Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 4 avril 2024, n° 22/14221

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Recoules

Conseillers :

Mme Leroy, Mme Lebée

Avocats :

Me Etevenard, Me JouglA, Me Dalin

TJ Paris, 18e ch. sect. 2, du 16 juin 20…

16 juin 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 15 avril 2010, [Localité 9] Habitat OPH (l'Oph) a donné à bail en renouvellement à M. [T] des locaux commerciaux situés [Adresse 5], composant le lot n° 156359, constitués d'une boutique d'une surface indicative de 21 m² située au rez-de-chaussée, pour une durée de neuf années, à effet du 1er octobre 2009, moyennant un loyer annuel en principal de 5 356 euros, pour l'exercice d'un commerce de « Parfumerie, à l'exclusion de tous autres commerces, industries, ou professions ».

L'extrait K bis au 24 octobre 2019 afférent à ce fonds mentionne l'immatriculation pour une activité de « parfumerie et articles de [Localité 9] ».

Le 7 juillet 2011, l'Oph a donné à bail en renouvellement à M. [T] des locaux commerciaux situés à même adresse, composant le lot n° 156357, constitués d'une boutique d'une surface indicative de 45 m² située au rez-de-chaussée et d'un sous-sol d'une surface indicative de 22 m², pour une durée de neuf années à effet du 1er juillet 2011 pour se terminer contractuellement le 30 juin 2020, moyennant un loyer annuel en principal de 8 749 euros, pour l'exercice d'un commerce de « Textiles 'Lingerie et tous accessoires de mode s'y rattachant, à l'exclusion de tous autres commerces, industries, ou professions ».

L'extrait K bis du 24 octobre 2019 ne mentionne aucun établissement secondaire, ni l'exercice d'une activité de textile à l'adresse de ce local.

Le 28 novembre 2019, l'Oph a fait signifier à M. [T] un congé comportant dénégation du droit au statut des baux commerciaux, pour le lot n° 156357, à effet du 30 juin 2020, mentionnant que 'Monsieur [H] [T] n'a le droit au renouvellement du bail qu'à la condition que l'activité exploitée dans les lieux loués soit celle-là même pour laquelle il est immatriculé au registre du commerce et des sociétés et qui correspond à l'activité autorisée par le bail. Il s'avère que M. [H] [T] n'est pas immatriculé au registre du commerce ni au répertoire des métiers pour l'exercice d'un commerce de textile, lingerie et tous accessoires de mode s'y rattachant comme l'y oblige la clause de destination de son bail'.

Le 29 novembre 2019, l'Oph a fait notifier à M. [T] un congé avec refus de renouvellement du bail du 10 juillet 2009 portant sur le lot n° 156359 avec offre d'indemnité d'éviction, à effet du 30 juin 2020.

Le 20 octobre 2020, l'Oph a fait assigner M. [T] devant le tribunal judiciaire de Paris, aux fins essentielles de validation du congé portant dénégation du droit au bénéfice du statut des baux commerciaux, d'expulsion et de paiement, d'une part, d'un arriéré locatif, d'autre part, d'une indemnité d'occupation.

Par jugement en date du 16 juin 2022, le tribunal a dit que le bail commercial renouvelé le 7 juillet 2011 portant sur les locaux situés [Adresse 5] , composant le lot n° 156357, a pris fin le 30 juin 2020 à 24 heures par l'effet du congé délivré le 28 novembre 2019, dit que M. [T] ne peut bénéficier, ni d'une indemnité d'éviction, ni du maintien dans les lieux prévus par les articles L. 145-14 et L. 145-28 du code de commerce, qu'il est occupant sans droit ni titre des locaux précités depuis le 1er juillet 2020, ordonné son expulsion à défaut de la libération des lieux, a condamné M. [T] à payer à l'Oph, à compter du 1er juillet 2020 et jusqu'à complète libération des lieux, une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant mensualisé du dernier loyer contractuel, outre les taxes et charges exigibles, condamné en conséquence M. [T] à payer à l'Oph, en deniers et quittances valables, la somme de 22 285,59 euros, au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation échues au 15 mars 2022, échéance du premier trimestre 2022 incluse, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance.

M. [T] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 26 juillet 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS EN CAUSE D'APPEL

Pour leur exposé complet, il est fait renvoi aux écritures visées ci-dessous :

Vu les conclusions récapitulatives de M. [T], en date du 18 octobre 2022, tendant à voir la cour infirmer le jugement attaqué, statuer à nouveau, dire qu'il bénéficie du statut des baux commerciaux sur le local n° 156357 et qu'il devra recevoir une indemnité égale au préjudice subi du fait de son éviction, désigner un expert avec pour mission d'évaluer les indemnités d'éviction et de remploi et la valeur locative des locaux, débouter le bailleur de ses demandes, le condamner à lui verser la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont la distraction est demandée ;

Vu les conclusions récapitulatives de l'Oph, en date du 9 février 2024, tendant à voir la cour confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué à l'exception de la somme due au titre de la dette locative et d'indemnité d'occupation, en conséquence, condamner M. [T] au paiement d'une somme de 22 175,72 euros TTC, correspondant au montant des sommes dues arrêtées au premier trimestre 2023 (sic) inclus, fixer une indemnité d'occupation à compter du 1er juillet 2020 au [montant du] loyer contractuel en cours, outre les charges et les taxes et ce, jusqu'à la remise des clés, le condamner au paiement d'une indemnité d'occupation égale au loyer contractuel en cours, outre les charges et les taxes et ce, à compter du 1er juillet 2020 jusqu'à la remise des clés des locaux, le débouter de ses demandes, le condamner au paiement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi que de tous les dépens d'appel dont la distraction est demandée.

DISCUSSION

Il n'est pas discuté par les parties que le congé sans offre de renouvellement délivré le 28 novembre 2019 a mis fin au bail à compter du 30 juin 2020. Reste en discussion le droit du preneur à une indemnité d'éviction, le bénéfice du statut des baux commerciaux lui ayant été dénié par le bailleur.

Sur l'unité économique d'exploitation

Aux termes de l'article L. 145-1, I-1° du code de commerce, les dispositions relatives au statut des baux commerciaux « s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce et en outre :

1° Aux baux de locaux ou d'immeubles accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et qu'ils appartiennent au propriétaire du local ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal [...] »

Il en résulte que si, pour bénéficier du statut des baux commerciaux, le locataire doit être immatriculé au registre du commerce ou avoir donné le fonds de commerce en location-gérance, que pour se prévaloir du droit au renouvellement résultant de ce statut, le locataire doit remplir l'obligation d'immatriculation tant à la date du congé qu'à la date d'expiration du bail et que c'est au locataire qu'incombe la charge de prouver son immatriculation lors du renouvellement et au terme du bail, un local accessoire, dès lors qu'il est nécessaire à l'exploitation du fonds, peut également bénéficier du statut.

Le bailleur, qui adopte les motifs du premier juge, soutient qu'à la date de délivrance du congé litigieux, le 28 novembre 2019, le preneur n'était pas immatriculé au registre du commerce et des sociétés pour l'activité de 'commerce de textile, lingerie et tous autres accessoires de mode' exploitée dans les locaux mis à sa disposition dans le cadre du bail commercial consenti le 7 juillet 2011 portant sur le lot n° 156357, que le locataire ne démontre pas que la numérotation unique de l'adresse des deux locaux résulte d'une demande de l'Oph, que le rez-de-chaussée est composé de trois devantures commerciales distinctes, que ces locaux sont exploités, d'une part, en commerce de parfumerie sous l'enseigne ' à fleur de peau' et, d'autre part, en 'commerce de textile, lingerie et tous autres accessoires de mode', soit pour des activités différentes, que les deux locaux identifiés sous des lots distincts n° 156357 et n° 156359 ont des bannes séparées, disposent d'étalages en devanture de présentation distincte, ne comportant visiblement pas les mêmes marchandises et disposent d'entrées propres pour la clientèle, que le local n° 156357 est affecté à l'exploitation directe d'une activité commerciale différente de celle exercée au sein du local n° 156359, qu'il est équipé d'étalages propres et destiné à recevoir une clientèle propre, et ne peut être qualifié de 'local accessoire', peu important l'absence de comptabilité séparée et d'affectation des salariés à tel ou tel commerce ainsi que la démolition de la cloison séparative des deux locaux, dont il n'est pas établi qu'elle aurait été autorisée.

Cependant, ainsi que le soutient à bon droit le preneur, le fonds de commerce principal est immatriculé pour l'activité de « parfumerie et articles de [Localité 9] et tous produits non réglementés en sédentaire et ambulant » qui englobe l'activité « Textiles 'Lingerie et tous accessoires de mode » de l'établissement secondaire, peu important que les locaux disposent de deux entrées distinctes, dès lors qu'aucune barrière physique n'entrave le passage de la clientèle d'un local à l'autre. Il ressort du rapport de l'expert commis par ordonnance de référé du 19 janvier 2021 du tribunal judiciaire de Paris avec pour mission de recueillir tous éléments permettant d'évaluer l'indemnité d'éviction et l'indemnité d'occupation du local n° 156359 qu'aucune comptabilité analytique distincte pour chacun des lots n'est tenue, que le droit d'étalage s'étend devant les deux locaux sous un store-banne unique, que le local n° 156357 présente des caractéristiques physiques semblables à celles du local n° 156359, offrant des présentoirs, rayonnages et produits avec prix affichés accessibles à la clientèle, qui circule d'un lot à l'autre.

Il en résulte l'existence d'une unité d'exploitation unique et indivisible de sorte que l'immatriculation du fonds principal vaut également pour l'établissement secondaire.

Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner ses autres moyens, le preneur bénéficie du statut des baux commerciaux.

