CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 3 avril 2024, n° 21/14643
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Roussel International (SA)
Défendeur :
Walibuy (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bodard-Hermant
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Lesénéchal, Me Delfly, Me Teytaud, Me Druesne
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Walibuy, créée à la fin de l'année 2009, exploite un site internet "Alice's Garden" de vente aux particuliers de produits liés à l'univers du jardin et aux activités de plein Air.
La société Roussel International, créée en 1993, a pour activité le transport national et international, le commissionnement en douane et la logistique.
A compter de 2010, la société Walibuy a confié à la société Roussel International des prestations de logistique consistant pour l'essentiel à la réception de produits, leur stockage et leur sortie; le 21 mars 2016, elle lui a attribué la prestation logistique sur la gamme "trampoline".
Par courriel du 6 septembre 2018, M. [V], agissant au nom de la société Walibuy a écrit à la société Roussel International :
"Il y a presque un an, je vous faisais part de grandes difficultés que nous avions rencontrées sur la saison 2017 et que je vous annonçais avant la fin juin (2018) si nous devions stopper ou pas notre partenariat. Je suis venu le 5 juin vous l'annoncer. J'ai réalisé après coup que cela n'était pas attendu du tout de votre côté et que la présence de vos équipes dans la réunion n'était probablement pas appropriée à cette conversation. Je voulais m'en excuser si cela vous a compliqué la tâche."
Dans son courriel en réponse du 7 septembre 2018, la société Roussel International a écrit, notamment :
"Concernant votre départ, évidemment nous ne le contestons pas, cette décision vous appartient mais ce qui nous fait mal c'est la manière "précipitée" de tout cela :
- Demande de rdv le 24 mai,
- Annonce le 5 juin,
- Début du déménagement le 22 août.
C'est une décision très brutale et sans réel préavis et qui sera lourde de conséquence pour notre société ...".
Faisant valoir que la société Walibuy avait rompu brutalement les relations commerciales, la société Roussel International l'a faite assigner devant le tribunal de commerce de Lille, le 27 mai 2020, afin d'obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.
Par jugement du 17 juin 2021, le tribunal de commerce de Lille a :
- dit irrecevables les demandes formulées par la société Roussel et l'en a débouté,
- condamné la société Roussel aux entiers dépens et à payer la somme de 3.000 € à la société Walibuy au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par déclaration reçue au greffe le 26 juillet 2021, la société Roussel International a relevé appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions déposées et notifiées le 26 octobre 2021, la société Roussel International demande à la cour, au visa des articles 2224 du code civil, L. 442-6-1 5° du code de commerce et L. 110-4.1 du code de commerce :
1) d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Roussel International des l'ensemble de ses demandes aux motifs que son action serait frappée de forclusion et qu'un préavis suffisant aurait été respecté, écartant l'application de l'article L 442-6-I 5° ancien du code de commerce,
2) et statuant à nouveau, de :
- condamner la société Walibuy à lui payer:
* la somme de 953.211 € au titre de la perte de marge brute sur une période de 12 mois correspondant à l'activité saisonnière des parties, assortie des intérêts au taux légal courant à compter de l'acte introductif d'instance, soit à compter du 27 mai 2020,
* la somme de 6.130 € au titre des investissements accessoires désormais privés d'efficacité,
- condamner la société Walibuy aux entiers dépens et à payer à la société Roussel International la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Walibuy, par ses dernières conclusions déposées et notifiées le 29 novembre 2021, demande à la cour :
1) à titre principal, au visa des articles 2224 et suivants du code civil, 2254 du code civil et 122 du code de procédure civile, de confirmer le jugement qui a jugé prescrite l'action de la société Roussel International,
2) à titre subsidiaire, au visa de l'article L. 442-6 ancien du code de commerce, de :
- juger que la société Walibuy n'a pas engagé sa responsabilité pour rupture brutale de relations commerciales établies,
- débouter la société Roussel International de toutes ses demandes, fins et conclusions,
3) ajoutant au jugement :
- condamner la société Roussel International au paiement d'une somme de 20.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Me François Teytaud, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L' ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2023.
