de commerce et mentionnent que les demandes auxquelles le juge des référés avait fait droit en première instance, ne peuvent prospérer en cause d'appel. Ils en déduisent que l'ordonnance déférée devra être réformée.

Ils ajoutent que l'ordonnance de référé litigieuse ne pourra être annulée, l'effet dévolutif ne pouvant conduire la cour qu'à dire n'y avoir lieu à référé.

Ils ajoutent que la société Le 17 a dissimulé l'introduction d'une procédure collective au juge des référés, dans ses concluisons du 9 mai 2023 et à l'audience du 11 mai 2023, les privant de la possibilité de se désister de leur instance.

Ils soulignent qu'ils subissent la procédure collective de la société Le 17 et la procédure d'appel introduite par les organes de la procédure collective et que si l'ordonnance de référé doit être infirmée, ils ne sauraient être considérés comme des parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile. Ils rappellent que l'article 696 du code de procédure civile autorise le juge, par décision motivée, à mettre les dépens à la charge d'une autre partie et soutiennent qu'en l'espèce, c'est légitimement qu'ils ont introduit une instance aux fins de condamnation de la société Le 17 au paiement d'une provision et qu'ils ont poursuivi leur demande jusqu'à ce que le délibéré soit rendu.

Enfin, ils mentionnent que la procédure d'appel a été introduite postérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire de la société Le 17 et que dans ces conditions, les frais et dépens de cette procédure doivent être considérés comme une créance postérieure devant être réglée à l'échéance.

MOTIFS DE LA DECISION

Il est de l'intérêt d'une bonne justice d'ordonner la jonction des instances enregistrées sous les numéros 23/03111 et 23/03414, lesquelles concernent deux appels interjetés à l'encontre d'une même ordonnance de référé rendue le 1er juin 2023 par le président du tribunal judiciaire de Montpellier.

En premier lieu, les appelants ne justifiant d'aucune cause de nullité de l'ordonnance rendue le 1er juin 2023 par le président du tribunal judiciaire de Montpellier, la demande tendant à l'annulation de cette décision sera rejetée.

Selon les dispositions de l'article L. 622-21 du code de commerce, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats qu'aux termes d'un jugement rendu le 22 mai 2023, le tribunal de commerce de Montpellier a constaté l'état de cessation des paiements et prononcé l'ouverture du redressement judiciaire à l'égard de la société Le 17, dit qu'il serait fait application des articles L. 631-1 et suivants du code de commerce, fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 1er décembre 2021 et désigné pour cette procédure maître [D] [X] en qualité de mandataire judiciaire et maître [V] [W] en qualité d'administrateur.

L'ouverture de la procédure collective rend irrecevable la demande tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.

Il s'ensuit que la cour ne peut qu'infirmer l'ordonnance déférée portant condamnation et dire n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes tendant à la condamnation de la société Le 17 au paiement à titre provisionnel d'une indemnité d'occupation et de l'arriéré locatif, les demandes étant devenues irrecevables pour se heurter à la règle de l'interdiction des poursuites.

Du reste, l'action en résiliation du contrat de bail fondée sur le non paiement des loyers antérieurs au jugement d'ouverture est une action en résolution d'un contrat fondé sur le défaut de paiement d'une somme d'argent au sens de l'article L. 622-21 du code de commerce.

La cour infirmera donc la décision déférée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail et ordonné l'expulsion de la société Le 17 et déclarera irrecevables les demandes des bailleurs tendant à la résiliation du bail et à l'expulsion des locataires fondées sur le défaut de paiement de loyers échus antérieurement au jugement prononçant l'ouverture du redressement judiciaire.

S'agissant des frais irrépétibles et des dépens, la cour observe qu'il n'est pas contesté que M. [Z] [U] et M. [Y] [U] étaient fondés à engager une procédure tendant au constat de la résiliation du bail et à la condamnation à titre provisionnel de la société Le 17 au paiement d'un arriéré locatif et d'une indemnité d'occupation.

Elle observe également que la société Le 17 n'a pas fait état à l'occasion de l'instance engagée en référé devant le président du tribunal judiciaire de Montpellier de la saisine du tribunal de commerce d'une demande d'ouverture de redressement judiciaire, de sorte que la juridiction ne pouvait prendre en considération cet élément, et que de même, il n'est pas établi que les intimés aient eu connaissance de cette demande, de sorte que c'est à juste titre qu'ils ont maintenu leurs prétentions.

Dans ces conditions, il n'apparaît pas équitable de lieu de laisser à la charge de M. [Z] [U] et M. [Y] [U] les dépens de première instance et d'appel, ainsi que les frais engagés en marge des dépens, l'introduction de l'instance devant le juge des référés étant une conséquence des manquements de la société Le 17 à son obligation contractuelle de paiement des loyers et l'appel interjeté contre la décision rendue par le juge des référés résultant de la non information par celle-ci de sa demande tendant à l'ouverture d'un redressement judiciaire.

Pour relever du traitement préférentiel prévu à l'article L. 622-17 du code de commerce, une créance de frais irrépétibles et de dépens doit non seulement être postérieure au jugement d'ouverture du débiteur, mais également respecter les autres critères fixés par ce texte, c'est à dire être utile au déroulement de la procédure collective ou être due au débiteur en contrepartie d'une prestation à lui fournie après le jugement d'ouverture (Com, 2 décembre 2014, n°13-20311).

Tel n'est pas le cas en l'espèce, la juridiction ne peut donc prononcer une condamnation de ces chefs.

En l'absence de caractérisation des conditions requises, la créance de dépens et de frais irrépétibles ne peut faire l'objet que d'une fixation.

La décision déférée sera donc infirmée en ce qu'elle a condamné la société Le 17 aux dépens, outre le versement d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour fixera au passif de la procédure collective de la société Le 17, la créance de M. [Z] [U] et M. [Y] [U] à la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés pour les instances de première instance et d'appel, ainsi que les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Ordonne la jonction des instances enregistrées sous les numéros RG 23/03111 et 23/03414, qui se poursuivront sous le numéro 23/03111,

Rejette la demande tendant à l'annulation de l'ordonnance rendue le 1er juin 2023 par le président du tribunal judiciaire de Montpellier,

Infirme la décision déférée en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes de condamnation en paiement au titre de l'arriéré locatif et d'une indemnité mensuelle d'occupation,

Déclare irrecevables les demandes tendant au constat de la résiliation du bail et à l'expulsion de la société Le 17,

Fixe au passif de la procédure collective de la société Le 17 la créance de M. [Z] [U] et M. [Y] [U] à la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Fixe au passif de la procédure collective de la société Le 17 les dépens de première instance et d'appel, comprenant notamment le coût du commandement de payer du 19 décembre 2022.