Décisions
CA Paris, Pôle 1 - ch. 8, 29 mars 2024, n° 23/15232
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 8
ARRÊT DU 29 MARS 2024
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/15232 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIHQS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Avril 2023 -Président du TJ de PARIS - RG n° 23/50496
APPELANT
M. [F] [I]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Romain DARRIERE de la SELEURL ROMAIN DARRIERE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1753
INTIMÉE
Société AUTO'MATTIC A8C IRELAND LTD, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 5] / IRLANDE
Défaillant - déclaration d'appel signifiée le 27 octobre 2023 à parquet étranger
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 février 2024, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, Président et Rachel LE COTTY, Conseiller chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:
Florence LAGEMI, Président,
Rachel LE COTTY, Conseiller,
Patrick BIROLLEAU, magistrat honoraire
Greffier, lors des débats : Jeanne BELCOUR
ARRÊT :
- RENDU PAR DÉFAUT
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présent lors de la mise à disposition.
Par arrêt de la cour d'assises des Yvelines du 19 février 2016, M. [I] a été condamné à une peine de huit ans de réclusion pour des faits d'enlèvement et de séquestration survenus en 2013.
La même année, il a bénéficié d'une mesure de libération conditionnelle, après avoir effectué un peu plus de trois ans en détention.
Il a découvert récemment, via une recherche sur le moteur de recherche de Google à partir de ses nom et prénom, un lien renvoyant vers un article intitulé « Jusqu'à huit ans de prison pour les ravisseurs de la retraitée » mis en ligne le 19 février 2016 sur le site internet https://fdebranche.com. Cet article le cite nommément et détaille les faits au titre desquels il a été renvoyé devant la cour d'assises en 2016 ainsi que la peine à laquelle il a été condamné.
Le 8 février 2022, M. [I] a mis en demeure la société éditrice du journal Le Parisien, sur le site duquel étaient publiés deux articles faisant référence à son passé judiciaire, d'anonymiser et/ou de procéder à la désindexation des articles. Par courriel du 15 février 2022, la direction juridique du journal le Parisien l'a informé avoir procédé à l'anonymisation des articles contestés.
Le même jour, M. [I] a mis en demeure la société Google de déréférencer de son moteur de recherche l'article litigieux ainsi que quatre contenus associés.
En l'absence de réponse de la société Google, M. [I] a, par acte du 6 janvier 2023, assigné la société Aut O'mattic A8C Ireland Limited (ci-après la société Aut O'mattic), hébergeur du site selon lui, devant le président du tribunal judiciaire de Paris, statuant selon la procédure accélérée au fond, pour qu'il lui soit ordonné, au visa de l'article 6, I-8, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (ci-après LCEN), de supprimer la page du site www.fdebranche.com contenant l'article litigieux, accessible à l'adresse URL suivante : https://fdebranche.com/2016/02/19/jusqua-huit-ans-de-prison-pour-les-ravisseurs-de-la-retraitee/.
Par « ordonnance de référé » réputée contradictoire du 11 avril 2023 (en réalité un jugement rendu selon la procédure accélérée au fond), le président du tribunal judiciaire de Paris a débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens.
Par déclaration du 11 septembre 2023, M. [I] a interjeté appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 13 novembre 2023, il demande à la cour de :
le juger recevable et bien fondé en l'ensemble de ses demandes ;
en conséquence,
infirmer le jugement rendu le 11 avril 2023 par le président du tribunal judiciaire de Paris statuant selon la procédure accélérée au fond en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens ;
statuant à nouveau,
ordonner à la société Aut O'mattic, dans un délai de 8 jours à compter de la notification du « jugement » à intervenir, de supprimer la page du site https://fdebranche.com contenant l'article litigieux, accessible à l'adresse suivante : https://fdebranche.com/2016/02/19/jusqua-huit-ans-de-prison-pour-les-ravisseurs-de-la-retraitee/ ;
condamner la société Aut O'mattic à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Aut O'mattic aux entiers dépens.
La société Aut O'mattic, à qui la déclaration d'appel et les conclusions ont été régulièrement signifiées le 27 octobre 2023, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 février 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions de l'appelant pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions.
SUR CE, LA COUR,
Sur le contenu litigieux
L'article 6, I-8, de la LCEN dispose que « le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d'y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne ».
Au soutien de sa demande, l'appelant produit une copie d'écran, extraite du site « Fdebranche Actualité, crime et extrême droite », accessible à l'adresse URL https://fdebranche.com/, imprimée le 6 décembre 2022, comportant un article intitulé « Jusqu'à huit ans de prison pour les ravisseurs de la retraitée ». Il y est mentionné que cet article aurait été mis en ligne le 19 février 2016.
