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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 2 avril 2024, n° 22/04428

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sotibat Betons Décoratifs (SARL)

Défendeur :

Unibeton (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fallenot

Conseillers :

M. Adrian, Mme Segond

Avocats :

Me Guyot, Me Dizier, Me Canal, Me Le Roy, Me Martins Schreiber

TJ Senlis, du 1 juill. 2022

1 juillet 2022

DECISION :

Suivant devis du 26 novembre 2020, la SARL Sotibat bétons décoratifs (la société Sotibat) s'est vue confier la réalisation de la terrasse avant d'une maison individuelle appartenant à Mme [R] [P] et M. [Y] [E], comprenant notamment un terre-plein central et une contre-allée en béton désactivé, pour un prix de 7 687,46 euros TTC.

La société Sotibat s'est approvisionnée en béton auprès de la société Unibéton.

Les travaux ont débuté le 8 mars 2021 avec la démolition, le décaissement et la pose du treillis soudé.

Le coulage du béton est intervenu le 19 mars 2021.

Ayant immédiatement constaté l'apparition de trous, puis peu de temps après celle de fissures, Mme [P] et M. [E] ont sollicité l'intervention de la société Sotibat, laquelle a mis en cause la qualité du béton fourni par la société Unibéton.

Les échanges entre les parties n'ont pas permis de parvenir à un accord.

Par courrier recommandé du 28 avril 2021, adressé en copie à la société Unibéton, Mme [P] et M. [E] ont mis la société Sotibat en demeure de reprendre les travaux à ses frais ou de les indemniser à hauteur de 6 918,72 euros, somme correspondant au règlement déjà effectué.

Par courrier recommandé du 1er juillet 2021, ils l'ont mise en demeure de les indemniser à hauteur de 7 612,50 euros HT soit 8 373,75 euros TTC, correspondant au coût des travaux à réaliser pour remettre en état les désordres.

N'ayant pas obtenu satisfaction, Mme [P] et M. [E] ont fait assigner la société Sotibat par acte du 26 novembre 2021 devant le tribunal judiciaire de Senlis.

Par acte du 4 février 2022, la société Sotibat a attrait la société Unibéton en intervention forcée aux fins d'obtenir sa garantie. 

Par jugement rendu le 1er juillet 2022, le tribunal judiciaire de Senlis a :

Dispositif

Déclaré recevable l'action de Mme [R] [P] ;

Débouté Mme [R] [P] et M. [Y] [E] de leurs demandes de résolution du contrat et d'exécution forcée ;

Condamné la société Sotibat à verser à Mme [R] [P] et M. [Y] [E] la somme de 4 000 euros au titre d'une réduction supplémentaire du prix en sus de la remise de 968,74 euros déjà accordée ;

Condamné la société Sotibat à verser à Mme [R] [P] et M. [Y] [E] une indemnité de 1 000 euros au titre de leur préjudice moral ;

Débouté Mme [R] [P] et M. [Y] [E] du surplus de leurs demandes ;

Débouté la société Sotibat de son appel en garantie formé à l'encontre de la société Unibéton et Mme [R] [P] et M. [Y] [E] de leur demande de condamnation de la société Unibéton à garantir la société Sotibat de toutes les condamnations prononcées ;

Débouté la société Sotibat de sa demande de délais de paiement ;

Condamné la société Sotibat à verser à Mme [R] [P] et M. [Y] [E] une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejeté le surplus de la demande de Mme [R] [P] et M. [Y] [E] ;

Condamné la société Sotibat à verser à la société Unibéton une indemnité de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejeté le surplus de la demande de la société Unibéton ;

Débouté la société Sotibat de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Condamné la société Sotibat aux dépens.

