Cass. soc., 29 septembre 2021, n° 19-25.989
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 octobre 2019), M. [V] a été engagé en qualité de directeur des ressources financières et humaines, le 1er février 2009 par l'association pour le conseil en orientation professionnelle, l'accompagnement et le développement (l'association).
2. Il a été licencié pour faute grave par lettre du 1er février 2016, l'employeur lui reprochant un manquement à son obligation de loyauté pour avoir mis en cause auprès des salariés le directeur général en signalant, en particulier le 13 janvier 2016, mais également dès le 11 janvier 2016, la veille de la réunion du bureau de l'association saisi du signalement et encore le 15 janvier 2016, de graves malversations au détriment de l'association.
3. Faisant valoir que son licenciement était nul, il a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir paiement de diverses sommes.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'association fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du licenciement et de la condamner à payer au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaire, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement nul et pour rupture vexatoire, alors :
« 1°/ que la dénonciation, par un salarié, de faits délictueux, n'étant couverte par la protection accordée aux lanceurs d'alerte par l' article L. 1132-3-3 du code du travail que dans la mesure où elle est strictement limitée au signalement de ces faits auprès du supérieur hiérarchique de l'intéressé, de son employeur ou d'un référent désigné par ce dernier, ces dispositions ne privent pas l'employeur de la faculté de sanctionner, notamment par un licenciement disciplinaire, le comportement d'un salarié qui accompagne ce signalement de démarches manifestement exclusives de bonne foi et visant à assurer une large diffusion de ces accusations auprès d'un nombre conséquent de salariés de l'entreprise n'ayant pas qualité pour recevoir un tel signalement ni lui donner suite ; qu'au regard du texte susvisé, ni le fait que l'employeur n'ait donné aucune suite aux révélations litigieuses, ni la croyance de l'intéressé dans l'inaction de l'employeur ne sauraient justifier un tel procédé qui, étranger aux faits dénoncés, peut constituer un motif de licenciement ; qu'en l'espèce, il résulte des propres énonciations de l'arrêt attaqué qu'avant toute suite décidée par le bureau de l'association quant à la portée des accusations formulées par le salarié à l'égard du directeur général, l'intéressé s'est empressé de diffuser celles-ci auprès d'un grand nombre de salariés qui n'étaient pas membres du comité de direction, du bureau ou du conseil d'administration et, partant, n'avaient aucune qualité pour donner une suite favorable à ces révélations ; qu'ainsi, en estimant, en cet état, que dès lors que le salarié avait la conviction que son employeur ne souhaitait manifestement pas agir en donnant à ces faits la suite qu'ils méritaient, le salarié était bien fondé à relater ses accusations auprès de ses collègues de travail et, ce faisant, se trouvait couvert par la protection de l' article L. 1132-3-3 du code du travail , quand l'absence prétendue d'action de l'employeur n'était aucunement de nature à légitimer une telle démarche, alors surtout que l'intéressé a opéré une telle diffusion dès le lendemain de leur dénonciation à l'employeur, sans laisser à ce dernier un délai raisonnable pour trancher la difficulté, la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif inopérant, n'a pas légalement justifié sa décision au regard du texte susvisé dans sa rédaction applicable à l'espèce, ensemble l' article L. 1161-1 du code du travail ;
2°/ que dans ses conclusions d'appel, développées oralement à l'audience, l'employeur a fait valoir que la portée de l' article L. 1132-3-3 du code du travail a été précisée par les dispositions de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 d'où il résulte qu'en l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte, il appartient au salarié d'adresser celle-ci à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels, c'est-à-dire aux autorités à même de donner une suite favorable aux révélations litigieuses, de sorte qu'en pareille hypothèse, seule cette communication des faits auxdites autorités est susceptible d'être couverte par la protection prévue par ce texte ; que, sur ces bases, l'association exposante a fait valoir que le salarié ne pouvait prétendre justifier la diffusion de ses accusations auprès des membres du personnel à compter du 13 janvier 2016, par l'inaction prétendue de l'employeur à l'issue des révélations effectuées lors de la réunion du bureau de l'association en date du 12 janvier 2016, dès lors qu'en cet état, l'intéressé s'était bien gardé, tout en prétendant être sur le point de le faire, de dénoncer les faits au procureur de la République, ce qui démontrait tant son absence de bonne foi que sa connaissance de la fausseté des faits dénoncés ; que, dès lors, en statuant comme elle l'a fait, sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions d'appel de l'employeur, la cour d'appel a violé l' article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que la dénonciation, par un