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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 6, 16 janvier 2019, n° 17/05927

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Société Générale (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guillou

Conseillers :

Mme Mehl-Jungbluth, Mme Delière

Cons. Prud’h. Paris, du 5 déc. 2016, n° …

5 décembre 2016

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. L. a été embauché à compter du 1er octobre 2008 par la société Newedge Group SA (la société Newedge) en qualité de directeur fiscal groupe, avec reprise d'ancienneté au 20 janvier 1997, date de son entrée dans le groupe Crédit agricole. Son contrat était soumis à la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000.

M. L. percevait une rémunération brute annuelle de 144 000 euros payable en douze mensualités égales. Le contrat stipule qu'à titre exceptionnel, un bonus discrétionnaire lui est garanti, d'un montant minimum de 40 000 euros au titre des 12 premiers mois de présence.

M. L. avait pour mission d'assurer la conformité au plan fiscal des transactions effectuées par la société Newedge, ses filiales et ses succursales en France et à l'étranger, et de régler avec les administrations fiscales concernées, les différends, litiges et contentieux fiscaux impliquant Newedge ou ses clients.

Le 1er mars 2012, M. L. a été promu au grade de 'senior director" et à celui de 'managing director' le 5 mars 2014. La société Newedge a par ailleurs payé à M. L. des bonus annuels d'un montant de 63 000 euros en 2012, 53 000 euros en 2013 et 53 000 euros en 2014.

A compter du mois de septembre 2013, a été préparé le rachat par la Société générale, qui détenait 50 % des parts de la société Newedge, des 50% restants, détenus par le Crédit agricole. En décembre 2013 un contrat de cession de ces parts a été conclu, sous des conditions levées le 6 mai 2014.

Des discussions ont été entreprises pour préparer l'absorption de la société Newedge par la Société générale au moyen d'une transmission universelle de patrimoine et il a été décidé de transférer préalablement les activités de compensations exercées dans l'établissement de Newedge situé à Paris à la filiale anglaise de la société Newedge.

M. L. soutient avoir à cette occasion fait valoir que ce transfert emportait soit un transfert de fonds de commerce, soit un transfert de clientèle, devant en tout état de cause être déclaré au fisc français au titre des plus-values et faire l'objet d'un enregistrement en France, alors que la Société générale avait pour projet le transfert des clients et de leurs comptes sans fixation de prix ni déclaration au fisc.

Il soutient avoir alerté à plusieurs reprises sa hiérarchie directe en avril, mai et juin 2014, du caractère frauduleux de cette solution et des risques pénal et fiscal encourus.

Le 18 juin 2014, M. L. a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement. Après plusieurs demandes de report de la part de M. L., cet entretien a eu lieu le 23 juillet 2014 en présence d'un délégué syndical M. B..

Par lettre du 31 juillet 2014, la société Newedge a notifié à M. L. son licenciement pour insuffisance professionnelle 'tenant notamment à :

- des retards dans le traitement des dossiers dont vous avez la responsabilité traduisant, de manière générale, un manque de rigueur dans l'exercice de vos fonctions ...

- aux difficultés relationnelles dont vous faites preuve dans l'exercice de vos fonctions vis à vis de nombreux interlocuteurs...'

Le 16 août 2014, M. L. a contesté cette décision et demandé sa révision conformément à l'article 26.1 de la convention collective.

Après un nouvel entretien le 5 septembre 2014, la société Newedge a confirmé, par courrier du 11 septembre 2014, sa décision de procéder à son licenciement pour insuffisance professionnelle.

Le 9 octobre 2014, M. L. a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, en référé et au fond d'une demande de réintégration dans la société Newedge (articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail) au motif que son licenciement serait la conséquence d'une alerte qu'il soutient avoir lancée le 17 juin 2014 sur le caractère fiscalement frauduleux du projet de rachat précité.

Par ordonnance du 16 février 2015 la formation de référé du conseil de prud'hommes de Paris a dit n'y avoir lieu à référé, décision confirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 novembre 2015.

La Cour de cassation, saisie d'un pourvoi contre cet arrêt et constatant qu'il avait été statué au fond par jugement du conseil des prud'hommes de Paris du 5 décembre 2016 sur les prétentions qui avaient donné lieu à l'instance en référé au cours de laquelle avait été rendu l'arrêt attaqué, a dit n'y avoir lieu à statuer.

En effet, par jugement en date du 5 décembre 2016, objet de la présente instance, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- condamné la Société générale à payer à M. Francis L. une indemnité de 150 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et une indemnité de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. L. du surplus de ses demandes.

Le 19 avril 2017, M. L. a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions, remises au greffe et notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 11 novembre 2018, auxquelles il est expressément fait référence, M. L. demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris,

- constater que son licenciement a pour cause l'alerte qu'il a lancée sur le caractère frauduleux au plan fiscal du transfert de fonds de commerce ou de clientèle de la société Newedge vers sa filiale anglaise,

- qu'il a au moins pour cause la manifestation par M. L. auprès de sa hiérarchie de désaccords et l'expression d'opinions en opposition aux orientations de la politique fiscale envisagée par la Société générale,

- de constater en conséquence la nullité de son licenciement sur le fondement des articles 1382-2 du code civil, L 1132-3-3 et 1132-4 du code du travail, et à tout le moins de l'article L 1121-1 du code du travail et de l'article 10 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- d'ordonner sa réintégration au sein de la Société générale à compter du 1er décembre 2014,

- de constater cependant que la reprise et la poursuite du contrat de travail ainsi rétabli n'est pas possible,

- de prononcer en conséquence la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur, à la date de l'arrêt à intervenir,

- de condamner la Société générale à lui payer les sommes suivantes:

