CA Paris, 1re ch. C, 11 octobre 1991, n° 90 — 19 312
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fleury
Défendeur :
Bienaimé
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Antoine
Conseillers :
Mme Garban, M. Ducos
Avoués :
SCP Narrat-Peytavi, SCP d’Auriac-Guizard
Avocats :
Me Lyonnet, Me Pelletier
Le 19 janvier 1988, Messieurs FLEURY et BIENAIME, l’un et l’autre experts-comptables, ont signé une convention aux termes de laquelle M. BIENAIME se portait acquéreur de la clientèle de M. FLEURY, dont la valeur, estimée à 12.000.000 de frs était représentée par des parts de la Société CONCORDE EUROPEENNE AUDIT FRANCE (CEAF) et de la Société AUDIT ; cette convention, suivie de deux autres accords intervenus en décembre 1988, prévoyait que les parties s’en remettraient à un arbitrage en cas de difficultés.
Ces difficultés étant apparues la procédure d’arbitrage a été mise en oeuvre et une sentence a été rendue le 20 juin 1989. Cette sentence comportait, entre autres dispositions, la condamnation de M. FLEURY à dégager la Société CEAF de toutes les cautions données à ses filiales africaines, avant le 1er mars 1990, et ce, sous astreinte de 2.500 frs par jour de retard.
La sentence arbitrale a fait l’objet d’un recours partiel en annulation, diligenté par M. FLEURY. Par arrêt du 24 mai 1991, la Cour a rejeté ce recours.
M. BIENAIME avait saisi le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Paris d’une demande de liquidation de l’astreinte ordonnée par la sentence arbitrale ; par ordonnance du 18 mai 1990, confirmée sur ce point par arrêt de la cour du 8 novembre 1990, le magistrat a dit n’y avoir lieu à référé pour prononcer la liquidation de cette astreinte.
Par acte du 19 juin 1990 M. BIENAIME a alors saisi le Tribunal de Grande Instance de Paris afin de voir liquider à la somme de 212.000 frs l’astreinte ordonnée par la sentence arbitrale ; M. FLEURY a soulevé l’incompétence de la juridiction civile au profit de la juridiction commerciale et a soutenu subsidiairement au fond qu’il s’était acquitté de ses obligations dès le 22 février 1990.
Le jugement dont appel :
- a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par M. FLEURY ;
- a liquidé l’astreinte à la somme de 100.000 frs, et a condamné Jean FLEURY au paiement de cette somme ainsi qu’à celle de 5.000 frs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
M. FLEURY appelant soulève par conclusions du 23 novembre 1990 l’incompétence du Tribunal de Grande Instance de Paris au profit du Tribunal de Commerce au motif que le litige présente un caractère commercial, s’agissant d’opérations de transfert de contrôle de sociétés commerciales.
Par les mêmes conclusions, complétées par ses écritures responsives des 22 mai et 9 septembre 1991, M. FLEURY fait valoir subsidiairement au fond, que, conformément à ses obligations :
- la caution consentie par la Société CEAF à l’égard de la Société ivoirienne de banques a fait l’objet d’une main levée le 7 février 1990 ;
— qu’il en a été de même pour la S.G.B.C.I. la main levée ayant été donnée le 12 mai 1989 ;
— que la mainlevée de la caution a été donnée en ce qui concerne la Banque malienne de crédit et de dépôt, dès le 22 février 1990 ;
— que la situation était plus délicate à l’égard de la BIAO qui a été mise en liquidation ; que toutefois, conformément à la convention du 19 janvier 1988 il a, dès le 22 mars 1990 notifié à cette banque qu’il se substituait personnellement à la Société CEAF pour couvrir celle-ci au cas où elle serait recherchée par BIAO au titre de la caution ;
— que la BIAO qui n’a pas répondu à ses courriers ; que ce n’est qu’en septembre 1990 que la BIAO Mali sur les démarches entreprises par M. FLEURY a fait connaitre le montant de sa créance s’élevant à 419.723 Frs, somme qui a été ramenée à 200.000 frs par accord et qui a été réglée par M. FLEURY le 6 septembre 1990 ;
— que si l’original de l’acte de caution n’a été restitué à M. FLEURY que le 14 novembre 1990, cette situation ne lui est pas imputable compte-tenu des diligences qu’il avait effectuées en temps utiles ;
— que la décision du tribunal fixant l’astreinte à 100.000 frs n’est justifiée par aucune faute commise par lui, qu’elle est hors de proportion avec l’intérêt du litige et alors que la Société CEAF n’a subi aucun préjudice.
M. BIENAIME, intimé, a, par conclusions du 18 avril 1991 déclaré former appel incident, sollicitant la confirmation du jugement dans son principe mais demandant à voir porter à 212.000 frs le montant de l’astreinte liquidée.
Par conclusions en réplique et rectificatives du 4 juillet 1991 il demande à la Cour de liquider l’astreinte à la somme de 675.000 frs correspondant à la période du 1er mars 1990 au 24 novembre 1990.
Sur la compétence, il fait valoir que le litige n’a pas de caractère commercial et que le Tribunal de Grande Instance de Paris était compétent pour liquider l’astreinte ;
Au fond, il met en doute la réalité des deux courriers que M. FLEURY prétend avoir adressés à la BIAO les 22 mars et 4 juillet 1990 et qui paraissent avoir été faits pour les besoins de la cause ; que la caution de CEAF à l’égard de BIAO n’a été levée en définitive que le 25 novembre 1990, ce retard est dû à la faute de M. FLEURY qui a méconnu ses obligations.
Les deux parties sollicitent à leur profit l’application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
CECI EXPOSE LA COUR :
SUR LA COMPETENCE :
Considérant que le litige porte uniquement sur la liquidation à titre définitif, d’une astreinte ordonnée par une sentence arbitrale ; que les règles de compétence applicables en la matière sont distinctes de celles concernant le fond du litige ; qu’en l’espèce, les arbitres ne pouvant connaitre de l’exécution de leurs sentences, il appartient aux tribunaux étatiques d’assurer cette exécution ; que le Tribunal de Grande Instance de Paris s’est, à juste titre déclaré compétent, qu’il convient d’observer, à titre surabondant, que la Cour d’Appel est la juridiction d’appel aussi bien du Tribunal de Grande Instance de Paris que du Tribunal de Commerce de Paris ; que par application de l’article 79 du Nouveau Code de Procédure Civile la cour peut statuer sur le fond du litige ce qui retire tout intérêt pratique à la controverse sur la compétence ;
SUR LA LIQUIDATION DE L’ASTREINTE :
Considérant que la sentence arbitrale faisait obligation à M. FLEURY de dégager la Société CEAF de toutes les cautions données à ses filiales africaines et ce, avant le 1er mars 1990 ; qu’à compter de cette date il y serait contraint sous astreinte de 2.500 frs par jour de retard ;
Considérant qu’il n’est pas contesté que M. FLEURY ait, dans le délai imparti, obtenu les mainlevées des trois cautions concernant la Société ivoirienne de banque, la banque malienne de crédit et de dépôt et la Société Générale de banques en Côte d’Ivoire ; que seule, la caution consentie par CEAF en faveur de la BIAO (Banque Internationale pour l’Afrique Occidentale (Mali) fait l’objet du différend entre les parties ;
Considérant que M. FLEURY affirme avoir pris toutes dispositions en temps utiles pour obtenir de cette banque la mainlevée de la caution, notamment par l’envoi d’un courrier dès le 22 février 1990 dans lequel il informait la BIAO de ce qu’ il se substituait purement et simplement à la CEAF ; qu’il fait également état de lettres de confirmation envoyées par lui les 22 mars et 4 juillet 1990 ; que la BIAO n’a jamais répondu à ces lettres, ni fait connaitre le montant de sa créance qu’ elle n’avait d’ailleurs pas produit au passif de la société débitrice ; que ce n’est qu’après des pourparlers difficiles avec la BIAO qu’il a été en mesure de régler les causes de la caution pour 200.000 frs ; que ces difficultés expliquent la mainlevée de la caution n’a pu intervenir que le 24 novembre 1990 ;
Considérant que M. FLEURY qui est expert-comptable et commissaire aux comptes de diverses sociétés ne pouvait ignorer la nécessité d’adresser son courrier à la BIAO sous forme recommandée avec accusé de réception ainsi que le prévoyait l’engagement de caution ; qu’en l’absence de tout accusé de réception des propositions qu’il a pu faire à la BIAO, il n’existe, en l’état du dossier, aucune preuve de l’envoi de la lettre du 22 février 1990 ; qu’en tout cas et à supposer que cette lettre ait été adressée à la BIAO elle ne peut être assimilée à une mainlevée de caution, le tribunal ayant relevé à juste titre, que le bénéficiaire n’avait pas accepté la substitution de M. FLEURY à la caution d’origine ; que la mainlevée de la caution supposait, soit le règlement des créances cautionnées, soit la mise en place immédiate d’une garantie financière correspondant aux sommes susceptibles d’être réclamées à la société CEAF ;
Considérant que M. FLEURY a disposé d’un délai de deux mois pour trouver une garantie financière qui lui aurait permis d’obtenir une mainlevée rapide de la caution et de pouvoir ensuite poursuivre des pourparlers avec BIAO sur le montant réel de la dette ;
Considérant que les créanciers des filiales africaines de MAO étaient des clients de la CEAF qui avait un intérêt commercial évident à voir rapidement intervenir les mainlevées des cautions ; qu’il est établi que la mainlevée de la dernière caution n’a été effective que neuf mois après la date contractuellement prévue ; que ce retard, imputable à Jean FLEURY, justifie le principe de la liquidation de l’astreinte ordonnée par les arbitres ;
Considérant que le montant auquel cette astreinte doit être liquidée n’est pas lié à une notion de dommages-intérêts et fait l’objet d’une estimation souveraine par le juge chargé de la liquider ; qu’en l’espèce le montant retenu par les premiers juges procède d’une juste appréciation des éléments de la cause confirmé par la Cour ;
Considérant que M. BIENAIME a dû exposer des frais irrépétibles pour se défendre à la présente procédure d’appel et qu’il lui sera alloué la somme de 5.000 frs en remboursement desdits frais ;
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement dont appel
Condamne M. FLEURY à payer à M. BIENAIME la somme de 5.000 frs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure civile ;
Le condamne aux dépens d’appel ;
Admet la Société Civile Professionnelle d’Auriac-Guizard, titulaire d’un Office d’avoués, au bénéfice de l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.