Livv
Décisions

TUE, président, 27 septembre 2023, n° T-367/23 R

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Ordonnance

Annulation

PARTIES

Demandeur :

Amazon Services Europe (SARL)

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Me Conrad, Me Frank, Me Spanó, Me Ioannidis

TUE n° T-367/23 R

26 septembre 2023

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

27 septembre 2023 (*)

« Référé – Services numériques – Règlement (UE) 2022/2065 – Très grandes plateformes en ligne – Demande de sursis à exécution – Urgence – Fumus boni juris – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑367/23 R,

Amazon Services Europe Sàrl, établie à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Mes A. Conrad, M. Frank, R. Spanó et I. Ioannidis, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme L. Armati et M. P.‑J. Loewenthal, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

vu l’ordonnance du 28 juillet 2023, Amazon Services Europe/Commission (T‑367/23 R, non publiée),

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, la requérante, Amazon Services Europe Sàrl, sollicite le sursis à l’exécution de la décision C(2023) 2746 final de la Commission, du 25 avril 2023, désignant Amazon Store comme étant une très grande plateforme en ligne conformément au règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil, du 19 octobre 2022, relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques) (JO 2022, L 277, p. 1) (ci‑après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        La requérante appartient au groupe Amazon, qui est un groupe multinational de sociétés. Ses activités commerciales comprennent la vente au détail en ligne et d’autres services tels que le cloud informatique et le streaming numérique. Elle fournit des services de place de marché aux vendeurs tiers leur permettant de proposer des produits à la vente dans l’Amazon Store. Elle soutient également les vendeurs tiers de diverses manières, notamment en leur proposant des services optionnels de stockage et de logistique ainsi que divers outils pour les aider à gérer et développer leurs activités, notamment dans l’Amazon Store.

3        L’article 33, paragraphe 4, du règlement 2022/2065 prévoit que la Commission européenne désigne, par décision, comme étant une très grande plateforme en ligne ou un très grand moteur de recherche en ligne, la plateforme en ligne ou le moteur de recherche en ligne dont le nombre mensuel moyen de destinataires actifs du service dans l’Union européenne est égal ou supérieur à 45 millions.

4        L’article 38 du règlement 2022/2065 prévoit que les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne et de très grands moteurs de recherche en ligne qui utilisent des systèmes de recommandation proposent à tout le moins une option pour chacun de leurs systèmes de recommandation qui ne repose pas sur du profilage, tel qu’il est défini à l’article 4, point 4), du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1).

5        L’article 39, paragraphe 1, du règlement 2022/2065 prévoit que les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne ou de très grands moteurs de recherche en ligne présentant de la publicité sur leurs interfaces en ligne tiennent et mettent à la disposition du public, dans une section spécifique de leur interface en ligne, à l’aide d’un outil de recherche fiable permettant d’effectuer des recherches multicritères et par l’intermédiaire d’interfaces de programme d’application, un registre contenant les informations visées au paragraphe 2 de cet article, pour toute la période pendant laquelle ils présentent une publicité et jusqu’à un an après la dernière présentation de la publicité sur leurs interfaces en ligne.

6        Le 25 avril 2023, par la décision attaquée, la Commission a désigné Amazon Store comme étant une très grande plateforme en ligne conformément à l’article 33, paragraphe 4, du règlement 2022/2065.

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 juillet 2023, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée.

8        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 6 juillet 2023, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée dans la mesure où elle impose à la requérante

–        l’obligation de proposer aux utilisateurs une option pour chacun de ses systèmes de recommandation qui ne repose pas sur du profilage, conformément à l’article 38 du règlement 2022/2065 ;

–        l’obligation de constituer et de mettre à la disposition du public un registre des publicités conformément à l’article 39 du règlement 2022/2065

jusqu’à ce que le Tribunal ait rendu une décision définitive dans la procédure au principal ;

–        si une décision sur la présente demande en référé ne peut être prise avant le 1er août 2023, ordonner le sursis à l’exécution immédiat des obligations susmentionnées de proposer aux utilisateurs une option pour chaque système de recommandation utilisé sur Amazon Store qui ne repose pas sur le profilage et de fournir un registre pour les publicités diffusées sur Amazon Store, conformément à l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, jusqu’à ce que le président du Tribunal ait entendu et statué sur la présente demande en référé afin de lui éviter un préjudice irréparable.

9        Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 20 juillet 2023, la Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens de la présente procédure.

