CA Angers, ch. com. A, 2 avril 2024, n° 22/01817
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
FLS (Sté)
Défendeur :
Norauto France Franchise (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Corbel
Conseillers :
M. Chappert, Mme Gandais
Avocats :
Me Laurien, Me Hamon, Me Chapeau, Me Guyard
FAITS ET PROCÉDURE
La société Norauto France Franchise développe et anime un réseau de franchises de centres pour automobiles exploités sur le territoire national sous l'enseigne Norauto.
Selon acte du 23 décembre 2013, la SAS FLS a conclu avec la société Norauto France Franchise, un contrat de franchise de distribution et de services qui lui a conféré le droit d'exploiter, sous l'enseigne Norauto, à compter du 1er janvier 2014, l'établissement qu'elle allait acquérir.
Le 31 décembre 2013, la société FLS a acquis un fonds de commerce de réparation automobile situé à [Localité 5] (31). Il a été prévu qu'en complément du prix d'acquisition, les stocks existants de marchandises, d'une valeur de 105 000 euros, seraient financés par le cessionnaire au moyen d'un crédit vendeur sans intérêt, en trois échéances égales, la première le 1er février 2014.
En exécution du contrat de franchise, la SASU Norauto France Franchise vendait à la société franchisée des produits destinés à être revendus par celle-ci. En vertu de l'article 10 du contrat de franchise, ces approvisionnements étaient payables par lettre de change - relevé magnétique (LCR) à échéance de quarante-cinq jours, fin de mois, suivant relevé de factures de fin de mois.
Dès le commencement de l'exploitation, la société FLS a éprouvé des difficultés pour faire face aux échéances dues au franchiseur, en l'occurrence au titre des factures de fourniture de matériaux et produits, ce qui a amené la société Norauto France Franchise à lui consentir des délais de paiements.
Ainsi, le 10 avril 2014, la société Norauto France Franchise a accordé à la société FLS un échelonnement de paiement de factures, pour une somme de 145 683,95 euros, remboursable en douze mensualités.
Par la suite, la société Norauto France Franchise a accordé à la société FLS plusieurs échelonnements de paiement de factures comme suit':
- le 16 juillet 2015, pour une somme de 53 821,52 euros, remboursable en quatre mensualités, au taux d'intérêt de 6 %.
- le 10 février 2016, pour une somme de 53 000 euros, remboursable en 36 mensualités, au taux d'intérêt de 3 %.
- le 12 avril 2016, pour une somme de 45 186,77 euros, remboursable en 6 mensualités, au taux d'intérêt de 3 %.
Les résultats financiers de la société FLS ont été les suivants :
- une perte de 99 812,62 euros à la clôture de l'exercice 2014.
- une perte de 47 701,21 euros à la clôture de l'exercice 2015, avec un résultat d'exploitation négatif de 30 937 euros.
- un résultat net positif de 9 777,47 euros et un résultat d'exploitation de 16 125 euros à la clôture de l'exercice 2016.
Par jugement du 4 avril 2017, le tribunal de commerce de Toulouse a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la SAS FLS, désignant la société Dutot et Associés en qualité de mandataire judiciaire.
Par lettre recommandée du 17 mai 2017, la société Norauto France Franchise a déclaré entre les mains du mandataire judiciaire de la SAS'FLS une créance d'un montant de 221 691,41 euros TTC, se décomposant en 119 497,60 euros au titre d'une créance échue (solde à rembourser sur le protocole signé le 10 février 2016, factures dues au 30 septembre 2016) et en 102 194,81 euros au titre d'une créance à échoir (factures à échéance des 30 avril 2017 et 31 mai 2017).
A la clôture de l'exercice 2017, la SAS FLS a affiché un résultat net négatif de 124 300,18 euros et une perte d'exploitation de 122.387 euros.
La procédure de sauvegarde de la SAS FLS a été convertie en redressement judiciaire par jugement du 19 juillet 2018 de la même juridiction, désignant la société Dutot et Associés en qualité de mandataire judiciaire.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 août 2019, la société Norauto France Finance a déclaré une créance d'un montant de 345 262,52 euros au passif du redressement judiciaire de la SAS FLS.
Par jugement du 11 septembre 2018, le tribunal de commerce de Toulouse a prononcé la liquidation judiciaire de la SAS FLS, nommant la SELARL Dutot et Associés en qualité de liquidateur judiciaire.