L'article, illustré de six photographies dont cinq sont des portraits, est ainsi rédigé :
« Au terme de cinq jours de procès, les jurés de la cour d'assises des Yvelines ont finalement rendu leur verdict, ce vendredi soir. Les cinq hommes et femme, accusés de l'enlèvement et de la séquestration de [A] [W], 73 ans, en juillet 2013 entre [Localité 6] et [Localité 4] (Bas-Rhin), ont été condamnés à des peines de 2 ans de prison avec sursis à 8 ans d'emprisonnement. [F] [I], l'organisateur de l'équipée, âgé de 42 ans, a été condamné à 8 ans d'emprisonnement. [G] [M], 36 ans, le second rôle, le logisticien de l'entreprise, a écopé de 7 ans de prison. 4 ans dont un an avec sursis pour [F] [U], 42 ans ; 3 ans dont 18 mois avec sursis pour [O] [P], 62 ans, et 2 ans de prison avec sursis simple pour [Z] [L], la danseuse de 32 ans.
Le Parisien
(https://www.leparisien.fr/[Localité 6]-78760/[Localité 6]-jusqu-a-huit-ans-de-prison-pour-les-ravisseurs-de-la-retraitee-19-02-2016-5561613.php) ».
La copie d'écran comporte également la mention « Propulsé par WordPress.com. Design par Themify ».
Sur la qualité d'hébergeur de l'intimée
Le premier juge a retenu que, s'il n'est pas contestable qu'un hébergeur, au sens de l'article 6, I-2, de la LCEN (« les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services »), doit être considéré comme un intermédiaire technique susceptible de contribuer à la mise en oeuvre des mesures visées à l'article 6, I-8, en l'espèce, M. [I] n'établissait pas que la société Aut O'mattic était l'hébergeur du site www.fdebranche.com et en conséquence susceptible de contribuer à la mesure sollicitée pour faire cesser le dommage allégué.
A hauteur d'appel, M. [I] produit toutefois des éléments nouveaux permettant de démontrer le lien entre le site www.WordPress.com figurant sur la page du site litigieux et la société Aut O'mattic.
En effet, il produit les conditions générales d'utilisation du site internet www.WordPress.com, qui stipulent :
« Vous trouverez ci-dessous la liste des entités avec lesquelles l'accord est conclu, en fonction de votre lieu de résidence et des services que vous utilisez. Nous utilisons le terme « Pays Désignés » pour désigner l'Australie, le Canada, le Japon, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Russie et tous les pays situés en Europe.
Tous les services Automattic (sauf WooCommerce)
Si vous résidez en dehors des Pays Désignés : Automattic Inc.
Si vous résidez dans les Pays Désignés : Aut O'Mattic A8C Ireland Ltd.».
Il est également indiqué en page 7 des conditions générales :
« Attribution. Nous pouvons afficher un texte d'attribution ou des liens dans le pied de page ou la barre d'outils de votre site web, en indiquant que votre site web est alimenté par WordPress.com ou en citant le créateur de votre thème, par exemple ».
L'appelant produit également la « politique de confidentialité » de la société Aut O'mattic, dont il ressort (pages 33 et 34) que le « responsable du traitement des données et entreprise responsable » est, pour « tous les services d'Automattic (sauf WooCommerce) », en cas de résidence dans les pays situés en Europe : « Aut O'Mattic A8C Ireland Ltd ».
L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a retenu qu'il n'était pas démontré que la société Aut O'mattic était l'hébergeur de la page du site litigieux.
Sur la demande de retrait de la page du site contenant l'article litigieux
M. [I] soutient que les conditions d'application de l'article 6, I-8, de la LCEN précité sont réunies car il suffit qu'un dommage soit créé par le contenu d'un service de communication au public en ligne pour pouvoir en obtenir la suppression, peu important l'illicéité de ce dommage.
Il ajoute qu'il subit un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne car il n'est pas justifié que son passé judiciaire continue à être exposé, alors que les faits ont été commis il y a près de dix ans et ne s'inscrivent dans aucun débat d'intérêt général, qu'il est un individu sans notoriété qui n'a pas connu d'ennuis judiciaires après sa condamnation et sa sortie de prison. Il précise qu'il mène une vie sans histoires depuis lors, entouré de sa famille et à la tête d'une entreprise prospère, une société de programmation informatique qu'il a créée, la société Groupe Axone, qui met un logiciel de gestion à disposition de franchiseurs. Il estime avoir « payé sa dette à la société » en effectuant sa peine et dit aspirer à vivre normalement, ce qui est impossible avec le maintien en ligne de cet article.
Il expose à cet égard que certains prospects ou clients de sa société n'hésitent pas à instrumentaliser son passé pénal pour rompre leurs négociations ou leurs relations d'affaires.
