Décisions
CA Paris, Pôle 4 - ch. 8, 3 avril 2024, n° 21/06483
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 8
ARRÊT DU 03 AVRIL 2024
(n° 2024/ 82 , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06483 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDOA2
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Octobre 2020 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 18/07867
APPELANT
Monsieur [O] [Y]
[Adresse 3]
[Localité 4]
né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 6]
De nationalité française
représenté par Me Grégory KAGAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0336
INTIMÉE
S.A. LA MEDICALE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 2]
[Localité 5]
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro : 582 068 698
représentée par Me Stéphane GAILLARD de la SELAS GTA, avocat au barreau de PARIS, toque : C2100, plaidant par Me Noémie GAÏA, avocat au barreau de Paris, toque R 075
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. SENEL, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre
Mme FAIVRE, Présidente de chambre
M. SENEL, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame POUPET
ARRÊT : Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par, Mme CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Mme POUPET, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*******
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [O] [Y], pharmacien, a conclu avec la SA LA MÉDICALE, assureur spécialisé dans la garantie responsabilité civile des professionnels de santé, un contrat d'assurance multirisque professionnelle du pharmacien d'officine intitulé « Pharma globale ».
Ce contrat stipulait une garantie afférente à la mise en jeu de la responsabilité civile professionnelle et à la défense de l'assuré ainsi qu'une « protection juridique ».
Le 17 octobre 2005, l'inspection régionale de la pharmacie, qui avait été destinataire d'une lettre accusant M. [Y] de remettre en vente au public des médicaments restitués par les patients et destinés au recyclage Cyclamed, a saisi le procureur de la République près le tribunal de Béthune lequel a diligenté une enquête préliminaire le 8 février 2006. Le 20 juin 2006, les enquêteurs ont procédé à l'audition libre de M. [Y].
L'enquête s'est poursuivie et le 9 février 2015, M. [Y] s'est vu signifier par huissier une citation à comparaître devant le tribunal correctionnel de Béthune pour escroquerie et délivrance irrégulière de médicaments relevant des listes I et II et classés comme substance vénéneuse.
Il était plus particulièrement reproché à M. [Y] :
- s'agissant du délit d'escroquerie, d'avoir depuis le 1er juillet 2003 et jusqu'au 13 juin 2006, en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce en registrant des commandes fictives auprès des grossistes et ce afin de faire apparaître en stock les produits pharmaceutiques recyclés qui seront ensuite facturés en tant que produits neufs, trompé la CPAM d'ARRAS et de l'avoir ainsi déterminée à son préjudice, à remettre des fonds ;
- s'agissant de la délivrance irrégulière de médicaments, d'avoir vendu sans ordonnance, en sa qualité de professionnel de santé des médicaments à usage humain relevant de la réglementation des substances vénéneuses en l'espèce, notamment des médicaments contenant des 'strogènes et/ou progestatifs, classés anxiolytiques ou hypnotiques, destinés au traitement des troubles de l'érection, antipaludéens de type Zyban, antibiotiques vétérinaires contenant de la codéine, au préjudice de la CPAM de l'Artois.
Par jugement du 25 juin 2015, le tribunal correctionnel de Béthune a notamment relaxé M. [Y] pour les faits d'escroquerie commis depuis le 1er juillet 2003 et jusqu'au 13 juin 2006 à [Localité 7], l'a condamné au paiement d'une amende de 2 000 euros pour les faits de délivrance irrégulière par un professionnel de santé de médicaments relevant de listes I et II et classés comme substances vénéneuses, a déclaré recevable la constitution de partie civile de la CPAM de l'Artois, l'a déboutée de ses demandes faute de préjudice en lien avec l'infraction pour laquelle M. [Y] a été condamné, et a déclaré irrecevable la constitution de partie civile du conseil national de l'ordre des pharmaciens.
Ce dernier a interjeté appel des dispositions civiles du jugement et par arrêt du 2 février 2017, la cour d'appel de Douai a infirmé le jugement rendu sur l'action civile le 25 juin 2015 par le tribunal correctionnel de Béthune, déclaré recevable la constitution de partie civile du conseil national de l'ordre des pharmaciens, et a condamné M. [Y] à payer au conseil national de l'ordre des pharmaciens la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et une indemnité de 500 euros au titre des frais de justice.
Par lettre du 3 juillet 2006, M. [Y], à la suite de la perquisition de son officine, a adressé une déclaration de sinistre à la société LA MÉDICALE lui demandant si le coût des honoraires de l'avocat qu'il avait choisi pouvait être pris en charge au titre de la protection juridique stipulée au contrat d'assurance.
Le 24 juillet 2006, l'assureur a accusé réception de la demande « au titre de la garantie protection juridique » et a sollicité des informations sur l'objet de l'enquête.
Courant 2007, M. [Y] a adressé à la société LA MÉDICALE une facture d'honoraires d'avocat en date du 31 décembre 2006 d'un montant de 950,82 euros afin d'en obtenir le remboursement.
Par courrier du 12 octobre 2007, la société LA MÉDICALE a répondu qu'à défaut d'obtenir des renseignements sur l'objet de l'enquête, elle ne pourrait prendre en charge la facture d'honoraires.
Le 27 février 2015, la société LA MÉDICALE a accusé réception de la déclaration de sinistre de M. [Y], de son renvoi devant le tribunal correctionnel et lui a demandé, pour lui permettre de se prononcer sur son éventuelle garantie, de lui adresser une déclaration détaillée des faits litigieux.
Le 2 novembre 2015, M. [Y] lui a adressé divers documents notamment le jugement correctionnel et les conclusions de son avocat. Par courrier du 12 novembre 2015, la société LA MÉDICALE lui a répondu : « les faits reprochés, s'ils étaient avérés, vous placeraient en dehors du champ de la garantie. Or, le jugement rendu par le tribunal correctionnel le 25 juin 2015 vous a reconnu coupable des faits de délivrance irrégulière de médicaments relevant des listes I et Il et classés comme substances vénéneuses. Nous n'interviendrons donc pas pour l'instant dans ce contentieux. »
M. [Y] a contesté ce refus de garantie par plusieurs courriers.
Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 17 août 2017 et par l'intermédiaire de son conseil, M. [Y] a mis en demeure la société LA MÉDICALE de lui payer la somme de 29 066,46 euros en principal.
Par acte d'huissier du 22 juin 2018, M. [Y] a fait assigner la société LA MÉDICALE devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de la faire condamner à lui payer la somme de 29 066, 46 euros, assortie des intérêts avec anatocisme à compter du 2 novembre 2015ainsi qu'une somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles engagés.
Par jugement du 12 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :
- Constaté la prescription de l'action de M. [O] [Y] relativement aux sinistres constitués par l'enquête préliminaire et la procédure correctionnelle ;
- Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [O] [Y] relativement au sinistre constitué par la procédure d'appel ;
- Débouté M. [O] [Y] de ses demandes indemnitaires principales comme subsidiaires ;
- Condamné M. [O] [Y] à payer à la société LA MÉDICALE la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
- Condamné M. [O] [Y] aux entiers dépens de l'instance ;
- Dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration électronique du 2 avril 2021, enregistrée au greffe le 13 avril 2021, M. [Y] a interjeté appel de ce jugement en précisant que l'appel tend à faire réformer la décision entreprise sur les chefs de jugement expressément critiqués.