La société Norauto France Finance a obtenu une restitution de marchandises qu'elle avait revendiquées en qualité de fournisseur, à concurrence d'un montant de 30 000 euros TTC.
Le 14 octobre 2020, la société Dutot et Associés, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société FLS, prétendant que la société Norauto France Finance avait accordé un soutien abusif à la société FLS, ayant contribué à prolonger artificiellement l'activité déficitaire de celle-ci au détriment de la collectivité des créanciers, et qu'elle s'était immiscée dans la gestion de celle-ci, a fait assigner la société Norauto France Finance devant le tribunal de commerce d'Angers, sur le fondement des articles L. 650-1 du code de commerce, 1382 du code civil, en paiement de la somme de 575'045,79 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers résultant de l'aggravation de l'insuffisance d'actif, outre intérêts légaux à compter de la délivrance de l'assignation, le 14 octobre 2020.
La société Norauto France Franchise s'est opposée aux prétentions adverses.
Par ordonnance du tribunal de commerce de Toulouse du 22 mars 2021, la société (SELARL) [U] [B], prise en la personne de Maître [U] [B], a succédé à la SELARL Dutot et Associés en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS FLS.
Par jugement du 28 septembre 2022, le tribunal de commerce d'Angers a :
- dit que la SASU Norauto France Franchise n'a pas accordé de soutiens abusifs, ni frauduleux, à la SAS FLS, la situation de celle-ci aux dates d'octroi de ces soutiens n'était pas irrémédiablement compromise,
- dit que la SASU Norauto France Franchise ne s'est pas immiscée de manière caractérisée dans la gestion de la SAS FLS,
- dit que la SELARL [U] [B] anciennement dénommée SELARL Dutot et Associés ne rapporte pas la preuve d'une immixtion caractérisée dans la gestion, de concours fautifs ou de fraude de la part de la SASU Norauto France Franchise envers la SAS FLS, de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la collectivité des créanciers de la SAS FLS,
- débouté la SELARL [U] [B] anciennement dénommée SELARL Dutot et Associés de sa demande de condamnation de la SASU Norauto France Franchise à la réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers au titre de l'insuffisance d'actif,
- condamné la SELARL [U] [B] anciennement dénommée SELARL'Dutot et Associés à payer à la SASU Norauto France Franchise la somme de 4 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SELARL [U] [B] anciennement dénommée SELARL'Dutot et Associés aux dépens.
Pour écarter tout soutien abusif ou frauduleux, le tribunal a constaté que le mode de financement du stock acquis par la SAS FLS auprès du précédent exploitant du fonds avait placé la société FLS en manque de trésorerie. Il a considéré qu'en exécution de ses obligations d'assistance commerciale permanente, la société Norauto France Franchise avait apporté un soutien adéquat à la franchisée laquelle avait pu, grâce aux analyses fournies par le franchiseur, bâtir un plan d'action et le mettre en œuvre, qui a permis une amélioration significative des postes de gestion en difficulté et une situation bénéficiaire en 2016. Pour exclure toute immixtion du franchiseur, il s'est encore référé à la pertinence des outils d'analyse et des conseils donnés par la société Norauto France Franchise et a constaté qu'il ne découlait du détail du plan d'action mis en place par M. [G] et chiffré par son comptable, aucun acte positif de gestion imputable à la société Norauto France Franchise. En outre, il a retenu que la situation de la société FLS n'était pas irrémédiablement compromise à la date d'octroi des délais de paiements sur certaines factures en 2014, 2015 et 2016, au vu des résultats et des comptes de la société FLS. Il a également constaté que la société FLS avait intégralement remboursé les échelonnements consentis par la société Norauto France franchise en 2014 et 2015. Enfin, pour rejeter toute responsabilité de celle-ci envers la collectivité des créanciers, il a estimé que le liquidateur judiciaire de la société FLS ne prouvait pas que l'insuffisance d'actif ait résulté d'une faute ou fraude, d'une immixtion caractérisée et de concours fautifs de la défenderesse.
Par déclaration du 2 novembre 2022, la SELARL [U] [B], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS FLS, a interjeté appel de ce jugement en attaquant chacune de ses dispositions ; intimant la SASU Norauto France Franchise.
Selon avis du 4 décembre 2023, notifié aux parties le 6 décembre suivant, le procureur général de la cour d'appel d'Angers, à qui l'affaire avait été communiquée selon ordonnance du président de la chambre A-commerciale de la cour d'appel d'Angers du 26 octobre 2023, a considéré qu'en l'état des éléments consultés, le jugement du tribunal de commerce d'Angers contesté devait être confirmé.