 En droit

 Sur la recevabilité

10      La Commission soutient, dans ses observations sur la demande en référé, que le recours en annulation est, en grande partie, manifestement irrecevable au motif que, par la seconde branche du premier moyen ainsi que par les deuxième et troisième moyens, la requérante conteste la légalité de dispositions du règlement 2022/2065 qui ne constituent pas la base juridique de la décision attaquée et qui sont sans lien juridique direct avec celle‑ci.

11      À cet égard, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, la recevabilité du recours principal ne doit pas, en principe, être examinée dans le cadre d’une procédure de référé. Cependant, quand l’irrecevabilité manifeste du recours principal est soulevée, la partie sollicitant les mesures provisoires doit établir l’existence d’éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité de ce recours, sur lequel se greffe la demande en référé, afin d’éviter qu’elle puisse, par la voie du référé, obtenir le sursis à l’exécution d’un acte dont elle se verrait par la suite refuser l’annulation, son recours étant déclaré irrecevable lors de son examen au fond dans la procédure principale. Un tel examen, par le juge des référés, de la recevabilité du recours principal est nécessairement sommaire, compte tenu du caractère urgent de la procédure de référé [voir, en ce sens, ordonnances du 18 novembre 1999, Pfizer Animal Health/Conseil, C‑329/99 P(R), EU:C:1999:572, point 89, et du 12 octobre 2000, Federación de Cofradías de Pescadores de Guipúzcoa e.a./Conseil, C‑300/00 P(R), EU:C:2000:567, points 34 et 35].

12      Ainsi, dans le cadre d’une procédure de référé, la recevabilité du recours dans l’affaire principale ne peut être appréciée que de prime abord et le juge des référés ne doit déclarer cette demande irrecevable que si la recevabilité du recours dans l’affaire principale peut être totalement exclue. À défaut, statuer sur la recevabilité du recours dans l’affaire principale au stade du référé lorsque celle‑ci n’est pas prima facie totalement exclue reviendrait à préjuger la décision du Tribunal statuant dans l’affaire principale (voir ordonnance du 20 juin 2014, Wilders/Parlement et Conseil, T‑410/14 R, non publiée, EU:T:2014:564, point 20 et jurisprudence citée).

13      S’agissant de la recevabilité d’une exception d’illégalité, soulevée de manière incidente en vertu de l’article 277 TFUE, il ressort de la jurisprudence qu’une exception d’illégalité n’est recevable que s’il existe un lien de connexité entre l’acte attaqué et la norme dont l’illégalité prétendue est excipée. Dans la mesure où l’article 277 TFUE n’a pas pour but de permettre à une partie de contester l’applicabilité de quelque acte de caractère général que ce soit à la faveur d’un recours quelconque, la portée d’une exception d’illégalité doit être limitée à ce qui est indispensable à la solution du litige. Il en résulte que l’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et qu’il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêt du 30 avril 2019, Wattiau/Parlement, T‑737/17, EU:T:2019:273, point 56 et jurisprudence citée).

14      Toutefois, il ressort également d’une jurisprudence constante que l’article 277 TFUE doit être interprété d’une manière suffisamment large pour que soit assuré un contrôle de légalité effectif des actes des institutions de caractère général en faveur des personnes exclues du recours direct contre de tels actes. Ainsi, le champ d’application de cet article doit s’étendre aux actes des institutions qui ont été pertinents pour l’adoption de la décision qui fait l’objet du recours en annulation, en ce sens que ladite décision repose essentiellement sur ceux-ci, même s’ils n’en constituaient pas formellement la base juridique (voir arrêt du 30 avril 2019, Wattiau/Parlement, T‑737/17, EU:T:2019:273, point 57 et jurisprudence citée). En outre, aux fins de l’examen d’une exception d’illégalité, les règles d’un seul et même régime ne sauraient être scindées artificiellement (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 76).

15      En l’espèce, premièrement, il convient de constater que, par la seconde branche du premier moyen ainsi que par les deuxième et troisième moyens du recours au principal dans lequel la demande en référé se fonde, lus à la lumière de la jurisprudence citée au point 70 ci‑dessous, la requérante a identifié de manière suffisamment claire les dispositions dont l’illégalité est excipée.

16      Deuxièmement, il semble, à première vue, que les règles d’un seul et même régime seraient scindées artificiellement. En effet, la décision attaquée a pour effet de déclencher l’applicabilité des obligations dont la requérante conteste la légalité.