salarié, de faits délictueux, n'étant couverte par la protection accordée aux lanceurs d'alerte par l' article L. 1132-3-3 du code du travail que dans la mesure où elle est strictement limitée au signalement de ces faits auprès du supérieur hiérarchique de l'intéressé, de son employeur ou d'un référent désigné par ce dernier, ces dispositions ne privent pas l'employeur de la faculté de sanctionner, notamment par un licenciement disciplinaire, le comportement d'un salarié qui accompagne ce signalement d'insultes proférées à l'égard de la personne mise en cause, lesquelles sont susceptibles de caractériser, à elles seules et indépendamment du contexte, un motif de licenciement ; qu'en l'espèce, pour dire le licenciement du salarié nul, la cour d'appel a énoncé qu'il n'est pas prouvé par l'employeur que sa décision de licencier l'intéressé était justifiée par des éléments objectifs étrangers aux déclarations du salarié, et que ce dernier a relaté, de bonne foi, auprès de membres du personnel, des faits de nature à caractériser des délits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ; qu'en statuant ainsi, sans répondre au chef péremptoire des conclusions d'appel de l'employeur, développé oralement à l'audience, faisant valoir, au vu notamment des témoignages recueillis auprès de M. [W], de M. [M] et de M. [F], que le salarié s'était distingué par une violence verbale manifeste, et des propos injurieux, traitant le directeur général de bandit, d'escroc et de voleur, de sorte qu'en cet état, l'association exposante était bien fondée à reprocher au salarié, dans la lettre de rupture, d'avoir proféré ses accusations sans nuance ni réserve, ce qui était de nature à caractériser une faute, indépendamment du contenu des accusations litigieuses, la cour d'appel a violé l' article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que la dénonciation, par un salarié, de faits délictueux, n'est couverte par la protection accordée aux lanceurs d'alerte par l' article L. 1132-3-3 du code du travail que dans la mesure où elle est effectuée de bonne foi, ce qui suppose qu'elle soit spontanée ; qu'en l'espèce, l'employeur a expressément fait valoir, d'une part que les opérations litigieuses dénoncées par le salarié avaient, au moment où elles étaient passées, été validées par l'intéressé, d'autre part que celui-ci, à raison des fonctions de directeur des ressources qu'il occupait au sein de l'association, en avait connaissance de longue date, s'agissant de faits remontant à l'année 2012, de sorte qu'en attendant le début de l'année 2016 pour les dénoncer, au moment où son poste était menacé, le salarié avait entrepris une démarche dépourvue de spontanéité et, partant, manifestement exclusive de bonne foi ; qu'en estimant au contraire que de telles accusations sont couvertes par la protection de l' article L. 1132-3-3 du code du travail , peu important que le salarié ne les ait pas dénoncées auparavant, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé ;
5°/ que le juge ne peut méconnaître les termes du litige, déterminés par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, pour statuer comme elle l'a fait, et prononcer la nullité du licenciement du salarié, la cour d'appel a notamment énoncé que la dénonciation de faits délictueux par M. [V], en réaction à sa mise à l'écart par le bureau de l'association et pour tenter de défendre son emploi, ne constitue pas un abus du droit d'expression du salarié ; qu'en se déterminant ainsi, quand le salarié soutenait dans ses écritures d'appel, développées oralement à l'audience, d'une part qu'il avait diffusé ses accusations auprès de membres du personnel dès le 15 janvier 2016, en précisant qu'à cette date, il ''ne se savait pas encore mis à pied'', d'autre part qu'à la date de la diffusion des accusations litigieuses, la suppression du poste de M. [V] pour motif économique n'avait nullement été envisagée, ce dont il résulte que la démarche de l'intéressé ne pouvait en aucun cas avoir été motivée, ni être justifiée, par la défense de son emploi, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l' article 4 du code de procédure civile . »
Réponse de la Cour
5. Selon l' article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
6. La cour d'appel a constaté que le licenciement était motivé par le fait que l'intéressé, dont elle a relevé la bonne foi, avait signalé le 13 janvier 2016 auprès de plusieurs salariés des malversations qui auraient été commises par le directeur général au détriment de l'association, faits qui, s'ils étaient établis, seraient constitutifs de délits dont il avait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et contre lesquels son employeur ne souhaitait manifestement pas agir. Elle a, en outre, relevé que le salarié avait d'abord saisi de ces faits le bureau de l'association qui, réuni le 12 janvier 2016, avait décidé, sans attendre les résultats de l'enquête, de maintenir le directeur général à son poste et que ce dernier avait, dès le lendemain 13 janvier 2016, personnellement notifié à M. [V] son placement en congés payés pour huit jours ouvrés. La cour d'appel a, à bon droit, déduit de ces seuls motifs que le licenciement était nul.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.