Il affirme également que, même si la faute de l'éditeur n'est pas requise par le texte de l'article 6, I-8 de la LCEN, en l'espèce, le dommage résulte d'une faute de l'éditeur du site internet https://fdebranche.com car le traitement de ses données pénales porte atteinte à son droit à la vie privée et à la protection de ses données personnelles.
Il expose qu'un responsable de traitement doit par principe accueillir les demandes d'effacement portant sur des données sensibles telles que les procédures pénales, sauf à ce que le maintien en ligne de ces données s'avère strictement nécessaire pour protéger la liberté d'information des internautes. Au regard de l'absence de nécessité, en l'espèce, de protéger la liberté d'information des internautes, il estime être fondé à se prévaloir de son droit à l'effacement de ses données (droit à l'oubli) prévu aux articles 17 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (dit RGPD) et 51 de la loi du 6 juillet 1978.
Précisant ne pouvoir exercer ses droits directement contre l'éditeur, qui n'est pas identifié et est inactif depuis 2017, il soutient que l'intervention de l'hébergeur est indispensable, sauf à ce que l'article litigieux reste indéfiniment accessible au public en ligne.
L'article 51 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose que « Le droit à l'effacement s'exerce dans les conditions prévues à l'article 17 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 ».
Aux termes de l'article 17 du règlement 2016/679 du 27 avril 2016, dit règlement RGPD :
« 1. La personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement l'effacement, dans les meilleurs délais, de données à caractère personnel la concernant et le responsable du traitement a l'obligation d'effacer ces données à caractère personnel dans les meilleurs délais, lorsque l'un des motifs suivants s'applique :
a) les données à caractère personnel ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées d'une autre manière ;
b) la personne concernée retire le consentement sur lequel est fondé le traitement, conformément à l'article 6, paragraphe 1, point a), ou à l'article 9, paragraphe 2, point a), et il n'existe pas d'autre fondement juridique au traitement ;
c) la personne concernée s'oppose au traitement en vertu de l'article 21, paragraphe 1, et il n'existe pas de motif légitime impérieux pour le traitement, ou la personne concernée s'oppose au traitement en vertu de l'article 21, paragraphe 2 ;
d) les données à caractère personnel ont fait l'objet d'un traitement illicite ;
e) les données à caractère personnel doivent être effacées pour respecter une obligation légale qui est prévue par le droit de l'Union ou par le droit de l'État membre auquel le responsable du traitement est soumis ;
f) les données à caractère personnel ont été collectées dans le cadre de l'offre de services de la société de l'information visée à l'article 8, paragraphe 1.
[...]
3. Les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas dans la mesure où ce traitement est nécessaire :
a) à l'exercice du droit à la liberté d'expression et d'information [...] ».
S'agissant des données à caractère personnel relatives à des procédures pénales, l'article 46 de la loi du 6 janvier 1978 dispose que :
« Les traitements de données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales, aux infractions ou aux mesures de sûreté connexes ne peuvent être effectués que par :
1° Les juridictions, les autorités publiques et les personnes morales gérant un service public, agissant dans le cadre de leurs attributions légales ainsi que les personnes morales de droit privé collaborant au service public de la justice et appartenant à des catégories dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, dans la mesure strictement nécessaire à leur mission ;
2° Les auxiliaires de justice, pour les stricts besoins de l'exercice des missions qui leur sont confiées par la loi ;
3° Les personnes physiques ou morales, aux fins de leur permettre de préparer et, le cas échéant, d'exercer et de suivre une action en justice en tant que victime, mise en cause, ou pour le compte de ceux-ci et de faire exécuter la décision rendue, pour une durée strictement proportionnée à ces finalités. La communication à un tiers n'est alors possible que sous les mêmes conditions et dans la mesure strictement nécessaire à la poursuite de ces mêmes finalités ;
4° Les personnes morales mentionnées aux articles L. 321-1 et L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle, agissant au titre des droits dont elles assurent la gestion ou pour le compte des victimes d'atteintes aux droits prévus aux livres Ier, II et III du même code aux fins d'assurer la défense de ces droits ;
5° Les réutilisateurs des informations publiques figurant dans les décisions mentionnées à l'article L. 10 du code de justice administrative et à l'article L. 111-13 du code de l'organisation judiciaire, sous réserve que les traitements mis en oeuvre n'aient ni pour objet ni pour effet de permettre la réidentification des personnes concernées ».
Ces dispositions assurent la mise en oeuvre en droit national de celles de l'article 10 du règlement général sur la protection des données, qui disposent que :
« Le traitement des données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales et aux infractions ou aux mesures de sûreté connexes fondé sur l'article 6, paragraphe 1, ne peut être effectué que sous le contrôle de l'autorité publique, ou si le traitement est autorisé par le droit de l'Union ou par le droit d'un État membre qui prévoit des garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes concernées. Tout registre complet des condamnations pénales ne peut être tenu que sous le contrôle de l'autorité publique ».