17      Troisièmement, si l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, et notamment les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant la juridiction de l’Union, (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, point 43 et jurisprudence citée), il n’en demeure pas moins que, comme il ressort de la jurisprudence citée au point 14 ci‑dessus, l’article 277 TFUE doit être interprété d’une manière suffisamment large pour que soit assuré un contrôle de légalité effectif des actes des institutions de caractère général en faveur des personnes exclues du recours direct contre de tels actes.

18      Quatrièmement, force est de reconnaître que la présente affaire soulève des questions nouvelles dont la solution exige un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale.

19      Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que l’exception d’illégalité soulevée par la requérante dans le recours principal ne saurait être écartée comme étant manifestement irrecevable.

 Considérations générales

20      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

21      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

22      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

23      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

24      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

25      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur la condition relative à l’urgence

26      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

27      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si la requérante parvient à démontrer l’urgence.

 Sur l’obligation découlant de l’article 38 du règlement 2022/2065

28      En l’espèce, pour démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice invoqué, la requérante fait valoir que l’obligation de prévoir une option de désactivation des systèmes de recommandation en vertu de l’article 38 du règlement 2022/2065 entraînerait une perte significative et irréversible de sa part de marché qui lui provoquerait un préjudice grave et irréparable.

29      Du fait de son obligation légale d’introduire une option de désactivation des systèmes de recommandation au titre de l’article 38 du règlement 2022/2065, la requérante soutient être tenue de modifier l’un des logiciels fondamentaux sur lesquels repose son activité, ce qui aurait des effets négatifs immédiats et graves sur les expériences d’achat des clients. En outre, elle affirme se trouver face à un désavantage concurrentiel important par rapport aux places de marché en ligne et aux détaillants qui ne sont pas désignés comme étant de très grandes plateformes en ligne.

30      Selon la requérante, sans capacité de personnaliser, elle serait confrontée à des obstacles importants pour répondre aux attentes des clients. Au lieu de montrer des produits présentant un intérêt potentiel, elle présenterait des produits peu pertinents pour les clients, ce qui signifierait qu’elle ne serait pas en mesure de les aider à découvrir de nouveaux articles pertinents et utiles. Cela compromettrait la fonction essentielle des places de marché, à savoir faciliter les transactions, et cela se traduirait par une mauvaise expérience d’achat pour les clients qui utiliseront la possibilité de désactivation.

31      La requérante précise que de nombreux clients qui optent pour la désactivation ne seront pas pleinement conscients des conséquences et de l’incidence d’une telle décision. Ces clients n’associeront pas une mauvaise expérience d’achat ultérieure à leur décision antérieure de ne pas recourir aux systèmes de recommandation. Au lieu de cela, ils supposeront que cette expérience d’achat négative reflète une déficience générale de la part de la requérante. En conséquence, il est possible que ces clients n’activent pas de nouveau les systèmes de recommandation à un stade ultérieur et réduisent leur utilisation de l’Amazon Store.

32      La perte de parts de marché qui en découlerait serait irréparable. Les clients qui ont cessé de recourir à un détaillant en ligne ou une place de marché en ligne en raison d’une expérience d’achat négative seront peu susceptibles de revenir à ces services. Ces effets commenceraient à se produire dès le lancement de la désactivation des recommandations.

33      En outre, la requérante ajoute que, s’abstenir de personnaliser nuirait également aux intérêts des vendeurs tiers, y compris de nombreuses petites et moyennes entreprises, qui proposent des produits dans l’Amazon Store.

34      Enfin, la requérante allègue que les dommages résultant de l’obligation de proposer d’opter pour une désactivation des recommandations ne seraient pas quantifiables. Sur un marché hautement dynamique et concurrentiel où de nombreuses variables inconnues sont en jeu, dans le cadre d’un futur recours visant à obtenir une réparation financière de l’Union, la requérante ne serait pas en position de prouver dans quelle mesure elle a perdu des clients et des vendeurs tiers au cours des années spécifiquement en raison de son obligation de mettre en œuvre une possibilité de désactiver les recommandations, et non en raison d’autres facteurs, tels que les nouvelles évolutions technologiques.

35      À cet égard, en premier lieu, il convient de constater que le préjudice invoqué par la requérante est incertain. En effet, l’article 38 du règlement 2022/2065 n’interdit pas l’utilisation de systèmes de recommandation, mais se limite à obliger les plateformes concernées à prévoir une option pour leur désactivation. Il appartiendra ainsi au consommateur de décider s’il en veut faire l’usage.

36      Or, rien n’empêche la requérante de prendre des mesures précises et efficaces tendant à informer pleinement ses clients des avantages des systèmes de recommandation et des risques qui découleront de leur désactivation afin qu’ils soient pleinement conscients des conséquences et de l’incidence de leur décision en cas de désactivation.

