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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 3 avril 2024, n° 22/06121

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Perspective Gestion (SAS)

Défendeur :

Société AKG-Immobilier (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bodard-Hermant

Conseillers :

Mme Brun-Lallemand, Mme Depelley

Avocats :

Me Brauge-Boyer, Me Friedmann

T. com. Paris, 13e ch., du 28 févr. 2022…

28 février 2022

Exposé du litige

FAITS ET PROCÉDURE

Les sociétés Perspective Gestion (ayant pour nom commercial Etudes et Gestion Mirabeau- SEGM) et AKG-Immobilier sont des professionnels de l'immobilier.

Par "acte de cession d'élément de fonds de commerce" du 26 juillet 2016, la société AKG-Immobilier a cédé pour une somme de 550.000 euros à la société Perspective Gestion sa "branche d'activité de gestion locative immobilière" exploitée dans le [Localité 2] de [Localité 2] soit, ainsi qu'il est mentionné p. 2 de l'acte :

- la clientèle de gestion locative immobilière (48 propriétaires représentant 236 lots principaux),

- les supports papiers et informatiques correspondant à cette activité.

Cet acte contient une clause intitulée "Interdiction de concurrence" qui stipule :

"Comme condition essentielle et déterminante des présentes, sans laquelle celle-ci n'aurait pas lieu, le vendeur, en son nom comme pour l'ensemble des associés de sa sociétés, s'interdit expressément et formellement de s'intéresser directement ou indirectement, de près ou de loin, par personne physique et ou morale interposée à la clientèle d'administration du bien cédée, objet de la présente cession. Toutefois, le vendeur pourra conserver des relations professionnelles avec ladite clientèle pour les activités de syndic de copropriété, de transaction et de maîtrise d'ouvrage déléguée. En ce qui concerne l'activité de transaction, les ventes sur le portefeuille vendu, seront faites pour le compte de la SAS Perspective Gestion.

Le vendeur s'engage expressément à s'abstenir de troubler, de quelque manière que ce soit, par des actes et comportements, l'exploitation paisible par l'acquéreur ou ayants droit de la clientèle objet des présentes et notamment de s'abstenir de tout acte (dénigrement, parasitisme') de nature à faciliter la diminution de l'achalandage et à détourner la clientèle du portefeuille cédé et ce quand bien même il ne serait pas le bénéficiaire de ces détournements ou départ de clientèle. (')

La présente interdiction s'analyse pour le vendeur en l'obligation légale du vendeur vis-à-vis de l'acquéreur de non diminution de l'achalandage et de non détournement de la clientèle cédée telle qu'elle ressort des articles 16 25 et suivants du code civil et de la jurisprudence. (')

De manière générale, le vendeur s'engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour préserver les intérêts de l'acquéreur, notamment quant aux liens l'unissant à la clientèle.

Le vendeur assistera l'acquéreur jusqu'au 31 janvier 2017 à raison de 20 heures par mois afin de lui permettre de reprendre les mandats dans les mêmes conditions".

En mai 2017, suite à la résiliation de plusieurs mandats du portefeuille cédé, AKG-Immobilier est intervenu en sous-traitance sur cette clientèle.

En avril 2019, la société Perspective Gestion a reçu une lettre de résiliation, à date du 31 juillet 2019, des mandats gestion qui avaient été consentis par quatre propriétaires faisant partie des clients cédés par la société AKG - Immobilier en 2016, représentant 62 790, 87 euros HT d'honoraires annuels. Elle a peu après été informée par cette dernière que les intéressés lui avaient demandé de réaliser à nouveau des prestations à son profit.

Par acte du 13 mai 2020, la SAS Perspective Gestion a assigné la société AKG- Immobilier devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir des dommages-intérêts en raison de la violation de la garantie d'éviction due par le cédant au cessionnaire et de l'inexécution contractuelle de la clause d'interdiction de concurrence.

Par jugement du 28 février 2022, le tribunal de commerce de Paris a :

- Débouté la SAS Perspective Gestion de sa demande visant à la condamnation de la SARL AKG-Immobilier au paiement d'une somme de 313 954,35 euros à titre de dommages et intérêts ;

- Débouté la SAS Perspective Gestion de sa demande visant à la condamnation de la SARL AKG-Immobilier au paiement d'une somme de 53 024 euros, à titre de dommages et intérêts ;

- Déboute la SAS Perspective Gestion de sa demande visant à la condamnation de la SARL AKG-Immobilier au paiement d'une somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- Débouté la SAS Perspective Gestion de sa demande d'astreinte ;

- Débouté la SARL AKG-Immobilier de sa demande visant à la condamnation de la SAS Perspective Gestion en paiement d'une somme de 20 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- Condamné la SAS Perspective Gestion à payer à la SARL AKG-Immobilier la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;

- Condamné la SAS Perspective Gestion ayant pour nom commercial Etudes et Gestion Mirabeau- SEGM aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 23 mars 2022 la société Perspective Gestion a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 16 juin 2022, la société Perspective Gestion, demande à la Cour de :

Vu les articles 1134, 1142, 1145, 1147, 1152, 1625, 1626, 1628 anciens du code civil ;

Vu l'article L. 132-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

Vu les articles 515, 696 et 700 du code de procédure civile ;

Infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Condamner la SARL AKG-Immobilier à verser à la SAS Perspective Gestion la somme de 313.954,35 euros, à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2019 ;

Condamner la SARL AKG-Immobilier à verser à la SAS Perspective Gestion la somme de 53.024 euros, à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir ;

Condamner la SARL AKG-Immobilier à verser à la SAS Perspective Gestion la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Enjoindre à la SARL AKG-Immobilier de ne pas troubler l'exploitation paisible de la clientèle cédée par la sas perspective gestion sous astreinte de 1.500 euros par infraction constatée à compter de la notification de la décision à intervenir ;

Débouter la société AKG-Immobilier de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner la SARL AKG-Immobilier à verser à SAS Perspective Gestion la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 29 août 2022, la société AKG-Immobilier demande à la Cour de :

Vu les articles L. 1625 et suivants Code Civil,

Vu l'acte de cession en date du 26 juillet 2016,

Dire recevable et bien fondée la Société AKG-Immobilier en ses conclusions,

En conséquence,

- Confirmer le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Paris le 28 février 2022 en toutes ses dispositions,

- Débouter la société Perspective Gestion de son appel et de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- En tout état de cause, rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de la Société Perspective Gestion en constatant que la concluante n'a violé ni les dispositions des articles 1625 et suivants du code civil, ni les dispositions contenues à l'acte de cession,

Reconventionnellement,

- Condamner la Société Perspective Gestion à payer à la Société AKG-Immobilier la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- Condamner la Société Perspective Gestion à lui payer la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la Société Perspective Gestion aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2023.

Motivation

***

MOTIVATION

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

Sur la garantie légale d'éviction due par le cédant

Moyens des parties

La société Perspective Gestion soutient que la société AKG-Immobilier a violé la garantie légale d'éviction du contrat de cession en récupérant une partie de la clientèle cédée en 2016, étant entendu que la seule reprise de la clientèle cédée selon elle suffit à démontrer l'irrespect de la garantie d'éviction prévue à l'article 1625 du code civil.

Elle appuie sa démonstration sur les faits suivants :

- Il existe une concomitance des résiliations (les 23, 27 et 29 avril 2019), une forte similitude de ces courriers et leur prise d'effet est à la même date, le 31 juillet 2019 ;

- avant même la date de résiliation effective au 31 juillet 2019, la société AKG-Immobilier avait repris la gestion de ses quatre anciens clients et sollicitait dans plusieurs mails d'avril à juin 2019, la remise des clefs de leurs lots ainsi que des documents nécessaires à la gestion de leurs biens ;

- la société AKG-Immobilier utilise les mêmes numéros de référencements des lots que ceux qu'elle utilisait dans l'acte de cession de 2016, signe qu'elle n'aurait jamais renoncé à ses clients ;

- il est inopérant de prendre en compte la période de transition en 2016 pendant laquelle le cédant doit assister le cessionnaire ainsi que les quelques dossiers qu'elle a sous-traité à AKG-Immobilier en 2018 car cela ne remet pas en cause la violation par la société AKG-Immobilier de la garantie d'éviction par sa reprise des quatre propriétaires précédemment cédés. Selon Perspective Gestion, le tribunal a confondu les notions de clause de non-concurrence et de garantie légale d'éviction, cette dernière n'étant pas limitée dans le temps et ne nécessitant pas la preuve de manoeuvres ou d'une attitude déloyale de la part du cédant.

- la société AKG-Immobilier a selon Perspective Gestion continué de s'immiscer dans la relation client de son concessionnaire même après la délivrance de l'assignation. Elle allègue en ce sens que la société AKG-Immobilier était au courant avant elle de la résiliation des mandats de certains clients. Elle évoque aussi des incohérences dans la liste produite en première instance par la société AKG-Immobilier présentant des clients qui ont résilié leurs mandats sans rejoindre la cédante par la suite.

En réponse, la société AKG-Immobilier soutient que pour établir une violation de la garantie légale d'éviction du contrat de cession, il faut démontrer l'attitude déloyale et donc fautive de la société cessionnaire qui manoeuvre pour récupérer ses clients cédés. Or elle n'a pas manqué à son obligation de loyauté, a toujours agi dans l'intérêt du cessionnaire, et n'a pas démarché ses anciens clients qui sont revenus vers elle de leur plein gré.

Elle fait notamment référence à :

- Ses interventions au-delà de la durée contractuelle prévue par l'acte de cession exigeant que le cédant intervienne 20 heures par mois pendant 6 mois à titre d'assistance dans la cession de la clientèle ;

- Les conseils apportés dès le 28 octobre 2016 à la demande de la société Perspective Gestion qui rencontrait des difficultés avec l'un des clients générant le plus gros chiffre d'affaires du cabinet ;

- L'aide apportée à partir de mai 2017 alors que la société Perspective Gestion faisait face à une vague de résiliation, en acceptant de prendre en sous-traitance certains des clients à la demande de la société cessionnaire, ou directement à la demande des clients qui en avertissaient la société Perspective Gestion. Elle affirme qu'à chaque fois qu'elle a été sollicitée, elle a tout mis en oeuvre pour que la société Perspective Gestion conserve sa clientèle.

Elle allègue, produisant plusieurs emails à l'appui, que les clients de la société Perspective Gestion faisaient remonter leurs griefs aussi bien à la société AKG-Immobilier qu'à la société Perspective Gestion, et qu'ainsi cette dernière ne peut pas prétendre ne pas avoir pu anticiper le départ de certains de ses clients mécontents. A titre d'exemple, elle fait référence à un échange du 3 octobre 2018 dans lequel un des quatre propriétaires qui a résilié son mandat en avril 2019, informe la société Perspective Gestion que "si la situation n'est pas redressée, il sera contraint de résilier ses mandats de gestion" (pièce 43), ou encore à un échange du 11 janvier 2019 dans lequel un propriétaire l'informe qu' "après avoir hésité, je ne le cache pas à le transférer à AKG" (pièce n°45). Elle souligne que malgré l'aide qu'elle a apporté pour apaiser les relations entre les clients et le cessionnaire, des litiges subsistaient : problèmes liés à la gestion quotidienne (hors les dossiers contentieux - sinistres - rédaction des baux), tel que le traitement des comptes rendus de gestion, des taxes foncières et problèmes de relations avec les collaborateurs de la société Perspective Gestion.

La société AKG-Immobilier soutient qu'elle n'est pas intervenue dans les quatre résiliations d'avril 2019 et que la société Perspective Gestion ne peut donc pas lui reprocher d'avoir violé la garantie légale d'éviction à ce titre. Elle dit ne pas être à l'origine de manoeuvres, cette allégation n'étant appuyé sur aucun élément sérieux. Les résiliations s'expliquent selon elle par les défaillances de la société Perspective Gestion et non par l'immixtion de la société AKG-Immobilier dans ses relations clients. Elle ajoute que :

- un certain nombre de clients, dont elle verse la liste, ont résilié leurs mandats de gestion sans pour autant les confier à la société AKG-Immobilier ;

- la vague de résiliation d'avril 2019 a été précédée par une vague de résiliation en mai 2017 durant laquelle le cessionnaire a demandé à la société AKG-Immobilier d'intervenir en tant que sous-traitant ;

- les quatre lettres de résiliation d'avril 2019 ne sont pas semblables ;

- d'autres résiliations ont été effectuées par les propriétaires entre le 2ème et le 3ème trimestre 2019, ce qui démontre que ces dernières sont arrivées non pas en même temps mais à la même période pour tenir compte du délai de préavis prévu par le mandat de gestion, résiliable trois mois avant le 31 juillet de chaque année. La société Perspective Gestion prétend à tort que le mandat est révocable à tout moment par le client, alors qu'AKG-Immobilier a créé pour elle un accès au site [L] qui propose des mandats résiliables à date anniversaire (pièce n°49).

La société AKG-Immobilier allègue qu'il est normal qu'elle ait anticipé la reprise des quatre clients en sollicitant les documents nécessaires à la gestion de leurs biens avant l'expiration de l'ancien mandat le 31 juillet 2019, afin d'être immédiatement opérationnelle au 1er août 2019. Elle rappelle que lors de la cession de 2016, les choses avaient été également anticipées puisque l'ensemble des propriétaires avaient été avertis du changement de gestionnaire par lettre avant la cession effective en août 2016. Elle conteste l'argument adverse tenant à l'utilisation d'une numérotation identique des dossiers, en expliquant que cela est dû au transfert de données informatiques réalisées par la société Gercop, logiciel utilisé par les deux parties. Elle conclut qu'elle n'a jamais démarché ses anciens clients et que ce sont eux qui ont décidé de faire à nouveau appel à la société AKG-Immobilier. Elle verse à l'appui des attestations de trois propriétaires qui certifient ne pas avoir été démarché et avoir rejoint de leur propre gré la société AKG-Immobilier.

Réponse de la Cour

Prévue aux articles 1626 et suivants du code civil, la garantie d'éviction a pour objet d'assurer à l'acquéreur "la possession paisible de la chose vendue" après la délivrance de celle-ci.

Dans les cessions de fonds de commerce, le cédant est soumis à deux obligations mise à sa charge à ce titre. Il doit s'abstenir de tout fait portant atteinte au droit et à la jouissance de l'acquéreur et notamment de lui faire concurrence (garantie du fait personnel) et il doit protéger le cessionnaire contre les troubles de droit provenant d'un tiers (garantie contre les tiers).

La garantie du fait personnel, qui n'est pas limitée dans le temps, interdit notamment au vendeur les troubles de fait. Ce dernier ne peut accomplir des faits qui portent atteinte à la propriété de l'acquéreur qui auraient été licites s'ils avaient été commis par un tiers et il doit notamment s'abstenir de tout acte de nature à détourner la clientèle du fonds cédé. Ainsi, la garantie légale d'éviction lui fait interdiction de se livrer à tout agissement tendant à reprendre la clientèle du fonds cédé (Cass. Com. 16 janvier 2001, n°98-21.145 P)

Le tribunal en a à raison déduit, dans la décision attaquée, d'une part, que la garantie d'éviction interdisait au cédant de s'intéresser à la clientèle d'administration de biens cédée et que ce dernier devait s'abstenir de troubler l'exploitation de celle-ci, et d'autre part, que le non-respect de ces règles supposait l'accomplissement d'actes fautifs, qu'il incombait à la société Perspective Gestion prouver.

Le tribunal a retenu ensuite de façon adéquate, au vu des éléments soumis aux débats :

- que l'assistance au transfert de clientèle se limitait en l'espèce à 20 heures par mois pendant 6 mois, et que c'est à la demande de l'acquéreur que AKG Immobilier est intervenu à de multiples reprises, bien au-delà de cette date, en raison de difficultés et de doléances des clients et qu'il s'en suit que l'allégation de captation de clientèle doit s'analyser dans ce contexte de sollicitations réitérées de l'acquéreur et de conservation par le cédant, en toute connaissance de cause du cessionnaire, d'une carte professionnelle permettant la poursuite d'activités identiques visées par la loi Hoguet du 2 janvier 1970 ;

- qu'aucune manoeuvre visant à organiser la dénonciation de quatre mandats cédés trois ans auparavant n'est démontrée ;

- qu'il est établi à l'inverse que cette opération s'est effectuée dans le contexte d'une désorganisation manifeste de la gestion de certains mandats par Perspective Gestion en 2017 et 2018 et de réclamation de divers propriétaires.

La Cour, au vu des attestations circonstanciées de trois des propriétaires ayant résilié leur mandat en avril 2019 (pièces AKG Immobilier n°52, 53 et 54) retient, après le tribunal et que c'est en raison de la gestion déficiente des mandats par la société Mirabeau (devenue Perspective Gestion) que les intéressés ont, de leur propre gré, résilié leur mandat. L'appelante échoue donc démontrer qu'AKG Immobilier a commis en l'espèce un acte de nature à détourner la clientèle du fonds cédé.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur l'inexécution de la clause "interdiction de concurrence" de l'acte de cession et le manquement à l'obligation d'exécuter les conventions de bonne foi

Exposé des moyens

La société Perspective Gestion se prévaut de la clause d'interdiction de concurrence (reproduite dans l'exposé des faits), en soulignant que la société AKG-Immobilier l'a accepté en toute connaissance de cause lors de la signature du contrat de cession. Cette clause a selon elle une portée raisonnable dès lors qu'elle s'applique exclusivement à la clientèle cédée.

Elle considère démontré l'irrespect par la société AKG-Immobilier de cette clause, en raison de la concomitance des résiliations de quatre clients, leur prise d'effet à une date identique, les similitudes de rédaction des lettres de résiliation, le fait que ces quatre anciens clients de la société AKG-Immobilier se soient tous à nouveau adressés à elle, et l'empressement de celle-ci à récupérer les éléments nécessaires à la gestion de leurs biens avant même la date de résiliation effective des mandats. La société Perspective Gestion soutient qu'en retenant que les manoeuvres de la société AKG-Immobilier n'ont pas été suffisamment démontrées, alors même que ladite société a récupéré certains de ses anciens clients, le tribunal prive de sa substance la clause de non-concurrence ainsi que le contrat de cession, qui n'a d'intérêt que si le cédant ne récupère pas la clientèle cédée.

S'agissant de l'obligation de loyauté et d'exécution des conventions de bonne foi, Perspective Gestion fait valoir qu'AKG-Immobilier n'a pas cherché à préserver les intérêts de la cessionnaire en man'uvrant pour capter sa clientèle et en sollicitant les éléments nécessaires à la gestion des biens des clients qu'elle a récupéré, avant même la résiliation effective des mandats de gestion. Cela s'est traduit également selon elle par l'immixtion de la société AKG-Immobilier dans les relations clients de la société cessionnaire et ce même après son assignation. Elle précise à ce titre qu'un client cédé a retiré deux mandats soi-disant en raison d'une gestion familiale alors que la locataire de leurs biens a réglé les loyers au dirigeant d'AKG-Immobilier.

En réponse, la société AKG-Immobilier fait valoir (sans formuler de demande en lien) que la clause d'interdiction de concurrence du contrat de cession du 26 juillet 2016 n'est pas valide car l'interdiction de concurrence n'est limitée ni dans le temps ni dans l'espace.

En tout état de cause, elle soutient que cette clause ne constitue qu'un simple rappel des articles 1625 et suivants du code civil, et qu'elle ne lui interdit pas d'exercer l'activité d'administrateur de biens. Elle fait valoir que si elle a continué à s'intéresser à la clientèle cédée, c'était à la demande et en plein accord avec la société Perspective Gestion, comme précédemment démontré. Elle souligne que la société Perspective Gestion ne rapporte pas la preuve de son attitude déloyale dans la reprise de son ancienne clientèle, ce qui est pourtant nécessaire pour démonter une violation de la clause. Elle dit avoir été loyale dans l'exécution du contrat de cession et n'avoir jamais démarché ses anciens clients qui l'ont rejoint d'eux-mêmes à la suite de nombreuses défaillances de la société Perspective Gestion.

Réponse de la Cour

En application de l'article 1622 et 1628 du code civil, les parties peuvent, par des conventions particulières, ajouter à la garantie d'éviction du fait personnel.

Il doit cependant être constaté qu'en l'espèce, la clause intitulée "interdiction de concurrence" n'est pas une clause de non concurrence par laquelle, ajoutant à la loi, le vendeur du fonds de commerce s'engagerait à ne pas exploiter une activité similaire pendant un certain temps à proximité du fonds cédé.

Le vendeur s'interdit, par cette clause, de s'intéresser à la clientèle cédée. Il peut toutefois conserver des relations professionnelles avec elle. Il s'ensuit qu'il s'agit en substance d'une reprise des disposition légales, ainsi qu'il est au demeurant expressément mentionné : "la présente interdiction s'analyse pour le vendeur en l'obligation légale du vendeur vis-à-vis de l'acquéreur de non diminution de l'achalandage et de non détournement de la clientèle cédée telle qu'elle ressort des articles 1625 et suivants du code civil et de la jurisprudence".

Or, comme il vient d'être jugé, Perspective Gestion ne caractérise aucun manquement de l'acquéreur ayant conduit à une diminution de l'achalandage et au détournement de la clientèle cédée. Cette dernière a quitté AKG-Immobilier pour des raisons tenant à la gestion de ce dernier, qui ne la satisfaisait pas, ainsi qu'il ressort des attestations produites qui pointent de façon convergente ses "nombreuses défaillances", un "mécontentement (formulé) oralement et par écrit", "de nombreuses erreurs dans la gestion", des "incompétences dans plusieurs dossiers compliqués"')

L'appelante n'établit pas non plus en quoi le vendeur n'aurait pas été loyale dans l'exécution du contrat, et n'aurait pas veillé préserver les intérêts de l'acquéreur, notamment quant aux liens l'unissant à la clientèle.

Il se déduit de l'ensemble que le jugement attaqué, qui a retenu qu'AKG immobilier n'avait pas violé ses obligations contractuelles, est confirmé.

Sur les autres demandes

Le sens de l'arrêt commande de débouter l'appelante de ses demandes indemnitaires et de sa demande de cessation des manoeuvres.

L'intimée ne démontre pas que le droit d'agir en justice a en l'espèce dégénéré en abus. La demande reconventionnelle formulé sur ce fondement est rejetée.

Perspective Gestion, qui succombe, sera condamnée aux dépens.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société AKG-Immobilier les frais irrépétibles qu'elle a engagés pour faire valoir ses droits en justice. L'appelante sera donc conséquence à lui verser la somme supplémentaire de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 28 février 2022 en ses dispositions qui lui sont soumises ;

Y ajoutant,

Condamne la société Perspective Gestion aux dépens d'appel ;

Condamne la société Perspective Gestion à verser à la société AKG - Immobilier la somme supplémentaire de 6 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.