Livv
Décisions

CA Grenoble, 1re ch., 26 mars 2024, n° 22/03770

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Autochange Bourgoin (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Clerc

Conseillers :

Mme Blatry, Mme Lamoine

Avocat :

Me Bouseksou

TJ Bourgoin - Jallieu, du 5 sept. 2022

5 septembre 2022

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Selon bon de commande du 26 juin 2020, M. [Z] [L] a fait l'acquisition auprès de la société AUTOCHANGE BOURGOIN d'un véhicule de marque et de type Alfa-Romeo Giulia affichant un kilométrage de 37 500 km moyennant le prix de 26 710 euros TTC comprenant les frais d'immatriculation pour un montant de 539,76 euros hors taxes.

Un acompte de 1000 euros a été versé à la commande et il a été remis à l'acquéreur un certificat de situation administrative détaillé daté du 20 mai 2020 attestant de l'absence d'opposition au transfert du certificat d'immatriculation.

La facture d'achat et le certificat de cession du véhicule ont été établis le 10 juillet 2020, date à laquelle le solde du prix de vente d'un montant de 25 710 euros a été versé par virement bancaire.

Les formalités de réimmatriculation n'ont pas pu être effectuées en raison du fait que le véhicule aurait été déclaré volé en Suisse entre le 20 et le 22 juillet 2020.

Le 20 septembre 2020 M. [L] a déposé plainte auprès des services de gendarmerie en expliquant que le vendeur, qui était chargé de l'accomplissement de cette formalité, l'avait informé de ce que le changement de carte grise ne pouvait être effectué en raison de la déclaration de vol du véhicule en Suisse.

Par courrier du 3 juin 2021 l'assureur de protection juridique de l'acquéreur, faisant état d'une erreur sur les qualités substantielles du véhicule vendu, a sollicité auprès de la société AUTOCHANGE BOURGOIN l'annulation amiable de la vente.

Il n'a pas été répondu à cette demande et par un nouveau courrier recommandé du 2 juillet 2021 l'assureur a informé la société AUTOCHANGE BOURGOIN qu'à défaut de réponse avant le 13 juillet 2021 une procédure judiciaire serait engagée.

Par acte extrajudiciaire du 14 avril 2022, M. [L] a fait assigner la SARL AUTOCHANGE BOURGOIN devant le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu aux fins d'entendre ordonner la résolution de la vente pour erreur sur les qualités substantielles du bien vendu, mais aussi sur le fondement de la garantie d'éviction, et condamner la défenderesse à lui rembourser la somme de 26 710 euros, outre dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral (2500 euros) et indemnité de procédure de 3000 euros.

Bien que régulièrement assignée à personne habilitée à l'adresse de son siège social la société AUTOCHANGE BOURGOIN n'a pas comparu devant le tribunal.

Par jugement réputé contradictoire en date du 5 septembre 2022 , le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu a débouté M. [Z] [L] de toutes ses demandes et l'a condamné aux dépens.

Le tribunal a considéré en substance que la preuve n'était rapportée ni du vol du véhicule en Suisse, ni de l'impossibilité d'un transfert de la carte grise, ni même que la formalité de réimmatriculation du véhicule incombait à la venderesse.

M. [L] a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 19 octobre 2022 aux termes de laquelle il critique le jugement en toutes ses dispositions.

Selon conclusions d'incident déposées pour la conférence de mise en état du 7 février 2023, l'appelant a demandé que soit ordonnée toute mesure d'instruction en vue de l'obtention auprès de l'état-major de l'autorité de police cantonale du canton de Vaud de tout document attestant que le véhicule acquis le 10 juillet 2020 auprès de la société AUTOCHANGE BOURGOIN a été déclaré volé en Suisse fin juillet 2020.

Par ordonnance juridictionnelle en date du 21 mars 2023, il a été fait droit à cette demande.

Vu les conclusions récapitulatives déposées le 1er novembre 2023 et signifiées le 6 novembre 2023 à personne habilitée au siège social de la société intimée par M. [L], qui demande à la cour par voie d'infirmation du jugement d'ordonner la résolution de la vente du véhicule Alfa-Romeo de type Giulia intervenue entre les parties le 10 juillet 2020 et de condamner en conséquence la société AUTOCHANGE BOURGOIN à lui payer les sommes de 26 710 euros en remboursement du prix de vente, de 2500 euros en réparation de son préjudice moral, de 7000 euros en réparation de son trouble de jouissance et de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir :

' que l'erreur de droit ou de fait est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la chose ou de la prestation,

' que la disponibilité de la chose vendue constitue l'une de ses caractéristiques essentielles, de sorte que le fait que l'acquéreur soit privé du libre exercice des prérogatives attachées à sa qualité de propriétaire doit conduire à l'annulation de la vente,

' que par ailleurs le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu,

' que plus généralement il est de principe que la vente d'un véhicule antérieurement volé constitue un défaut de délivrance engageant la responsabilité du vendeur, peu important la bonne foi de ce dernier, et que l'obligation de délivrance porte non seulement sur le véhicule lui-même, mais également sur les documents indispensables à son utilisation normale,

' qu'il a acquis en toute bonne foi un véhicule auprès d'un vendeur professionnel qui s'était engagé à effectuer les formalités de cession et le transfert de la carte grise,

' que le véhicule a toutefois fait l'objet d'une opposition au transfert du certificat d'immatriculation en raison d'une déclaration de vol entre le 20 et le 22 juillet 2020,

' que la preuve de cette opposition résulte d'une capture d'écran réalisée à partir du site public de l'ANTS faisant apparaître que le véhicule ne peut pas être immatriculé,

' que ses démarches auprès de l'état-major de la police cantonale de Lausanne, réitérées après l'ordonnance juridictionnelle du 21 mars 2023, sont demeurées vaines, puisque cette autorité a estimé le 8 novembre 2022 que seule la juridiction compétente était habilitée au regard du droit suisse à délivrer tout justificatif de la déclaration de vol du véhicule,

' que le bon de commande et la facture, qui mentionnent expressément l'achat d'une prestation d'immatriculation pour le prix de 539,76 euros hors taxes, démontrent que cette formalité incombait à la société AUTOCHANGE BOURGOIN,

' qu'il est par conséquent fondé à solliciter la résolution de la vente avec dommages et intérêts pour vice du consentement en raison d'une erreur sur les qualités substantielles du véhicule vendu, mais également sur le fondement de la garantie légale d'éviction due par le vendeur, ainsi que sur celui du défaut de délivrance de la chose et de ses accessoires.

Vu l'assignation à comparaître devant la cour comportant signification de la déclaration d'appel signifiée le 12 décembre 2022 à une personne se déclarant habilitée à l'adresse du siège social de la SARL AUTOCHANGE BOURGOIN, qui n'a pas constitué avocat.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 19 décembre 2023.

Motivation

MOTIFS

L'appelant verse au dossier sous forme de capture d'écran la demande de certificat de situation administrative qu'il a effectuée en ligne sur le site public de l'agence nationale des titres sécurisés (ANTS) à partir des informations figurant sur le certificat d'immatriculation établi le 1er avril 2020 au nom du précédent propriétaire.

Selon ce document «aucun dossier ne (correspondant) à la recherche l'opération ne peut se poursuivre », de sorte qu'il est formellement établi qu'à partir des éléments fournis par la société AUTOCHANGE BOURGOIN M. [L] n'a pas été en mesure d'accomplir jusqu'à leur terme les formalités de mutation du certificat d'immatriculation du véhicule.

Le silence total gardé par la société AUTOCHANGE BOURGOIN après la réclamation réitérée de l'acquéreur, ainsi que sa non comparution en première instance et en appel malgré la citation délivrée à sa personne à deux reprises, confirment que les informations fournies ne permettent pas la remise en circulation administrative du véhicule.

La réalité du vol allégué résulte par ailleurs suffisamment de la lettre que le conseil de l'acquéreur a adressée le 17 octobre 2022 aux services de police de la ville de Lausanne, appelés à confirmer que le véhicule avait été déclaré volé en Suisse entre le 20 et le 22 juillet 2020 et avait fait l'objet d'une OTCI, de la réponse apportée le 8 novembre 2022 par cette autorité aux termes de laquelle, sans contester l'existence d'une procédure pénale, elle invite le requérant à s'adresser au tribunal compétent, seul habilité à recevoir les informations demandées, et enfin de la demande réitérée, restée à ce jour sans réponse, adressée à cette même autorité de police le 4 octobre 2023 après l'ordonnance juridictionnelle du 21 mars 2023 ayant fait droit à la demande de mesure d'instruction.

Le bon de commande régularisé entre les parties le 26 juin 2020 fait état à la rubrique « achat prestations » d'une somme de 539,76 euros hors taxes due par l'acquéreur en sus du prix du véhicule au titre du transfert de la carte grise sous le libellé suivant «CG (pour carte grise) 11 CV DEP 74 ».

Cette mention parfaitement explicite, ainsi que le règlement de la somme susvisée dont atteste sous le même libellé la facture acquittée du 10 juillet 2020, établissent sans contestation possible que les formalités de réimmatriculation du véhicule étaient contractuellement à la charge de la société venderesse, qui a été rémunérée pour cette prestation.

Il est par conséquent dûment établi que ni le vendeur, qui y était contractuellement obligé, ni l'acquéreur n'ont été en mesure de remettre administrativement le véhicule en circulation en raison de l'existence d'une déclaration de vol.

Au sens des article 1132 et 1133 du code civil l'erreur sur les qualités essentielles de la prestation affecte, en matière de vente de bien corporel, non seulement la substance matérielle de la chose, mais aussi l'ensemble des qualités attachées à cette chose que l'acquéreur est en droit d'attendre.

Ainsi, en matière de vente d'un véhicule automobile d'occasion, l'absence d'opposition administrative à la remise en circulation constitue une qualité essentielle déterminante du consentement de l'acquéreur, qui est tenu sous sanction pénale de faire transférer à son nom le certificat d'immatriculation.

M. [L] est dès lors fondé à se prévaloir d'une erreur ayant vicié son consentement, mais aussi du manquement de la société AUTOCHANGE BOURGOIN à son obligation de délivrance, qui en application de l'article 1615 du Code civil comprenait les accessoires nécessaires à l'utilisation de la chose vendue.

Il est de principe que dans l'hypothèse où coexistent une erreur sur une qualité essentielle de la chose vendue et une inexécution contractuelle, le cocontractant victime est recevable à agir, à son choix, en nullité du contrat pour vice du consentement ou en résolution pour manquement du vendeur à ses obligations.

N'étant pas exposé à une revendication du véhicule sans indemnisation en vertu de l'article 2277 du Code civil, selon lequel le propriétaire originaire ne peut se faire rendre la chose qu'en remboursant au possesseur, l'ayant acquise auprès d'un marchand professionnel, le prix qu'elle lui a coûté, M. [L] n'est toutefois pas fondé à se prévaloir de la garantie légale en cas d'éviction régie par les articles 1626 et suivants du code civil.

Dès lors qu'aux termes du dispositif de ses conclusions d'appel M. [L] sollicite « la résolution de la vente », et non pas son annulation, il sera par conséquent fait droit à cette demande sur le fondement du manquement de la société AUTOCHANGE BOURGOIN à son obligation de délivrance du véhicule avec les accessoires nécessaires à sa remise en circulation et donc à son utilisation.

La résolution de la vente du véhicule Alfa-Romeo Giulia régularisée entre les parties le 26 juin 2020 sera ainsi prononcée et la société AUTOCHANGE BOURGOIN sera condamnée à restituer à M. [L] le prix payé de 26 710 euros et à reprendre possession du véhicule à ses frais.

Aux termes de l'article 1217 du Code civil l'inexécution du contrat peut conduire à sa résolution judiciaire avec dommages et intérêts, tandis que selon l'article 1611 du code civil le vendeur doit être condamné aux dommages et intérêts s'il résulte un préjudice pour l'acquéreur du défaut de délivrance.

Le manquement de la venderesse à son obligation de délivrance complète, aggravé par le silence total qu'elle a opposé à la demande de résolution amiable du litige et par sa défaillance dans le cadre de la procédure judiciaire, a été source pour l'acquéreur de nombreux désagréments, caractérisés par l'impossibilité de faire un usage régulier du véhicule et par les nombreuses démarches entreprises, notamment auprès des autorités de police helvétiques.

La preuve est ainsi rapportée de l'existence d'un préjudice moral indemnisable à hauteur de la somme de 2000 euros, au paiement de laquelle la société AUTOCHANGE BOURGOIN sera condamnée.

N'apportant cependant aucun justificatif des frais qu'il a dû engager pour assurer ses déplacements (location ou achat d'un véhicule de remplacement, utilisation des transports en commun par exemple), et n'offrant pas même d'établir que le véhicule est effectivement immobilisé depuis la vente, M. [L] sera débouté de sa demande en réparation d'un trouble de jouissance.

Sur les mesures accessoires

La SARL AUTOCHANGE BOURGOIN, qui succombe, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel ; l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [L].

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,

Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau :

Prononce la résolution de la vente du véhicule Alfa-Romeo de type Giulia immatriculé [Immatriculation 5] intervenue le 10 juillet 2020 entre M. [Z] [L] et la SARL AUTOCHANGE BOURGOIN,

Condamne la SARL AUTOCHANGE BOURGOIN à payer à M. [Z] [L] la somme de 26 710 euros en remboursement du prix d'achat du véhicule,

Dit que M. [Z] [L] devra tenir le véhicule à la disposition de la SARL AUTOCHANGE BOURGOIN qui en reprendra possession à ses frais,

Condamne la SARL AUTOCHANGE BOURGOIN à payer à M. [Z] [L] la somme de 2000 euros en réparation de son préjudice moral,

Déboute M. [Z] [L] de sa demande en réparation d'un trouble de jouissance,

Condamne la SARL AUTOCHANGE BOURGOIN à payer à M. [Z] [L] une indemnité de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SARL AUTOCHANGE BOURGOIN aux entiers dépens de première instance et d'appel.