Il doit encore être rappelé qu'en application des articles 774 et suivants du code de procédure pénale, les bulletins n°1 et 2 du casier judiciaire ne peuvent être délivrés qu'aux autorités judiciaires pour le premier ainsi qu'à certaines autorités publiques et militaires pour le second.
En application de l'article 777 du même code, le bulletin n°3, qui recense les condamnations pour crime ou délit à des peines privatives de liberté d'une durée supérieure à deux ans notamment, peut être réclamé par la personne qu'il concerne mais « ne doit, en aucun cas, être délivré à un tiers, sauf s'il s'agit de l'autorité centrale d'un Etat membre de l'Union européenne, saisie par la personne concernée ».
Il résulte de ces dispositions que, lorsque des liens mènent vers des pages web contenant des données à caractère personnel relatives à des procédures pénales, l'ingérence dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel de la personne concernée est susceptible d'être particulièrement grave en raison de la sensibilité de ces données. La demande d'effacement de ces données sensibles doit en conséquence être accueillie par le responsable du traitement et il n'en va autrement que s'il apparaît, compte tenu du droit à la liberté d'information, que l'accès à une telle information à partir d'une recherche portant sur le nom de la personne concernée est strictement nécessaire à l'information du public (CE, 6 décembre 2019, n° 401258).
Au cas présent, il résulte des pièces produites par M. [I] que l'article litigieux donne au public un accès direct et permanent à la condamnation dont il a fait l'objet, alors même qu'en application des dispositions précitées du code de procédure pénale, l'accès aux données relatives aux condamnations pénales d'un individu n'est possible que dans des conditions restrictives et pour des catégories limitées de personnes.
L'appelant, qui a créé la société Groupe Axone, verse aux débats un courriel de la société Crêpe touch du 28 novembre 2022 qui indique avoir découvert les articles sur lui sur le site www.fdebranche.com et souhaite « dès à présent mettre en stand-by [leur] potentielle collaboration », ajoutant qu'elle « connaît beaucoup d'autres fondateurs d'enseignes franchiseurs à qui [elle] ne manquera pas de transmettre l'information », concluant son message par « HONTE A VOUS ».
M. [I] produit également une lettre de la société Bagel Corner du 1er décembre 2022 qui expose qu'à la suite d'une recherche d'information sur la société Groupe Axone, elle a découvert le site https://fdebranche.com, élément qui « est de nature à mettre fin à notre relation avec votre société », précisant qu'elle se réserve « le droit d'en informer l'association le leaders Club, qui regroupe plus d'une centaine d'enseignes de restauration où vous semblez avoir plus de 55 clients tant cette information est de nature à porter atteinte à la réputation de tous nos confrères ».
Au regard des répercussions qu'ont les informations litigieuses sur la réputation de la société de M. [I] ainsi que sur la vie privée et professionnelle de celui-ci, de l'ancienneté des faits et de la condamnation pénale, et enfin de l'absence de notoriété de M. [I], le maintien des informations en ligne, à la disposition permanente du public, n'est pas strictement nécessaire à l'information du public, de sorte que leur suppression s'impose.
M. [I], qui subit un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne, est donc fondé à solliciter le retrait de la page du site internet contenant l'article litigieux en application de l'article 6, I-8, de la LCEN précité.
La société Google, exploitant du moteur de recherche, n'ayant pas donné suite à sa demande de déréférencement et l'éditeur du site étant inactif depuis 2017, M. [I] est légitime à solliciter de l'hébergeur du contenu litigieux, la société Aut O'mattic, la suppression du contenu aux fins de suppression du dommage, cette société étant en outre co-responsable du traitement des données à caractère personnel figurant sur le site internet.
Il sera en conséquence ordonné à la société Aut O'mattic, dans un délai de 8 jours à compter de la signification du présent arrêt, de supprimer la page du site https://fdebranche.com contenant l'article litigieux, accessible à l'adresse suivante : https://fdebranche.com/2016/02/19/jusqua-huit-ans-de-prison-pour-les-ravisseurs-de-la-retraitee/.