Par conclusions d'appelant notifiées par voie électronique le 1er juillet 2021, M. [Y] demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants du code civil, de :
- le recevoir en son appel, et le déclarer bien fondé ;
- infirmer le jugement et statuant à nouveau :
- condamner la SA LA MÉDICALE à payer à M. [O] [Y] la somme de 29 066,46 euros TTC au titre des frais de défense exposés par lui à la procédure pénale référencée parquet tribunal de grande instance de Béthune n° 06000010091 ;
- A titre subsidiaire, condamner la SA LA MÉDICALE à payer à M. [O] [Y] la somme de 20 489,25 euros TTC au titre des frais de défense exposés par lui relativement à la relaxe prononcée au chef de délit d'escroquerie à l'assurance maladie ;
- dire et juger que les condamnations précitées emporteront intérêts aux taux légaux à compter du 2 novembre 2015 avec anatocisme ;
- condamner la SA LA MÉDICALE à payer à M. [O] [Y] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'instance.
Par conclusions d'intimé notifiées par voie électronique le 28 septembre 2021, LA MÉDICALE DE FRANCE demande à la cour, au visa des articles 1103 nouveau du code civil et L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances, de :
- confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions et par conséquent, rejeter l'ensemble des demandes de l'appelant ;
- le condamner à verser à LA MÉDICALE la somme supplémentaire de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et le condamner aux dépens de la procédure de première instance et d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire, si la cour prononce la réformation du jugement quant au droit à garantie de l'appelant, rejeter la demande de l'appelant comme tardive et incomplète au regard des conditions de prise en charge des honoraires de l'avocat choisi telles que définies aux conditions générales versées aux débats par le demandeur et donc en sa possession au moment de ses réclamations ;
De manière encore plus subsidiaire, cantonner le remboursement des honoraires demandés à la somme de 4 800 francs TTC, soit 730 euros TTC, en considération des plafonds de garantie applicables et tels que définis au titre des conditions générales du contrat souscrit ;
En tout état de cause :
* constatant, s'agissant des sommes dont il est demandé le remboursement, que :
- l'assureur n'a pas été en mesure d'en discuter le quantum, le montant et de les considérer comme opposables par la remise d'une convention signée par l'assuré,
- les honoraires d'avocat dont il est sollicité le remboursement, ne sont pas tous justifiés pour la défense pénale de M. [Y], mais aussi pour une procédure qui n'a pas eu lieu en appel et un contrôle fiscal,
- les frais engagés par M. [Y] pour se rendre à [Localité 8] voir son avocat résultent du choix qu'il a fait de prendre un conseil parisien,
- les honoraires de l'expert qu'il a sollicité pour sa démarche assurantielle n'ont pas à être intégrés dans une telle demande de remboursement pour une prise en charge dans le cadre d'une garantie protection juridique,
- plusieurs diligences facturées dans la note du 30 juin 2015 correspondent à la défense qu'il a fallu pour les deux infractions reprochées,
réduire la demande de remboursement à la somme forfaitaire de 4 800 euros TTC ;
* débouter M. [Y] de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il convient de se reporter aux conclusions ci-dessus visées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 juin 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A l'appui de sa demande d'infirmation du jugement, M. [Y] soutient tout d'abord, s'agissant de la prescription soulevée par l'assureur, que :
- s'agissant du premier sinistre, à savoir sa mise en cause dans le cadre de l'enquête préliminaire des 13 et 20 juin 2006, le tribunal a considéré l'assuré comme prescrit dans sa réclamation à l'égard de l'assureur. Or, en l'état des correspondances échangées entre les parties, c'est dès le 3 juillet 2006 que M. [O] [Y] a sollicité le bénéfice de la garantie de l'assurance de prise en charge de ses frais de défense pénale, outre qu'il a valablement transmis à l'assureur la facture n° 6121227 du cabinet [M] [B] [Z] du 31 décembre 2006 d'un montant de 950,88 euros TTC ; l'assureur lui a d'ailleurs répondu, par courrier du 12 octobre 2007 ; il en résulte que la prescription biennale n'est pas acquise ;
- s'agissant du second sinistre, constitué par la procédure en première instance correctionnelle suivant citation à comparaître du 20 février 2015, il l'a valablement déclaré à l'assureur, qui lui en a donné acte le 27 février 2015 puis il a formé une demande de prise en charge le 2 novembre 2015 et lui a adressé des mises en demeure de payer les 30 mars 2017 et 14 août 2017 de sorte qu'à la date d'introduction de l'instance, le 22 juin 2018, la prescription biennale n'était pas acquise.
Sur le fond, M. [Y] expose qu'il est fondé en sa demande d'indemnisation au titre de la garantie « défense de l'assuré », telle que prévue par la police d'assurance « multirisque professionnelle du pharmacien d'officine » qui couvre « les frais de défense » de l'assuré cité en qualité de « prévenu » par le ministère public devant les juridictions correctionnelles, peu important que celui-ci soit reconnu coupable ;
- quand bien même la police d'assurance prévoirait l'exclusion de la garantie « défense de l'assuré » dans l'hypothèse d'une« faute intentionnelle » au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, le moyen serait inopérant au cas d'espèce ;
- en effet, la procédure pénale qui a été suivie à son encontre l'a été en raison d'un engagement de sa « responsabilité civile professionnelle » par un client de sa pharmacie ; que la garantie prévue par l'assureur soit destinée à indemniser l'assuré de ses frais de justice au titre d'une « défense pénale » ou d'une « responsabilité civile professionnelle », celle-ci se trouve acquise au cas d'espèce dès lors que la procédure correctionnelle suivie à l'encontre de M. [Y] relève à la fois d'une « défense pénale » vis-à-vis du ministère public et d'une « responsabilité civile professionnelle » vis-à-vis de la dénonciation dont il a été l'objet, quand bien même son dénonciateur ne s'est pas présenté à l'instance correctionnelle.
LA MÉDICALE réplique que le jugement doit être confirmé dès lors, notamment, que':
- si le raisonnement adopté par le tribunal diffère très subtilement de l'argumentaire qu'elle avait développé devant lui, consistant à exposer que M. [Y] n'avait pas contesté le refus de prise en charge opposé par son assureur et qu'il n'avait sollicité le remboursement des frais de défense engagés que le 22 juin 2018 et ce, que le point de départ de la prescription soit fixé au mois de juin 2006 à l'occasion de sa garde à vue, ou au mois de février 2015 à l'occasion de sa citation à comparaître, il n'en est pas moins pertinent ;
- c'est à bon droit que le premier juge a considéré que seule la LRAR du 14 août 2017 avait interrompu la prescription de la demande, et uniquement pour le sinistre consécutif à la procédure d'appel, dès lorsque les autres courriers de M. [Y] n'avaient pas été envoyés sous la forme requise par l'article L. 114-2 du code des assurances ;
- indépendamment des questions relatives aux fins de non-recevoir opposées aux demandes de garantie de M. [Y], ces demandes étaient et sont, sur le fond, dénuées de légitimité au regard des faits qui les ont précédées ; ce n'est pas la qualité de prévenu de l'assuré qui exclut la mobilisation de la garantie, de sorte que les développements de l'appelant sur ce point sont sans objet, mais bien le caractère intentionnel des faits pour lesquels il a été condamné, ce qui a amené à juste titre le tribunal à considérer que les frais de défense dont M. [Y] sollicitait le remboursement étaient exclus de la garantie ;
- outre le fait qu'il est inopérant de tenter, à nouveau, de ventiler entre les honoraires dont il sollicite le remboursement ceux qui seraient pour trois quarts imputables à sa défense ayant abouti à une relaxe et pour le quart restant à sa défense pour l'infraction pour laquelle il a été condamné, la prescription étant acquise en ce qui concerne les actions tirées des sinistres résultant de l'enquête et de la procédure correctionnelle, son droit à garantie n'est apprécié qu'à l'égard de la procédure d'appel intentée par le conseil de l'ordre des pharmaciens ;
- dès lors qu'il est impossible de chiffrer précisément les honoraires que LA MÉDICALE aurait eu à prendre en charge si elle avait accepté sa garantie sur cette défense pénale et si elle avait été placée en situation de pouvoir en discuter le montant et la correspondance, la cour réduira la somme demandée par M. [Y] à la somme forfaitaire maximale de 4 800 euros TTC.