Par déclaration du 26 septembre 2022, la société Sotibat a relevé appel de l'ensemble des chefs de cette décision, à l'exception de ceux ayant :

-débouté Mme [R] [P] et M. [Y] [E] de leurs demandes de résolution du contrat et d'exécution forcée ;

-débouté Mme [R] [P] et M. [Y] [E] du surplus de leurs demandes ;

-rejeté le surplus de la demande de Mme [R] [P] et M. [Y] [E] d'une part, de la société Unibéton d'autre part, au titre de leurs frais irrépétibles.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par le RPVA le 14 septembre 2023, la société Sotibat demande à la cour de :

Réformer la décision déférée en ces chefs dévolus à la cour ;

Et, statuant de nouveau, de :

- Déclarer Mme [P] irrecevable en ses demandes ;

A titre principal :

- Débouter les « consorts » [E] de leur appel incident,

- Les débouter de toutes leurs demandes,

- Les condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Les condamner aux dépens,

- Débouter la société Unibéton de son appel incident,

- Débouter la société Unibéton de toutes ses demandes,

A titre subsidiaire :

- Condamner la société Unibéton à garantir la société Sotibat de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son égard,

- La condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- La condamner aux dépens,

A titre infiniment subsidiaire :

- Accorder à la société Sotibat les plus larges délais pour régler la condamnation mise à sa charge par le juge.

Par conclusions régularisées par le RPVA le 26 juin 2023, les époux [E] [P] demandent à la cour de :

- Dire et juger Mme [R] [P] et M. [Y] [E] tant recevables que bien fondés en leurs demandes ;

- Confirmer le jugement rendu le 1er juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Senlis en ce qu'il a :

- condamné la SARL Sotibat à verser à Mme [R] [P] et M. [Y] [E] une indemnité de 1 000 euros au titre de leur préjudice moral ;

- condamné la SARL Sotibat à verser à Mme [R] [P] et à M. [Y] [E] une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Puis, à titre principal :

Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [R] [P] et M. [Y] [E] de leurs demandes de résolution du contrat et d'indemnisation du coût des reprises ;

- Statuant à nouveau :

Ordonner la résolution judiciaire du contrat ;

Condamner la SARL Sotibat à verser à Mme [P] et M. [E] une somme de 8 373,75 euros au titre des travaux de démolition et de reconstruction de la terrasse ;

- À titre subsidiaire :

Pour le cas où la cour de céans n'ordonnerait pas la résolution judiciaire du contrat :

- Confirmer la décision en ce qu'elle a condamné la SARL Sotibat à verser à Mme [R] [P] et M. [Y] [E] la somme de 4 000 euros au titre d'une réduction supplémentaire du prix en sus de la remise de 968,74 euros déjà accordée ;

- En tout état de cause :

- Condamner la SARL Sotibat à verser à Mme [R] [P] et à M. [Y] [E] une somme supplémentaire de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

- Condamner la SARL Sotibat aux entiers dépens d'appel.

Par conclusions notifiées par le RPVA le 20 juillet 2023, la société Unibeton demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- débouté la société Sotibat de son appel en garantie dirigé à l'encontre de la société Unibéton ;

- débouté Mme [P] et Mr [E] de leur demande tendant à la voir condamnée à garantir la société Sotibat de toutes condamnations ;

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné la société Sotibat à verser à la société Unibéton la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau,

- débouter les parties de toute demande formée à l'encontre de la société Unibéton ;

- condamner la société Sotibat à verser à la société Unibéton la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance ;

- condamner la société Sotibat à verser à la société Unibéton la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais d'appel ;

- condamner la société Sotibat aux entiers dépens.

Par message RPVA du 14 février 2024, la cour a demandé aux parties, sur le fondement de l'article 12 du code de procédure civile et de l'article 1217 du code civil, de lui présenter leurs observations, par une note en délibéré chacune à adresser par le RPVA avant le 21 février 2024 à 14h00, sur l'interprétation à donner à la prétention des époux [E] [P] de prononcé de la résolution du contrat, seuls des dommages et intérêts afin de réparer les conséquences de l'inexécution étant sollicités, à l'exclusion de toute demande en restitution du prix.