Sur les frais et dépens
M. [I] ayant été contraint d'exposer des frais en première instance et en appel en raison de l'inertie de l'intimée, celle-ci sera tenue aux dépens et condamnée au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme en toutes ses dispositions la décision entreprise ;
Statuant à nouveau,
Ordonne à la société Aut O'mattic A8C Ireland Limited, dans un délai de 8 jours à compter de la signification du présent arrêt, de supprimer la page du site https://fdebranche.com contenant l'article litigieux, accessible à l'adresse suivante :
https://fdebranche.com/2016/02/19/jusqua-huit-ans-de-prison-pour-les-ravisseurs-de-la-retraitee/
Condamne la société Aut O'mattic A8C Ireland Limited aux dépens de première instance et d'appel ;
La condamne à payer à M. [I] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 8
ARRÊT DU 29 MARS 2024
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/15232 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIHQS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Avril 2023 -Président du TJ de PARIS - RG n° 23/50496
APPELANT
M. [F] [I]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Romain DARRIERE de la SELEURL ROMAIN DARRIERE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1753
INTIMÉE
Société AUTO'MATTIC A8C IRELAND LTD, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 5] / IRLANDE
Défaillant - déclaration d'appel signifiée le 27 octobre 2023 à parquet étranger
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 février 2024, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, Président et Rachel LE COTTY, Conseiller chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:
Florence LAGEMI, Président,
Rachel LE COTTY, Conseiller,
Patrick BIROLLEAU, magistrat honoraire
Greffier, lors des débats : Jeanne BELCOUR
ARRÊT :
- RENDU PAR DÉFAUT
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présent lors de la mise à disposition.
Par arrêt de la cour d'assises des Yvelines du 19 février 2016, M. [I] a été condamné à une peine de huit ans de réclusion pour des faits d'enlèvement et de séquestration survenus en 2013.
La même année, il a bénéficié d'une mesure de libération conditionnelle, après avoir effectué un peu plus de trois ans en détention.
Il a découvert récemment, via une recherche sur le moteur de recherche de Google à partir de ses nom et prénom, un lien renvoyant vers un article intitulé « Jusqu'à huit ans de prison pour les ravisseurs de la retraitée » mis en ligne le 19 février 2016 sur le site internet https://fdebranche.com. Cet article le cite nommément et détaille les faits au titre desquels il a été renvoyé devant la cour d'assises en 2016 ainsi que la peine à laquelle il a été condamné.
Le 8 février 2022, M. [I] a mis en demeure la société éditrice du journal Le Parisien, sur le site duquel étaient publiés deux articles faisant référence à son passé judiciaire, d'anonymiser et/ou de procéder à la désindexation des articles. Par courriel du 15 février 2022, la direction juridique du journal le Parisien l'a informé avoir procédé à l'anonymisation des articles contestés.
Le même jour, M. [I] a mis en demeure la société Google de déréférencer de son moteur de recherche l'article litigieux ainsi que quatre contenus associés.
En l'absence de réponse de la société Google, M. [I] a, par acte du 6 janvier 2023, assigné la société Aut O'mattic A8C Ireland Limited (ci-après la société Aut O'mattic), hébergeur du site selon lui, devant le président du tribunal judiciaire de Paris, statuant selon la procédure accélérée au fond, pour qu'il lui soit ordonné, au visa de l'article 6, I-8, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (ci-après LCEN), de supprimer la page du site www.fdebranche.com contenant l'article litigieux, accessible à l'adresse URL suivante : https://fdebranche.com/2016/02/19/jusqua-huit-ans-de-prison-pour-les-ravisseurs-de-la-retraitee/.
Par « ordonnance de référé » réputée contradictoire du 11 avril 2023 (en réalité un jugement rendu selon la procédure accélérée au fond), le président du tribunal judiciaire de Paris a débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens.
Par déclaration du 11 septembre 2023, M. [I] a interjeté appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 13 novembre 2023, il demande à la cour de :
le juger recevable et bien fondé en l'ensemble de ses demandes ;
en conséquence,
infirmer le jugement rendu le 11 avril 2023 par le président du tribunal judiciaire de Paris statuant selon la procédure accélérée au fond en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens ;
statuant à nouveau,
ordonner à la société Aut O'mattic, dans un délai de 8 jours à compter de la notification du « jugement » à intervenir, de supprimer la page du site https://fdebranche.com contenant l'article litigieux, accessible à l'adresse suivante : https://fdebranche.com/2016/02/19/jusqua-huit-ans-de-prison-pour-les-ravisseurs-de-la-retraitee/ ;
condamner la société Aut O'mattic à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Aut O'mattic aux entiers dépens.
La société Aut O'mattic, à qui la déclaration d'appel et les conclusions ont été régulièrement signifiées le 27 octobre 2023, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 février 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions de l'appelant pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions.
SUR CE, LA COUR,
Sur le contenu litigieux
L'article 6, I-8, de la LCEN dispose que « le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d'y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne ».
Au soutien de sa demande, l'appelant produit une copie d'écran, extraite du site « Fdebranche Actualité, crime et extrême droite », accessible à l'adresse URL https://fdebranche.com/, imprimée le 6 décembre 2022, comportant un article intitulé « Jusqu'à huit ans de prison pour les ravisseurs de la retraitée ». Il y est mentionné que cet article aurait été mis en ligne le 19 février 2016.