1) Sur l'action en exécution du contrat d'assurance
A - Sur la recevabilité
L'article L. 114-1 du code des assurances prévoit que toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter, en cas de sinistre, du jour où les intéressés en ont eu connaissance, s'ils prouvent qu'ils l'ont ignoré jusque-là.
Conformément à l'article L. 114-2 du code des assurances, la prescription biennale peut être interrompue soit par l'une des causes ordinaires d'interruption de la prescription (outre la désignation d'experts à la suite d'un sinistre), soit par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l'assuré à l'assureur. S'agissant alors d'une formalité substantielle, l'envoi d'une lettre recommandée sans accusé de réception, et a fortiori d'une lettre simple, ne peut avoir cet effet, alors même que la partie à qui elle est envoyée reconnaîtrait l'avoir reçue. En outre, la lettre recommandée avec accusé de réception ne peut interrompre la prescription biennale qu'en tant qu'elle concerne le règlement du sinistre.
Comme l'a exactement relevé le tribunal, il n'est pas contesté que l'action de M. [Y] dérive du contrat d'assurance et que, subséquemment, la prescription biennale s'applique. Le point de départ de la prescription de l'action est donc le jour où M. [Y] a eu connaissance de son sinistre. Dès lors, la cour doit déterminer les sinistres et le jour où l'assuré en a eu connaissance.
Les conditions générales du contrat d'assurance définissent en page 7 le sinistre comme : 'Réalisation de l'événement susceptible de faire jouer les garanties du contrat.
Constituent seul et même sinistre les réclamations ayant pour origine un même événement.'
Le tribunal a justement déduit du fait que le contrat stipule que constitue un seul et même sinistre les réclamations ayant pour origine un même 'événement' et non des mêmes faits, que des mêmes faits peuvent générer plusieurs sinistres dès lors qu'ils aboutissent à plusieurs événements qui ne découlent pas nécessairement de ces faits.
Les parties ne contestent pas dès lors qu'au cas présent, trois événements sont susceptibles de faire jouer la garantie, à savoir l'enquête préliminaire, la procédure devant le tribunal correctionnel et la procédure devant la cour d'appel. En effet, les faits de suspicion d'infraction auraient pu ne générer qu'une enquête préliminaire suivie d'un classement sans suite, mais ils ont abouti à un deuxième événement, la procédure correctionnelle. A l'issue de ce deuxième événement la procédure d'appel n'était pas automatique, les mêmes faits ont donc entraîné un troisième événement, d'autant plus que l'appel n'a été interjeté que sur les dispositions civiles du jugement.
Cette analyse est la même que cela soit pour la garantie 'défense de l'assuré' qui est revendiquée (stipulée en page 24 des conditions générales) ou la garantie 'protection juridique' (stipulée en page 2 des conditions générales), dès lors que la garantie 'défense de l'assuré', susceptible d'être mobilisée « en cas d'action judiciaire mettant en cause l'assuré » (« ou toute personne désignée comme assurée ») vise d'une part l'action publique, qui a plusieurs degrés de mise en oeuvre (l'enquête puis éventuellement la poursuite devant une juridiction) et d'autre part l'action civile.
La garantie 'protection juridique' est définie comme permettant à 'l'assuré de faire face aux difficultés de tous ordres qu'il est susceptible de rencontrer au cours de sa vie professionnelle et privée, dans l'hypothèse où le litige ne relève pas de la garantie Responsabilité civile professionnelle', et prévoit que l'assureur « prend en charge, le cas échéant la direction des litiges et les frais de procédure nécessaires à la protection de ses droits » et qu'il fournit à l'assuré 'tous conseils et tous avis sur l'étendue de ses droits et la manière d'organiser sa défense'. Or, la situation de l'assuré est différente selon qu'il fait l'objet d'une enquête préliminaire, d'une poursuite devant un tribunal correctionnel ou d'une action civile devant une cour d'appel.
Il en résulte que le point de départ de la prescription du premier sinistre (à savoir l'enquête préliminaire) est ainsi le jour où M. [Y] en a eu connaissance, c'est à dire le jour de sa première audition libre soit le 26 juin 2006.
Le point de départ de la prescription du second sinistre est le mandat de citation du 20 février 2015 ayant donné lieu au jugement du 25 juin 2015.
Le point de départ du 3ème sinistre est le jour où M. [Y] a eu connaissance de l'appel du Conseil de l'ordre des pharmaciens, soit le 16 mars 2016, date à laquelle il a été cité à personne par acte d'huissier, selon l'arrêt d'appel.
Aucune des lettres simples ou courriels invoqués par M. [Y] ne permet d'interrompre la prescription, dès lors qu'ils n'étaient pas adressés avec accusé de réception.
Certes, la MEDICALE reconnaît avoir été destinataire des courriers suivants :
- une lettre simple du 3 juillet 2006 aux termes de laquelle l'appelant interrogeait son assureur sur l'éventualité d'une prise en charge des honoraires de l'avocat qu'il a choisi dans le cadre d'une procédure qu'il entendait diligenter à la suite de la perquisition réalisée par les inspecteurs en pharmacie de la DRASS, encadrés par la police, dans son officine, fermée à cette occasion, sans autre précision ;
- un document en date du 2 novembre 2015 présenté comme étant un mail, ayant la forme d'une lettre, demandant à son assureur d'en accuser réception et l'informant qu'il lui transmettait la liste des pièces demandées par la compagnie afin de traiter son dossier (mandement de citation à comparaître, conclusions aux fins de relaxe, jugement du tribunal correctionnel, relevé de condamnation pénale, frais de dossier et correspondance avec LA MEDICALE) ;
- une lettre portant la simple mention dactylographiée « LRAR » mais non datée, et dénuée de justificatif de cet envoi en lettre recommandée avec accusé de réception, aux termes de laquelle il affirme à l'assureur répondre à son « courrier du 12 novembre 2015 dernier », précise avoir été l'objet, non pas d'une condamnation, mais d'une relaxe partielle et met en demeure l'assureur de lui rembourser les sommes engagées pour sa défense ;
- une lettre simple du 30 mars 2017 adressée par la société VK expertise, se présentant comme expert d'assuré, intervenant au soutien des intérêts de M. [Y] demandant à l'assureur de revoir sa position au regard de la relaxe des faits de réintroduction en stock de médicaments usagés devenue définitive, l'appel ne portant que sur les intérêts civils, soit sur « les éventuels dommages-intérêts qui seraient dus à l'ordre des pharmaciens pour le délit de vente de médicaments sans ordonnance », et de prendre en charge les frais que M. [Y] a exposé pour assurer sa défense à hauteur de 29 066,46 euros, étant précisé que les avocats intervenus dans cette affaire ont pris en compte la position initiale de l'assureur et qu'ils ont « déduit 25 % de la facture de Me [M] [B] [Z] conformément à l'attestation rédigée par Me [V] dudit cabinet CVS ».
C'est néanmoins à bon droit que l'assureur fait valoir que seule la lettre du 14 août 2017 adressée par l'intermédiaire de l'avocat de M. [Y], reçue par l'assureur le 17 août 2017, était avec accusé de réception, et peut ainsi produire effet interruptif.
Or, s'agissant des deux premiers sinistres, elle est intervenue plus de deux ans après leur survenance. En revanche, s'agissant du 3e sinistre, constitué par l'appel interjeté par le conseil de l'ordre des pharmaciens sur les dispositions civiles du jugement, le délai de prescription, il n'était pas encore écoulé le 22 juin 2019, jour de l'assignation.
La cour ne peut en outre pas suivre M. [Y] lorsqu'il invoque le bénéfice de la réponse que lui a faite l'assureur à la suite de la transmission de la facture n° 6121227 du cabinet [M] [B] [Z] du 31 décembre 2006 d'un montant de 950,88 euros TTC pour en déduire que la décision de l'assureur était réputée être reportée jusqu'au jour de communication par l'assuré de son dossier pénal, ce qui a été réalisé ultérieurement dans le cadre de la première instance correctionnelle à laquelle M. [Y] a été cité par acte du 20 février 2015, permettant ainsi d'avoir accès au dossier pénal et de pouvoir le transmettre à l'assureur.
En effet, si l'assureur reconnaît dans ce courrier « avoir bien reçu la facture de [son] avocat aux fins de remboursement » et mentionne qu'à défaut « de communication des pièces sollicitées, [il est] dans l'impossibilité de procéder au règlement des honoraires de [son] avocat », l'assureur mentionne qu'il n'a jamais pu se prononcer sur son intervention qui reste aujourd'hui subordonnée à la réception des documents sollicités et de son accord écrit, après étude du dossier
Ce courrier ne saurait ainsi caractériser une reconnaissance par l'assureur, du droit de celui contre lequel il prescrit, emportant effet interruptif de prescription au titre de l'article 2240 du code civil, dès lors que l'assureur indique sans équivoque qu'il refuse de se prononcer sur la mobilisation de sa garantie sans avoir reçu les pièces sollicitées et examiner le dossier. L'impossibilité de communication de pièces de nature pénale dont fait état M. [Y] ne le privait pas par ailleurs de la possibilité d'interrompre la prescription par l'envoi d'une lettre recommandée ou d'un envoi recommandé électronique, avec accusé de réception.
En l'absence d'une autre cause d'interruption de la prescription, le jugement est ainsi confirmé en ce qu'il a constaté la prescription de l'action de M. [Y] relativement aux sinistres constitués par l'enquête préliminaire et la procédure correctionnelle et a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [Y] relativement au sinistre constitué par la procédure d'appel.
B - Sur le bien-fondé
* la garantie applicable : la garantie « défense de l'assuré »
Le tribunal a jugé qu'il convient d'apprécier le droit à indemnisation de M. [Y] au regard de la garantie « défense de l'assuré » qui relève de sa responsabilité civile professionnelle, dès lors que l'appel a été formé par le seul conseil de l'ordre des pharmaciens sur les seules dispositions civiles alors qu'il est constant que l'infraction a été commise dans le cadre des activités de pharmacien, ce que les parties ne contestent pas en cause d'appel.
* la mobilisation de la garantie
En matière d'assurance, il appartient à l'assuré qui sollicite l'application de la garantie d'établir que le sinistre répond aux conditions de cette garantie et à l'assureur qui invoque une cause d'exclusion de garantie d'établir que le sinistre répond aux conditions de l'exclusion.
La garantie « défense de l'assuré » stipulée en page 24 des conditions générales, prévoit que : « En cas d'action judiciaire mettant en cause l'assuré (...) au titre de la garantie responsabilité
civile telle que définie ci-dessus, nous prenons en charge leur défense devant toutes les juridictions.
Lorsque l'action en justice est introduite :
(')
- devant les juridictions pénales :
. en ce qui concerne l'action civile, nous dirigeons la procédure et décidons des voies de recours. Eventuellement, nous transigeons avec les victimes.
. en ce qui concerne l'action publique, nous prenons en charge les frais de défense de l'assuré. »
Dès lors que la garantie revendiquée ne peut être mobilisée que dans le cadre du troisième sinistre, constitué par la procédure d'appel, il appartient à l'assuré de démontrer d'établir que ce sinistre répond aux conditions de cette garantie, à savoir être mis en cause dans le cadre d'une action judiciaire au titre de sa garantie responsabilité civile, devant une juridiction civile ou pénale, selon les modalités contractuellement prévues.
Si M. [Y] justifie avoir été cité à personne par acte d'huissier de justice le 16 mars 2016 devant la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Douai, sur appel interjeté par le conseil national de l'ordre des pharmaciens, il ressort de l'arrêt qui s'en est suivi, rendu le 2 février 2017, que cet appel portait uniquement sur les dispositions civiles du jugement rendu le 25 juin 2015 par le tribunal correctionnel de Béthune, ayant partiellement relaxé M. [Y] des faits de la poursuite.
L'action en justice au sens de la garantie, introduite devant la cour d'appel de Douai, était donc une action civile et non une action publique.
Il s'en déduit que la défense de l'assuré prend alors, en application du contrat, la forme de la prise en charge de la direction de la procédure et de la prise de décision des voies de recours, outre l'éventuelle possibilité de transiger avec les victimes. Le contrat ne prévoit pas la prise en charge par l'assureur des frais de défense dans cette hypothèse. C'est uniquement dans le cadre de l'action publique que l'assureur s'est engagé à prendre en charge les « frais de défense de l'assuré » au titre de la garantie « défense de l'assuré ».
Les conditions de mise en oeuvre de la garantie sollicitée n'étant pas réunies, M. [Y] ne peut qu'être débouté de sa demande d'indemnisation, formulée en application de cette garantie, sans qu'il y ait lieu d'examiner les moyens soutenus au titre de l'exclusion de garantie stipulée en page 8 des conditions générales.
Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande indemnitaire, par substitution de motifs.
L'examen des demandes subsidiaires de l'assureur tendant à rejeter la demande de l'appelant comme tardive et incomplète, cantonner le remboursement des honoraires demandés à la somme de 4 800 francs TTC, soit 730 euros TTC ou réduire la demande de remboursement à la somme forfaitaire de 4 800 euros TTC est sans objet.
2) Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le tribunal a condamné M. [Y] à payer à la société LA MÉDICALE la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens de l'instance, et l'a débouté de ses demandes formulées à ce titre.
Compte tenu de l'issue du litige, ces chefs de jugement sont confirmés.
Partie perdante, M. [Y] sera condamné aux dépens. Pour des motifs d'équité, aucune condamnation ne sera prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne M. [O] [Y] aux dépens, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 8
ARRÊT DU 03 AVRIL 2024
(n° 2024/ 82 , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06483 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDOA2
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Octobre 2020 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 18/07867
APPELANT
Monsieur [O] [Y]
[Adresse 3]
[Localité 4]
né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 6]
De nationalité française
représenté par Me Grégory KAGAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0336
INTIMÉE
S.A. LA MEDICALE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 2]
[Localité 5]
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro : 582 068 698
représentée par Me Stéphane GAILLARD de la SELAS GTA, avocat au barreau de PARIS, toque : C2100, plaidant par Me Noémie GAÏA, avocat au barreau de Paris, toque R 075
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. SENEL, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre
Mme FAIVRE, Présidente de chambre
M. SENEL, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame POUPET
ARRÊT : Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par, Mme CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Mme POUPET, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*******
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [O] [Y], pharmacien, a conclu avec la SA LA MÉDICALE, assureur spécialisé dans la garantie responsabilité civile des professionnels de santé, un contrat d'assurance multirisque professionnelle du pharmacien d'officine intitulé « Pharma globale ».
Ce contrat stipulait une garantie afférente à la mise en jeu de la responsabilité civile professionnelle et à la défense de l'assuré ainsi qu'une « protection juridique ».
Le 17 octobre 2005, l'inspection régionale de la pharmacie, qui avait été destinataire d'une lettre accusant M. [Y] de remettre en vente au public des médicaments restitués par les patients et destinés au recyclage Cyclamed, a saisi le procureur de la République près le tribunal de Béthune lequel a diligenté une enquête préliminaire le 8 février 2006. Le 20 juin 2006, les enquêteurs ont procédé à l'audition libre de M. [Y].
L'enquête s'est poursuivie et le 9 février 2015, M. [Y] s'est vu signifier par huissier une citation à comparaître devant le tribunal correctionnel de Béthune pour escroquerie et délivrance irrégulière de médicaments relevant des listes I et II et classés comme substance vénéneuse.
Il était plus particulièrement reproché à M. [Y] :
- s'agissant du délit d'escroquerie, d'avoir depuis le 1er juillet 2003 et jusqu'au 13 juin 2006, en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce en registrant des commandes fictives auprès des grossistes et ce afin de faire apparaître en stock les produits pharmaceutiques recyclés qui seront ensuite facturés en tant que produits neufs, trompé la CPAM d'ARRAS et de l'avoir ainsi déterminée à son préjudice, à remettre des fonds ;
- s'agissant de la délivrance irrégulière de médicaments, d'avoir vendu sans ordonnance, en sa qualité de professionnel de santé des médicaments à usage humain relevant de la réglementation des substances vénéneuses en l'espèce, notamment des médicaments contenant des 'strogènes et/ou progestatifs, classés anxiolytiques ou hypnotiques, destinés au traitement des troubles de l'érection, antipaludéens de type Zyban, antibiotiques vétérinaires contenant de la codéine, au préjudice de la CPAM de l'Artois.
Par jugement du 25 juin 2015, le tribunal correctionnel de Béthune a notamment relaxé M. [Y] pour les faits d'escroquerie commis depuis le 1er juillet 2003 et jusqu'au 13 juin 2006 à [Localité 7], l'a condamné au paiement d'une amende de 2 000 euros pour les faits de délivrance irrégulière par un professionnel de santé de médicaments relevant de listes I et II et classés comme substances vénéneuses, a déclaré recevable la constitution de partie civile de la CPAM de l'Artois, l'a déboutée de ses demandes faute de préjudice en lien avec l'infraction pour laquelle M. [Y] a été condamné, et a déclaré irrecevable la constitution de partie civile du conseil national de l'ordre des pharmaciens.
Ce dernier a interjeté appel des dispositions civiles du jugement et par arrêt du 2 février 2017, la cour d'appel de Douai a infirmé le jugement rendu sur l'action civile le 25 juin 2015 par le tribunal correctionnel de Béthune, déclaré recevable la constitution de partie civile du conseil national de l'ordre des pharmaciens, et a condamné M. [Y] à payer au conseil national de l'ordre des pharmaciens la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et une indemnité de 500 euros au titre des frais de justice.
Par lettre du 3 juillet 2006, M. [Y], à la suite de la perquisition de son officine, a adressé une déclaration de sinistre à la société LA MÉDICALE lui demandant si le coût des honoraires de l'avocat qu'il avait choisi pouvait être pris en charge au titre de la protection juridique stipulée au contrat d'assurance.
Le 24 juillet 2006, l'assureur a accusé réception de la demande « au titre de la garantie protection juridique » et a sollicité des informations sur l'objet de l'enquête.
Courant 2007, M. [Y] a adressé à la société LA MÉDICALE une facture d'honoraires d'avocat en date du 31 décembre 2006 d'un montant de 950,82 euros afin d'en obtenir le remboursement.
Par courrier du 12 octobre 2007, la société LA MÉDICALE a répondu qu'à défaut d'obtenir des renseignements sur l'objet de l'enquête, elle ne pourrait prendre en charge la facture d'honoraires.
Le 27 février 2015, la société LA MÉDICALE a accusé réception de la déclaration de sinistre de M. [Y], de son renvoi devant le tribunal correctionnel et lui a demandé, pour lui permettre de se prononcer sur son éventuelle garantie, de lui adresser une déclaration détaillée des faits litigieux.
Le 2 novembre 2015, M. [Y] lui a adressé divers documents notamment le jugement correctionnel et les conclusions de son avocat. Par courrier du 12 novembre 2015, la société LA MÉDICALE lui a répondu : « les faits reprochés, s'ils étaient avérés, vous placeraient en dehors du champ de la garantie. Or, le jugement rendu par le tribunal correctionnel le 25 juin 2015 vous a reconnu coupable des faits de délivrance irrégulière de médicaments relevant des listes I et Il et classés comme substances vénéneuses. Nous n'interviendrons donc pas pour l'instant dans ce contentieux. »
M. [Y] a contesté ce refus de garantie par plusieurs courriers.
Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 17 août 2017 et par l'intermédiaire de son conseil, M. [Y] a mis en demeure la société LA MÉDICALE de lui payer la somme de 29 066,46 euros en principal.
Par acte d'huissier du 22 juin 2018, M. [Y] a fait assigner la société LA MÉDICALE devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de la faire condamner à lui payer la somme de 29 066, 46 euros, assortie des intérêts avec anatocisme à compter du 2 novembre 2015ainsi qu'une somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles engagés.
Par jugement du 12 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :
- Constaté la prescription de l'action de M. [O] [Y] relativement aux sinistres constitués par l'enquête préliminaire et la procédure correctionnelle ;
- Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [O] [Y] relativement au sinistre constitué par la procédure d'appel ;
- Débouté M. [O] [Y] de ses demandes indemnitaires principales comme subsidiaires ;
- Condamné M. [O] [Y] à payer à la société LA MÉDICALE la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
- Condamné M. [O] [Y] aux entiers dépens de l'instance ;
- Dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration électronique du 2 avril 2021, enregistrée au greffe le 13 avril 2021, M. [Y] a interjeté appel de ce jugement en précisant que l'appel tend à faire réformer la décision entreprise sur les chefs de jugement expressément critiqués.
Par conclusions d'appelant notifiées par voie électronique le 1er juillet 2021, M. [Y] demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants du code civil, de :
- le recevoir en son appel, et le déclarer bien fondé ;
- infirmer le jugement et statuant à nouveau :
- condamner la SA LA MÉDICALE à payer à M. [O] [Y] la somme de 29 066,46 euros TTC au titre des frais de défense exposés par lui à la procédure pénale référencée parquet tribunal de grande instance de Béthune n° 06000010091 ;
- A titre subsidiaire, condamner la SA LA MÉDICALE à payer à M. [O] [Y] la somme de 20 489,25 euros TTC au titre des frais de défense exposés par lui relativement à la relaxe prononcée au chef de délit d'escroquerie à l'assurance maladie ;
- dire et juger que les condamnations précitées emporteront intérêts aux taux légaux à compter du 2 novembre 2015 avec anatocisme ;
- condamner la SA LA MÉDICALE à payer à M. [O] [Y] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'instance.
Par conclusions d'intimé notifiées par voie électronique le 28 septembre 2021, LA MÉDICALE DE FRANCE demande à la cour, au visa des articles 1103 nouveau du code civil et L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances, de :
- confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions et par conséquent, rejeter l'ensemble des demandes de l'appelant ;
- le condamner à verser à LA MÉDICALE la somme supplémentaire de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et le condamner aux dépens de la procédure de première instance et d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire, si la cour prononce la réformation du jugement quant au droit à garantie de l'appelant, rejeter la demande de l'appelant comme tardive et incomplète au regard des conditions de prise en charge des honoraires de l'avocat choisi telles que définies aux conditions générales versées aux débats par le demandeur et donc en sa possession au moment de ses réclamations ;
De manière encore plus subsidiaire, cantonner le remboursement des honoraires demandés à la somme de 4 800 francs TTC, soit 730 euros TTC, en considération des plafonds de garantie applicables et tels que définis au titre des conditions générales du contrat souscrit ;
En tout état de cause :
* constatant, s'agissant des sommes dont il est demandé le remboursement, que :
- l'assureur n'a pas été en mesure d'en discuter le quantum, le montant et de les considérer comme opposables par la remise d'une convention signée par l'assuré,
- les honoraires d'avocat dont il est sollicité le remboursement, ne sont pas tous justifiés pour la défense pénale de M. [Y], mais aussi pour une procédure qui n'a pas eu lieu en appel et un contrôle fiscal,
- les frais engagés par M. [Y] pour se rendre à [Localité 8] voir son avocat résultent du choix qu'il a fait de prendre un conseil parisien,
- les honoraires de l'expert qu'il a sollicité pour sa démarche assurantielle n'ont pas à être intégrés dans une telle demande de remboursement pour une prise en charge dans le cadre d'une garantie protection juridique,
- plusieurs diligences facturées dans la note du 30 juin 2015 correspondent à la défense qu'il a fallu pour les deux infractions reprochées,
réduire la demande de remboursement à la somme forfaitaire de 4 800 euros TTC ;
* débouter M. [Y] de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il convient de se reporter aux conclusions ci-dessus visées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 juin 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A l'appui de sa demande d'infirmation du jugement, M. [Y] soutient tout d'abord, s'agissant de la prescription soulevée par l'assureur, que :
- s'agissant du premier sinistre, à savoir sa mise en cause dans le cadre de l'enquête préliminaire des 13 et 20 juin 2006, le tribunal a considéré l'assuré comme prescrit dans sa réclamation à l'égard de l'assureur. Or, en l'état des correspondances échangées entre les parties, c'est dès le 3 juillet 2006 que M. [O] [Y] a sollicité le bénéfice de la garantie de l'assurance de prise en charge de ses frais de défense pénale, outre qu'il a valablement transmis à l'assureur la facture n° 6121227 du cabinet [M] [B] [Z] du 31 décembre 2006 d'un montant de 950,88 euros TTC ; l'assureur lui a d'ailleurs répondu, par courrier du 12 octobre 2007 ; il en résulte que la prescription biennale n'est pas acquise ;
- s'agissant du second sinistre, constitué par la procédure en première instance correctionnelle suivant citation à comparaître du 20 février 2015, il l'a valablement déclaré à l'assureur, qui lui en a donné acte le 27 février 2015 puis il a formé une demande de prise en charge le 2 novembre 2015 et lui a adressé des mises en demeure de payer les 30 mars 2017 et 14 août 2017 de sorte qu'à la date d'introduction de l'instance, le 22 juin 2018, la prescription biennale n'était pas acquise.
Sur le fond, M. [Y] expose qu'il est fondé en sa demande d'indemnisation au titre de la garantie « défense de l'assuré », telle que prévue par la police d'assurance « multirisque professionnelle du pharmacien d'officine » qui couvre « les frais de défense » de l'assuré cité en qualité de « prévenu » par le ministère public devant les juridictions correctionnelles, peu important que celui-ci soit reconnu coupable ;
- quand bien même la police d'assurance prévoirait l'exclusion de la garantie « défense de l'assuré » dans l'hypothèse d'une« faute intentionnelle » au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, le moyen serait inopérant au cas d'espèce ;
- en effet, la procédure pénale qui a été suivie à son encontre l'a été en raison d'un engagement de sa « responsabilité civile professionnelle » par un client de sa pharmacie ; que la garantie prévue par l'assureur soit destinée à indemniser l'assuré de ses frais de justice au titre d'une « défense pénale » ou d'une « responsabilité civile professionnelle », celle-ci se trouve acquise au cas d'espèce dès lors que la procédure correctionnelle suivie à l'encontre de M. [Y] relève à la fois d'une « défense pénale » vis-à-vis du ministère public et d'une « responsabilité civile professionnelle » vis-à-vis de la dénonciation dont il a été l'objet, quand bien même son dénonciateur ne s'est pas présenté à l'instance correctionnelle.
LA MÉDICALE réplique que le jugement doit être confirmé dès lors, notamment, que':
- si le raisonnement adopté par le tribunal diffère très subtilement de l'argumentaire qu'elle avait développé devant lui, consistant à exposer que M. [Y] n'avait pas contesté le refus de prise en charge opposé par son assureur et qu'il n'avait sollicité le remboursement des frais de défense engagés que le 22 juin 2018 et ce, que le point de départ de la prescription soit fixé au mois de juin 2006 à l'occasion de sa garde à vue, ou au mois de février 2015 à l'occasion de sa citation à comparaître, il n'en est pas moins pertinent ;
- c'est à bon droit que le premier juge a considéré que seule la LRAR du 14 août 2017 avait interrompu la prescription de la demande, et uniquement pour le sinistre consécutif à la procédure d'appel, dès lorsque les autres courriers de M. [Y] n'avaient pas été envoyés sous la forme requise par l'article L. 114-2 du code des assurances ;
- indépendamment des questions relatives aux fins de non-recevoir opposées aux demandes de garantie de M. [Y], ces demandes étaient et sont, sur le fond, dénuées de légitimité au regard des faits qui les ont précédées ; ce n'est pas la qualité de prévenu de l'assuré qui exclut la mobilisation de la garantie, de sorte que les développements de l'appelant sur ce point sont sans objet, mais bien le caractère intentionnel des faits pour lesquels il a été condamné, ce qui a amené à juste titre le tribunal à considérer que les frais de défense dont M. [Y] sollicitait le remboursement étaient exclus de la garantie ;
- outre le fait qu'il est inopérant de tenter, à nouveau, de ventiler entre les honoraires dont il sollicite le remboursement ceux qui seraient pour trois quarts imputables à sa défense ayant abouti à une relaxe et pour le quart restant à sa défense pour l'infraction pour laquelle il a été condamné, la prescription étant acquise en ce qui concerne les actions tirées des sinistres résultant de l'enquête et de la procédure correctionnelle, son droit à garantie n'est apprécié qu'à l'égard de la procédure d'appel intentée par le conseil de l'ordre des pharmaciens ;
- dès lors qu'il est impossible de chiffrer précisément les honoraires que LA MÉDICALE aurait eu à prendre en charge si elle avait accepté sa garantie sur cette défense pénale et si elle avait été placée en situation de pouvoir en discuter le montant et la correspondance, la cour réduira la somme demandée par M. [Y] à la somme forfaitaire maximale de 4 800 euros TTC.
1) Sur l'action en exécution du contrat d'assurance
A - Sur la recevabilité
L'article L. 114-1 du code des assurances prévoit que toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter, en cas de sinistre, du jour où les intéressés en ont eu connaissance, s'ils prouvent qu'ils l'ont ignoré jusque-là.
Conformément à l'article L. 114-2 du code des assurances, la prescription biennale peut être interrompue soit par l'une des causes ordinaires d'interruption de la prescription (outre la désignation d'experts à la suite d'un sinistre), soit par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l'assuré à l'assureur. S'agissant alors d'une formalité substantielle, l'envoi d'une lettre recommandée sans accusé de réception, et a fortiori d'une lettre simple, ne peut avoir cet effet, alors même que la partie à qui elle est envoyée reconnaîtrait l'avoir reçue. En outre, la lettre recommandée avec accusé de réception ne peut interrompre la prescription biennale qu'en tant qu'elle concerne le règlement du sinistre.
Comme l'a exactement relevé le tribunal, il n'est pas contesté que l'action de M. [Y] dérive du contrat d'assurance et que, subséquemment, la prescription biennale s'applique. Le point de départ de la prescription de l'action est donc le jour où M. [Y] a eu connaissance de son sinistre. Dès lors, la cour doit déterminer les sinistres et le jour où l'assuré en a eu connaissance.
Les conditions générales du contrat d'assurance définissent en page 7 le sinistre comme : 'Réalisation de l'événement susceptible de faire jouer les garanties du contrat.
Constituent seul et même sinistre les réclamations ayant pour origine un même événement.'
Le tribunal a justement déduit du fait que le contrat stipule que constitue un seul et même sinistre les réclamations ayant pour origine un même 'événement' et non des mêmes faits, que des mêmes faits peuvent générer plusieurs sinistres dès lors qu'ils aboutissent à plusieurs événements qui ne découlent pas nécessairement de ces faits.
Les parties ne contestent pas dès lors qu'au cas présent, trois événements sont susceptibles de faire jouer la garantie, à savoir l'enquête préliminaire, la procédure devant le tribunal correctionnel et la procédure devant la cour d'appel. En effet, les faits de suspicion d'infraction auraient pu ne générer qu'une enquête préliminaire suivie d'un classement sans suite, mais ils ont abouti à un deuxième événement, la procédure correctionnelle. A l'issue de ce deuxième événement la procédure d'appel n'était pas automatique, les mêmes faits ont donc entraîné un troisième événement, d'autant plus que l'appel n'a été interjeté que sur les dispositions civiles du jugement.
Cette analyse est la même que cela soit pour la garantie 'défense de l'assuré' qui est revendiquée (stipulée en page 24 des conditions générales) ou la garantie 'protection juridique' (stipulée en page 2 des conditions générales), dès lors que la garantie 'défense de l'assuré', susceptible d'être mobilisée « en cas d'action judiciaire mettant en cause l'assuré » (« ou toute personne désignée comme assurée ») vise d'une part l'action publique, qui a plusieurs degrés de mise en oeuvre (l'enquête puis éventuellement la poursuite devant une juridiction) et d'autre part l'action civile.
La garantie 'protection juridique' est définie comme permettant à 'l'assuré de faire face aux difficultés de tous ordres qu'il est susceptible de rencontrer au cours de sa vie professionnelle et privée, dans l'hypothèse où le litige ne relève pas de la garantie Responsabilité civile professionnelle', et prévoit que l'assureur « prend en charge, le cas échéant la direction des litiges et les frais de procédure nécessaires à la protection de ses droits » et qu'il fournit à l'assuré 'tous conseils et tous avis sur l'étendue de ses droits et la manière d'organiser sa défense'. Or, la situation de l'assuré est différente selon qu'il fait l'objet d'une enquête préliminaire, d'une poursuite devant un tribunal correctionnel ou d'une action civile devant une cour d'appel.
Il en résulte que le point de départ de la prescription du premier sinistre (à savoir l'enquête préliminaire) est ainsi le jour où M. [Y] en a eu connaissance, c'est à dire le jour de sa première audition libre soit le 26 juin 2006.
Le point de départ de la prescription du second sinistre est le mandat de citation du 20 février 2015 ayant donné lieu au jugement du 25 juin 2015.
Le point de départ du 3ème sinistre est le jour où M. [Y] a eu connaissance de l'appel du Conseil de l'ordre des pharmaciens, soit le 16 mars 2016, date à laquelle il a été cité à personne par acte d'huissier, selon l'arrêt d'appel.
Aucune des lettres simples ou courriels invoqués par M. [Y] ne permet d'interrompre la prescription, dès lors qu'ils n'étaient pas adressés avec accusé de réception.
Certes, la MEDICALE reconnaît avoir été destinataire des courriers suivants :
- une lettre simple du 3 juillet 2006 aux termes de laquelle l'appelant interrogeait son assureur sur l'éventualité d'une prise en charge des honoraires de l'avocat qu'il a choisi dans le cadre d'une procédure qu'il entendait diligenter à la suite de la perquisition réalisée par les inspecteurs en pharmacie de la DRASS, encadrés par la police, dans son officine, fermée à cette occasion, sans autre précision ;
- un document en date du 2 novembre 2015 présenté comme étant un mail, ayant la forme d'une lettre, demandant à son assureur d'en accuser réception et l'informant qu'il lui transmettait la liste des pièces demandées par la compagnie afin de traiter son dossier (mandement de citation à comparaître, conclusions aux fins de relaxe, jugement du tribunal correctionnel, relevé de condamnation pénale, frais de dossier et correspondance avec LA MEDICALE) ;
- une lettre portant la simple mention dactylographiée « LRAR » mais non datée, et dénuée de justificatif de cet envoi en lettre recommandée avec accusé de réception, aux termes de laquelle il affirme à l'assureur répondre à son « courrier du 12 novembre 2015 dernier », précise avoir été l'objet, non pas d'une condamnation, mais d'une relaxe partielle et met en demeure l'assureur de lui rembourser les sommes engagées pour sa défense ;
- une lettre simple du 30 mars 2017 adressée par la société VK expertise, se présentant comme expert d'assuré, intervenant au soutien des intérêts de M. [Y] demandant à l'assureur de revoir sa position au regard de la relaxe des faits de réintroduction en stock de médicaments usagés devenue définitive, l'appel ne portant que sur les intérêts civils, soit sur « les éventuels dommages-intérêts qui seraient dus à l'ordre des pharmaciens pour le délit de vente de médicaments sans ordonnance », et de prendre en charge les frais que M. [Y] a exposé pour assurer sa défense à hauteur de 29 066,46 euros, étant précisé que les avocats intervenus dans cette affaire ont pris en compte la position initiale de l'assureur et qu'ils ont « déduit 25 % de la facture de Me [M] [B] [Z] conformément à l'attestation rédigée par Me [V] dudit cabinet CVS ».
