CJUE, 6e ch., 11 avril 2024, n° C-723/22
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Citadines Betriebs GmbH
Défendeur :
MPLC Deutschland GmbH
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. von Danwitz
Juges :
Mme Ziemele (rapporteure), M. Xuereb
Avocat général :
M. Szpunar
Avocats :
Me Conrad, Me Schubert, Me König
LA COUR (sixième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Citadines Betriebs GmbH (ci-après « Citadines »), l’exploitant d’un établissement hôtelier, à MPLC Deutschland GmbH (ci-après « MPLC »), un organisme de gestion collective, au sujet d’une prétendue violation, par Citadines, du droit exclusif de communication au public que MPLC détiendrait sur un épisode d’une série télévisée diffusé sur une chaîne de télévision publique, que des clients de cet établissement ont pu visionner sur des postes de télévision mis à disposition par Citadines dans les chambres ainsi que dans la salle de sport dudit établissement.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 93/83/CEE
3 L’article 1er, paragraphe 3, de la directive 93/83/CEE du Conseil, du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble (JO 1993, L 248, p. 15), dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par “retransmission par câble” la retransmission simultanée, inchangée et intégrale par câble ou par un système de diffusion par ondes ultracourtes pour la réception par le public d’une transmission initiale à partir d’un autre État membre, sans fil ou avec fil, notamment par satellite, d’émissions de télévision ou de radio destinées à être captées par le public. »
4 L’article 8, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
« Les États membres veillent à ce que les retransmissions par câble d’émissions provenant d’autres États membres se déroulent sur leur territoire dans le respect des droits d’auteur et droits [voisins] en vigueur et sur la base de contrats individuels ou collectifs conclus entre les titulaires des droits d’auteur et de droits voisins et les distributeurs par câble. »
La directive 2001/29
5 Les considérants 4, 9, 10, 23 et 27 de la directive 2001/29 énoncent :
« (4) Un cadre juridique harmonisé du droit d’auteur et des droits voisins, en améliorant la sécurité juridique et en assurant dans le même temps un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle, encouragera des investissements importants dans des activités créatrices et novatrices [...] et favorisera ainsi la croissance et une compétitivité accrue de l’industrie européenne [...]
[...]
(9) Toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.
(10) Les auteurs ou les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, doivent obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, de même que les producteurs pour pouvoir financer ce travail. L’investissement nécessaire pour créer des produits, tels que des phonogrammes, des films ou des produits multimédias, et des services tels que les services à la demande, est considérable. Une protection juridique appropriée des droits de propriété intellectuelle est nécessaire pour garantir une telle rémunération et permettre un rendement satisfaisant de l’investissement.
[...]
(23) La présente directive doit harmoniser davantage le droit d’auteur de communication au public. Ce droit doit s’entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication. Ce droit couvre toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion. Il ne couvre aucun autre acte.
[...]
(27) La simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de la présente directive. »
6 L’article 3, paragraphe 1, de cette directive dispose :
« Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. »
Le droit allemand
7 L’article 15, paragraphe 2, du Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte – Urheberrechtsgesetz (loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins), du 9 septembre 1965 (BGBl. 1965 I, p. 1273), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après l’UrhG »), énonce :
« L’auteur a de plus le droit exclusif de communiquer son œuvre au public sous une forme immatérielle (droit de communication au public). Le droit de communication au public comprend en particulier :
1. le droit de présentation, d’exécution et de représentation (article 19) ;
2. le droit de mise à disposition du public (article 19 bis) ;
3. le droit de radiodiffusion (article 20) ;
4. le droit de communication au moyen de supports visuels ou sonores (article 21) ;
5. le droit de communiquer des émissions radiodiffusées et de les mettre à la disposition du public (article 22). »
8 L’article 20 de l’UrhG est libellé comme suit :
« Le droit de radiodiffusion est le droit de mettre l’œuvre à la disposition du public par radiodiffusion, telle que la radiodiffusion sonore et télévisuelle, la radiodiffusion par satellite, la radiodiffusion par câble, ou par des moyens techniques similaires. »