La SELARL [U] [B] en qualité de liquidateur judiciaire de la société FLS et la société Norauto France Franchise ont conclu.
Une ordonnance du 15 janvier 2024 a clôturé l'instruction de l'affaire.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La SELARL [U] [B], prise en la personne de Maître [U] [B], en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS FLS demande à la cour de :
- infirmer la décision de première instance,
et statuant à nouveau,
- dire et juger que la SASU Norauto France Franchise a accordé à la SAS FLS un soutien abusif,
- dire et juger que la SASU Norauto France Franchise n'ignorait pas que la SAS FLS se trouvait dans une situation irrémédiablement compromise,
- dire et juger que la SASU Norauto France Franchise s'est immiscée de manière caractérisée dans la gestion de la SAS FLS,
à titre subsidiaire,
- dire et juger que les agissements de la SASU Norauto France Franchise sont constitutifs d'une fraude,
en tout état de cause,
- dire et juger que la responsabilité de la SASU Norauto France Franchise est engagée sur le fondement des articles L. 650-1 du code de commerce, et 1382 du code civil,
en conséquence,
- condamner la SASU Norauto France Franchise à lui régler la somme de 575'045,79 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers au titre de l'aggravation de l'insuffisance d'actif, outre intérêts légaux à compter de la délivrance de l'assignation, le 14 octobre 2020,
- condamner la SASU Norauto France Franchise à lui régler la somme de 5'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel au profit de Maître Vanina Laurien, avocat sur son affirmation de droit.
Le liquidateur judiciaire de la société FLS fait valoir que la société Norauto France Franchise a accordé un soutien abusif à une activité déficitaire de la société FLS par l'octroi de délais de paiement et la transformation de ses encours en plusieurs prêts successifs, dans son seul intérêt, puisqu'ils ont été remboursés, en précisant qu'elle a même proposé à la société FLS un cinquième prêt, le 23 septembre 2016, pour la somme de 69 401,41 euros, remboursable en six mensualités moyennant un intérêt de 3 %, que la société FLS n'a finalement pas signé. Il estime que le crédit a été inconsidérément accordé par la société Norauto France Franchise qui savait dès l'origine que la reprise du stock serait finalement financée par un simple crédit vendeur remboursable en trois mois, et qui, en acceptant d'étaler une somme de près de 145 000 euros dès le mois d'avril 2014 puis en maintenant son concours par la suite, a aggravé l'insolvabilité de la société FLS dès lors que la charge de remboursement imposée à la SAS FLS excédait ses facultés de règlement au vu de ses résultats d'exploitation, ce que savait le franchiseur qui disposait des bilans comptables de la franchisée en application du contrat de franchise, qui connaissait les difficultés économiques de sa franchisée, et qui s'est immiscé dans la gestion de celle-ci de par l'influence décisive qu'il a exercée sur ses décisions de gestion en exigeant, notamment, des plans d'action comportant la mise en place d'objectifs quantifiables et mesurables de la part du dirigeant, auxquels il subordonnait un nouveau concours financier et en étant en contact direct avec l'expert-comptable de la société FLS dont il validait les propositions. Subsidiairement, il invoque une fraude au sens de l'article L.'650-1 du code de commerce, en faisant valoir que la société Norauto France Franchise s'est octroyé un avantage matériel indu consistant dans un règlement privilégié de ses propres créances. Il prétend que les soutiens abusifs du franchiseur envers la franchisée ont nui à la collectivité des créanciers en retardant la date de cessation des paiements ; qu'en ne prononçant pas la déchéance du terme en dépit des nombreux impayés, la société Norauto France Franchise a créé et aggravé le passif de la société FLS et que sa responsabilité équivaut à l'augmentation de l'insuffisance d'actif depuis l'octroi du premier concours financier, au mois d'avril 2014.