Par message RPVA du 16 février 2024, les époux [E] [P] ont répondu qu'ils ne pouvaient solliciter à la fois solliciter la restitution du prix et l'indemnisation totale sur la base du devis de reprise, ce qui reviendrait à une double indemnisation de leur préjudice. Ils ont conclu que la somme demandée avait vocation à réparer à réparer la totalité du préjudice qu'ils avaient subi au titre des travaux de démolition et de reconstruction de la terrasse.

Par message RPVA du 19 février 2024, la société Sotibat a soutenu que les époux [E] [P] n'avaient formulé aucune demande de restitution et que statuer sur cette question reviendrait à statuer ultra petita.

Par message RPVA du 20 février 2024, la société Unibéton a indiqué que « si la demande en résolution du contrat n'est pas possible comme le précisent les « consorts » [P] [E] et n'est pas suivie d'une demande en restitution du prix, (') aucune résolution du contrat ne peut être ordonnée par la Cour comme sollicité à titre principal ». Il ne peut donc qu'être statué que sur la demande subsidiaire de réduction du prix. Si la cour estimait que les sanctions de résolution du contrat et de réparation des conséquences de l'inexécution étaient compatibles, la société Unibéton sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté les « consorts » [P] [E] de leur demande de résolution du contrat.

SUR CE

A titre préliminaire, il convient d'indiquer qu'il ne sera pas répondu à la formule de style figurant dans le dispositif des écritures des époux [E] [P] portant sur la recevabilité des demandes de M. [E], alors qu'aucune irrecevabilité n'a été soulevée.

1. Sur la recevabilité des demandes de Mme [P]

La société Sotibat plaide que le devis n'a été établi qu'au nom de M. [E], qui est donc seul partie au contrat et seul « fondé » à solliciter la réparation du préjudice qu'il prétend avoir subi. La solidarité matrimoniale n'est pas applicable à ce contrat, conclu avant le mariage de M. [E] et Mme [P]. Le fait que la facture ait été adressée à Mme [P] en plus de M. [E] constitue un élément parfaitement indifférent, cette facture ne constituant pas un document contractuel mais un document comptable.

Les époux [E] [P] font valoir que les demandes de Mme [P] sont recevables, quand bien même le devis n'a été établi qu'au nom de M. [E], pour des raisons propres à la société Sotibat. En effet, c'est bel et bien le couple qui a mandaté la société Sotibat, le bien ayant été acquis en indivision par acte du 20 mars 2017, à une époque où il était encore pacsé. La facture adressée par la société Sotibat le 25 avril 2021 est d'ailleurs établie à l'ordre de M. et Mme [E].

Sur ce,

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Aux termes des articles 6 et 9 du code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.

Le contrat d'entreprise, autrement appelé marché de travaux, est un contrat de louage d'ouvrage au sens de l'article 1779 du code civil. Sa formation n'exige aucune forme particulière. Il peut être verbal ou écrit. Sa preuve est rapportée conformément aux règles du droit commun.

En l'espèce, la société Sotibat ne saurait se prévaloir du fait que Mme [P] n'a pas signé le devis du 26 novembre 2020 pour prétendre qu'elle serait irrecevable à agir à son encontre, alors que sa qualité de cocontractante au contrat se déduit de son accord pour l'exécution et le paiement des travaux, puis du suivi du litige qu'elle a assuré, en sa qualité de copropriétaire de l'immeuble.

C'est de manière parfaitement pertinente que le premier juge a déclaré son action recevable. Sa décision sera confirmée de ce chef.

2. Sur la demande de résolution du contrat et ses conséquences

2.1 Sur la gravité de l'inexécution

Les époux [E] [P] reprochent au tribunal de ne pas avoir prononcé la résolution du contrat, soulignant qu'une prestation aussi insatisfaisante que celle de la société Sotibat ne peut être considérée comme valablement réalisée. Ils rappellent que l'entrepreneur est tenu vis-à-vis du maître de l'ouvrage d'une obligation de résultat. Ils plaident que les désordres ne sont pas seulement esthétiques, soutenant que même dans cette hypothèse, ils n'en justifieraient pas moins qu'une réparation soit accordée. En réalité, le béton mis en 'uvre est d'une qualité insuffisante, de sorte qu'il ne cesse de se désagréger, occasionnant des trous relativement importants, des fissures et des irrégularités. Pour parvenir à un résultat esthétique, fonctionnel et durable, ils devront faire procéder à l'enlèvement de l'existant, avant de faire poser un nouveau béton. Ils produisent des devis qui permettent de chiffrer leur préjudice.