SUR CE LA COUR
1) Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Walibuy :
Moyens des parties
La société Walibuy expose d'abord :
- que toutes ses factures adressées à la société Roussel International du 31 octobre 2017 au 29 mars 2019 renvoient en bas de page aux conditions générales de vente de la société Roussel International,
- qu'elles comportent au verso les conditions générales de vente incluant les articles suivants :
"Article 11- Prescription
Toutes les actions auxquelles le contrat conclu entre les parties peut donner lieu sont prescrites dans le délai d'un an à compter de l'exécution de la prescription litigieuse dudit contrat et en matière de droits et taxes recouvrés a posteriori à compter de la notification du redressement."
"Article 12- Durée du contrat et résiliation
12.1- Dans le cas où il est conclu entre le donneur d'ordre et l'OTL un contrat à durée indéterminée qui scelle les relations durables que les parties souhaitent établir entre elles, ce contrat peut être résilié à tout moment par l'une ou l'autre partie par l'envoi d'une lettre recommandée avec avis de réception moyennant un préavis d'un mois quand le temps déjà écoulé depuis le début de l'exécution n'est pas supérieur à six mois. Le préavis est porté à deux mois quand ce temps est supérieur à six mois et inférieur à un an. Quand la durée de la relation est supérieure à un an le préavis est porté à trois mois.
12.2- Pendant la période de préavis, les parties s'engagent à maintenir l'économie du contrat.
12.3- En cas de manquement grave ou répété, par l'une des parties à ses engagements et à ses obligations, l'autre partie est tenue de lui adresser, par lettre recommandée avec avis de réception, une mise en demeure motivée. Si celle-ci reste sans effet pendant le délai d'un mois, période pendant laquelle les parties peuvent tenter de se rapprocher, il pourra être mis fin définitivement au contrat sans préavis ni indemnité, par lettre recommandée avec avis de réception prenant acte de l'échec de la tentative de négociation.
12.4- Toutes les actions relatives aux dispositions ci-dessus sont prescrites dans le délai d'un an conformément à celles visées à l'article 11 mentionné ci-dessus (prescription)."
La société Walibuy soutient ensuite :
- que les conditions générales de la société Roussel International sont intitulées,
"Conditions Générales de Vente régissant les opérations effectuées par les opérateurs de transport et/ou de logistique (OTL)" et ne sont pas limitées au seul contrat de transport,
- que le seul point commun entre la prescription abrégée prévue dans les conditions générales et la prescription de l'article L. 133-6 du code de commerce est la durée d'un an,
- que l'article 12 des conditions générales est expressément applicable aux relations durables et comporte au point 12.4 une clause spéciale relative à la prescription,
- que la prescription de l'action fondée sur l'article L. 442-6 du code de commerce n'est pas d'ordre public et que l'aménagement conventionnel de la prescription de l'action civile délictuelle est possible, l'article 2254 du code civil ne limitant pas la possibilité d'abréger ou d'allonger la durée de la prescription à la seule action contractuelle,
- qu'il est de jurisprudence constante qu'un contrat ou des conditions générales de vente, s'ils sont suffisamment bien rédigés, peuvent prévoir une clause attributive de compétence qui encadrera non seulement l'action contractuelle mais également l'action civile délictuelle, dont spécialement l'action en rupture brutale des relations commerciales établies,
- que ce qui est vrai pour la clause aménageant la compétence est vrai pour la clause aménageant la prescription, peut important la nature de l'action contractuelle ou délictuelle,
- que c'est la société Roussel International elle-même qui a inséré dans ses conditions générales une clause abrégeant la prescription en cas de rupture brutale des relations établies entre les parties.
La société Walibuy ajoute, sur le point de départ du préavis :
- que selon l'article 2224 du code civil, le délai de prescription court "à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer",
- que dans ses conclusions, la société Roussel International indique que la rupture brutale serait intervenue le 6 septembre 2018 qui constitue selon elle le point de départ de la prescription,
- que même s'il était retenu que le point de départ serait le terme du préavis respecté par Walibuy, soit fin mars 2019, la prescription serait acquise, la société Roussel International n'ayant engagé son action que par assignation du 27 mai 2020.