La société Norauto France Franchise sollicite de la cour qu'elle :
- déboute l'appelant de son appel, ainsi que de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirme le jugement,
- condamne en outre la SELARL [U] [B] ès qualités à lui payer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens d'appel, dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL 08H08 Avocats, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La société Norauto France Franchise conteste toute immixtion caractérisée dans la gestion de la société FLS en faisant valoir qu'elle était tenue d'une obligation d'assistance commerciale permanente envers sa franchisée en vertu de l'article 5-5 du contrat de franchise ; que dans ce cadre, la franchisée lui transmettait des données statistiques et comptables, conformément à l'article 8 du contrat de franchise, pour qu'elle puisse, en retour, lui fournir des informations et comparaisons pertinentes en vue de comprendre ses difficultés ; qu'elle a, ainsi, préconisé un plan d'action pour lui permettre de surmonter ses difficultés, sans mener une action positive et indépendante de direction, et sans se substituer à la franchisée dans sa gestion. Pour dénier toute faute dans son concours, elle expose que la société FLS, en ne contractant pas d'emprunt pour financer le stock du fonds de commerce acquis par elle pour une valeur de 105 000 euros, a pénalisé la trésorerie de sa société dès son démarrage, raison pour laquelle elle lui a accordé des délais de paiement qui ont permis d'éviter une spirale de dettes, en soulignant que les dettes de la FLS à son endroit se limitaient globalement à deux échéances mensuelles, les sommes finalement dues ne s'élevant qu'à 53 000 euros au 10 février 2016. Elle prétend que la société FLS n'était pas en état de cessation des paiements à la date des concours, ayant seulement été placée en procédure de sauvegarde par la suite. Elle rejette toute fraude de sa part en affirmant qu'elle n'a accompli aucun acte déloyal ni obtenu un résultat recherché par tromperie, manœuvre, falsification ou tout autre acte répréhensible.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :
- le 2 mars 2023 pour la SELARL [U] [B] ès qualités,
- le 27 mars 2023 pour la société Norauto France Franchise.
MOTIFS DE LA DECISION :
Selon les dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce, lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
Ces dispositions s'appliquent aux crédits consentis par les fournisseurs à leurs clients, quelles que soient leurs qualifications, ce qui englobe des délais de paiement.
La responsabilité encourue sur le fondement de l'article L. 650-1 suppose à la fois que les crédits consentis aient été fautifs, ce qui exige que le créancier ait soutenu abusivement une entreprise dont la situation était irrémédiablement compromise ou lui ait accordé un crédit ruineux, et que soit rapportée la preuve de l'existence d'un des trois cas d'ouverture de responsabilité prévus à ce texte.
Ainsi, en premier lieu, il doit être établi que la société Norauto France Franchise, en accordant un échelonnement de ses créances à la société FLS, savait, ou aurait dû savoir, que la situation de celle-ci était irrémédiablement compromise, ou savait que le coût total du crédit était insupportable pour l'équilibre de la trésorerie de cette société et incompatible pour elle avec toute rentabilité.
Pour qu'il y ait situation irrémédiablement compromise, il est nécessaire que l'entreprise ne soit plus viable au moment où les crédits sont accordés et que la situation soit sans issue. Une insuffisance de trésorerie même grave et prolongée ne suffit pas à caractériser cette situation. Dès lors qu'il existe une possibilité de redressement, le crédit consenti ne peut être considéré comme abusif.
Dans le cas présent, il est constant que la société FLS s'est trouvée en manque de trésorerie dès le commencement de son activité, principalement du fait qu'elle a financé l'achat du stock de son fonds de commerce non pas par un prêt comme cela était prévu à l'origine mais par un simple crédit vendeur de trois mois, conduisant la société Norauto France Franchise à accepter un échelonnement de sa propre facture.
La discussion sur le point de savoir si la société Norauto France Franchise avait dès la conclusion du contrat de franchise la connaissance de ce qu'elle allait devoir indirectement financer l'achat de ce stock par un étalement de sa propre créance, ou celle de savoir si l'insuffisance de trésorerie aurait également été aggravée par le financement de travaux dans les locaux sur le montant desquels les parties divergent, ne sont pas déterminantes pour la solution du litige qui repose sur la caractérisation ou non d'une situation irrémédiablement compromise.
Pour démontrer que telle était la situation, le liquidateur judiciaire de la société FLS s'appuie sur le fait que la société Norauto France Franchise a maintenu son crédit en dépit de ce que le chiffre d'affaires et la marge annoncés par elle comme nécessaires pour rembourser les créanciers n'ont jamais été atteints.