L'article, illustré de six photographies dont cinq sont des portraits, est ainsi rédigé :
« Au terme de cinq jours de procès, les jurés de la cour d'assises des Yvelines ont finalement rendu leur verdict, ce vendredi soir. Les cinq hommes et femme, accusés de l'enlèvement et de la séquestration de [A] [W], 73 ans, en juillet 2013 entre [Localité 6] et [Localité 4] (Bas-Rhin), ont été condamnés à des peines de 2 ans de prison avec sursis à 8 ans d'emprisonnement. [F] [I], l'organisateur de l'équipée, âgé de 42 ans, a été condamné à 8 ans d'emprisonnement. [G] [M], 36 ans, le second rôle, le logisticien de l'entreprise, a écopé de 7 ans de prison. 4 ans dont un an avec sursis pour [F] [U], 42 ans ; 3 ans dont 18 mois avec sursis pour [O] [P], 62 ans, et 2 ans de prison avec sursis simple pour [Z] [L], la danseuse de 32 ans.
Le Parisien
(https://www.leparisien.fr/[Localité 6]-78760/[Localité 6]-jusqu-a-huit-ans-de-prison-pour-les-ravisseurs-de-la-retraitee-19-02-2016-5561613.php) ».
La copie d'écran comporte également la mention « Propulsé par WordPress.com. Design par Themify ».
Sur la qualité d'hébergeur de l'intimée
Le premier juge a retenu que, s'il n'est pas contestable qu'un hébergeur, au sens de l'article 6, I-2, de la LCEN (« les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services »), doit être considéré comme un intermédiaire technique susceptible de contribuer à la mise en oeuvre des mesures visées à l'article 6, I-8, en l'espèce, M. [I] n'établissait pas que la société Aut O'mattic était l'hébergeur du site www.fdebranche.com et en conséquence susceptible de contribuer à la mesure sollicitée pour faire cesser le dommage allégué.
A hauteur d'appel, M. [I] produit toutefois des éléments nouveaux permettant de démontrer le lien entre le site www.WordPress.com figurant sur la page du site litigieux et la société Aut O'mattic.
En effet, il produit les conditions générales d'utilisation du site internet www.WordPress.com, qui stipulent :
« Vous trouverez ci-dessous la liste des entités avec lesquelles l'accord est conclu, en fonction de votre lieu de résidence et des services que vous utilisez. Nous utilisons le terme « Pays Désignés » pour désigner l'Australie, le Canada, le Japon, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Russie et tous les pays situés en Europe.
Tous les services Automattic (sauf WooCommerce)
Si vous résidez en dehors des Pays Désignés : Automattic Inc.
Si vous résidez dans les Pays Désignés : Aut O'Mattic A8C Ireland Ltd.».
Il est également indiqué en page 7 des conditions générales :
« Attribution. Nous pouvons afficher un texte d'attribution ou des liens dans le pied de page ou la barre d'outils de votre site web, en indiquant que votre site web est alimenté par WordPress.com ou en citant le créateur de votre thème, par exemple ».
L'appelant produit également la « politique de confidentialité » de la société Aut O'mattic, dont il ressort (pages 33 et 34) que le « responsable du traitement des données et entreprise responsable » est, pour « tous les services d'Automattic (sauf WooCommerce) », en cas de résidence dans les pays situés en Europe : « Aut O'Mattic A8C Ireland Ltd ».
L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a retenu qu'il n'était pas démontré que la société Aut O'mattic était l'hébergeur de la page du site litigieux.
Sur la demande de retrait de la page du site contenant l'article litigieux
M. [I] soutient que les conditions d'application de l'article 6, I-8, de la LCEN précité sont réunies car il suffit qu'un dommage soit créé par le contenu d'un service de communication au public en ligne pour pouvoir en obtenir la suppression, peu important l'illicéité de ce dommage.
Il ajoute qu'il subit un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne car il n'est pas justifié que son passé judiciaire continue à être exposé, alors que les faits ont été commis il y a près de dix ans et ne s'inscrivent dans aucun débat d'intérêt général, qu'il est un individu sans notoriété qui n'a pas connu d'ennuis judiciaires après sa condamnation et sa sortie de prison. Il précise qu'il mène une vie sans histoires depuis lors, entouré de sa famille et à la tête d'une entreprise prospère, une société de programmation informatique qu'il a créée, la société Groupe Axone, qui met un logiciel de gestion à disposition de franchiseurs. Il estime avoir « payé sa dette à la société » en effectuant sa peine et dit aspirer à vivre normalement, ce qui est impossible avec le maintien en ligne de cet article.
Il expose à cet égard que certains prospects ou clients de sa société n'hésitent pas à instrumentaliser son passé pénal pour rompre leurs négociations ou leurs relations d'affaires.
Il affirme également que, même si la faute de l'éditeur n'est pas requise par le texte de l'article 6, I-8 de la LCEN, en l'espèce, le dommage résulte d'une faute de l'éditeur du site internet https://fdebranche.com car le traitement de ses données pénales porte atteinte à son droit à la vie privée et à la protection de ses données personnelles.