Le refus de renouvellement signifié par le bailleur a ouvert droit au profit du locataire, d'une part, en vertu de l'article L. 145-14 du code de commerce, à une indemnité d'éviction, d'autre part, selon l'article L. 145-28 du même code, au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de cette indemnité.

En outre, le maintien dans les lieux justifie, d'après l'article L. 145-28 précité, le versement au propriétaire d'une indemnité d'occupation à compter de la date d'effet du congé et jusqu'à libération des locaux.

La cour ne disposant pas en l'état des éléments suffisants pour fixer l'indemnité d'éviction et l'indemnité d'occupation, il convient avant dire droit sur ces points d'ordonner une expertise dans les termes du dispositif ci-après, aux frais avancés du bailleur qui est à l'origine du refus de renouvellement, les dépens demeurant réservés.

Sur la dette locative :

L'Oph produit un relevé de compte établissant une dette à hauteur de la somme de 22 175,72 euros TTC, correspondant au montant des sommes dues arrêtées au premier trimestre 2024 inclus-et non 2023, comme indiqué par erreur dans le dispositif des conclusions-, non contesté par le preneur ni dans son principe ni dans son montant, au paiement de laquelle sera condamné l'appelant.

Sur le montant de l'indemnité d'occupation :

L'intimé ne produisant pas de moyens à l'appui de sa demande d'infirmation du chef du jugement relatif au montant de l'indemnité d'occupation, la décision sera confirmée sur ce point, sauf à préciser que s'agissant d'une indemnité d'occupation statutaire, son montant est fixé provisoirement.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a dit que le bail commercial renouvelé le 7 juillet 2011 portant sur les locaux situés [Adresse 5], composant le lot n° 156357, a pris fin le 30 juin 2020 à 24 heures, par l'effet du congé délivré le 28 novembre 2019 ;

Statuant de nouveau,

Dit que le congé a ouvert pour M. [T] le droit à une indemnité d'éviction et qu'il est redevable d'une indemnité statutaire d'occupation à compter du 1er juillet 2020 ;

Fixe provisoirement le montant de l'indemnité d'occupation au montant du loyer et des charges ;

Condamne M. [T] à payer à l'établissement public [Localité 9] Habitat OPH la somme de 22. 175,72 euros TTC, correspondant au montant des sommes dues arrêtées au premier trimestre 2024,

Avant dire droit sur le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation, ordonne une expertise ;

Désigne pour y procéder M. [P] [F], demeurant à [Adresse 10], Tél : [XXXXXXXX01] Fax : [XXXXXXXX02] Port. : [XXXXXXXX03] Email : [Courriel 11] avec pour mission, les parties ayant été convoquées et dans le respect du principe du contradictoire :

- de se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission ;

- de visiter les lieux, les décrire, dresser le cas échéant la liste du personnel employé par le locataire ;

- de rechercher, en tenant compte de la nature des activités professionnelles autorisées par le bail, de la situation et de l'état des locaux, tous éléments permettant de :

1°) déterminer le montant de l'indemnité d'éviction dans le cas :

- d'une perte de fonds : valeur marchande déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, des frais et droits de mutation afférents à la cession de fonds d'importance identique, de la réparation du trouble commercial,

- de la possibilité d'un transfert de fonds, sans perte conséquente de clientèle, sur un emplacement de qualité équivalente, et, en tout état de cause, le coût d'un tel transfert, comprenant : acquisition d'un titre locatif ayant les mêmes avantages que l'ancien, frais et droits de mutation, frais de déménagement et de réinstallation, réparation du trouble commercial,

2°) apprécier si l'éviction entraînera la perte du fonds ou son transfert,

3°) déterminer le montant de l'indemnité due par le locataire pour l'occupation des lieux, objet du bail depuis le 1er juillet 2020 jusqu'à leur libération effective,

- à titre de renseignement, dire si, à son avis, le loyer aurait été ou non plafonné en cas de renouvellement du bail et préciser, en ce cas, le montant du loyer calculé en fonction des indices qui aurait été applicable à la date d'effet du congé ;

Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du nouveau code de procédure civile et qu'il déposera l'original et une copie de son rapport, outre si possible une version dématérialisée du rapport et de ses annexes, au greffe de la troisième chambre du pôle 5 (5-3) de la cour d'appel de Paris, dans le délai de six mois suivant sa désignation, sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile auprès du magistrat chargé du contrôle des expertises ;

Fixe à la somme de 3.000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, somme qui devra être consignée par l'établissement public [Localité 9] Habitat OPH à la régie de la cour d'appel de Paris, 34 quai des Orfèvres, 75055 Paris Cedex 1 avant le 15 juillet 2024 ;

Dit que, faute de consignation de la provision dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;

Dit qu'un des magistrats de la chambre sera délégué au contrôle de cette expertise ;

Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du 4 septembre 2024 pour vérification du versement de la consignation ;

Dit que l'affaire sera rappelée ultérieurement par le conseiller de la mise en état, après dépôt du rapport d'expertise, pour fixation d'un calendrier procédure ;

Réserve les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;