Certes, la société Norauto France Franchise, dans un compte-rendu de visite du 3 avril 2015, avait établi un diagnostic en ces termes : 'le bilan montre un vrai souci de rentabilité, l'EBE est négatif, ce qui engendre un problème de trésorerie. Même si pas mal de frais sont de l'exceptionnel dû au rachat du fonds de commerce, les frais restent trop élevés pour le CA réalisé. Si le centre n'atteint pas les 1 100 000 de CA avec le même niveau de marge (soit +10 %), le centre ne retrouvera pas d'EBE positif, et ne pourra donc pas rembourser ses créanciers, une marge de 550 K€ est nécessaire'.
Il est vrai que ces objectifs ne seront pas atteints et que le franchiseur continuera néanmoins à accorder des étalements de ses créances successives. A la fin de l'exercice de l'année 2015, la société Norauto France Franchise constatait une 'amélioration de la situation en termes d'activité, stagnation en termes de gestion des charges, les pertes diminuent mais restent élevées'.
Mais si cela démontre que le franchiseur avait une parfaite connaissance de la situation financière de sa franchisée, de ses difficultés structurelles, cela est insuffisant pour démontrer que la situation était alors irrémédiablement compromise.
En effet, le diagnostic établi par la société Norauto France Franchise était accompagné d'une analyse plus précise : dans le même compte-rendu de visite du 3 avril 2015, était mis en avant la régression du chiffre d'affaires sur les 'basiques du métier', à savoir le 'volume pneus' et les vidanges et, pour y remédier, étaient conseillés un changement de stratégie consistant à délaisser les travaux lourds au profit de travaux rapides, une autre organisation des plannings, une modification des ratios en atelier. Dans sa lettre du 16 avril 2015, la société Norauto France Franchise, en faisant une analyse du bilan que le dirigeant de la société FLS lui avait transmis, constatait un taux de charges de personnel par rapport aux chiffres d'affaires plus élevé que la moyenne de ses franchisés, que le chiffre d'affaires par collaborateur semblait plus faible par rapport à l'ensemble du réseau et constatait que les écarts de charges n'étaient pas uniquement dus aux charges exceptionnelles de la première année d'activité. Elle lui recommandait de mettre en œuvre les actions commerciales qui lui avaient été proposées dans le rapport de visite du 3 avril 2015, de nature à augmenter significativement son niveau de marge pour arriver à une situation financière pérenne.
Ainsi, il se dégageait, à cette époque, des perspectives de redressement, sans que le liquidateur judiciaire de la société FLS ne vienne apporter d'éléments contraires à l'analyse faite alors par le franchiseur, autrement que par l'affirmation selon laquelle le premier échelonnement de près de 145 000 euros octroyé à l'occasion du démarrage de l'activité s'est révélé trop lourd à supporter pour la société FLS et aurait conduite celle-ci dans une spirale d'endettement qui mènera à sa déconfiture mais qui n'est appuyée que par le seul constat de la liquidation judiciaire, en septembre 2018, insuffisant pour valoir démonstration d'une situation déjà obérée à l'époque.
Les indicateurs financiers se sont d'ailleurs améliorés au cours des années 2015 et en 2016 dont l'exercice s'est même soldé par un léger bénéfice, qui n'est en rien corrélé à l'existence de soutiens prétendument abusifs. La marge brute avoisinait 500 000 euros, ce qui représentait une nette augmentation même si le chiffre d'affaires évoluait peu.
Si la situation financière de la société FLS s'est détériorée en 2017 pour justifier une mesure de sauvegarde, laquelle a été maintenue pendant plus d'un an avant l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, aucun des documents comptables produits ne permet d'affirmer que la situation de la société FLS aurait été irrémédiablement compromise au jour de l'octroi des crédits, dont le dernier remonte au 12 avril 2016, ce qui ne ressort pas du seul fait des capitaux négatifs, conséquence des déficits des deux premiers exercices.
Par ailleurs, il n'est pas démontré que les crédits auraient été ruineux. Il n'apparaît pas que les crédits aient été consentis à des conditions anormales, c'est-à-dire à des taux d'intérêts et avec une durée d'amortissement anormaux, ni qu'ils auraient été ruineux pour l'entreprise compte tenu de son taux d'endettement.
Ainsi, la première condition tenant à un crédit fautif n'est pas remplie. En outre, en second lieu, l'immixtion fautive est caractérisée lorsque le créancier est amené à prendre les décisions à la place du chef d'entreprise, assimilable à une gestion de fait.