37      Si la requérante devait prendre de telles mesures, le client, face à une expérience négative en cas de désactivation, saurait que cette expérience est imputable à son choix et qu’il lui est loisible de réactiver le système de recommandation pour retrouver le degré de satisfaction auquel il était habitué. Il n’est donc pas certain que les clients réduiront l’utilisation de l’Amazon Store s’ils ont l’option de désactiver le système de recommandation.

38      Enfin, dans ce cadre, il convient encore d’ajouter que les références systématiques à l’avis d’un expert annexé à la demande en référé ne suffisent pas à satisfaire à la charge de la preuve qui incombe à la requérante pour prouver l’existence d’un préjudice irréparable.

39      En effet, selon une jurisprudence constante, une demande en référé doit permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur cette demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle‑ci se fonde devant ressortir du texte même de ladite demande [ordonnance du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), non publiée, EU:C:2010:242, point 13 ; voir, également ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 55 et jurisprudence citée].

40      En tout état de cause, il y a lieu d’observer que l’expert reconnaît, au point 10.76 de son avis, dans l’annexe AA.2 de la demande en référé, que la capacité de la requérante à récupérer les clients qui optent pour la désactivation des systèmes de recommandation et qui se tournent vers d’autres canaux d’achat est incertaine.

41      Or, selon une jurisprudence bien établie, il n’y a urgence que si le préjudice grave redouté par la partie qui sollicite les mesures provisoires est imminent à tel point que sa réalisation est prévisible avec un degré de probabilité suffisant. Cette partie demeure, en tout état de cause, tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel préjudice, étant entendu qu’un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi de mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du 27 février 2015, Espagne/Commission, T‑826/14 R, EU:T:2015:126, point 33 et jurisprudence citée).

42      En deuxième lieu, en supposant que la mise en place d’une option de désactivation incite effectivement les clients à se détourner de l’Amazon Store au profit de plateformes concurrentes que la Commission n’aurait pas désignées au titre de l’article 33 du règlement 2022/2065, il convient d’observer que la prétendue perte de parts de marché constitue un préjudice d’ordre purement financier en ce qu’elle consiste en la perte des revenus tirés des ventes sur le marché en cause.

43      En effet, selon une jurisprudence constante, la perte d’une part de marché consiste en la perte des revenus susceptibles d’être tirés à l’avenir des ventes du produit en cause. Une part de marché se traduit donc, à l’évidence, en des termes financiers, son détenteur ne pouvant en bénéficier que dans la mesure où elle lui procure des revenus (voir ordonnance du 30 avril 2010, Xeda International/Commission, T‑71/10 R, non publiée, EU:T:2010:173, point 41 et jurisprudence citée).

44      Dans ce cadre, il importe de rappeler que, lorsque le préjudice invoqué est d’ordre financier, les mesures provisoires sollicitées se justifient s’il apparaît que, en l’absence de ces mesures, la partie qui les sollicite se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que, le cas échéant, des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (voir ordonnance du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, EU:C:2014:1749, point 46 et jurisprudence citée). L’imminence de la disparition du marché constituant effectivement un préjudice tant irrémédiable que grave, l’adoption de la mesure provisoire demandée apparaît justifiée dans une telle hypothèse (ordonnance du 9 juin 2010, Colt Télécommunications France/Commission, T‑79/10 R, non publiée, EU:T:2010:228, point 37).

45      En outre, selon une jurisprudence bien établie, un préjudice d’ordre pécuniaire ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme étant irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice. Un tel préjudice pourrait, notamment, être réparé dans le cadre d’un recours en indemnité introduit sur la base des articles 268 et 340 TFUE [voir ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 24 et jurisprudence citée].

46      Si, dans la jurisprudence, il a également été tenu compte du fait que, en l’absence de la mesure provisoire sollicitée, les parts de marché de la partie requérante seraient modifiées de manière irrémédiable, il doit être précisé que ce cas de figure ne saurait être mis sur un pied d’égalité avec celui du risque de la disparition du marché et justifier l’adoption de la mesure provisoire demandée que si la modification irrémédiable des parts de marché présente aussi un caractère grave. Il ne suffit donc pas qu’une part de marché risque d’être irrémédiablement perdue par une entreprise, mais il importe que cette part de marché soit suffisamment importante au regard, notamment, de la taille de cette entreprise, compte tenu des caractéristiques du groupe auquel elle se rattache par son actionnariat. Une partie sollicitant des mesures provisoires qui se prévaut de la perte d’une telle part de marché doit démontrer, en outre, que des obstacles de nature structurelle ou juridique l’empêchent de reconquérir une fraction appréciable de cette part de marché (voir ordonnance du 28 avril 2009, United Phosphorus/Commission, T‑95/09 R, non publiée, EU:T:2009:124, point 35 et jurisprudence citée).