Si par impossible la cour ne devait faire droit à leur demande de résolution, les époux [E] [P] demandent la confirmation de la décision du tribunal judiciaire de Senlis s'agissant de l'octroi d'une réduction de prix à hauteur de 4 000 euros supplémentaires, en sus de la remise de 968,74 euros d'ores et déjà accordée.

La société Sotibat argue en réponse que la décision prise par le juge de réduire le prix de 4 000 euros apparaît disproportionnée au regard des manquements reprochés. A l'inverse, la remise qu'elle a déjà consentie aux époux [E] [P], à hauteur de 968,74 euros, est conforme à la faible gravité du désordre subi. Elle ajoute que l'esthétisme des travaux n'est pas entré dans le champ contractuel.

Sur ce,

Aux termes de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;

- obtenir une réduction du prix ;

- provoquer la résolution du contrat ;

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.

En l'espèce, dès le 20 mars 2021, les maîtres d'ouvrage ont fait part de leurs doléances, portant sur l'apparition de trous dans leur terrasse, un béton qui s'effrite et des fibres qui ressortent.

Le constat d'huissier qu'ils ont fait établir le 18 mai 2021 met de même en évidence de multiples défauts de surface ainsi que l'existence de différences de couleurs par zones aléatoires.

La société Sotibat a elle-même admis le caractère insatisfaisant des travaux réalisés, particulièrement dans un courriel adressé à la société Unibéton du 11 avril 2021, rédigé en ces termes :

« Comme je vous l'ai indiqué, de nombreux défauts sont apparus après lavage de la surface (trous dans la surface du fait du détachement de « boules » de fibres, inégalités au niveau de l'agglomération ' prise cimentaire inégale du fait semble-t-il d'un malaxage insuffisant du mélange, déchaussement ponctuel du granulat en raison de l'absence de prise cimentaire à certains endroits).

Le client nous a indiqué qu'il ne procéderait pas à la réception du chantier et souhaite la démolition puis la réalisation d'une nouvelle terrasse (demande qui me paraît justifiée au vu du résultat visuel).

L'incidence financière d'une réfection totale de la dalle peut être évaluée de la manière suivante : démolition évacuation : 2 500 euros ' terrassement et mise en 'uvre de nouvelles lignes de pavés, à l'identique de ce qui a été précédemment réalisé et coulage puis désactivation et lavage : 5 500, soit une incidence totale de 8 000 euros TTC (hors fourniture du béton donc). »

Il ressort sans aucune ambiguïté de ces propos que la société Sotibat a parfaitement conscience de l'ampleur de son inexécution contractuelle, laquelle excède largement un simple préjudice esthétique.

Elle a elle-même chiffré la reprise du chantier à 8 000 euros, hors coût du béton, alors que son devis se montait à 7 687,46 euros, coût du béton compris, ce qui vient corroborer les devis de réparation produits par les époux [E] [P] à hauteur de 8 250 euros TTC pour le devis Electraux du 27 juin 2021 et de 8 373,75 euros TTC pour le devis Vila rénovation du 28 juin 2021.

Si les époux [E] [P] sollicitent dans leurs écritures « la résolution du contrat », leur prétention doit en réalité s'interpréter, en l'absence de demande en restitution du prix, en une demande de réparation des conséquences de l'inexécution.

Il convient en conséquence de condamner la société Sotibat à payer aux époux [P] [E] la somme de 8 250 euros TTC à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice matériel. La décision entreprise sera réformée en ce sens.

2.2 Sur la demande de délais de paiement

La société Sotibat demande des délais de paiement en se prévalant de sa bonne foi.