Le liquidateur judiciaire de la société FLS soutient que tel aurait été le cas en l'espèce en faisant valoir que la société Norauto France Franchise serait intervenue bien au-delà de l'assistance normale d'un franchiseur à son franchisé, en prenant part à la gestion de la société, ce qu'elle aurait avoué dans ses conclusions en reconnaissant avoir été amenée à suggérer à la société FLS de bâtir un plan d'action contenant des objectifs mesurables et quantifiables.
Le contrat de franchise oblige le franchiseur à assister le franchisé dans le domaine commercial et pour ce faire, il est stipulé à l'article 8-8 du contrat de franchise que le franchisé s'engage à permettre l'accès du franchiseur à ses statistiques commerciales à l'aide d'un logiciel spécifique et à lui communiquer chaque année une copie de ses comptes annuels (bilan et compte de résultat).
Il ressort des compte-rendus de visite établis par la société Norauto France Franchise et de ses écrits que celle-ci s'est attachée à trouver des solutions commerciales aux difficultés financières de sa franchisée en lui faisant plusieurs recommandations en vue d'améliorer son chiffre d'affaires et son taux de marge, ce qui entrait dans le cadre de son obligation d'assistance.
Il n'apparaît pas que la société Norauto France Franchise serait sortie de ce cadre, ce qui ne ressort pas du sens du courriel qu'elle a envoyé le 15 octobre 2015 au dirigeant de la société FLS, dans lequel elle écrit :
« j'ai bien écouté le message de ton expert-comptable. Il a globalement répondu à mes interrogations dans son message et je n'ai pas le temps de le rappeler pour lui dire que c'est OK pour moi.
(...) Nous bloquons donc 53 000 euros de la traite d'octobre que nous échelonnons via un protocole. Nous attendons la rédaction de ton plan d'action qui doit bien contenir des objectifs mesurables et quantifiables. Suite à cela nous reviendrons vers toi pour signer un protocole d'échelonnement de la dette.
En espérant que cela te permette de développer notamment ta marge afin d'arriver à ton point mort le plus vite possible. »
Ce courriel est le dernier produit aux débats d'un échange au cours duquel, en réponse à la demande de bâtir un plan d'action, adressée par la société Norauto France Franchise au dirigeant de la société FLS, celui-ci, dans un courriel du 30 septembre 2015, a présenté les grandes lignes de son plan d'action dans ses aspects commercial, marketing et organisationnel mais aussi sur la réduction de la masse salariale.
Il apparaît ainsi que la société Norauto France Franchise ne fait que conditionner son soutien financier à un plan d'action financier qui devait être établi par la société FLS avec son comptable.
De même, dans sa lettre précitée du 16 avril 2016, la société Norauto France Franchise conditionnait le maintien de son soutien financier à l'adoption par la société FLS du plan d'action commercial qu'elle lui avait proposé le 3 avril précédent.
Dans tous les cas, elle ne s'est pas substituée à la société FLS mais a conditionné le maintien de ses soutiens financiers à différentes mesures dont la société FLS pouvait refuser la mise en œuvre, restant libre de ses choix de gestion.
La seule existence de contacts entre la société Norauto France Franchise et l'expert-comptable de la société FLS, justifiée par la nécessité de se renseigner sur les moyens de redressement de l'entreprise, qu'elle devait obtenir pour s'assurer qu'elle n'allait pas accorder un soutien qui pourrait être jugé abusif, n'est pas suffisante pour démontrer qu'elle aurait mené une activité de direction dans l'entreprise.
Enfin, constitue un acte frauduleux, au sens de l'article L. 650-1 précité, celui réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu, ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive.
Dans le cas présent, le seul fait d'étaler le paiement de ses créances dans le but de maintenir l'activité du débiteur, pour en être payé ne caractérise pas une fraude de la part d'un créancier en l'absence de moyens déloyaux ou d'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive.
C'est donc par une exacte appréciation des faits de la cause que les premiers juges, par des motifs pertinents sur l'absence de concours fautifs, d'immixtion dans la gestion du débiteur et de fraude, ont rejeté la demande d'indemnisation formée par le liquidateur judiciaire de la société FLS.
Le jugement est confirmé en toutes ses dispositions.
Partie perdante, la SELARL [U] [B] ès qualités, est condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société Norauto France Franchise la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
la cour, statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris.
Y ajoutant,
Condamne la SELARL [U] [B], ès qualités, aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Condamne la SELARL [U] [B], ès qualités, à payer à la société Norauto France Franchise la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.