Il expose qu'un responsable de traitement doit par principe accueillir les demandes d'effacement portant sur des données sensibles telles que les procédures pénales, sauf à ce que le maintien en ligne de ces données s'avère strictement nécessaire pour protéger la liberté d'information des internautes. Au regard de l'absence de nécessité, en l'espèce, de protéger la liberté d'information des internautes, il estime être fondé à se prévaloir de son droit à l'effacement de ses données (droit à l'oubli) prévu aux articles 17 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (dit RGPD) et 51 de la loi du 6 juillet 1978.
Précisant ne pouvoir exercer ses droits directement contre l'éditeur, qui n'est pas identifié et est inactif depuis 2017, il soutient que l'intervention de l'hébergeur est indispensable, sauf à ce que l'article litigieux reste indéfiniment accessible au public en ligne.
L'article 51 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose que « Le droit à l'effacement s'exerce dans les conditions prévues à l'article 17 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 ».
Aux termes de l'article 17 du règlement 2016/679 du 27 avril 2016, dit règlement RGPD :
« 1. La personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement l'effacement, dans les meilleurs délais, de données à caractère personnel la concernant et le responsable du traitement a l'obligation d'effacer ces données à caractère personnel dans les meilleurs délais, lorsque l'un des motifs suivants s'applique :
a) les données à caractère personnel ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées d'une autre manière ;
b) la personne concernée retire le consentement sur lequel est fondé le traitement, conformément à l'article 6, paragraphe 1, point a), ou à l'article 9, paragraphe 2, point a), et il n'existe pas d'autre fondement juridique au traitement ;
c) la personne concernée s'oppose au traitement en vertu de l'article 21, paragraphe 1, et il n'existe pas de motif légitime impérieux pour le traitement, ou la personne concernée s'oppose au traitement en vertu de l'article 21, paragraphe 2 ;
d) les données à caractère personnel ont fait l'objet d'un traitement illicite ;
e) les données à caractère personnel doivent être effacées pour respecter une obligation légale qui est prévue par le droit de l'Union ou par le droit de l'État membre auquel le responsable du traitement est soumis ;
f) les données à caractère personnel ont été collectées dans le cadre de l'offre de services de la société de l'information visée à l'article 8, paragraphe 1.
[...]
3. Les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas dans la mesure où ce traitement est nécessaire :
a) à l'exercice du droit à la liberté d'expression et d'information [...] ».
S'agissant des données à caractère personnel relatives à des procédures pénales, l'article 46 de la loi du 6 janvier 1978 dispose que :
« Les traitements de données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales, aux infractions ou aux mesures de sûreté connexes ne peuvent être effectués que par :
1° Les juridictions, les autorités publiques et les personnes morales gérant un service public, agissant dans le cadre de leurs attributions légales ainsi que les personnes morales de droit privé collaborant au service public de la justice et appartenant à des catégories dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, dans la mesure strictement nécessaire à leur mission ;
2° Les auxiliaires de justice, pour les stricts besoins de l'exercice des missions qui leur sont confiées par la loi ;
3° Les personnes physiques ou morales, aux fins de leur permettre de préparer et, le cas échéant, d'exercer et de suivre une action en justice en tant que victime, mise en cause, ou pour le compte de ceux-ci et de faire exécuter la décision rendue, pour une durée strictement proportionnée à ces finalités. La communication à un tiers n'est alors possible que sous les mêmes conditions et dans la mesure strictement nécessaire à la poursuite de ces mêmes finalités ;
4° Les personnes morales mentionnées aux articles L. 321-1 et L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle, agissant au titre des droits dont elles assurent la gestion ou pour le compte des victimes d'atteintes aux droits prévus aux livres Ier, II et III du même code aux fins d'assurer la défense de ces droits ;
5° Les réutilisateurs des informations publiques figurant dans les décisions mentionnées à l'article L. 10 du code de justice administrative et à l'article L. 111-13 du code de l'organisation judiciaire, sous réserve que les traitements mis en oeuvre n'aient ni pour objet ni pour effet de permettre la réidentification des personnes concernées ».
Ces dispositions assurent la mise en oeuvre en droit national de celles de l'article 10 du règlement général sur la protection des données, qui disposent que :
« Le traitement des données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales et aux infractions ou aux mesures de sûreté connexes fondé sur l'article 6, paragraphe 1, ne peut être effectué que sous le contrôle de l'autorité publique, ou si le traitement est autorisé par le droit de l'Union ou par le droit d'un État membre qui prévoit des garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes concernées. Tout registre complet des condamnations pénales ne peut être tenu que sous le contrôle de l'autorité publique ».