La société Roussel Internationale réplique que son action est exclusivement soumise à la prescription quinquennale ; elle fait valoir en ce sens :
- que ses demandes sont fondées sur les conditions de la rupture des relations commerciales établies, soit sur la brutalité de cette rupture et non sur les manquements ou inexécutions au regard d'un contrat de prestation ou de transport,
- qu'il ne s'agit pas d'interpréter les clauses d'un contrat ni les conditions de son exécution, mais de se focaliser sur la notion de relations propres au droit des pratiques restrictives de concurrence relevant d'une interprétation plus large que la simple lecture des termes du contrat,
- qu'il s'en déduit que la responsabilité pour rupture brutale d'une relation commerciale établie, fondée sur l'article L. 442-6-5 1° du code de commerce devenu l'article L. 442-1 II depuis l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, est de nature délictuelle et relève donc de la prescription quinquennale,
- que la cour de cassation, par arrêt du 1er octobre 2013, a dit que "l'action pour rupture brutale de relations commerciales établies, fussent-elles nées d'un contrat de transport, n'est pas soumise à la prescription annale de l'article L. 113-6 du code de commerce" et que, par arrêt du 8 juillet 2020 elle a rappelé que le délai de prescription fixé à l'article 2224 du code civil s'appliquait,
- que la prohibition de la rupture brutale est d'ordre public, ce qui est illustré notamment par le fait que certaines juridictions spécialisées sont seules compétentes,
- que ce caractère d'ordre public interdit tout aménagement conventionnel du délai de prescription,
- que l'option ouverte par l'article 2254 du code civil permettant d'abréger ou d'allonger une durée de prescription n'est pas ouverte à l'action en réparation d'un préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales, du fait de son caractère délictuel,
- qu'il convient de se référer aux seuls articles 2224 du code civil et L. 110-4.1 du code de commerce,
- que le point de départ du délai de prescription est le 6 septembre 2018 et qu'elle a exercé son action dans le délai de 5 ans en assignant la société Walibuy le 27 mai 2020.
Réponse de la cour,
La cour constate que la société Roussel International n'exerce pas une action fondée sur des stipulations contractuelles résultant de ses conditions générales de vente, mais l'action spécifique de l'article L. 442-6-1 5° ancien du code de commerce qui, relevant des dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence, permet de rechercher la responsabilité en cas de rupture brutale d'une relation commerciale établie; dès lors, la société Walibuy ne peut valablement se prévaloir de la prescription d'un an prévue à l'article 12.4 précité des conditions générales de vente de la société Roussel International.
L'action en responsabilité de la société Roussel International étant de nature délictuelle ou quasi délictuelle, c'est la prescription quinquennale qui s'applique comme prévu à la fois :
- par l'article L. 110-4 1 du code de commerce selon lequel les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes,
- par l'article 2224 du code civil qui dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l'exercer.
Il ressort de son courriel du 7 septembre 2018, en réponse à celui de la société Walibuy du 6 septembre 2018, que la société Roussel International avait été informée verbalement, le 15 juin 2018, de la décision prise par la société Walibuy de rompre leurs relations commerciales
C'est par assignation du 27 mai 2021, soit dans le délai de cinq ans courant à compter du 5 juin 2018 ou encore du 6 septembre 2018, que la société Roussel International a fait assigner la société Walibuy; son action n'étant pas prescrite, la fin de non-recevoir soulevée par la société Walibuy doit être rejetée.
2) Sur la rupture des relations commerciales :
Il n'est pas contesté qu'à compter de 2010, les parties ont entretenu des relations commerciales établies, caractérisées par leur continuité, leur caractère significatif et leur stabilité.
a) Sur la brutalité de la rupture :
Pour contester toute brutalité dans la rupture, la société Walibuy allègue :
- que la société Roussel reconnait avoir été informée le 5 juin 2018 de sa décision de cesser de lui confier des prestations,
- qu'il existe des écrits non équivoques dès la fin du mois d'août 2018 sur l'arrêt des relations entre les parties,
- que par courriel du 27 août 2018, le dirigeant de la société Roussel International a écrit à la société Walibuy : "comme convenu ensemble lors de notre entretien du 24 août, tu trouveras ci-dessous la procédure "retour palette pour cette fin d'exercice" afin de clôturer notre dossier "proprement",
- que la société Walibuy lui a répondu, par courriel du même jour : "Merci pour ce récapitulatif. De mon côté, et consécutivement à l'arrêt de notre partenariat le 5 juin, je ne déménagerai que le sur-stock et laisserai les références d'arrière-saison jusqu'à début janvier si les quantités ne sont pas écoulées."