Les époux [E] [P] considèrent que cette demande est purement dilatoire, et soulignent qu'elle n'est justifiée par aucun élément permettant de conclure que la société Sotibat serait en difficulté financière.

Sur ce,

Aux termes de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

En l'espèce, la société Sotibat ne justifie aucunement que sa situation financière nécessite l'octroi de délais de paiement.

La décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande.

2.3 Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral

La société Sotibat considère que le préjudice moral des époux [E] [P] n'est pas caractérisé et qu'il ne peut être fait droit à leur demande de ce chef.

Les époux [E] [P] plaident que la situation a engendré pour eux une situation de stress, à tel point que Mme [E] s'est vue prescrire des antidépresseurs pendant plusieurs mois.

Sur ce,

La mauvaise réalisation des travaux a nécessairement causé des désagréments et des contrariétés aux époux [E] [P], lesquels ont multiplié les vaines démarches pour obtenir un règlement amiable du litige avant de se trouver contraints d'agir en justice, étant observé la concomitance avec le placement de Mme [P] sous traitement antidépresseur, selon les prescriptions versées aux débats établies entre le 29 mars 2021 et le 19 janvier 2022, et l'inexécution contractuelle reprochée à la société Sotibat.

La décision entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a accordé aux époux [E] [P] la somme de 1 000 euros en réparation de leur préjudice moral.

3. Sur l'appel en garantie de la société Unibéton

La société Sotibat demande la condamnation de la société Unibéton à la garantir de toute éventuelle condamnation contre elle. Elle soutient qu'elle rapporte la preuve d'une cause étrangère, tirée de la mauvaise qualité du béton livré. Or la société Unibéton était tenue de lui livrer un béton dont la qualité ne pouvait être inférieure à ses attentes légitimes. Il est de jurisprudence constante qu'une norme AFNOR n'a de valeur impérative entre les parties que si elle est expressément visée dans le corps du contrat.

La société Unibéton a d'ailleurs reconnu implicitement sa responsabilité puisqu'elle a consenti à la société Sotibat, une indemnisation d'un montant de 2 000 euros.

Elle a en outre reconnu que les défauts proviennent d'une mauvaise incorporation des fibres au béton. L'erreur de malaxage dont était affectée la seconde livraison de béton n'était pas détectable avant la pose. La compromission de l'aspect esthétique provient de trous issus de la désagrégation des fibres. C'est donc bien la société Unibéton qui est responsable du préjudice invoqué par les époux [E] [P] et il convient de la condamner à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre elle.

La société Unibéton observe en réponse qu'elle est liée contractuellement à la société Sotibat par un contrat de vente. Dès lors, seules les dispositions légales du contrat de vente intéressent l'espèce. L'objet du contrat est la vente d'une quantité de béton d'une classe particulière garantissant une résistance minimale. L'article 1166 du code civil invoqué par la société Sotibat est inapplicable en l'espèce, puisque cet article a vocation à s'appliquer lorsque « la qualité de la prestation n'est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat ».

La société Unibéton plaide qu'il n'est démontré ni défaut de conformité, ni vice caché. La société Sotibat est un professionnel de la construction. Elle a réceptionné sans réserve le béton livré et elle ne démontre aucunement qu'il était différent du béton commandé.

Si la société Unibéton a décidé de faire un geste commercial, c'est sans reconnaissance quelconque de responsabilité, uniquement parce qu'elle entretient de bons rapports commerciaux avec la société Sotibat.

Rien dans la description des désordres ne permet d'en imputer la responsabilité à la société Unibéton. En réalité, les désordres décrits indiquent une mise en 'uvre défectueuse.

Sur ce,

Aux termes de l'article 1582 du code civil, la vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer.

Aux termes de l'article 1603 du code civil, le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend.

Aux termes des articles 1641, 1642, 1645 et 1646 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même. Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. Si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente.

En l'espèce, il est justifié que la société Unibéton a proposé à la société Sotibat, en vue de la réalisation de la terrasse des époux [E] [P], la vente d'un volume prévisionnel de 75 m3 de béton Unidécor C25/30 XF2 D10 S3, et celle d'un bidon de 22 litres de désactivant, pour un prix de 1 484,25 TTC.

Ses conditions générales de vente, dont la société Sotibat ne nie pas avoir eu connaissance, étant au surplus rappelé l'existence d'un courant d'affaires entre les parties, se réfèrent à la norme NF EN 206/CN en vigueur au jour de la livraison publiée par l'AFNOR.

Il n'est justifié par les pièces versées aux débats d'aucune non-conformité du béton livré, que ce soit par rapport à ladite norme, ou par rapport aux spécificités de la commande.

En revanche, il ressort du courrier adressé le 28 avril 2021 par Mme [P] et M. [E] à la société Sotibat que le 19 mars 2021, jour de coulage du béton, après renvoi d'une première toupie de béton trop liquide, « une deuxième toupie est arrivée ('), l'opération de coulage a pu se dérouler sous les yeux de Monsieur [E] qui a interrogé le livreur au sujet de grosses boules de « plumes » tombant dans les brouettes des ouvriers à 3 reprises. Celui-ci a alors répondu qu'il s'agissait de fibres synthétiques et que c'était normal et a alors demandé si un nouveau mélange était nécessaire mais personne n'a réagi. Le chantier s'est poursuivi (') avec la mise en place du désactivant. (') ».

Par ailleurs, par courriel du 19 mai 2021, la société Unibéton a écrit à la société Sotibat que « les trous laissés par la désagrégation d'amas de fibres proviennent d'une agglomération des fibres au moment de leur introduction. »

Il en résulte que la société Unibéton a livré à la société Sotibat un béton qui présentait un phénomène d'agglomération des fibres, accréditant l'existence d'une insuffisance de malaxage.

Pour autant, ce défaut était visible lors de la livraison, ainsi qu'en attestent les propos de M. [E] qui, bien que néophyte, a immédiatement constaté l'existence de ces agglomérats, et a interrogé le livreur à leur sujet. Les ouvriers de la société Sotibat n'ont, quant à eux, tiré aucune conséquence de l'aspect du béton et n'ont pas donné suite à la proposition du livreur de la société Unibéton de procéder à un nouveau mélange.

Il s'en suit que la société Sotibat ne démontre ni défaut de conformité, ni vice caché du produit acheté.

La décision entreprise doit être confirmée en ce qu'elle l'a déboutée de son appel en garantie à l'encontre de la société Unibéton.

4. Sur les demandes accessoires

En application de l'article 696 du code de procédure civile, il convient de condamner la société Sotibat aux dépens d'appel et de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle l'a condamnée aux dépens de première instance.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Sotibat sera par ailleurs condamnée à payer aux époux [E] [P] et à la société Unibéton les sommes indiquées au dispositif du présent arrêt et déboutée de sa propre demande au titre de ses frais irrépétibles, la décision querellée étant confirmée du chef des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement rendu le 1er juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Senlis, sauf en ce qu'il a condamné la SARL Sotibat Bétons décoratifs à verser à Mme [R] [P] et M. [Y] [E] la somme de 4 000 euros au titre d'une réduction supplémentaire du prix en sus de la remise de 968,74 euros déjà accordée ;

Statuant à nouveau de ce chef, et y ajoutant,

Condamne la SARL Sotibat Bétons décoratifs à payer à Mme [R] [P] et M. [Y] [E] la somme de 8 250 euros TTC à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice matériel ;

Condamne la SARL Sotibat Bétons décoratifs aux dépens d'appel ;

Condamne la SARL Sotibat Bétons décoratifs à payer à Mme [R] [P] et M. [Y] [E] la somme de 2 500 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel ;

Condamne la SARL Sotibat Bétons décoratifs à payer à la société Unibéton la somme de 1 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;

Déboute la SARL Sotibat Bétons décoratifs de sa propre demande au titre de ses frais irrépétibles d'appel.