Il doit encore être rappelé qu'en application des articles 774 et suivants du code de procédure pénale, les bulletins n°1 et 2 du casier judiciaire ne peuvent être délivrés qu'aux autorités judiciaires pour le premier ainsi qu'à certaines autorités publiques et militaires pour le second.
En application de l'article 777 du même code, le bulletin n°3, qui recense les condamnations pour crime ou délit à des peines privatives de liberté d'une durée supérieure à deux ans notamment, peut être réclamé par la personne qu'il concerne mais « ne doit, en aucun cas, être délivré à un tiers, sauf s'il s'agit de l'autorité centrale d'un Etat membre de l'Union européenne, saisie par la personne concernée ».
Il résulte de ces dispositions que, lorsque des liens mènent vers des pages web contenant des données à caractère personnel relatives à des procédures pénales, l'ingérence dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel de la personne concernée est susceptible d'être particulièrement grave en raison de la sensibilité de ces données. La demande d'effacement de ces données sensibles doit en conséquence être accueillie par le responsable du traitement et il n'en va autrement que s'il apparaît, compte tenu du droit à la liberté d'information, que l'accès à une telle information à partir d'une recherche portant sur le nom de la personne concernée est strictement nécessaire à l'information du public (CE, 6 décembre 2019, n° 401258).
Au cas présent, il résulte des pièces produites par M. [I] que l'article litigieux donne au public un accès direct et permanent à la condamnation dont il a fait l'objet, alors même qu'en application des dispositions précitées du code de procédure pénale, l'accès aux données relatives aux condamnations pénales d'un individu n'est possible que dans des conditions restrictives et pour des catégories limitées de personnes.
L'appelant, qui a créé la société Groupe Axone, verse aux débats un courriel de la société Crêpe touch du 28 novembre 2022 qui indique avoir découvert les articles sur lui sur le site www.fdebranche.com et souhaite « dès à présent mettre en stand-by [leur] potentielle collaboration », ajoutant qu'elle « connaît beaucoup d'autres fondateurs d'enseignes franchiseurs à qui [elle] ne manquera pas de transmettre l'information », concluant son message par « HONTE A VOUS ».
M. [I] produit également une lettre de la société Bagel Corner du 1er décembre 2022 qui expose qu'à la suite d'une recherche d'information sur la société Groupe Axone, elle a découvert le site https://fdebranche.com, élément qui « est de nature à mettre fin à notre relation avec votre société », précisant qu'elle se réserve « le droit d'en informer l'association le leaders Club, qui regroupe plus d'une centaine d'enseignes de restauration où vous semblez avoir plus de 55 clients tant cette information est de nature à porter atteinte à la réputation de tous nos confrères ».
Au regard des répercussions qu'ont les informations litigieuses sur la réputation de la société de M. [I] ainsi que sur la vie privée et professionnelle de celui-ci, de l'ancienneté des faits et de la condamnation pénale, et enfin de l'absence de notoriété de M. [I], le maintien des informations en ligne, à la disposition permanente du public, n'est pas strictement nécessaire à l'information du public, de sorte que leur suppression s'impose.
M. [I], qui subit un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne, est donc fondé à solliciter le retrait de la page du site internet contenant l'article litigieux en application de l'article 6, I-8, de la LCEN précité.
La société Google, exploitant du moteur de recherche, n'ayant pas donné suite à sa demande de déréférencement et l'éditeur du site étant inactif depuis 2017, M. [I] est légitime à solliciter de l'hébergeur du contenu litigieux, la société Aut O'mattic, la suppression du contenu aux fins de suppression du dommage, cette société étant en outre co-responsable du traitement des données à caractère personnel figurant sur le site internet.
Il sera en conséquence ordonné à la société Aut O'mattic, dans un délai de 8 jours à compter de la signification du présent arrêt, de supprimer la page du site https://fdebranche.com contenant l'article litigieux, accessible à l'adresse suivante : https://fdebranche.com/2016/02/19/jusqua-huit-ans-de-prison-pour-les-ravisseurs-de-la-retraitee/.
Sur les frais et dépens
M. [I] ayant été contraint d'exposer des frais en première instance et en appel en raison de l'inertie de l'intimée, celle-ci sera tenue aux dépens et condamnée au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme en toutes ses dispositions la décision entreprise ;
Statuant à nouveau,
Ordonne à la société Aut O'mattic A8C Ireland Limited, dans un délai de 8 jours à compter de la signification du présent arrêt, de supprimer la page du site https://fdebranche.com contenant l'article litigieux, accessible à l'adresse suivante :
https://fdebranche.com/2016/02/19/jusqua-huit-ans-de-prison-pour-les-ravisseurs-de-la-retraitee/
Condamne la société Aut O'mattic A8C Ireland Limited aux dépens de première instance et d'appel ;
La condamne à payer à M. [I] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT