CJUE, gr. ch., 9 avril 2024, n° C-582/21
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
FY
Défendeur :
Profi Credit Polska S.A. w Bielsku Białej
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lenaerts
Vice-président :
M. Bay Larsen
Présidents de chambre :
M. Arabadjiev, Mme Prechal, Mme Jürimäe, Mme Biltgen, Mme Piçarra, Mme Spineanu Matei (rapporteure)
Juges :
M. Rodin, M. Xuereb, Mme Ziemele, M. Passer, M. Gratsias
Avocat général :
M. Emiliou
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, et de l’article 19, paragraphe 1, TUE ainsi que des principes d’équivalence et d’interprétation conforme du droit national.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FY à Profi Credit Polska S.A. w Bielsku Białej (ci-après « Profi Credit Polska ») au sujet de sommes dues par FY en exécution d’un contrat de crédit à la consommation.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le vingt-quatrième considérant de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), énonce :
« considérant que les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ».
4 L’article 3, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »
5 L’article 6, paragraphe 1, de ladite directive dispose :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
6 L’article 7, paragraphe 1, de la même directive énonce :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le droit polonais
La Constitution polonaise
7 L’article 188, point 1, de la Konstytucja Rzeczypospolitej Polskiej (Constitution de la République de Pologne, ci-après la « Constitution polonaise ») prévoit que le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle, Pologne) statue sur la conformité à cette Constitution, notamment, des lois.
8 L’article 190, paragraphes 1 à 4, de la Constitution polonaise dispose :
« 1. Les décisions du Trybunał Konstytucyjny [(Cour constitutionnelle)] sont obligatoires erga omnes et définitives.
2. Les décisions du Trybunał Konstytucyjny [(Cour constitutionnelle)] dans les matières énumérées à l’article 188 sont annoncées sans délai dans l’organe officiel dans lequel l’acte normatif a été annoncé. Si l’acte n’a pas été promulgué, la décision est annoncée dans le Journal officiel de la République de Pologne “Monitor Polski”.
3. La décision du Trybunał Konstytucyjny [(Cour constitutionnelle)] prend effet le jour de sa publication, toutefois le Trybunał Konstytucyjny [(Cour constitutionnelle)] peut fixer une autre date de la perte de la force obligatoire de l’acte normatif. [...]
4. Une décision du Trybunał Konstytucyjny [(Cour constitutionnelle)] constatant l’incompatibilité avec la Constitution, le traité ou la loi d’un acte normatif en vertu duquel a été rendu un jugement définitif, une décision administrative définitive ou un jugement dans d’autres domaines, constitue le fondement de la réouverture de la procédure, de l’annulation de la décision ou d’un autre jugement, suivant les règles et les modalités prévues par les dispositions spécifiques à la procédure en cause. »
Le code de procédure civile
9 L’article 399, paragraphe 1, de l’ustawa – Kodeks postępowania cywilnego (loi portant code de procédure civile), du 17 novembre 1964 (Dz. U. de 1964, no 43, position 296), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de procédure civile »), prévoit :
« Dans les cas prévus par la présente section, on peut demander la réouverture d’une procédure qui a été clôturée par un jugement définitif. »
10 Aux termes de l’article 401, point 2, du code de procédure civile, la réouverture de la procédure peut être demandée pour cause de nullité « si une partie [...] a été privée de la possibilité d’agir en raison d’une violation du droit ; toutefois, la réouverture de la procédure ne peut être demandée si l’impossibilité d’agir a cessé avant que le jugement ait acquis force de chose jugée ou si l’absence de représentation a été invoquée par voie d’exception ou si la partie a confirmé les étapes [antérieures] de la procédure effectuées ».
11 L’article 4011 du code de procédure civile dispose :
« La réouverture de la procédure peut être demandée également dans le cas où le Trybunał Konstytucyjny [(Cour constitutionnelle)] a constaté l’incompatibilité avec la Constitution, un traité international ratifié ou une loi d’un acte normatif sur la base duquel le jugement a été rendu. »
12 L’article 407, paragraphes 1 et 2, du code de procédure civile prévoit :
« 1. La demande de réouverture de la procédure est introduite dans un délai de trois mois ; ce délai commence à courir à compter du jour où la partie a pris connaissance du motif de réouverture et, lorsque ce motif consiste en la privation d’une possibilité d’agir ou en l’absence d’un représentant approprié, à compter du jour où la partie, son organe ou son représentant légal a pris connaissance de l’arrêt.
2. Dans la situation visée à l’article 4011, la demande de réouverture est introduite dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la décision du Trybunał Konstytucyjny [(Cour constitutionnelle)] a acquis force de chose jugée. Si, à la date du prononcé de la décision du Trybunał Konstytucyjny [(Cour constitutionnelle)], la décision visée à l’article 4011 n’est pas encore devenue définitive en raison de l’introduction d’un appel, qui a été rejeté par la suite, le délai commence à courir à partir de la date de la notification de la décision de rejet ou, si elle a été prononcée lors d’une audience publique, à partir de la date du prononcé de cette décision. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
13 Le 16 juin 2015, FY a conclu avec Profi Credit Polska, une entreprise de crédit, un contrat de crédit à la consommation portant sur un montant de 4 000 zlotys polonais (PLN) (environ 920 euros). Ce contrat prévoyait que la somme totale due par FY s’élèverait à 13 104 PLN (environ 3 020 euros), remboursable en 48 mensualités de 273 PLN (environ 63 euros).
14 À la conclusion dudit contrat, FY a émis un billet à ordre en blanc, lequel a été complété ultérieurement par Profi Credit Polska en indiquant la somme de 8 170,11 PLN (environ 1 880 euros) et une date d’échéance du paiement.
15 Le 30 octobre 2017, Profi Credit Polska a introduit auprès du Sąd Rejonowy dla Warszawy Pragi – Południe (tribunal d’arrondissement de Varsovie Praga – Sud, Pologne, ci-après la « juridiction de première instance ») une action tendant à obtenir le paiement de la somme de 8 170,11 PLN en principal, majorée des intérêts contractuels. Seuls ont été joints à la requête portant cette action ledit billet à ordre et la notification de la résiliation du contrat de crédit en cause au principal, laquelle faisait état d’un solde de crédit à rembourser de 6 779 PLN (environ 1 560 euros) et du montant total des arriérés, ce dernier correspondant à la somme de 8 170,11 PLN.
16 Le 17 avril 2018, la juridiction de première instance a rendu un jugement par défaut (ci-après le « jugement par défaut »), revêtu de la formule autorisant son exécution immédiate, condamnant FY à payer à Profi Credit Polska la somme de 8170,11 PLN, augmentée des intérêts de retard légaux, et rejetant le chef de demande relatif aux intérêts contractuels.
17 Il ressort de la décision de renvoi que ce jugement était uniquement fondé sur le billet à ordre signé par FY et les énonciations figurant dans la requête de Profi Credit Polska. Celle-ci n’a pas présenté le contrat de crédit en cause au principal et la juridiction de première instance ne l’a pas invitée à le présenter.
18 FY n’a pas formé opposition contre le jugement par défaut, lequel est devenu définitif à l’issue du délai de deux semaines prévu à cette fin.
19 Le 25 juin 2019, FY a introduit auprès de la juridiction de première instance une demande de réouverture de la procédure clôturée par le jugement par défaut. FY a fondé cette demande sur l’article 401, point 2, du code de procédure civile, estimant que cette juridiction avait erronément interprété la directive 93/13 et l’avait ainsi privée d’une possibilité d’agir en raison d’une violation du droit, au sens de cette disposition. Plus particulièrement, FY reprochait à ladite juridiction d’avoir fait droit à la demande de Profi Credit Polska sur la base du billet à ordre qu’elle avait émis, sans avoir examiné le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat de crédit qu’elle avait conclu avec celle-ci, notamment quant au coût hors intérêts du crédit. À cet égard, FY a notamment invoqué l’arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska (C 176/17, ci après l’« arrêt Profi Credit Polska I », EU:C:2018:711). Profi Credit Polska, quant à elle, a conclu au rejet de la demande de réouverture de la procédure, au motif que celle-ci avait été introduite après l’expiration du délai prescrit à cette fin. Elle a également invoqué le fait que FY, qui connaissait le contenu du jugement par défaut, n’avait pas formé opposition contre celui-ci.
20 Par ordonnance du 27 août 2020, la juridiction de première instance a rejeté la demande de réouverture de la procédure comme ayant été introduite hors délai et a en outre relevé que cette demande n’était pas fondée sur un motif légal.
21 FY a interjeté appel de cette ordonnance devant le Sąd Okręgowy Warszawa-Praga (tribunal régional Varsovie-Praga, Pologne), qui est la juridiction de renvoi, reprochant notamment à la juridiction de première instance de n’avoir pas pris en considération le droit de l’Union et la jurisprudence de la Cour, en particulier l’obligation pour les juridictions nationales d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif des clauses d’un contrat conclu avec un consommateur.
22 La juridiction de renvoi estime que, dès lors que la juridiction de première instance n’a pas examiné le contrat de crédit en cause au principal ni, partant, le caractère éventuellement abusif des clauses qu’il contenait, il est probable que le jugement par défaut viole les articles 6 et 7 de la directive 93/13, tels qu’ils ont été interprétés par la Cour, notamment dans l’arrêt Profi Credit Polska I.
23 Dans ces conditions, cette juridiction se demande si le droit de l’Union ne lui impose pas de faire droit à la demande de réouverture de la procédure introduite par FY, indépendamment du fait que celle-ci n’a pas formé opposition contre le jugement par défaut.
24 À cet égard, d’une part, la juridiction de renvoi souligne l’importance du principe de l’autorité de la chose jugée ainsi que le caractère irréversible des jugements définitifs, mentionne l’absence, en droit polonais, de disposition prévoyant expressément qu’un arrêt de la Cour constitue un motif de réouverture d’une procédure et relève que le droit de l’Union n’impose pas aux juridictions nationales une obligation générale de réouverture des procédures ayant donné lieu à une décision passée en force de chose jugée afin de tenir compte d’un arrêt de la Cour portant sur l’interprétation du droit de l’Union.
25 D’autre part, la juridiction de renvoi se demande si les principes d’équivalence et d’interprétation conforme du droit national ne lui imposent pas d’interpréter les dispositions pertinentes du droit polonais de manière à permettre la réouverture de la procédure dans l’affaire au principal. Elle vise plus particulièrement deux dispositions du code de procédure civile.
26 En premier lieu, cette juridiction mentionne l’article 4011 du code de procédure civile, qui permet de rouvrir une procédure ayant abouti à un jugement définitif suite à une décision du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) constatant l’inconstitutionnalité de la disposition de droit national sur le fondement de laquelle ce jugement a été rendu. Elle se demande si le principe d’équivalence ne lui impose pas d’appliquer cette disposition, par analogie, dans une situation où, après qu’un jugement national a acquis l’autorité de la chose jugée, un arrêt de la Cour conduit à constater l’incompatibilité avec le droit de l’Union de la disposition de droit national ayant fondé ce jugement.
27 En second lieu, la juridiction de renvoi vise l’article 401, point 2, du code de procédure civile, qui permet la réouverture d’une procédure ayant abouti à un jugement définitif lorsqu’une partie a été privée de la possibilité d’agir en raison d’une violation du droit. Cette juridiction se demande si le principe d’interprétation conforme du droit national n’impose pas d’interpréter cette disposition comme couvrant également les cas où une juridiction nationale ayant statué par défaut sur le recours d’un professionnel, fondé sur un contrat conclu avec un consommateur, n’a pas examiné d’office l’existence éventuelle dans ce contrat de clauses abusives, en violation de la directive 93/13. À cet égard, ladite juridiction relève que les modalités d’exercice du droit de former opposition au jugement par défaut sont largement similaires à celles relatives au droit de former opposition à une ordonnance judiciaire d’injonction de payer dont la Cour a jugé, dans l’arrêt Profi Credit Polska I, que, en raison de leur caractère particulièrement restrictif, elles comportaient le risque non négligeable que le consommateur concerné n’exerce pas ce droit et qu’elles ne permettaient donc pas d’assurer le respect des droits que les consommateurs tirent de cette directive.
28 Dans ces conditions, le Sąd Okręgowy Warszawa-Praga (tribunal régional Varsovie-Praga) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 4, paragraphe 3, et l’article 19, paragraphe 1, [TUE] doivent-ils être interprétés, à la lumière du principe d’équivalence [...], en ce sens qu’un arrêt de la [Cour] rendu sur le fondement de l’article 267, paragraphe 1, TFUE et portant sur l’interprétation du droit de l’Union constitue un fondement pour rouvrir une procédure civile qui a été clôturée par une décision définitive antérieure, si une disposition du droit national, tel l’article 4011 du code de procédure civile, permet la réouverture de la procédure en cas de jugement définitif fondé sur une disposition [de droit national] qui a été jugée incompatible avec un acte juridique de rang supérieur par un arrêt du Trybunał Konstytucyjny [(Cour constitutionnelle)] ?
2) Le principe d’interprétation du droit national conforme au droit de l’Union, découlant de l’article 4, paragraphe 3, [TUE] [...], exige t-il une interprétation extensive d’une disposition du droit national, tel l’article 401, point 2, du code de procédure civile, de manière à ce que le motif de réouverture de la procédure qui y est énoncé inclue un jugement définitif rendu par défaut dans lequel le juge – en violation des obligations qui lui incombent en vertu de l’arrêt [Profi Credit Polska I] – a omis d’examiner le contrat liant le consommateur et le prêteur au regard des clauses contractuelles abusives, se limitant à examiner la seule validité formelle du billet à ordre ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
29 À titre liminaire, il y a lieu de relever que, à la suite de la demande d’information qui lui a été adressée par la Cour le 13 juillet 2022, la juridiction de renvoi a précisé que, dans le cadre de la première question, elle vise, à la fois, les décisions, mentionnées à l’article 190, paragraphe 4, de la Constitution polonaise, par lesquelles le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) a constaté l’incompatibilité avec cette Constitution ou une autre norme de rang supérieur d’une disposition de droit national sur le fondement de laquelle un jugement définitif a été rendu et les décisions dites « interprétatives négatives », par lesquelles cette dernière juridiction a constaté l’incompatibilité avec ladite Constitution ou une autre norme de rang supérieur d’une certaine interprétation d’une disposition de droit national ayant servi de fondement à un tel jugement.
30 La juridiction de renvoi a indiqué que, bien que la portée de ces décisions interprétatives négatives dans le cadre de procédures civiles clôturées par un jugement définitif soit controversée, elle considère que la survenance d’une telle décision constitue un motif de réouverture d’une telle procédure en droit polonais. Le gouvernement polonais conteste cette interprétation.
31 À cet égard, il suffit, toutefois, de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national (arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C 618/10, EU:C:2012:349, point 76, ainsi que du 22 septembre 2022, Servicios prescriptor y medios de pagos EFC, C 215/21, EU:C:2022:723, point 26).
32 Il convient donc de prendre en considération la présente question telle que précisée par les indications de la juridiction de renvoi mentionnées au point 29 du présent arrêt.
33 Par conséquent, il y a lieu de considérer que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 3, et l’article 19, paragraphe 1, TUE ainsi que le principe d’équivalence doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une voie de recours extraordinaire établie par une disposition procédurale nationale permet à un justiciable de demander la réouverture d’une procédure ayant abouti à un jugement définitif en invoquant une décision ultérieure de la Cour constitutionnelle de l’État membre concerné constatant la non-conformité à la Constitution ou à une autre norme de rang supérieur d’une disposition de droit national, ou d’une certaine interprétation d’une telle disposition, sur le fondement de laquelle ce jugement a été rendu, ils imposent que cette voie de recours soit également ouverte en raison de l’invocation d’une décision de la Cour statuant à titre préjudiciel sur l’interprétation du droit de l’Union, en vertu de l’article 267 TFUE (ci-après l’« arrêt préjudiciel en interprétation »).
34 S’agissant de l’article 19, paragraphe 1, TUE, le second alinéa de cette disposition, qui est seul visé par la juridiction de renvoi, oblige les États membres à établir les voies de recours nécessaires pour assurer aux justiciables, dans les domaines couverts par le droit de l’Union, le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective (arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C 497/20, EU:C:2021:1037, point 56 et jurisprudence citée).
35 Toutefois, le respect du droit à une protection juridictionnelle effective n’implique pas l’obligation pour les États membres de prévoir des voies de recours extraordinaires permettant de rouvrir une procédure clôturée par un jugement définitif par suite d’un arrêt préjudiciel en interprétation.
36 En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le droit de l’Union n’exige pas que, pour tenir compte de l’interprétation d’une disposition pertinente de ce droit adoptée par la Cour postérieurement à la décision d’un organe juridictionnel revêtue de l’autorité de la chose jugée, celui ci doive, par principe, revenir sur cette décision (arrêts du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C 213/13, EU:C:2014:2067, point 60, et du 6 octobre 2015, Târşia, C 69/14, EU:C:2015:662, point 38).
37 À cet égard, il convient de rappeler l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée. En effet, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause (arrêts du 6 octobre 2015, Târşia, C 69/14, EU:C:2015:662, point 28 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C 600/19, EU:C:2022:394, point 41 et jurisprudence citée).
38 Partant, le droit de l’Union n’impose pas au juge national d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision juridictionnelle, même si cela permettait de remédier à une situation nationale incompatible avec ce droit (arrêts du 6 octobre 2015, Târşia, C 69/14, EU:C:2015:662, point 29 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C 600/19, EU:C:2022:394, point 42 et jurisprudence citée).
39 Ainsi, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, les modalités de mise en œuvre du principe de l’autorité de la chose jugée relèvent de l’ordre juridique interne des États membres, en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers, dans le respect, toutefois, des principes d’équivalence et d’effectivité (arrêts du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C 213/13, EU:C:2014:2067, point 54, et du 24 octobre 2018, XC e.a., C 234/17, EU:C:2018:853, point 21).
40 En effet, conformément au principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a., C 234/17, EU:C:2018:853, point 22 ainsi que jurisprudence citée).
41 Le respect des exigences découlant des principes d’équivalence et d’effectivité doit être analysé en tenant compte de la place des règles concernées dans l’ensemble de la procédure, du déroulement de celle-ci et des particularités de ces règles devant les diverses instances nationales (arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a., C 234/17, EU:C:2018:853, point 24 ainsi que jurisprudence citée).
42 Il résulte de ce qui précède que, si les règles de procédure internes applicables comportent la possibilité, sous certaines conditions, pour le juge national de revenir sur une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée pour rendre la situation compatible avec le droit national, cette possibilité doit prévaloir, conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, si ces conditions sont réunies, afin que soit restaurée la conformité de la situation en cause avec le droit de l’Union (arrêt du 6 octobre 2015, Târşia, C 69/14, EU:C:2015:662, point 30 et jurisprudence citée).
43 S’agissant, en particulier, des exigences découlant du principe d’équivalence, seul visé par la présente question, il appartient au juge national de vérifier, au regard des modalités procédurales des recours applicables en droit national, le respect de ce principe compte tenu de l’objet, de la cause et des éléments essentiels des recours concernés (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko, C 448/17, EU:C:2018:745, point 40, et du 17 mai 2022, Unicaja Banco, C 869/19, EU:C:2022:397, point 23).
44 Dans le contexte de l’affaire au principal, cette vérification implique d’examiner si, lorsque le droit national confère aux justiciables le droit de demander la réouverture d’une procédure clôturée par un jugement définitif fondé sur une disposition de droit national, ou sur une certaine interprétation d’une telle disposition, déclarée incompatible avec la Constitution polonaise ou une autre norme de rang supérieur par une décision ultérieure du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), il s’impose de reconnaître aux justiciables un droit équivalent lorsqu’il découle d’un arrêt préjudiciel en interprétation rendu par la Cour postérieurement à un tel jugement définitif que celui-ci est fondé sur une disposition de droit national, ou sur une interprétation d’une telle disposition, qui est incompatible avec le droit de l’Union. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 54 de ses conclusions, ladite vérification conduit, en définitive, à déterminer si une équivalence peut être établie entre une telle décision de cette Cour constitutionnelle et un tel arrêt de la Cour.
45 À cet égard, et sous réserve des vérifications à opérer par la juridiction de renvoi, il apparaît, au regard de l’article 188, point 1, et de l’article 190, paragraphe 4, de la Constitution polonaise ainsi que des indications fournies par cette juridiction, que l’objet d’un recours devant le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) est d’obtenir de celui-ci qu’il statue sur la validité d’une disposition de droit national, ou d’une certaine interprétation d’une telle disposition. La cause de ce recours réside dans la prétendue incompatibilité de cette disposition, ou de cette interprétation, avec cette Constitution ou avec d’autres normes de rang supérieur.
46 Par ailleurs, un élément essentiel de cette procédure paraît résider dans l’effet d’une décision faisant droit à un tel recours, par laquelle le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) constate la non-conformité de la disposition de droit national mise en cause à la Constitution polonaise ou à une autre norme de rang supérieur. En effet, selon les indications figurant dans la décision de renvoi, du fait d’une telle décision du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), la disposition concernée est privée de sa force contraignante. L’article 190, paragraphe 1, de cette Constitution disposant que les décisions de cette juridiction sont obligatoires erga omnes et définitives, cette décision semble ainsi avoir pour conséquence que cette disposition est écartée de l’ordre juridique national.
47 Il résulte également de ces indications que le droit prévu à l’article 190, paragraphe 4, de la Constitution polonaise et à l’article 4011 du code de procédure civile en faveur de tout justiciable, de remettre en cause un jugement définitif fondé sur une disposition de droit national dont la non-conformité à cette Constitution ou à une autre norme de rang supérieur a été constatée ultérieurement par une décision du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) découle de la perte, par cette disposition, de sa force contraignante, ce jugement s’avérant dépourvu de base légale du fait de cette décision.
48 Sous réserve de la vérification à opérer à cet égard par la juridiction de renvoi, compte tenu de l’assimilation faite par celle-ci d’une décision interprétative négative à une décision constatant la non-conformité d’une disposition de droit national à la Constitution polonaise ou à une autre norme de rang supérieur, il semble que, lorsqu’est en cause devant le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) une certaine interprétation d’une telle disposition, la décision de celui-ci constatant l’incompatibilité de cette interprétation avec cette Constitution ou une autre norme de rang supérieur ait pour effet, par analogie, de priver ipso facto ladite interprétation de sa capacité à soutenir un jugement.
49 Comme M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 78 et 88 de ses conclusions, il apparaît ainsi que les décisions du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) visées aux points 46 à 48 du présent arrêt comportent un constat relatif à la non-conformité de la disposition de droit national en cause, ou d’une certaine interprétation d’une telle disposition, à la Constitution polonaise ou à une autre norme de rang supérieur. Un tel constat ne nécessite pas l’adoption d’une décision juridictionnelle subséquente et il a pour effet de priver cette disposition ou cette interprétation de sa force contraignante et de l’écarter de l’ordre juridique national, ce qui a pour conséquence directe d’ôter son fondement juridique au jugement définitif qui avait été rendu sur la base de ladite disposition ou de ladite interprétation.
50 Or, à cet égard, les arrêts préjudiciels en interprétation se distinguent des décisions concernées du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle). En effet, il est constant que, si le rôle de la Cour est de fournir une interprétation contraignante du droit de l’Union, les conséquences qui découlent de cette interprétation pour le cas concret relèvent de la responsabilité des juridictions nationales.
51 À cet égard, il importe de rappeler que la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE instaure un dialogue de juge à juge entre la Cour et les juridictions des États membres ayant pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union, permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C 561/19, EU:C:2021:799, point 27 ainsi que jurisprudence citée).
52 Le système instauré par cette disposition établit, dès lors, une coopération directe entre la Cour et les juridictions nationales dans le cadre de laquelle ces dernières participent de façon étroite à la bonne application et à l’interprétation uniforme du droit de l’Union ainsi qu’à la protection des droits conférés par celui-ci aux particuliers (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C 561/19, EU:C:2021:799, point 29 ainsi que jurisprudence citée).
53 Dans le cadre de cette coopération, la Cour fournit aux juridictions nationales, en leur qualité de juges chargés de l’application du droit de l’Union, les éléments d’interprétation de ce droit qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C 561/19, EU:C:2021:799, point 30 ainsi que jurisprudence citée).
54 Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé au point 31 du présent arrêt, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent, notamment, pour interpréter et appliquer le droit national. Il s’ensuit que la mise en œuvre, dans l’affaire pendante devant le juge de renvoi, de l’interprétation fournie par la Cour en réponse à une demande de décision préjudicielle dont ce juge l’a saisie dans cette affaire relève de la responsabilité de cette juridiction (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2022, F. Hoffmann-La Roche e.a., C 261/21, EU:C:2022:534, point 55).
55 Ainsi, dans le cadre de la procédure préjudicielle, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la compatibilité d’une disposition nationale avec le droit de l’Union. C’est à la juridiction nationale qu’il revient de procéder à une telle appréciation à la lumière des éléments d’interprétation fournis par la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C 896/19, EU:C:2021:311, point 30 et jurisprudence citée).
56 En conséquence, à la différence des décisions concernées du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), par lesquelles celui-ci constate la non-conformité à la Constitution polonaise ou à une autre norme de rang supérieur d’une disposition de droit national, ou d’une certaine interprétation d’une telle disposition, les arrêts préjudiciels en interprétation rendus par la Cour ont pour objet de fournir les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui sont nécessaires à la juridiction nationale pour la solution du litige qu’elle est appelée à trancher. En ce qui concerne l’éventuelle incompatibilité avec le droit de l’Union d’une disposition de droit national, ou d’une interprétation donnée d’une telle disposition, en cause devant la juridiction nationale, ainsi que les conséquences de cette éventuelle incompatibilité, les appréciations et constats à effectuer à cet égard à la lumière de l’arrêt préjudiciel en interprétation relèvent en définitive de la compétence de cette juridiction nationale, compte tenu de la séparation des fonctions qui caractérise la procédure par laquelle la Cour statue sur l’interprétation du droit de l’Union au titre de l’article 267 TFUE.
57 À cet égard, il importe de rappeler que de tels appréciations et constats sont susceptibles de dépendre non seulement de la question de savoir si la disposition concernée du droit de l’Union a un effet direct, seule une disposition de ce droit qui a un tel effet pouvant être invoquée, en tant que telle, dans le cadre d’un litige relevant du droit de l’Union, afin d’écarter, en vertu du principe de primauté de ce droit, l’application d’une disposition de droit national qui y serait contraire (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2019, Popławski, C 573/17, EU:C:2019:530, points 61 et 62), mais également de la possibilité d’interpréter la norme nationale en cause en conformité avec le droit de l’Union. En effet, en vertu du principe d’interprétation conforme du droit national, la juridiction nationale est tenue de donner au droit national, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit de l’Union (arrêt du 24 juin 2019, Popławski, C 573/17, EU:C:2019:530, point 55).
58 Il s’ensuit que, sous réserve des vérifications à opérer par la juridiction de renvoi, la portée d’une décision du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) constatant l’incompatibilité avec la Constitution polonaise ou une autre norme de rang supérieur d’une disposition de droit national, ou d’une certaine interprétation d’une telle disposition, paraît se distinguer de celle d’un arrêt préjudiciel en interprétation en ce que, dans un tel arrêt, la Cour ne se prononce pas, en interprétant le droit de l’Union, directement sur l’éventuelle incompatibilité d’une disposition de droit national ou d’une interprétation d’une telle disposition avec le droit de l’Union, cette question devant être tranchée in fine par la juridiction de renvoi.
59 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 4, paragraphe 3, TUE et le principe d’équivalence doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une voie de recours extraordinaire établie par une disposition procédurale nationale permet à un justiciable de demander la réouverture d’une procédure ayant abouti à un jugement définitif en invoquant une décision ultérieure de la Cour constitutionnelle de l’État membre concerné constatant la non conformité à la Constitution ou à une autre norme de rang supérieur d’une disposition de droit national, ou d’une certaine interprétation d’une telle disposition, sur le fondement de laquelle ce jugement a été rendu, ils n’imposent pas que cette voie de recours soit également ouverte en raison de l’invocation d’un arrêt préjudiciel en interprétation, pour autant que les conséquences concrètes d’une telle décision de cette Cour constitutionnelle en ce qui concerne la disposition de droit national, ou l’interprétation d’une telle disposition, sur laquelle est fondé ledit jugement définitif découlent directement de cette décision.
Sur la seconde question
60 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe d’interprétation conforme du droit national doit être interprété en ce sens qu’une disposition de droit national établissant une voie de recours extraordinaire, permettant à une partie de demander la réouverture d’une procédure clôturée par un jugement définitif si elle a été privée de la possibilité d’agir en raison d’une violation du droit, doit faire l’objet d’une interprétation extensive de manière à inclure dans son champ d’application la situation dans laquelle le juge ayant fait droit à une demande d’un professionnel fondée sur un contrat conclu avec un consommateur, par un jugement définitif rendu par défaut, a omis d’examiner d’office ce contrat au regard de l’existence éventuelle de clauses abusives, en violation des obligations qui lui incombaient en vertu de la directive 93/13.
61 Il y a lieu de rappeler que le principe d’interprétation conforme du droit national est inhérent au système des traités, en ce qu’il permet aux juridictions nationales d’assurer, dans le cadre de leurs compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elles tranchent le litige dont elles sont saisies (arrêt du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export, C 308/19, EU:C:2021:47, point 61 et jurisprudence citée).
62 En vertu de ce principe, il appartient aux juridictions nationales, en tenant compte de l’ensemble des règles du droit national et en application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, de décider si et dans quelle mesure une disposition de droit national est susceptible d’être interprétée en conformité avec les dispositions pertinentes du droit de l’Union (arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C 414/16, EU:C:2018:257, point 71 et jurisprudence citée).
63 Ledit principe connaît certaines limites. Ainsi, l’obligation, pour les juridictions nationales, de se référer au contenu du droit de l’Union lorsqu’elles interprètent et appliquent les règles pertinentes du droit national est limitée par les principes généraux du droit et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C 261/20, EU:C:2022:33, point 28 et jurisprudence citée).
64 Eu égard au fait que les juridictions nationales sont seules compétentes pour interpréter le droit national, conformément à la jurisprudence rappelée au point 31 du présent arrêt, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si l’interprétation qu’elle envisage de donner à l’article 401, point 2, du code de procédure civile est ou non possible compte tenu des limites mentionnées au point précédent. Cela étant, il appartient à la Cour de donner à cette juridiction certaines indications utiles eu égard aux éléments figurant dans la décision de renvoi.
65 S’agissant de la jurisprudence nationale évoquée par la juridiction de renvoi relative au motif de réouverture de la procédure concerné, selon laquelle le fait, pour une partie, d’avoir été privée de la possibilité d’agir en raison d’une violation du droit, au sens de l’article 401, point 2, du code de procédure civile, ne concerne que les violations des règles de procédure, il importe de relever que l’exigence d’une interprétation conforme du droit national inclut, notamment, l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive. Partant, une juridiction nationale ne saurait valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition de droit national en conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que cette disposition a été interprétée, de manière constante, dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit (arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C 569/16 et C 570/16, EU:C:2018:871, point 68 ainsi que jurisprudence citée).
66 En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’obligation de procéder à l’examen d’office du caractère abusif de certaines clauses contenues dans un contrat conclu avec un consommateur constitue une norme procédurale s’imposant aux autorités juridictionnelles (voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C 419/18 et C 483/18, EU:C:2019:930, point 74 et jurisprudence citée).
67 En outre, il ressort des indications contenues dans la décision de renvoi que les considérations de la juridiction de renvoi qui sous-tendent sa seconde question ont trait non pas exclusivement au fait que la juridiction de première instance a rendu le jugement par défaut sur la seule base du billet à ordre émis par FY et de la notification par Profi Credit Polska de la résiliation du contrat de crédit conclu avec FY, sans avoir examiné le caractère éventuellement abusif des clauses de ce contrat, mais également aux modalités procédurales entourant l’exercice du droit de former opposition à un tel jugement.
68 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la procédure devant la juridiction de première instance doit être examinée dans son ensemble, en prenant également en considération le droit dont disposait FY de former opposition à ce jugement (voir, en ce sens, arrêt Profi Credit Polska I, point 54).
69 Dans l’affaire au principal, il y a lieu d’observer que les modalités procédurales entourant l’exercice de l’opposition dont le jugement par défaut était susceptible de faire l’objet, telles que décrites par la juridiction de renvoi, à savoir le respect d’un délai de deux semaines pour introduire l’opposition, l’obligation de formuler immédiatement l’ensemble des objections et des prétentions, celle de supporter des frais équivalents à la moitié de ceux d’un recours et l’absence d’effet suspensif de l’introduction de l’opposition, présentent de fortes similitudes avec les modalités procédurales examinées par la Cour aux points 64 à 68 de l’arrêt Profi Credit Polska I, et qu’elle a jugées, au point 70 de cet arrêt, être de nature à engendrer un risque non négligeable que les consommateurs concernés ne forment pas opposition.
70 Il appartient par conséquent à la juridiction de renvoi de vérifier si les modalités en cause au principal, dès lors qu’elles ne permettraient pas d’assurer le respect des droits que le consommateur tire de la directive 93/13, sont susceptibles d’être considérées comme traduisant une situation qui consiste à priver une partie de la possibilité d’agir en raison d’une violation du droit, au sens de l’article 401, point 2, du code de procédure civile.
71 Cela étant, il convient d’observer que la reconnaissance d’un droit à réouverture d’une procédure clôturée par un jugement définitif en application du principe d’interprétation conforme du droit national ne saurait être considérée, a priori, comme étant le seul moyen susceptible de garantir à un consommateur la protection voulue par la directive 93/13 dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal.
72 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, compte tenu de la situation d’infériorité dans laquelle le consommateur se trouve à l’égard du professionnel, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (arrêt du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C 600/19, EU:C:2022:394, point 36 et jurisprudence citée). Cette disposition doit être considérée comme une norme équivalente aux règles nationales qui ont, au sein de l’ordre juridique interne, le caractère de normes d’ordre public (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, point 54 ainsi que jurisprudence citée).
73 Par ailleurs, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, de prévoir des moyens adéquats et efficaces « afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel » (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, point 56 ainsi que jurisprudence citée).
74 À cet égard, le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen du caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle, de sorte que celles-ci relèvent de l’ordre juridique interne des États membres, en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers, à condition, toutefois, qu’elles respectent les principes d’équivalence et d’effectivité (voir, en ce sens, arrêt Profi Credit Polska I, point 57 et jurisprudence citée).
75 En l’occurrence, il ne résulte pas du dossier dont dispose la Cour que le principe d’équivalence pourrait imposer d’appliquer l’article 401, point 2, du code de procédure civile dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal. En effet, aucun élément n’indique que cette disposition serait applicable en cas d’omission de soulever d’office un moyen fondé sur une norme nationale d’ordre public, norme à laquelle l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être considéré comme étant équivalent, ainsi qu’il a été rappelé au point 72 du présent arrêt.
76 S’agissant du principe d’effectivité, il convient de souligner que l’obligation pour les États membres d’assurer l’effectivité des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union implique, notamment pour les droits découlant de la directive 93/13, une exigence de protection juridictionnelle effective, consacrée également à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui vaut, en particulier, à l’égard des modalités procédurales des actions en justice fondées sur de tels droits (arrêt du 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia, C 485/19, EU:C:2021:313, point 54 et jurisprudence citée).
77 À cet égard, si, dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi parvenait au constat, compte tenu notamment des éléments exposés aux points 67 à 69 du présent arrêt, que les modalités procédurales encadrant l’exercice du droit de former opposition au jugement par défaut ne permettent pas d’assurer le respect des droits que les consommateurs tirent de la directive 93/13, il s’ensuivrait que cette procédure n’est pas conforme au droit des consommateurs à un recours effectif.
78 Par conséquent, si la juridiction de renvoi devait estimer que la situation en cause au principal n’est pas susceptible de relever de l’application du motif de réouverture de la procédure civile prévu à l’article 401, point 2, du code de procédure civile, relatif à la privation illégale d’une partie de la possibilité d’agir en raison d’une violation du droit, il y aurait lieu de considérer qu’un consommateur tel que FY doit disposer d’une autre voie de droit afin que la protection voulue par la directive 93/13 lui soit effectivement garantie. L’autorité de la chose jugée s’attachant au jugement par défaut, rendu sans que soit examiné le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat en cause, ne saurait y faire obstacle.
79 Or, il convient d’observer qu’il découle de la jurisprudence de la Cour que le respect des droits garantis par cette directive doit pouvoir également être assuré, le cas échéant, dans le cadre d’une procédure d’exécution, voire après que celle-ci a pris fin.
80 En effet, d’une part, lorsqu’un professionnel a obtenu un titre exécutoire contre un consommateur fondé sur un contrat conclu avec ce dernier sans qu’ait été examiné le caractère éventuellement abusif de tout ou partie des clauses de ce contrat, le principe d’effectivité implique que le juge saisi de l’exécution de ce titre puisse procéder, le cas échéant d’office, à cet examen (voir, en ce sens, arrêt du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C 49/14, EU:C:2016:98, point 55).
81 Il est indifférent que l’absence d’examen préalable de telles clauses résulte, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt mentionné au point 80 du présent arrêt, de l’incompétence de l’autorité ayant délivré le titre exécutoire pour procéder à cet examen ou, comme dans l’affaire au principal, de l’omission d’un tel examen par le juge qui a rendu un jugement par défaut immédiatement exécutoire conjuguée avec le caractère potentiellement trop restrictif des modalités d’exercice du droit de former opposition à ce jugement. En effet, en l’absence de contrôle efficace du caractère éventuellement abusif des clauses du contrat concerné, le respect des droits conférés par la directive 93/13 ne saurait être garanti (arrêt Profi Credit Polska I, point 62).
82 Il convient toutefois de souligner que, dans une telle situation, la pleine effectivité de la protection des consommateurs voulue par la directive 93/13 requiert en outre que la procédure d’exécution puisse être suspendue, le cas échéant selon des modalités qui ne soient pas susceptibles de décourager le consommateur d’introduire et de maintenir un recours, jusqu’à ce que le juge compétent ait effectué le contrôle du caractère éventuellement abusif des clauses du contrat concerné (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2014, Sánchez Morcillo et Abril García, C 169/14, EU:C:2014:2099, point 27 ainsi que jurisprudence citée, et du 17 mai 2022, Impuls Leasing România, C 725/19, EU:C:2022:396, point 60).
83 D’autre part, dans une situation dans laquelle la procédure d’exécution a pris fin, le consommateur doit être en mesure, conformément à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, d’invoquer dans une procédure subséquente distincte le caractère abusif des clauses du contrat afin de pouvoir exercer effectivement et pleinement ses droits au titre de cette directive, en vue d’obtenir réparation du préjudice financier causé par l’application de ces clauses (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C 600/19, EU:C:2022:394, point 58).
84 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la seconde question que le principe d’interprétation conforme du droit national doit être interprété en ce sens qu’il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si une disposition de droit national établissant une voie de recours extraordinaire, permettant à une partie de demander la réouverture d’une procédure clôturée par un jugement définitif si elle a été privée de la possibilité d’agir en raison d’une violation du droit, peut faire l’objet d’une interprétation extensive de manière à inclure dans son champ d’application la situation dans laquelle le juge ayant fait droit à une demande d’un professionnel fondée sur un contrat conclu avec un consommateur, par un jugement définitif rendu par défaut, a omis d’examiner d’office ce contrat au regard de l’existence éventuelle de clauses abusives, en violation des obligations qui lui incombaient en vertu de la directive 93/13, et dans laquelle il s’avérerait que les modalités procédurales de l’exercice par ce consommateur de son droit de former opposition à ce jugement par défaut sont de nature à engendrer un risque non négligeable que ledit consommateur y renonce et ne permettent, par conséquent, pas d’assurer le respect des droits que ce dernier tire de cette directive. Si une telle interprétation extensive n’est pas concevable en raison des limites que constituent les principes généraux du droit et l’impossibilité de procéder à une interprétation contra legem, le principe d’effectivité impose que le respect de ces droits soit assuré dans le cadre d’une procédure d’exécution de ce jugement par défaut ou d’une procédure subséquente distincte.
Sur les dépens
85 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
1) L’article 4, paragraphe 3, TUE et le principe d’équivalence
doivent être interprétés en ce sens que :
lorsqu’une voie de recours extraordinaire établie par une disposition procédurale nationale permet à un justiciable de demander la réouverture d’une procédure ayant abouti à un jugement définitif en invoquant une décision ultérieure de la Cour constitutionnelle de l’État membre concerné constatant la non-conformité à la Constitution ou à une autre norme de rang supérieur d’une disposition de droit national, ou d’une certaine interprétation d’une telle disposition, sur le fondement de laquelle ce jugement a été rendu, ils n’imposent pas que cette voie de recours soit également ouverte en raison de l’invocation d’une décision de la Cour statuant à titre préjudiciel sur l’interprétation du droit de l’Union, en vertu de l’article 267 TFUE, pour autant que les conséquences concrètes d’une telle décision de cette Cour constitutionnelle en ce qui concerne la disposition de droit national, ou l’interprétation d’une telle disposition, sur laquelle est fondé ledit jugement définitif découlent directement de cette décision.
2) Le principe d’interprétation conforme du droit national
doit être interprété en ce sens que :
il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si une disposition de droit national établissant une voie de recours extraordinaire, permettant à une partie de demander la réouverture d’une procédure clôturée par un jugement définitif si elle a été privée de la possibilité d’agir en raison d’une violation du droit, peut faire l’objet d’une interprétation extensive de manière à inclure dans son champ d’application la situation dans laquelle le juge ayant fait droit à une demande d’un professionnel fondée sur un contrat conclu avec un consommateur, par un jugement définitif rendu par défaut, a omis d’examiner d’office ce contrat au regard de l’existence éventuelle de clauses abusives, en violation des obligations qui lui incombaient en vertu de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et dans laquelle il s’avérerait que les modalités procédurales de l’exercice par ce consommateur de son droit de former opposition à ce jugement par défaut sont de nature à engendrer un risque non négligeable que ledit consommateur y renonce et ne permettent, par conséquent, pas d’assurer le respect des droits que ce dernier tire de cette directive. Si une telle interprétation extensive n’est pas concevable en raison des limites que constituent les principes généraux du droit et l’impossibilité de procéder à une interprétation contra legem, le principe d’effectivité impose que le respect de ces droits soit assuré dans le cadre d’une procédure d’exécution de ce jugement par défaut ou d’une procédure subséquente distincte.