C'est néanmoins à bon droit que l'assureur fait valoir que seule la lettre du 14 août 2017 adressée par l'intermédiaire de l'avocat de M. [Y], reçue par l'assureur le 17 août 2017, était avec accusé de réception, et peut ainsi produire effet interruptif.
Or, s'agissant des deux premiers sinistres, elle est intervenue plus de deux ans après leur survenance. En revanche, s'agissant du 3e sinistre, constitué par l'appel interjeté par le conseil de l'ordre des pharmaciens sur les dispositions civiles du jugement, le délai de prescription, il n'était pas encore écoulé le 22 juin 2019, jour de l'assignation.
La cour ne peut en outre pas suivre M. [Y] lorsqu'il invoque le bénéfice de la réponse que lui a faite l'assureur à la suite de la transmission de la facture n° 6121227 du cabinet [M] [B] [Z] du 31 décembre 2006 d'un montant de 950,88 euros TTC pour en déduire que la décision de l'assureur était réputée être reportée jusqu'au jour de communication par l'assuré de son dossier pénal, ce qui a été réalisé ultérieurement dans le cadre de la première instance correctionnelle à laquelle M. [Y] a été cité par acte du 20 février 2015, permettant ainsi d'avoir accès au dossier pénal et de pouvoir le transmettre à l'assureur.
En effet, si l'assureur reconnaît dans ce courrier « avoir bien reçu la facture de [son] avocat aux fins de remboursement » et mentionne qu'à défaut « de communication des pièces sollicitées, [il est] dans l'impossibilité de procéder au règlement des honoraires de [son] avocat », l'assureur mentionne qu'il n'a jamais pu se prononcer sur son intervention qui reste aujourd'hui subordonnée à la réception des documents sollicités et de son accord écrit, après étude du dossier
Ce courrier ne saurait ainsi caractériser une reconnaissance par l'assureur, du droit de celui contre lequel il prescrit, emportant effet interruptif de prescription au titre de l'article 2240 du code civil, dès lors que l'assureur indique sans équivoque qu'il refuse de se prononcer sur la mobilisation de sa garantie sans avoir reçu les pièces sollicitées et examiner le dossier. L'impossibilité de communication de pièces de nature pénale dont fait état M. [Y] ne le privait pas par ailleurs de la possibilité d'interrompre la prescription par l'envoi d'une lettre recommandée ou d'un envoi recommandé électronique, avec accusé de réception.
En l'absence d'une autre cause d'interruption de la prescription, le jugement est ainsi confirmé en ce qu'il a constaté la prescription de l'action de M. [Y] relativement aux sinistres constitués par l'enquête préliminaire et la procédure correctionnelle et a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [Y] relativement au sinistre constitué par la procédure d'appel.
B - Sur le bien-fondé
* la garantie applicable : la garantie « défense de l'assuré »
Le tribunal a jugé qu'il convient d'apprécier le droit à indemnisation de M. [Y] au regard de la garantie « défense de l'assuré » qui relève de sa responsabilité civile professionnelle, dès lors que l'appel a été formé par le seul conseil de l'ordre des pharmaciens sur les seules dispositions civiles alors qu'il est constant que l'infraction a été commise dans le cadre des activités de pharmacien, ce que les parties ne contestent pas en cause d'appel.
* la mobilisation de la garantie
En matière d'assurance, il appartient à l'assuré qui sollicite l'application de la garantie d'établir que le sinistre répond aux conditions de cette garantie et à l'assureur qui invoque une cause d'exclusion de garantie d'établir que le sinistre répond aux conditions de l'exclusion.
La garantie « défense de l'assuré » stipulée en page 24 des conditions générales, prévoit que : « En cas d'action judiciaire mettant en cause l'assuré (...) au titre de la garantie responsabilité
civile telle que définie ci-dessus, nous prenons en charge leur défense devant toutes les juridictions.
Lorsque l'action en justice est introduite :
(')
- devant les juridictions pénales :
. en ce qui concerne l'action civile, nous dirigeons la procédure et décidons des voies de recours. Eventuellement, nous transigeons avec les victimes.
. en ce qui concerne l'action publique, nous prenons en charge les frais de défense de l'assuré. »
Dès lors que la garantie revendiquée ne peut être mobilisée que dans le cadre du troisième sinistre, constitué par la procédure d'appel, il appartient à l'assuré de démontrer d'établir que ce sinistre répond aux conditions de cette garantie, à savoir être mis en cause dans le cadre d'une action judiciaire au titre de sa garantie responsabilité civile, devant une juridiction civile ou pénale, selon les modalités contractuellement prévues.
Si M. [Y] justifie avoir été cité à personne par acte d'huissier de justice le 16 mars 2016 devant la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Douai, sur appel interjeté par le conseil national de l'ordre des pharmaciens, il ressort de l'arrêt qui s'en est suivi, rendu le 2 février 2017, que cet appel portait uniquement sur les dispositions civiles du jugement rendu le 25 juin 2015 par le tribunal correctionnel de Béthune, ayant partiellement relaxé M. [Y] des faits de la poursuite.
L'action en justice au sens de la garantie, introduite devant la cour d'appel de Douai, était donc une action civile et non une action publique.
Il s'en déduit que la défense de l'assuré prend alors, en application du contrat, la forme de la prise en charge de la direction de la procédure et de la prise de décision des voies de recours, outre l'éventuelle possibilité de transiger avec les victimes. Le contrat ne prévoit pas la prise en charge par l'assureur des frais de défense dans cette hypothèse. C'est uniquement dans le cadre de l'action publique que l'assureur s'est engagé à prendre en charge les « frais de défense de l'assuré » au titre de la garantie « défense de l'assuré ».
Les conditions de mise en oeuvre de la garantie sollicitée n'étant pas réunies, M. [Y] ne peut qu'être débouté de sa demande d'indemnisation, formulée en application de cette garantie, sans qu'il y ait lieu d'examiner les moyens soutenus au titre de l'exclusion de garantie stipulée en page 8 des conditions générales.
Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande indemnitaire, par substitution de motifs.
L'examen des demandes subsidiaires de l'assureur tendant à rejeter la demande de l'appelant comme tardive et incomplète, cantonner le remboursement des honoraires demandés à la somme de 4 800 francs TTC, soit 730 euros TTC ou réduire la demande de remboursement à la somme forfaitaire de 4 800 euros TTC est sans objet.
2) Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le tribunal a condamné M. [Y] à payer à la société LA MÉDICALE la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens de l'instance, et l'a débouté de ses demandes formulées à ce titre.
Compte tenu de l'issue du litige, ces chefs de jugement sont confirmés.
Partie perdante, M. [Y] sera condamné aux dépens. Pour des motifs d'équité, aucune condamnation ne sera prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne M. [O] [Y] aux dépens, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE