CA Limoges, ch. civ., 3 avril 2024, n° 23/00084
LIMOGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Du Reynard (EARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Balian
Conseillers :
M. Soury, Mme Seguin
Avocats :
Me Dauriac, Me Raynal, Me Castille
Exposé du litige
LA COUR
FAITS ET PROCÉDURE
Le 14 septembre 2019, l'EARL DU REYNARD, gérée par M. [X] [H], a acquis auprès de M. [K] [P], une pelle mécanique Kobelco SK 45 SR-2 de 2003 avec trois godets et une clé attache rapide pour un prix de 8 000 euros.
À la suite d'avaries mécaniques, l'EARL a saisi son assureur de protection juridique qui a mandaté son expert, puis cette entreprise a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Limoges, qui le 9 décembre 2020 a ordonné une expertise confiée à M. [C], lequel a déposé son rapport le 14 juin 2021.
Au vu de ce rapport, l'EARL a assigné, le 16 février 2022, M. [P] devant le tribunal judiciaire de Limoges en réparation de son préjudice sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Par jugement du 16 décembre 2022, le tribunal judiciaire a débouté l'EARL de son action, après avoir retenu l'absence de vice caché.
L'EARL a relevé appel de ce jugement.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
L'EARL conclut à la condamnation de M. [P] à lui payer 6 191,74 euros représentant le montant total du coût des réparations de la pelle mécanique, tel que chiffré par l'expert judiciaire, ainsi que des dommages-intérêts pour résistance abusive. Cette entreprise fait valoir que la pelle mécanique était affectée, à la date de sa vente, de divers vices cachés portant sur la batterie, le démarreur, les décanteur et filtre à carburant et le réducteur d'entraînement d'une chenille, qui rendaient cet engin inutilisable.
M. [P] conclut à la confirmation du jugement, et subsidiairement, il demande que sa garantie soit limitée au montant de 1 165,63 euros TTC compte tenu de l'usage qui a été fait de l'engin par l'EARL.
Motivation
MOTIFS
L'action estimatoire de l'EARL est fondée sur la garantie des vices cachés (articles 1641 et suivants du code civil).
La pelle mécanique a été vendue à l'EARL par M. [P]. Même si ce dernier est le dirigeant d'une société Vendée Mobil Home, il doit être considéré comme un vendeur non averti, sauf preuve d'une compétence particulière en matière de mécanique des engins de chantier, non rapportée en l'espèce.
La pelle mécanique vendue a été fabriquée en 2003 et totalise 10157 heures d'utilisation. Le père du vendeur l'avait acquise d'occasion et elle n'a fait l'objet d'aucun entretien particulier (rapport d'expertise judiciaire p. 6).
L'acheteur a pu sommairement essayer l'engin préalablement à la vente et aucun problème de fonctionnement n'a été décelé à cette occasion (rapport d'expertise p.6). Aucun carnet d'entretien n'a été remis à l'EARL au moment de la vente.
En présence d'un engin de chantier, comme tel soumis à des contraintes mécaniques sévères, qui lui était vendu d'occasion sans justificatif d'entretien, il incombait à l'acheteur, même non averti comme en l'espèce, de s'entourer des précautions d'usage impliquant notamment la vidange du système hydraulique et la vérification de ses organes principaux (absence de fuites, état des flexibles et des joints en particulier), ce dont il n'est pas justifié.
Les désordres mécaniques dont se plaint l'EARL peuvent être répartis en deux catégories:
- ceux ayant empêché la mise en route de la pelle mécanique et qui touchent la batterie et le démarreur,
- ceux ayant entravé le bon fonctionnement de l'engin et qui touchent les décanteur et filtre à carburant et le réducteur d'entraînement d'une chenille.
La batterie correspond à une pièce sujette à vieillissement dont la défaillance prématurée peut survenir après une période de non- usage. Cette défaillance ne peut être considérée comme un vice dès lors qu'elle porte sur une pièce périphérique d'usage qui doit être, en tout état de cause, remplacée à intervalle régulier (tous les 4 ou 5 ans selon l'expert judiciaire: rapport p. 14). Le coût de remplacement de la batterie restera donc à la charge de l'EARL.
Il est constant que le démarreur de la pelle mécanique vendue a été remplacé et que le coût de ce remplacement, objet d'une facture de l'Atelier limousin du 15 novembre 2019 d'un montant de 668,24 euros TTC, a été pris en charge par le vendeur, M. [P]. Il s'ensuit que l'EARL ne peut prétendre à aucune indemnisation au titre du démarreur.
Le décanteur d'eau et le filtre à carburant sont des pièces d'usage soumises à remplacement à intervalles réguliers dans le cadre de l'entretien normal de l'engin. En l'occurrence, l'absence de décanteur d'eau et la présence d'un filtre à carburant inadapté n'ont eu pour conséquence que de rendre un peu plus difficile le démarrage de la pelle mécanique (contribuant ainsi à la dégradation du démarreur et de la batterie) et de provoquer une légère perte de puissance du moteur, sans compromettre l'utilisation de l'engin (rapport d'expertise judiciaire p. 15). Comme tels, ces défauts ne sont pas constitutifs de vices cachés susceptibles d'ouvrir droit à indemnisation au profit de l'EARL.
S'agissant enfin de la défaillance du réducteur de la chenille gauche, qui a pour conséquence de rendre la pelle inutilisable, l'expert explique que cette défaillance trouve son origine dans un manque total d'huile dans le système hydraulique de lubrification de cette pièce, par suite de l'absence d'un suivi d'entretien, rappelant à cet égard que le niveau d'huile doit être contrôlé toutes les 250 heures et vidangé toutes les 500 heures selon les prescriptions du constructeur (rapport d'expertise judiciaire p. 11, 13, 14 et 15).
Cette absence d'huile remonte à plusieurs années et apparaît antérieure à la vente en l'état de la corrosion relevée par l'expert judiciaire dans le réducteur concerné (rapport p. 13). Cette absence d'huile a entraîné la dégradation des joints qui ont séché au point de ne plus remplir leur office d'étanchéité, mais aussi la très rapide destruction des pièces en mouvement et en friction, qui n'étaient pas lubrifiées, lors de la première utilisation intensive de la pelle mécanique par l'EARL (arrachage de souches d'arbres lors de travaux de terrassement).
Le défaut d'huile par suite du défaut d'entretien imputable à M. [P], vendeur non averti, ne peut être qualifié de vice caché alors qu'il incombait à l'acheteur, même non averti, en présence d'un engin d'occasion vendu sans carnet d'entretien, de s'entourer des précautions d'usage impliquant le contrôle du niveau d'huile avant la première utilisation.
Il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté l'EARL de son action estimatoire.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La Cour d'appel statuant par décision contradictoire, mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement rendu le 16 décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Limoges;
CONDAMNE L'EARL DU REYNARD à payer à M. [K] [P] une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
CONDAMNE L'EARL DU REYNARD aux entiers dépens.