- 576 000 euros à titre de salaires,

- 212 000 euros à titre de bonus pour les exercices 2014, 2015, 2016 et 2017,

- 48 498,63 euros à titre de bonus proratisé pour l'exercice 2018,

- sous déduction des revenus de remplacement reçus de Pôle Emploi, savoir 52 838,28 euros,

ainsi que les divers avantages annexes à son emploi sur la même période, soit :

- 1 840,30 euros à titre de la prise en charge partielle de son pass Navigo,

- 4 525,74 euros au titre de l'attribution de tickets restaurant,

- 3 500 euros à titre de la valeur des chèques vacances,

- 80 185,50 euros à titre d'indemnité de rupture équivalente à l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 49 250,00 euros à titre d'indemnité de préavis,

- 77 158,33 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés pour 2015 à 2018,

- 158 837,23 euros à titre de rémunération des heures supplémentaires effectuées entre août 2011 et août 2014,

- 108 797,45 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé à raison des heures supplémentaires non déclarées,

- 80 892,00 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de pension de retraite de base de 62 ans à 83 ans,

- 245 520,00 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de pension de retraites complémentaires de 62 ans à 83 ans,

- 689 500,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, préjudice de carrière et perte de salaires futurs,

- 197 000,00 euros à titre d'indemnité pour rupture brutale et vexatoire du contrat de travail,

- 32 833,00 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure.

A titre subsidiaire, M. L. demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais infirmer ledit jugement pour le surplus.

- condamner la Société générale à lui payer les sommes suivantes:

- 788 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 197 000 euros à titre d'indemnité pour rupture abusive et vexatoire du contrat de travail,

- 32 833 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure,

- 50 635,50 euros à titre de solde d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 48 498,63 euros à titre de bonus 2014 pro rata temporis,

- 364 530,96 euros à titre d'indemnité de non-concurrence/non-sollicitation,

- 158 837,23 euros à titre de rémunération des heures supplémentaires effectuées entre août 2011 et août 2014,

- 108 797,45 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé à raison des heures supplémentaires non déclarées,

- 100,65 euros au titre de la prise en charge partielle de son pass Navigo,

- 266,22 euros au titre des tickets restaurant,

- 100 800,00 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de pension de retraite de base, de 62 ans à 83 ans,

- 395 136,00 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de pensions de retraites complémentaires, de 62 ans à 83 ans.

En tout état de cause, il sollicite la condamnation de la Société générale :

- à lui remettre les bulletins de salaire rectificatifs faisant apparaître le calcul et le paiement des cotisations de retraite de base (CNAVTS) et complémentaires (ARGIRC et ARRCO), à raison des heures supplémentaires et bonus

- à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens, dont distraction au profit de la S. Ingold et Thomas conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Il sollicite également la condamnation à la publication du dispositif de la décision à intervenir dans les journaux les Echos, Le Monde, le Journal du Dimanche et, en anglais, dans le Financial Times.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par le réseau virtuel des avocats le 19 novembre 2018, auxquelles il est expressément fait référence, la Société générale conclut à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a estimé que le licenciement de M. L. ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse et condamné la Société générale à verser à M. L. 150 000,00 euros de dommages intérêts à ce titre et 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La Société générale demande la confirmation du jugement entrepris pour le surplus et en conséquence le débouté de M. L. de l'ensemble de ses demandes et sa condamnation à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, la Société générale sollicite la réduction à de plus justes proportions du montant des indemnités susceptibles d'être octroyées à M. L..

MOTIVATION :

Sur l'exécution du contrat :

M. L. demande le paiement d'heures supplémentaires en faisant valoir que s'il était soumis à un forfait jour de 211 jours de travail par an, cette convention était nulle d'une part en raison de l'absence de garanties du respect de durée raisonnable du travail et d'autre part sans aucune référence à l'accord ARTT de la banque, l'accord d'entreprise de Newedge ne comportant pas davantage de dispositions visant à assurer la garantie du respect des durées raisonnables de travail.

Il se prévaut de 830 heures supplémentaires.

Le contrat de travail de M. L. comporte une clause de forfait en jour et M. L. a signé le 4 juillet 2009 une convention individuelle de forfait jour, rappelant l'accord d'entreprise sur la RTT du 29 mai 2008 relatif à la réduction du temps de travail, fixant ce forfait à 211 jours par an. Il invite le salarié à respecter les obligations de repos minimal fixé par la loi soit 11 heures par jour et 35 heures par semaine.

Aux termes de l'article L.3121-39 du code du travail, ' La conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention collective ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle de travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions'.

En application de l'article L.3121-43 du code du travail, 'Peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L.3121-39 du code du travail :

1° Les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;

2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leurs sont confiées '.

Enfin, l'article L. 3121-46 du code du travail, dans sa version alors en vigueur, prévoit qu' 'Un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.'

L'accord de branche du 29 mai 2001 relatif à l'ARTT concernant les entreprises de la convention collective de la banque, prévoit que l'organisation du travail devra faire l'objet d'un suivi régulier par la hiérarchie qui veillera notamment aux éventuelles surcharges de travail, devra dans ce cas procéder à une analyse de la situation, prendre le cas échéant toutes dispositions adaptées pour respecter en particulier la durée minimale du repos quotidien et ne pas dépasser le nombre de jours travaillés.

Cet accord annexé à la convention collective s'applique au contrat de travail de M. L. qui vise la convention collective de la banque.

Ces dispositions garantissent le contrôle par l'employeur de la surcharge de travail et des moyens d'y remédier, et donc d'une durée maximale raisonnable de travail.

La convention de forfait de M. L. n'est donc pas nulle, peu important qu'un autre accord soit visé dans cette convention, cette circonstance ne rendant pas inapplicable l'accord du 29 mai 2001.

En outre chaque entretien annuel réserve une partie tant à l'amplitude du travail, qu'à la charge de travail et il est suffisamment établi par la production des comptes rendus de ces entretiens que M. L. a pu y exprimer ses besoins lorsqu'il en avait, a été écouté, et que des solutions ont été recherchées et trouvées, Mme M. approuvant par exemple une demande d'aide ponctuelle formulée par M. L..

Les garanties mises en place par l'accord ont donc été effectives.

M. L. sera donc débouté tant de sa demande en paiement d'heures supplémentaires que de sa demande de dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat et de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé.

Sur la rupture du contrat :

M. L. soutient à titre principal qu'il a été licencié pour le motif véritable qu'il est un lanceur d'alerte et que la preuve en est que son éviction soudaine a été réalisée pour des motifs insignifiants et non avérés, et est concomitante à ses protestations d'être tenu à l'écart de la partie fiscale du transfert du fonds de commerce de compensation entre la société Newedge à paris et sa filiale anglaise.

La Société générale conteste ce moyen et soutient que la cause réelle et sérieuse mentionnée dans la lettre de licenciement est la cause exacte.

Il convient donc d'examiner les causes du licenciement.

La lettre de licenciement adressée le 31 juillet 2014 à M. L. prononce son licenciement pour insuffisance professionnelle.

L'insuffisance professionnelle constitue à elle seule une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Elle est caractérisée lorsque le salarié n'exécute pas correctement des tâches ou ne parvient pas à assumer les responsabilités qui lui sont confiées, qu'il montre des carences professionnelles dans le traitement et le suivi de dossiers confiés, dans les méthodes de travail, la maintenance, le respect de consignes sans qu'il soit besoin de caractériser l'existence d'une négligence ou d'une mauvaise volonté délibérée du salarié.

Celles ci ne sont pas exclusives d'une insuffisance professionnelle de sorte que l'employeur peut les démontrer sans choisir le terrain disciplinaire et en conséquence sans que d'une part puissent lui être opposées les règles de prescription des faits propres à ce licenciement et posées par les dispositions de l'article L1332- 4 du code du travail et sans que d'autre part puissent lui être opposée l'absence de sanction préalable démontrant la gravité des faits résultant de la répétition d'erreurs qu'il estime inacceptables malgré des alertes déjà données ou l'ancienneté du salarié à son poste.

En revanche dans la mesure où elle ne peut résulter de manquements préalables de l'employeur à l'une de ses obligations, l'insuffisance doit être appréciée en fonction d'un ensemble de données incluant la constatation que les missions confiées au salarié n'excédaient pas sa classification professionnelle, l'absence de lien avec une surcharge de travail excessive ou avec un manque de formation et d'adaptation du salarié à son poste compte tenu notamment de l'évolution des emplois, des technologies posées par les dispositions de l'article L 6321-1 du code du travail.

En l'espèce parmi les faits concrets allégués au soutien de l'insuffisance professionnelle de M. L. la Société générale lui reproche :

- 'des retards dans le traitement des dossiers dont vous avez la responsabilité traduisant, de manière générale, un manque de rigueur dans l'exercice de vos fonctions', avec à titre d'exemples :

- 'vous n'anticipez pas le dépôt des différentes déclarations et avez pris l'habitude de procéder à ces formalités à la dernière minute, voire même en dehors des délais imposés, délais que vous connaissiez pourtant plusieurs mois à l'avance, cette attitude étant 'persistante depuis des années'

- vous n'avez pas su contribuer efficacement au projet Nevada (délai de traitement anormalement longs et interlocuteurs contraints de le relancer à de multiples reprises)

- votre contribution au projet Transfer princing s'est avéré des plus insatisfaisantes puisque vous n'avez pas été en mesure de fournir une réponse dans les délais impartis, repoussant systématiquement les échéances, alors même que le travail d'autres équipes dépendait de votre réactivité.

Ces éléments traduisant un manque de rigueur manifeste dans l'exercice de vos fonctions.

- aux difficultés relationnelles dont vous faites preuve dans l'exercice de vos fonctions vis à vis de nombreux interlocuteurs, alors que vos fonctions de directeur fiscal groupe nécessitent des aptitudes à travailler avec différents intervenants et dans ce cadre un sens aigu de la communication ainsi qu'une retenue inhérente à toute collaboration professionnelle.

Il lui est à ce titre reproché :

- 'd'avoir des difficultés à prendre du recul afin de vous exprimer de façon modérée lors des échanges avec certains de vos interlocuteurs internes', et ce malgré les alertes de sa hiérarchie sur l'importance d'améliorer sa façon de communiquer avec les autres départements,

- de ne pas supporter la contradiction et de prendre en compte tout avis divergent du sien, ce qui perturbe la fluidité et la sérénité nécessaire au bon déroulement du processus décisionnel.

Il lui est ensuite reproché les faits suivants :- au ton inadapté que vous avez pris l'habitude d'adopter dans vos échanges se sont ajoutés de profonds désaccords et divergences de vues quant aux orientations envisagées par Newedge. Vous avez à cet égard dès le début affiché de manière radicale une opposition de principe au projet d'intégration de Newedge au sein de la Société générale,

Votre attitude d'opposition a par la suite perduré puisque vous n'avez eu de cesse de faire preuve d'une particulière mauvaise volonté dans le cadre du projet envisagé, n'admettant manifestement pas de devoir collaborer avec différents intervenants comme le démontrent notamment les débats que vous avez créés, de manière infondée et inutile, sur l'opportunité de communiquer certains documents (courrier électronique du 13 mai 2014 à Mme Yolanda C.) ou encore à propos de l'impossibilité dans laquelle vous vous trouviez de participer à une conférence téléphonique réunissant de nombreux interlocuteurs eux même disponibles (courrier électronique du 11 mars 2014 à M. Matthew P..

Ces comportements sont tout simplement inadaptés et déplacés pour un cadre de votre niveau. Ce d'autant que, parallèlement vous n'avez pas hésité à laisser entendre, alors même que cela était loin d'être le cas, que les orientations envisagées s'agissant de la politique fiscale étaient inadaptées.

Ces différentes lacunes et insuffisances ne sont nullement en adéquation avec les exigences du poste que vous occupez.

- S'agissant des retards dans le traitement des dossiers, la Société générale produit les évaluations de M. L. sur plusieurs années desquelles il ressort qu'en effet il a été incité à améliorer sa gestion des priorités, à une meilleure prise en compte des délais notamment lorsque le travail d'autres équipes en dépend. Ces évaluation soulignent notamment que 'la contribution difficile au projet actionnaire Nevada : temps de traitement un peu long (évaluation de 2012) et en 2013 son évaluateur, Mme M., exposait que les résultats avaient été sensiblement en-deçà de nos attentes et les 'réponses systématiquement décalées par rapport aux engagements initiaux', invitant M. L. à mieux prioriser les sujets, et, quand il s'engage sur une échéance vis-à-vis de leurs clients internes ou externes, s'assurer de son respect' de façon à ne pas nuire à la crédibilité du département. Mais elle soulignait dans le même temps des compétences techniques reconnues de tous et ne faisait de cette remarque qu'un objectif à atteindre pour 2014.

- Quant aux difficultés relationnelles reprochées à M. L., les évaluations pour les années 2012 et 2013 les évoquent invitant M. L. à 'un peu de souplesse' dans le travail en commun avec d'autres équipes et à 'améliorer la communication et les relations avec les autres départements'. Mais elles soulignent aussi 'pas de doute sur la qualité relationnelle au sein de l'équipe fiscale'.

Les exemples donnés par la Société générale font apparaître qu'il est reproché à M. L. d'avoir mal accepté de devoir collaborer avec certains interlocuteurs de la Société générale lorsqu'il a été envisagé d'intégrer la société Newedge au sein du groupe Société générale, et de l'avoir manifesté par des commentaires que la Société générale estime sinon hostiles du moins peu aimables ('très chers amis de la Société générale'). La Société générale indique que 'les très chers amis' s'en sont étonnés mais ne verse aucune pièce traduisant une quelconque réaction. Elle ne produit d'ailleurs qu'un unique mail du 12 mai 2014 en l'isolant de tout contexte pouvant l'expliquer, dans lequel M. L. parle de ses 'estimated coleagues in SG', ce qui ne permet pas d'évaluer la réaction de M. L. en terme d'opportunité et d'en mesurer le caractère ou non agressif.

Le second exemple pris concerne un message du mardi 11 mars 2014 à 17 h 20, par lequel M. L. demande à M. P. de déplacer une réunion à laquelle il ne peut assister, ce qui lui est refusé par son interlocuteur qui lui propose en revanche de le faire« débriefer » par un collègue, le ton montant rapidement entre les deux interlocuteurs et notamment celui de M. L. qui engage les hostilités en répondant 'Je n'aime pas le ton de ta réponse et je ne le mets pas sur le compte de différences culturelles de savoir-vivre entre les antipodes et l'Europe'. Cet e-mail est en outre ensuite suivi d'un autre courriel d'explications qui explique sa réaction en réponse à celle de M. P..

Ces deux exemples ne suffisent en tout état de cause pas à caractériser de difficultés relationnelles justifiant une insuffisance professionnelle, alors que dans le même temps M. L. était promu au grade de managing director le 5 mars 2014, des félicitations accompagnant cette accession à un poste de cadre de direction dont il venait donc d'être considéré comme digne, malgré les quelques retards reprochés et malgré un ton certes personnel dont la Société générale elle-même reconnaît qu'il reflétait l'attitude générale de M. L. 'depuis plusieurs mois, pour ne pas dire plusieurs années'.

Ces deux griefs ne sont manifestement pas de nature à justifier un licenciement.

Seul subsiste donc l'évocation dans la lettre de licenciement que M. L.n'avait 'pas hésité à laisser entendre, alors même que cela était loin d'être le cas, que les orientations envisagées s'agissant de la politique fiscale étaient inadaptées'.

Les pièces versées aux débats démontrent que ce litige est relatif à la fin de l'activité de compensation des transactions pour compte de tiers au sein de Newedge group SA (NGSA) impliquant le transfert des comptes de compensation des clients de Newedge Paris à la filiale anglaise de Newedge group, Newedge Uk financial (NEUKFL).

Il apparaît en effet que M. L. a manifesté son désaccord quant aux modalités de transfert des 'clients en compensation', activité qui concernait 2775 clients titulaires de compte de compensation, M. L. estimant qu'il y avait là une véritable cession de clientèle, voire de fonds de commerce, devant être réalisée à valeur de marché, qu'il estimait entre 35 et 170 millions d'euros, avec des incidences fiscales de plusieurs millions de droit et taxes en enregistrement, quand la Société générale estime qu'il s'agit d'un simple transfert de tâches administratives et non d'actifs, les revenus générés par les opérations réalisées pour le compte des clients demeurant imposables en France. Elle fait valoir que chaque client décide de son transfert à la filiale anglaise NEUKFL sur proposition individuelle et avec signature d'un nouveau contrat ou de s'adresser à un autre compensateur, de sorte qu'il n'y a pas de transfert de clientèle, ni prix de cession à prévoir, qu'enfin ce projet n'avait rien d'occulte.

M. L. estime que tel est le véritable motif de son licenciement, puisqu'il a alerté à plusieurs reprise verbalement sa hiérarchie sur la fraude fiscale qui résulterait selon lui de cette décision et qu'ayant exercé son droit d'alerte, dans le respect des procédures internes, il a d'abord été évincé d'une réunion concernant directement ce sujet puis licencié.

La Société générale réplique que M. L. n'a exercé aucun droit d'alerte, que le seul élément qu'il verse aux débats est un courrier électronique du 17 juin 2014, qu'il n'a saisi aucun autre dirigeant local, ni la hotline mise en place pour signaler les faits délictueux et n'a jamais évoqué au cours de la procédure de licenciement l'existence d'une prétendue situation frauduleuse, pas plus qu'en cours de procédure de licenciement ni pendant la procédure de révision mise en oeuvre à sa demande, que le compte rendu établi 4 mois après l'entretien ne démontre pas le contraire, que ce sujet n'a pas plus été évoqué au travers des questions qu'il a posées le 25 juillet et le 5 septembre 2014 par l'intermédiaire des délégués du personnel. Elle soutient qu'en fait M. L. a été licencié en raison de ses difficultés relationnelles avec un bon nombre d'interlocuteurs dans le cadre du projet d'intégration de Newedge au sein de la Société générale, manifestant son opposition au projet d'intégration et aux orientations envisagées.

Le 3 novembre 2014 M. Moussa B., ayant assisté M. L. lors de l'entretien préalable du 23 juillet 2014, a attesté très précisément des propos s'y étant tenus et notamment détaillé les propos de M. S., avec les questions que lui-même a posées pour avoir des éclaircissements ainsi que les réponses de M. L. puis les observations en réponses de M. S.. Le détail de l'entretien ainsi rapporté permet de considérer que cette attestation se fonde sur des notes prises au cours de l'entretien et est très fidèle, s'agissant de matières techniques et de dossiers précis, et la Société générale tout en lui refusant une force probante, ne dénie aucun des propos prêtés aux interlocuteurs et n'a pas porté plainte pour faux témoignage.

La relation de cet entretien fait expressément référence à un exposé de M. L. sur 'les études en cours sur les scénarios de transfert des activités d'exécution et de compensation de Paris à Londres', qu'il 'est de son devoir de mettre en garde sa hiérarchie et toute la ligne décisionnaire jusqu'au président de Newedge qu'ils mettront potentiellement en jeu leur responsabilité pénale sur les modalités retenues pour effectuer ce transfert sont jugées abusives ou frauduleuses au plan fiscal par les services vérificateurs' et que compte tenu des termes de sa délégation de pouvoirs il peut être lui-même mis en cause et subir les contraintes de visites domiciliaires et qu'il doit donc être clairvoyant et intransigeant sur les projets de transaction et de réorganisation de Newedge et qu'il a un devoir d'alerte et de précaution'.

L'attestant précise que M. S. a alors répondu 'qu'il était d'accord avec Francis L. sur le fait qu'il a le devoir d'alerter sa hiérarchie sur les risques en matière fiscale et qu'il est dans son rôle en le faisant'. M. L. citant ensuite un ancien ministre des finances britannique 'qui a finement résumé que la différence entre l'évasion fiscale et la fraude fiscale est l'épaisseur d'un mur de prison'.

Cette mention fait clairement apparaître qu'au cours de cet entretien M. L. a évoqué le désaccord sur les modalités de transferts des comptes de compensations entre NGSA et NEUKFL et fait valoir qu'il avait eu raison de mettre en garde sa hiérarchie sur les risques pénaux et fiscaux encourus si la solution se profilant selon lui était adoptée.

Dans ce même entretien M. L. a souligné la chronologie entre sa convocation à un entretien préalable et le fait qu'il a participé le 16 juin au matin à une réunion sur ce sujet avec Mme Martine J. et M. Tanguy S. en charge de ce projet de transfert de l'activité de courtage de Paris vers Londres et que lorsqu'a été abordée la question des modalités juridiques et fiscales de ce transfert Mme J. a indiqué que ce projet était réservé et serait traité à la Société générale le lendemain par le directeur fiscal de la Société générale M. M. et le fiscaliste de son équipe Longo-Joseph Kouloumba, que, n'étant pas convié à cette réunion M. L. a estimé devoir y participer et a demandé au fiscaliste a être invité, demande restée sans suite.

Enfin alors que M. L. faisait état d'un entretien du 18 juin en présence de la DRH de la Société générale et de M. S., au cours duquel il lui aurait été dit qu'il ne pouvait être repris à la Société générale et qu'il devait quitter la société Newedge car il avait froissé des égos et n'était pas compatible avec la stratégie fiscale de Société générale, que sa rémunération était trop élevée et que les équipes fiscales ne voulaient pas de lui, M. S. a confirmé que les équipes fiscales de la Société générale n'avaient plus envie de travailler avec lui.

Cette connaissance est encore établie par le courriel adressé le 16 juin 2014 par M. L. à M. S. lui demandant un rendez-vous urgent notamment sur 'l'absence d'invitation à des réunions et travaux portant sur les aspects fiscaux pour Newedge du transfert des comptes clients Paris'.

Aucune explication n'est donnée sur cette absence d'invitation à une réunion portant sur le coeur du métier de M. L. devant se tenir le 17 juin 2014.

Ces éléments sont corroborés par le compte rendu établi par le même M. B. lors de l'entretien 'de révision' du 5 septembre 2014 qui s'est tenu en application de l'article 26.1 de la convention collective, ayant donné lieu à une attestation précise et détaillée de sa part le 7 janvier 2015 qui, là encore, n'a pas été arguée de faux.

Dans cette attestation M. B. rappelle les propos de M. L. rappelant à M. S. que 'c'est selon lui en raison d'abord de cette préconisation (sur la suppression d'une structure Société générale logée aux Iles Caïman), puis de son opposition de son transfert 'à l'arrache' des comptes de compensation de Paris vers Londres que la direction de GBIS a vu en lui un gêneur et a décidé qu'il devait partir.'

Il est donc suffisamment établi que l'employeur avait connaissance de ce que M. L. s'était opposé aux modalités juridiques de transfert des comptes de compensations de Paris vers Londres en soulignant le risque fiscal pris à cet égard, et en faisant clairement et explicitement état de ce qu'il considérait ces modalités comme constituant une fraude fiscale.

L'attestation de M. B. qui relate un entretien au cours duquel M. L. et son employeur ont discuté des griefs pouvant conduire à son licenciement, éclaire la lettre de licenciement lorsqu'elle reproche à M. L. ' de ne pas supporter la contradiction' de 'refuser de prendre en compte tout avis qui serait divergent du vôtre', 'd'admettre l'expression d'un point de vue différent de celui que vous pouviez exprimer', de 'perturber le processus décisionnel au sein de l'entreprise et du groupe' et souligne les 'profonds désaccords et divergences de vues quant aux orientations envisagées par Newedge.'

L'expression par M. L. de son désaccord sur les modalités d'intégration de Newedge au sein de la Société générale et notamment sur le transfert des comptes de compensation de Paris à Londres qu'il considère comme pouvant constituer une fraude fiscale et justifier des poursuites pénales est donc manifestement au coeur des reproches faits à M. L..

M. L. en déduit que son licenciement est nul car intervenu en violation de la protection des lanceurs d'alerte.

L'article L. 1132-1 du code du travail applicable au présent litige, destiné à protéger les lanceurs d'alerte, dispose :

'Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

En cas de litige relatif à l'application du premier alinéa, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'

S'il est donc établi par M. L. qu'il a exprimé son désaccord avec les modalités en voie d'être adoptées pour le transfert de Paris à Londres de ce qu'il estimait être sinon un fonds de commerce du moins une clientèle, et alerté son employeur sur les conséquences fiscales et pénales qu'il estimait être encourues, l'expression par M. L. de son désaccord sur la méthode employée pour ce transfert ne peut cependant pas être assimilée à une alerte au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail.

Les fonctions de M. L. consistaient en effet justement à assurer la conformité au plan fiscal des transactions effectuées par la société dont il était le salarié. Il exerçait donc ses fonctions en mettant en garde son employeur contre le risque fiscal et pénal encouru selon les solutions de transfert retenues et il lui appartenait d'en informer ses supérieurs, et de leur donner les éléments pour apprécier le bien fondé de sa position et orienter leur choix et c'est l'absence d'avertissement qui aurait été en l'espèce fautif, la décision appartenant en définitive aux dirigeants.

M. L. a d'ailleurs été entendu puisqu'il ressort de ses propres dires au cours de l'entretien préalable à son licenciement, tels qu'attestés par M Moussa B., que d'autres options ont été finalement été 'réintégrées dans les schémas à l'étude pour ce projet après qu'il a mis en garde sa hiérarchie sur le risque pénal fiscal d'autant plus qu'il y aura à la suite de ce transfert de nombreuses personnes mécontentes qui pourront aller parler à l'administration fiscale de manière anonyme'.

M. L. n'a donc en l'espèce fait qu'exercer ses fonctions en informant son employeur des risques et en lui exposant ses arguments et ne s'est donc pas vu soumis à l'obligation d'entériner un choix qu'il contestait ou d'exécuter ce qu'il estimait être un transfert de clientèle déguisé frauduleux, ce choix n'ayant manifestement pas encore été arrêté lorsqu'il a été licencié. Il a seulement exprimé son désaccord avec l'une des solutions envisagées en faisant valoir qu'il ne procéderait pas à sa mise en oeuvre effective et qu'il faudrait 'le démettre de ses fonctions et le sortir de la ligne commandement pénalement responsable avant sa mise en oeuvre'.

A ce stade, il ne peut donc se prévaloir d'un statut de lanceur d'alerte et son licenciement ne peut être déclaré nul sur le fondement de l'article L. 1132-1 du code du travail.

En revanche un salarié ne peut être licencié parce que, exerçant ses fonctions, il exprime son désaccord avec la direction, dès lors qu'il le fait dans des termes acceptables et n'abuse pas de sa liberté d'expression.

En l'espèce, aucun des éléments versés aux débats ne démontre qu'au cours de la période ayant précédé son licenciement il se soit exprimé sur ce désaccord dans des termes outranciers ou injurieux et ait ainsi abusé de sa liberté d'expression.

Son licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse.

M. L., débouté de sa demande en nullité de son licenciement sera donc débouté des demandes qu'il forme consécutivement à cette demande.

Sur les conséquences de la rupture :

Sur l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse :

A ce titre M. L. demande le paiement d'une indemnité de 788 000 euros faisant valoir qu'il n'a pas retrouvé de travail, malgré ses multiples tentatives pour présenter des concours et rechercher un emploi dans son domaine de compétence, y compris en s'expatriant et en subit un préjudice considérable tant en terme de revenus actuels que pour sa retraite future.

L'article L 1235-3 du code du travail dispose : « Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L1234-9. »

M. L. était âgée de 54 ans lors de son licenciement et comptait 17 années d'ancienneté au sein de la société Newedge. Il justifie des démarches entreprises pour retrouver un emploi dans son domaine de compétence, mais les critères qu'il a définis pour les recherches par pôle emploi font apparaître qu'il demandait encore en octobre 2015 un salaire très élevé et limitait ses recherches à un temps de transport de 30 mn.

L'indemnité doit être calculée en fonction du salaire des six derniers mois et donc en ce compris les primes ou bonus effectivement versés..

Au regard du montant de ses revenus avant son licenciement, de son âge et de ses difficultés à retrouver un emploi et des éléments rappelés ci-dessus, il convient de lui allouer la somme de 250 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnité pour non respect de la procédure :

M. L. expose que l'article 26 de la convention collective des banques imposait à la Société générale de rechercher le moyen de lui confier un autre poste plus adapté, que cette procédure n'a pas été respectée.

L'article 26,1er de la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000 dispose qu'avant d'engager la procédure de licenciement pour un motif non disciplinaire, l'employeur doit avoir considéré toutes solutions envisageables, notamment recherché le moyen de confier au salarié un autre poste lorsque l'insuffisance résulte d'une mauvaise adaptation de l'intéressé à ses fonctions. Le non respect de cette disposition prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce M. L. a été licencié pour insuffisance professionnelle, sans que les dispositions de l'article 26 aient été mise en oeuvre. Cependant, d'une part il ne ressort pas de la lettre de licenciement que l'insuffisance professionnelle reprochée ait découlé d'une inadaptation à ses fonctions et d'autre part, le licenciement de M. L. a d'ores et déjà été déclaré sans cause réelle et sérieuse, de sorte qu'il ne peut prétendre à une nouvelle indemnisation de ce chef pas plus qu'à une indemnité pour non respect de la procédure.

Sur la demande d'indemnité pour rupture brutale et vexatoire :

M. L. demande à ce titre le paiement d'une somme de 197 000 euros. Il invoque le fait d'avoir été licencié au cours de ses congés annuels et n'avoir pas pu reprendre contact avec ses collègues et collaborateurs, que son adresse mail a été immédiatement invalidée, de même que son accès aux systèmes d'information de l'entreprise.

M. L. a été licencié pour insuffisance professionnelle et non pour faute et il a été dispensé de son préavis, néanmoins la coupure brutale de sa messagerie qui l'a empêché de prendre congé de ses collègues et a pu créer une suspicion à son encontre constitue une circonstance justifiant l'allocation de dommages-intérêts que la cour évalue à 2 000 euros.

Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement :

M. L. soutient que son indemnité de licenciement devait être calculée sur un douzième de sa rémunération annuelle et non sur un treizième et qu'il lui est dû un complément de 147 750 euros.

Le contrat de travail de M. L.stipule une rémunération brute annuelle de 144 000 euros payables en 12 mensualités égales.

L'article 26.2 de la convention collective de la banque dispose que 'tout salarié, licencié en application de l'article 26, comptant au moins un an d'ancienneté (2) bénéficie d'une indemnité de licenciement. La mensualité qui sert de base à l'assiette de calcul de cette indemnité est égale à 1/13 du salaire de base annuel (3 = défini à l'article 39) que le salarié a ou aurait perçu (4) au cours des 12 derniers mois civils précédant la rupture du contrat de travail'.

L'article 39 dispose que ' les salaires de base annuels sont versés en treize mensualités égales. La treizième mensualité, calculée pro rata temporis, est versée en même temps que le salaire du mois de décembre, sauf dispositions différentes d'entreprise.

Le salaire de base annuel est le salaire y compris le treizième mois visé ci-dessus mais à l'exclusion de toute prime fixe ou exceptionnelle ainsi que de tout élément variable.'

Il résulte clairement de ces dispositions d'une part que pour le calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement le salaire de base n'inclut aucun des éléments variables et d'autre part que même lorsque ce salaire est versé sur 12 mois, le treizième mois étant dans ce cas lissé sur 12 mois, l'indemnité est calculée sur la base de 1/13ème de mois.

M. L. sera donc débouté de ses demandes à ce titre.

Sur l'indemnité de non sollicitation :

M. L. se prévaut d'une disposition du contrat de cession à la Société générale des actions de la société Newedge détenue par le Crédit agricole.

Ce contrat interdit au Crédit agricole (et autres sociétés du groupe) de solliciter directement ou indirectement en vue d'embaucher un salarié important pendant la durée de deux ans à compter de la cession, étant entendu que CA CIB Cas et les autres entités du groupe pourront librement solliciter en vue d'embaucher un salarié important qui ne serait plus salarié ou mandataire d'une société du groupe Newedge ou d'une autre entité du groupe Société générale à cette date.

La cession a eu lieu le 6 mai 2014. A cette date, M. L. était salarié de la société Newedge au jour de la cession.

Cette clause n'interdisait donc pas M. L. de rechercher un emploi dans une autre société du groupe mais elle interdisait à ces sociétés de l'embaucher.

Si cette clause ne peut être assimilée à une clause de non concurrence. M. L. étant un tiers à cette convention qui lie deux employeurs, elle portait atteinte à son libre exercice d'une activité professionnelle.

M. L. ne peut demander à ce titre une indemnité compensatrice de salaire mais il est bien fondé à demander le paiement de dommages-intérêts dès lors qu'il établit un préjudice à ce titre pendant les 18 mois pendant lesquels il a été privé de la possibilité d'être embauché par ces sociétés.

En l'espèce M. L. ne verse aux débats aucune pièce dont il ressortirait qu'il ait postulé entre novembre 2014 et mai 2016 dans une société du groupe ou que celles-ci aient émis des offres auxquelles il n'aurait pu répondre.

A défaut d'établir un préjudice, M. L. doit donc être débouté de sa demande.

Sur la demande de bonus pour l'année 2014 :

M. L. demande le paiement d'un bonus de 48 498,63 euros au prorata de ses onze mois de présence dans l'entreprise.

Il soutient que ces bonus étaient en réalité une rémunération, que si leur montant était discrétionnaires en revanche, le principe du bonus était garanti par l'usage constant, la négociation contractuelle et l'engagement unilatéral de la lettre d'embauche et du contrat de travail.

Le contrat de travail ne fait aucune mention d'un bonus devant être versé chaque année, mais il précise néanmoins qu'exceptionnellement un bonus d'un montant discrétionnaire minimum de 40 000 euros lui est assuré au titre des 12 premier mois de présence. Ce bonus représente plus d'un quart de son salaire annuel, et est versé en février ou mars de l'année suivante.

Il est expressément stipulé à propos de ce bonus que 'dans le cas où nous serions amenés à nous séparer de vous à notre initiative dans un délai de douze mois à compter de votre entrée en fonction, pour tout autre motif que la faute grave ou lourde, ce bonus exceptionnel vous sera acquis prorata temporis.'

Chaque année un bonus lui a été versé 'dans le cadre du 'Global annual incentive plan'mais son montant a varié de 45 000 euros à 70 000 euros, avec chaque fois le rappel de son caractère discrétionnaire, la lettre d'accompagnement précisant qu'il ne présage rien des sommes pouvant lui être allouées à l'avenir. Ce bonus doit donc être considéré comme un élément de salaire, seule le montant étant variable et, dès lors qu'aucune condition de présence n'est prévue par le contrat, il sera fait droit à la demande de M. L. au prorata de son temps de présence comme cela a été expressément stipulé par les parties pour la première année.

Il sera donc fait droit à la demande de M. L. à hauteur des sommes demandées qui calculent ce bonus sur la base des sommes allouées pour les deux dernières années soit 53 000 euros et au prorata des 334 jours passés en 2014 dans l'entreprise, soit la somme de 48 498,63 euros.

Sur les demandes relatives aux remboursements de frais et d'une participation au titre des tickets restaurants pendant le cours du préavis :

Ces demandes sont relatives au remboursement de frais effectivement engagés en raison du travail et il n'a donc pas lieu de les rembourser au salarié dès lors que celui-ci est dispensé de son préavis.

M. L. sera débouté de ses demandes sur ce point.

Sur les demandes relatives à la perte des droits à la retraite, régime de base et complémentaires :

Faisant état des points Arrco et Argic qu'il a acquis M. L. demande à ce titre la somme de 100 800 euros au titre de l'indemnisation de perte des droits à la retraite sur le régime de base et la somme de 395 136 euros au titre de la perte sur les régimes complémentaires.

Les éléments versés aux débats démontrent que contrairement à ce que soutient la Société générale M. L. est toujours à la recherche d'un emploi.

M. L. fait état de la perte de 7 années et demi de cotisations soit 30 trimestres et produit des calculs fondés sur le postulat qu'il ne retrouvera pas d'emploi avant l'âge de la retraite en juin 2022.

S'il est certain que le licenciement sans cause réelle et sérieuse de M. L. lui a fait perdre des droits à la retraite de base et de retraites complémentaires, ce préjudice ne peut être évalué qu'à une perte de chance, M. L. ayant encore plusieurs années pour retrouver un emploi, s'il adapte ses critères de recherches et les calculs qu'il produit étant fondés sur des paramètres dont aucun ne présente de caractère de certitude tant quant à la rémunération qu'il aurait effectivement perçue, qu'à la pérennité de son contrat de travail à la Société générale, ou qu'à son espérance de vie.

Pour l'ensemble de ce préjudice il lui sera alloué la somme de 80 000 euros.

Sur la publication :

M. L. demande la condamnation de la Société générale à la publication de la décision afin de réparer publiquement les soupçons de comportement délictueux que font peser sur lui sa disparition soudaine de l'équipe de direction de la Société générale et afin de contribuer à la protection des lanceurs d'alerte.

Cependant il a été jugé que M. L. ne pouvait se prévaloir des dispositions relatives au lanceur d'alerte, et s'il est établi que sa carrière a souffert de son licenciement, il n'est pas établi que la réputation de M. L. ait été entachée.

Cette demande sera donc rejetée.

Sur la remise des documents sociaux :

En application de l'article R 1234-9 du code du travail, les employeurs sont tenus, au moment de la résiliation, de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, de délivrer au salarié des attestations ou justification qui leur permettent d'exercer leurs droits aux prestations mentionnées à l'article L 5421-2 du code du travail, et de transmettre ces mêmes attestations aux organismes gestionnaires du régime d'assurance chômage.

En outre, en application des dispositions de l'article L 3243-2 du code du travail, lors du paiement de sa rémunération, l'employeur doit remettre au salarié un bulletin de paie qui doit également être remis pour la période de préavis, que celui-ci soit effectué ou non.

En conséquence pour tenir compte des condamnations prononcées la Société générale est condamnée à remettre à M. L. une attestation pôle emploi et un bulletin de paie rectifiés, sans que néanmoins ne se justifie le prononcé d'une astreinte.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement du 5 décembre 2016 sauf en ce qu'il a condamné la Société générale au paiement d'une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

et statut à nouveau des chefs infirmés,

Déboute M. Francis L. de sa demande tendant à voir dire son licenciement nul et de toutes ses demandes subséquentes à cette nullité,

Dit que le licenciement de M. Francis L. est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la Société générale à payer à M. Francis L. les sommes de :

- 250 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure vexatoire,

- 48 498,63 euros au titre du bonus de 2014,

- 80 000 euros au titre de la perte de chance relatives à ses pensions de retraite de base et complémentaires,

Déboute M. Francis L. de ses demandes en paiement d'un complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'une indemnité de non sollicitation, du paiement au titre de la prise en charge de son passe Navigo et au titre des tickets restaurant,

Déboute M. Francis L. de sa demande en paiement d'une indemnité pour non respect de la procédure, en paiement d'heures supplémentaires, de dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et d'une indemnité pour travail dissimulé,

Déboute M. Francis L. de sa demande tendant à voir ordonner la publication de la présente décision,

Ordonne à la Société générale de remettre à M. Francis L. une attestation pôle emploi et un bulletin de paie rectifiés, conformes à la décision,

Condamne la Société générale à payer à M. Francis L. la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Société générale aux dépens d'appel et accorde pour ces derniers aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.