- que les relations commerciales avec la société Roussel International n'ont pas été rompues en septembre 2018,
- qu'entre septembre 2018 et mars 2019, la société Roussel International a poursuivi ses prestations logistiques, notamment le stockage et la manutention et Walibuy n'a pas retiré brutalement ses produits,
- que sur une période de 6 mois, de début septembre 2018 à mars 2019, la société Roussel International a facturé un montant total de 96.696 € HT,
- que si on se place à la date de l'annonce de l'arrêt des prestations le 5 juin 2018, c'est un préavis de 10 mois qui a été accordé,
- que si on se place à la date du premier écrit attestant de l'annonce de la rupture, soit le 27 août 2018 ou même le 6 septembre 2018, un préavis de plus de 6 mois a été respecté.
Mais la société Roussel International réplique à juste raison que la rupture des relations commerciales n'a été précédé d'aucun préavis notifié par écrit précisant la date de fin des relations, au mépris des dispositions de l'article L. 442-6-1 5° ancien du code de commerce, applicable en la cause.
Les factures de la société Roussel International, produites par la société Walibuy (pièces 3.15 à 3.21) établissent que la société Roussel International lui a facturé des frais de logistique pour les mois de septembre 2018 à mars 2019 pour un montant total de 96.696 € HT.
La société Roussel International explique que ses factures correspondent à des prestations logistique marginales pour des ventes tout aussi marginales d'arrière-saison ; elle verse aux débats en page 12 de ses conclusions, un tableau non contesté par la partie adverse, qui montre que sur la période 2018/2019, pour les mois considérés, le montant de ses factures par rapport à celui de 2017/2018 a diminué progressivement de 51,85 % en octobre, 69,45 % en novembre, 79,36 € en décembre, 89,28 % en janvier, 90,35 % en février et 97,45 % en mars.
Il en résulte que la rupture brutale des relations commerciales, qui s'est concrétisée en septembre 2018, a d'abord été partielle jusqu'en mars 2019 puis totale à compter de cette date.
b) Sur la durée du préavis :
La société Roussel International rappelle que son action a un fondement délictuel et qu'il ne peut lui être opposé un délai de préavis contractuel ; elle estime qu'un préavis de 12 mois aurait dû lui être accordé pour les raisons tenant :
- à la saisonnalité de l'activité : le flux entrant des produits proposés à la vente par Walibuy, stockés dans ses entrepôts, s'opérant pour chaque saison entre les mois d'octobre à janvier et les flux sortant de ces produits s'opérant entre les mois de mars et septembre, ses entrepôts étant mobilisés pour une année entière,
- à la part de son chiffre d'affaires réalisé avec la société Walibuy qui représentait 55,80 % de son chiffre d'affaires logistique, la logistique représentant quant à elle 14 % de son chiffre d'affaires global en 2017,
- à son état de dépendance économique, consubstantiel à la part de chiffre d'affaires réalisé par Walibuy dans son activité logistique,
- au fait qu'elle avait anticipé la continuité du flux d'affaires avec la société Walibuy en réalisant des investissements dont le plus conséquent avait pour objet l'extension de ses entrepôts conduisant à accroître ses capacités de stockage.
La société Walibury fait valoir qu'un préavis raisonnable peut être légitimement fixé entre 3 et 6 mois, préavis qu'elle dit avoir plus que respecté.
Elle allègue en premier lieu que l'ancienneté de 9 ans des relations ne porte pas sur la totalité des relations, que c'est seulement à compter d'avril 2016, suite à un appel d'offres qu'elle a confié à la société Roussel International les prestations logistiques pour la gamme "Trampoline", représentant 20 % du chiffre d'affaires HT, et que c'est seulement à compter d'octobre 2016 qu'elle lui a confié les prestations logistiques pour les produits SPA et tentes de réception.
Elle invoque en deuxième lieu l'existence d'usages professionnels résultant des Conditions générales de vente pour les opérations de transport et/ou de logistique, publiées par le syndicat Transport et Logistique de France, en précisant que la société Roussel International est adhérente de ce syndicat et que l'article 10 de ces conditions mentionne expressément les délais de préavis en cas de rupture des relations commerciales établies, notamment, quand la durée de la relation est supérieure à 3 ans, un délai de 4 mois auquel s'ajoute une semaine par année complète de relations commerciales, sans pouvoir excéder une durée maximale de 6 mois.
Elle rappelle en troisième lieu que l'article 12.1 des Conditions générales de vente de la société Roussel International prévoient un préavis de 3 mois en cas de relations durables.
En quatrième lieu, elle conteste la saisonnalité de l'activité de la société Roussel International dont les prestations existaient toute l'année et étaient facturées mensuellement.
En cinquième lieu, elle fait valoir que la société Roussel International ne fait pas la preuve d'une dépendance économique.
Elle ajoute, en dernier lieu, sur les investissements prétendus, qu'elle n'a jamais exigé de tels investissements et que ceux-ci n'ont pas été réalisés spécifiquement pour elle.
Réponse de la cour,
Il incombe à la cour de fixer la durée du préavis écrit qui aurait dû être accordé à la société Roussel International par application de l'article L. 442-6 I 5° ancien du code de commerce, applicable en la cause, qui dispose :
"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers ........de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels."
L'existence d'usages professionnels et de stipulations contractuelles qui les reprennent ne dispensent pas la juridiction saisie d'examiner si les délais ainsi prévus tiennent compte de la durée des relations et de l'ensemble des circonstances à la date de la rupture des relations commerciales.
En l'espèce, contrairement à ce que prétend la société Roussel International, son activité ne présentait pas un caractère saisonnier, puisqu'elle réalisait des prestations de logistique et de stockage facturées mensuellement, peu important que ses prestations soient plus ou moins importantes certains mois en fonction des besoins de la société Walibury.
La société Roussel International ne démontre pas un état de dépndance économique alors qu'elle ne se trouvait pas dans l'impossibilité de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations nouées avec la société Walibury; étant une entreprise de transport et de logistique, elle ne démontre pas plus avoir dû réaliser des investissements spécifiques consistant en des entrepôts, uniquement pour la société Walibury et qui seraient restés non amortis.
Il convient de retenir :
- que la relation commerciale établie durait depuis 9 ans lors de la rupture, peu important qu'une partie des prestations n'ait été confiée par la société Walibuy que courant 2016,
- que la société Roussel International réalisait avec la société Walibuy 55,80 % de son chiffre d'affaires logistique, étant souligné que ce chiffre d'affaires logistique ne représentait que 14 % de son chiffre d'affaires total
Eu égard à l'ensemble de ces éléments, c'est un préavis de 6 mois qui aurait dû être accordé à la société Roussel International, délai suffisant pour lui permettre de trouver d'autres donneurs d'ordre et ainsi réorienter son activité logistique.
c) Sur le préjudice :
Il ressort de l'attestation du 17 janvier 2020 établie par KPMG, expert-comptable qui a vérifié la marge sur coûts variables calculée par l'appelante (pièce 13), que :
- pour la période de juillet 2016 à juin 2017, le chiffre d'affaires de la société Roussel International avec la société Walibuy s'est élevé à 1.329 530 € et sa marge sur coûts variables à 893.121 €,
- pour la période de juillet 2017 à juin 2018, ce chiffre d'affaires s'est élevé à 1.341.340 € et cette marge à 953.211 € .
Sur une période de 2 ans, la marge de la société Roussel International a été en moyenne de 923.166 € par an.
En raison du non-respect d'un préavis de 6 mois, elle a subi une perte de marge de 461.583 €, dont il faut soustraire la perte de marge réalisée sur son chiffre d'affaires de 96.696 € entre septembre 2018 et mars 2019, évaluée à 67.000 € au vu de la moyenne des marges réalisées les années précédentes, ce qui aboutit à la somme de 394.583 € ; cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2021, date du jugement.
Aucune somme supplémentaire ne sera accordée au titre des investissements pour les motifs déjà énoncés.
3) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
La société Walibuy, qui succombe en ses prétentions, doit supporter les dépens de première instance et d'appel.
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il sera alloué la somme de 10.000 € à la société Roussel International, la demande de la société Walibuy à ce titre étant rejetée.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ,
Statuant à nouveau :
Dit que l'action engagée par la société Roussel Internationale pour rupture brutale de la relation commerciale établie n'est pas prescrite ;
Condamne la société Walibuy à payer à la société Roussel International, à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice causé par la rupture brutale de la relation commerciale établie, la somme de 394.583 €, avec intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2021, date du jugement ;
Condamne la société Walibuy à payer à la société Roussel International la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes ;
Condamne la société Walibuy aux dépens de première instance et d'appel rejette toute autre demande.