47      En l’espèce, il y a lieu de constater que la requérante n’établit ni même n’allègue qu’elle se trouve dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond, au regard de la taille du chiffre d’affaires et des caractéristiques du groupe auquel elle appartient.

48      En effet, le seul élément quantitatif avancé par la requérante ressort de l’allégation selon laquelle l’estimation de l’incidence négative du système de recommandation pourrait se situer dans une fourchette comprise entre 500 millions et 3.8 milliards de dollars des États‑Unis (USD).

49      Outre cette allégation, la requérante n’apporte aucun élément chiffré, comptable ou autre, de nature à étayer l’existence d’un préjudice grave et irréparable.

50      À cet égard, il convient d’ajouter que le montant allégué qui serait compris entre 500 millions et 3,8 milliards USD reflète une estimation du dommage que la requérante prétend subir par la perte des parts de marché qui découlerait de la mise en conformité de Amazon Store à l’obligation prévue à l’article 38 du règlement 2022/2065. Il convient dès lors de rejeter son argument selon lequel le préjudice financier allégué ne serait pas chiffrable ou quantifiable. Ce préjudice, à le supposer établi, pourrait donc faire l’objet d’un recours en indemnité que la requérante pourrait introduire si elle devait obtenir gain de cause dans le cadre de la procédure au principal [voir, en ce sens, ordonnance du 28 novembre 2013, EMA/InterMune UK e.a., C‑390/13 P(R), EU:C:2013:795, point 50 et jurisprudence citée].

51      En troisième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la décision attaquée nuirait également aux intérêts des vendeurs tiers, il importe de relever que le préjudice grave et irréparable allégué par la requérante, que le sursis à l’exécution de la décision attaquée a pour objet d’éviter, ne peut être pris en compte par le juge des référés, dans le cadre de son examen de la condition relative à l’urgence, que dans la mesure où il est susceptible d’être occasionné aux intérêts de la partie qui sollicite la mesure provisoire.

52      En effet, selon une jurisprudence constante, la partie qui sollicite les mesures provisoires ne peut pas, pour établir l’urgence, invoquer l’atteinte portée aux droits des tiers ou à l’intérêt général (voir, en ce sens, ordonnance du 18 mai 2022, OG e.a./Commission, T‑101/22 R, non publiée, EU:T:2022:305, point 30 et jurisprudence citée).

53      Il s’ensuit que les dommages que l’exécution de la décision attaquée est susceptible de causer à une partie autre que celle sollicitant les mesures provisoires ne peuvent être pris en considération, le cas échéant, par le juge des référés que dans le cadre de la mise en balance des intérêts en présence [voir, en ce sens, ordonnance du 13 janvier 2009, Occhetto et Parlement/Donnici, C‑512/07 P(R) et C‑15/08 P(R), EU:C:2009:3, point 58].

54      Dès lors, les préjudices susceptibles d’être causés aux vendeurs tiers, invoqués par la requérante, ne seront pris en considération, le cas échéant, que dans le cadre de la mise en balance des intérêts en présence.

55      Il s’ensuit que la requérante n’a pas établi l’existence d’un préjudice grave et irréparable qui découlerait de sa mise en conformité avec l’article 38 du règlement 2022/2065.

 Sur l’obligation découlant de l’article 39 du règlement 2022/2065

56      La requérante soutient que l’obligation de constituer et de rendre accessible un registre des publicités implique la divulgation d’informations confidentielles qui lui causerait un préjudice grave et irréparable pour ses activités publicitaires et, par extension, pour l’ensemble de ses activités. Ces informations confidentielles concerneraient tant la requérante que ses annonceurs, de sorte que leur divulgation réduirait sa position concurrentielle et aboutirait irréversiblement à une perte de part de marché, qui serait pratiquement impossible de quantifier avec précision.

57      Selon la requérante, le registre des publicités identifierait les annonceurs, les paramètres de ciblage ainsi que le nombre total de clients que ces paramètres permettent d’atteindre. Une fois ces informations divulguées dans le domaine public, il serait très difficile de revenir sur cette divulgation, car les concurrents des très grandes plateformes en ligne conserveraient la connaissance des stratégies et des technologies les plus efficaces. La publication de ces informations porterait donc gravement et irrémédiablement préjudice à ses activités publicitaires et aux stratégies publicitaires confidentielles de ses partenaires publicitaires.

58      En outre, la requérante précise que les vendeurs tiers transféreront leurs activités vers d’autres canaux de vente, tels que leurs propres magasins de détail ou d’autres places de marché en ligne plus petites qui ne sont pas soumises à l’article 39 du règlement 2022/2065, même si l’obligation de conserver le registre est supprimée par la suite. Par conséquent, elle estime qu’elle perdrait irréversiblement des parts de marché au profit de ses concurrents, tant pour ses activités générales de vente au détail que pour ses activités publicitaires.

59      Enfin, la requérante ajoute que le préjudice subi n’est pas seulement de nature pécuniaire et ne peut pas être uniquement quantifié en termes financiers. Il lui serait difficile de prouver le lien de causalité entre l’incidence du registre des publicités et ses activités, voire de déterminer la période au cours de laquelle le préjudice se produit. Cela signifie que toute demande de dommages et intérêts qu’elle pourrait introduire après l’issue de la procédure au principal serait sans objet. Cela est d’autant plus vrai que le registre des publicités révélera publiquement des informations confidentielles.

60      La Commission rétorque, en substance, que la requérante est tenue de mettre la plupart des informations en cause à la disposition du public en vertu de plusieurs actes juridiques de l’Union et que la seule nouveauté apportée par l’article 39 du règlement 2022/2065 réside dans le regroupement des informations correspondantes dans un registre, et non dans leur mise à disposition du public.

61      À titre liminaire, il importe de relever que la requérante invoque un préjudice résultant de la divulgation d’informations prétendument confidentielles. Dans un tel cas, aux fins de l’appréciation de l’existence d’un préjudice grave et irréparable, et sans préjudice de l’examen du fumus boni juris, lequel est lié à ladite appréciation tout en étant distinct de celle‑ci, le juge des référés doit nécessairement partir de la prémisse selon laquelle les informations prétendument confidentielles le sont effectivement, conformément aux allégations formulées par la requérante [voir, en ce sens, ordonnance du 28 novembre 2013, EMA/AbbVie, C‑389/13 P(R), non publiée, EU:C:2013:794, point 38].

62      Par conséquent, il y a lieu de considérer, pour les besoins du présent examen de la condition liée à l’urgence, que les informations litigieuses revêtent un caractère confidentiel. En revanche, la question de savoir si le registre des publicités prévu par l’article 39 du règlement 2022/2065 obligera à divulguer des informations confidentielles tant de la requérante que de ses annonceurs, relève de l’appréciation du fumus boni iuris du troisième moyen invoqué par la requérante à l’appui de son recours contre la décision attaquée.

63      Dans ce cadre, il y a lieu de relever que la question de savoir dans quelle mesure la divulgation d’informations prétendument confidentielles cause un préjudice grave et irréparable dépend d’une combinaison de circonstances, telles que, notamment, l’importance sur les plans professionnel et commercial des informations pour l’entreprise qui réclame leur protection et l’utilité de celles-ci pour d’autres entreprises présentes sur le marché qui sont susceptibles d’en prendre connaissance et de les utiliser par la suite [voir, en ce sens, ordonnance du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group, C‑278/13 P(R), EU:C:2013:558, point 42].

64      En l’espèce, il y a lieu de constater que les obligations relatives au registre des publicités qui fournit des informations sur les publicités sur la plateforme de la requérante permettent aux tiers d’accéder à d’importants secrets d’affaires concernant les stratégies publicitaires des clients annonceurs de la requérante. Des informations stratégiques telles que la durée de la campagne, sa portée et les paramètres de ciblage sont révélés. Cela permettra aux concurrents et aux partenaires publicitaires de la requérante d’obtenir des informations sur le marché de manière continue, au détriment de la requérante et de ses partenaires publicitaires.

65      Les éléments avancés par la requérante permettent donc d’établir qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave.

66      En outre, dans la mesure où la divulgation des informations litigieuses, ensemble, les rendrait extrêmement sensibles, en ce qu’elle donnerait au public en général une connaissance approfondie, à un niveau de détail très poussé, des relations d’affaires sensibles de la requérante avec la majorité de ses clients, cela pourrait aussi accroître de manière exponentielle et artificielle la transparence du marché en cause en permettant à chacun des concurrents de la requérante d’accéder à des informations sensibles concernant ses relations d’affaires avec ses clients.

67      Par conséquent, il convient de relever que le préjudice invoqué présente le degré de gravité requis. En effet, en partant de la prémisse selon laquelle les informations litigieuses sont confidentielles, leur divulgation occasionnerait nécessairement un préjudice important à la requérante.

68      S’agissant du caractère irréparable de ce préjudice, il est effectivement évident que l’annulation de la décision attaquée par le Tribunal ne saurait inverser les effets de la divulgation des informations litigieuses, dès lors que la prise de connaissance de celles-ci par les personnes les ayant lues n’en serait pas effacée.

69      Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de constater que la condition relative à l’urgence est remplie en l’espèce, la survenance probable, pour la requérante, d’un préjudice grave et irréparable étant établie à suffisance de droit.

 Sur le fumus boni juris

70      Selon une jurisprudence constante, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsque à tout le moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence d’un différend juridique ou factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond (voir, en ce sens, ordonnance du 8 avril 2014, Commission/ANKO, C‑78/14 P‑R, EU:C:2014:239, point 15 et jurisprudence citée).

71      Aux fins de démontrer que la décision attaquée est, à première vue, entachée d’illégalité, la requérante allègue que l’article 39 du règlement 2022/2065 viole le principe d’égalité de traitement et constitue une restriction disproportionnée aux droits de la requérante au titre des articles 7, 16 et 17 de la Charte.

72      En premier lieu, la requérante précise que le registre des publicités mis en place en vertu de l’article 39 du règlement 2022/2065 révèle des informations confidentielles stratégiques, telles que la durée des campagnes, leur portée et les paramètres de ciblage, ce qui permettrait aux concurrents et à ses partenaires publicitaires d’obtenir des informations sur le marché de manière continue à son détriment et à celui de ses partenaires publicitaires. Elle estime que l’obligation de tenir et de mettre à la disposition du public un registre de publicités perturbera, par conséquent, les relations commerciales qu’elle entretient actuellement avec ses partenaires publicitaires, ce qui rendra Amazon Store moins attrayant pour les annonceurs et imposera des charges de mise en œuvre importantes et des coûts récurrents.

73      En second lieu, la requérante fait valoir qu’il existe une alternative moins onéreuse, dans la mesure où l’objectif de faciliter la surveillance et la recherche sur les risques émergents engendrés par la diffusion de la publicité en ligne pourrait être atteint en mettant un registre raisonnablement structuré à la disposition des régulateurs et des chercheurs agréés du type visé à l’article 40, paragraphe 8, du règlement 2022/2065, sous réserve de dispositions appropriées visant à protéger les secrets d’affaires. Cela garantirait l’objectif de la surveillance et de la recherche tout en protégeant les informations confidentielles figurant dans le registre en ne les mettant pas à la disposition du grand public.

74      La Commission conteste cette argumentation. Elle allègue, notamment, que les informations que la requérante est tenue de recueillir dans son registre des publicités conformément à l’article 39 du règlement 2022/2065 ne sont pas de nature confidentielle, dans la mesure où plusieurs actes juridiques de l’Union exigent que les informations en cause soient mises à la disposition du public.

75      En l’espèce, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel le registre des publicités mis en place en vertu de l’article 39 du règlement 2022/2065 révèle des informations confidentielles stratégiques, il convient de relever qu’il semble, à première vue, que, pour le moins, une partie des informations que la requérante est tenue de diffuser dans son registre des publicités n’est pas encore mise à la disposition du public.

76      En effet, s’agissant de l’information que la requérante est tenue de fournir au titre de l’article 39, paragraphe 2, sous d), du règlement 2022/2065, à savoir la période au cours de laquelle la publicité a été présentée, il y a lieu de constater que l’article 6, sous b), de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1), ne concerne, à première vue, que l’information relative à la personne physique ou morale pour le compte de laquelle la communication commerciale est faite, et non la période au cours de laquelle la publicité a été présentée, prévue à l’article 39, paragraphe 2, sous d), dudit règlement comme la Commission l’invoque. De même, l’article 26, paragraphe 1, sous a) à c), de ce règlement ne concerne pas non plus les informations relatives à la période au cours de laquelle la publicité a été présentée.

77      En outre, s’agissant de l’information que la requérante est tenue de fournir au titre de l’article 39, paragraphe 2, sous g), du règlement 2022/2065, à savoir le nombre total de destinataires du service atteint et, le cas échéant, les nombres totaux ventilés par État membre pour le ou les groupes de destinataires que la publicité ciblait spécifiquement, il y a lieu de constater que l’article 26, paragraphe 1, sous d), dudit règlement ne concerne pas non plus, à première vue, ce type d’informations. De même, il semble que l’article 5, paragraphe 1, du règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne (JO 2019, L 186, p. 57), qui prévoit que les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne indiquent dans leurs conditions générales les principaux paramètres déterminant le classement, et les raisons justifiant l’importance relative de ces principaux paramètres au regard des autres paramètres, ne concerne pas non plus, à première vue les informations visées à l’article 39, paragraphe 2, sous g), du règlement 2022/2065.

78      Enfin, il semble que l’article 39 du règlement 2022/2065 ne prévoit pas le même type d’informations prévues à l’article 15, paragraphe 1, sous h), du règlement 2016/679, qui concerne les informations relatives à l’existence d’une prise de décision automatisée, y compris un profilage, et, à tout le moins en pareils cas, des informations utiles concernant la logique sous-jacente, ainsi que l’importance et les conséquences prévues de ce traitement pour la personne concernée.

79      Par conséquent, il y a lieu de conclure que, sans préjuger de la décision du Tribunal sur le recours principal, ce moyen, invoqué par la requérante, apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux et mérite donc un examen approfondi qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit l’être dans le cadre de la procédure au fond.

 Sur la mise en balance des intérêts

80      Selon une jurisprudence bien établie, la mise en balance des intérêts consiste pour le juge des référés à déterminer si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte litigieux en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir ordonnance du 26 juin 2003, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 R et C‑217/03 R, EU:C:2003:385, point 142 et jurisprudence citée).

81      S’agissant plus particulièrement de la condition selon laquelle la situation juridique créée par une ordonnance de référé doit être réversible, il y a lieu de noter que la finalité de la procédure de référé se limite à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond. Par conséquent, cette procédure a un caractère purement accessoire au regard de la procédure principale sur laquelle elle se greffe, de sorte que la décision prise par le juge des référés doit présenter un caractère provisoire en ce sens qu’elle ne saurait ni préjuger du sens de la future décision au fond ni la rendre illusoire en la privant d’effet utile (voir ordonnance du 1er septembre 2015, France/Commission, T‑344/15 R, EU:T:2015:583, point 47 et jurisprudence citée).

82      En l’espèce, le Tribunal sera appelé à statuer, dans le cadre du litige principal, sur la question de savoir si la décision attaquée, en conséquence de laquelle la requérante sera obligée de tenir et de mettre à la disposition du public un registre de publicités, conformément à l’article 39 du règlement 2022/2065, doit être annulée. Or, pour conserver l’effet utile d’un arrêt annulant la décision attaquée, la requérante doit être en mesure d’éviter la divulgation illicite desdites informations. Un arrêt d’annulation serait rendu illusoire et privé d’effet utile si la présente demande en référé était rejetée, ce rejet ayant pour conséquence de permettre la divulgation immédiate des informations litigieuses et donc, de facto, de préjuger du sens de la future décision au fond, à savoir un rejet du recours en annulation.

83      Il s’ensuit que l’intérêt à un rejet de la demande en référé doit céder devant l’intérêt défendu par la requérante, d’autant plus que l’octroi du sursis à exécution sollicité ne reviendrait qu’à maintenir le statu quo pour une période limitée.

84      En conséquence, toutes les conditions étant réunies à cet effet, il y a lieu de faire droit à la demande de sursis à l’exécution de la décision attaquée, dans la mesure où, en vertu de cette décision, Amazon Store sera obligée de mettre à la disposition du public un registre de publicités, conformément à l’article 39 de ce règlement. Le sursis à l’exécution de la décision attaquée est toutefois octroyé sans préjudice de l’obligation que la requérante tienne le registre des publicités, ce que la requérante affirme être en train de créer.

85      La présente ordonnance clôturant la procédure en référé, il y a lieu de rapporter l’ordonnance du 28 juillet 2023, Amazon Services Europe/Commission (T‑367/23 R, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure, en vertu de laquelle il a été ordonné à la Commission de surseoir à l’exécution de la décision attaquée jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé.

86      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision de la Commission européenne, du 25 avril 2023, sous la référence C(2023) 2746 final, désignant Amazon Store comme étant une très grande plateforme en ligne conformément au règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil, du 19 octobre 2022, relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques), dans la mesure où, en vertu de cette décision, Amazon Store sera obligée de mettre à la disposition du public un registre de publicités, conformément à l’article 39 de ce règlement, sans préjudice de l’obligation que la requérante tienne le registre des publicités.

2)      La demande en référé est rejetée pour le surplus.

3)      Les dépens sont réservés.