9 L’article 20b, paragraphe 1, de l’UrhG prévoit :
« Seul un organisme de gestion collective des droits peut faire valoir le droit de retransmission d’une œuvre radiodiffusée dans le cadre d’un programme retransmis simultanément, dans une version inchangée et intégrale par des systèmes câbles ou à micro-ondes (retransmission par câble). Cette règle ne s’applique pas aux droits qu’un radiodiffuseur fait valoir sur ses propres émissions. »
10 L’article 22 de l’UrhG dispose :
« Le droit de communiquer des émissions radiodiffusées et des communications mises à la disposition du public est le droit d’autoriser la mise à disposition du public d’émissions radiodiffusées et les retransmissions de l’œuvre résultant de la mise à disposition du public au moyen d’un écran, d’un haut-parleur ou d’installations techniques similaires. L’article 19, paragraphe 3, est applicable par analogie. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
11 MPLC, un organisme de gestion collective indépendant et à but lucratif en vertu du droit allemand, a introduit contre Citadines, l’exploitante d’un établissement hôtelier, devant le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I, Allemagne), une action tendant à la cessation de la communication au public d’un épisode d’une série télévisée sous la forme d’une émission radiodiffusée au moyen de postes de télévision installés par cette dernière société dans les chambres ainsi que dans la salle de sport de cet établissement, dans la mesure où le signal serait retransmis aux postes de télévision au moyen d’un câble coaxial ou d’un câble de données. Cet épisode, diffusé par une chaîne de télévision publique, aurait ainsi été visionné le 17 novembre 2019 par des clients dudit établissement, ce signal ayant été acheminé simultanément et sans modification vers ces postes au moyen d’un réseau de distribution par câble propre au même établissement. Aux fins de la retransmission par câble, Citadines a conclu, de façon exhaustive, des contrats de licence avec les sociétés de gestion collective allemandes.
12 Par une ordonnance de référé du 17 janvier 2020, le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I) a interdit à Citadines de mettre à la disposition du public ledit épisode.
13 Par un jugement du 18 juin 2020, cette juridiction a confirmé cette ordonnance de référé.
14 Citadines a interjeté appel de ce jugement devant l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi.
15 Cette société estime être en droit de mettre à la disposition de ses clients, sur les postes de télévision installés dans les chambres ainsi que dans la salle de sport de l’établissement hôtelier concerné, les émissions diffusées gratuitement sur la télévision publique, du fait qu’elle est titulaire de licences aux fins de la retransmission par câble.
16 En revanche, MPLC fait valoir que, en retransmettant le signal en cause au moyen d’un réseau de distribution par câble propre à cet établissement, Citadines a porté atteinte au droit de communication au public dont elle serait titulaire. Il serait à cet égard sans pertinence que Citadines ait clarifié la question du droit de retransmission par câble avec des sociétés de gestion collective.
17 La juridiction de renvoi relève que, selon la jurisprudence de la Cour, si la simple fourniture d’appareils de réception ne constitue pas, en tant que telle, compte tenu du considérant 27 de la directive 2001/29, une communication au public, il est porté atteinte au droit de communication au public lorsqu’une retransmission du signal en amont aux appareils de réception est effectuée au moyen d’un tel réseau de distribution par câble.
18 Cette juridiction fait toutefois observer que, en l’occurrence, les actes accomplis par Citadines allant au-delà du cadre de la simple fourniture de postes de télévision consistaient uniquement à retransmettre le signal de télévision au moyen d’un réseau de distribution par câble propre à l’hôtel, ce que cette société était en droit de faire en raison de la licence qui lui avait été accordée par les sociétés de gestion collective. Or, il serait douteux que la dissociation dont la communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, fait l’objet en droit allemand entre le droit prévu à l’article 20b de l’UrhG (« retransmission ») et celui prévu à l’article 22 de l’UrhG (« communication d’émissions radiodiffusées ») permette de considérer que, à la suite d’actes qu’un utilisateur est en droit d’accomplir conformément à cet article 20b au titre d’une licence, à savoir la retransmission par câble à l’intérieur de l’hôtel, l’on puisse tirer la conclusion que cet utilisateur avait l’intention d’accomplir un « acte de communication » dans son ensemble, dès lors que ces actes consistent uniquement à fournir des appareils de réception, ce qui ne serait pas constitutif d’une violation du droit de communication au public.
19 C’est dans ces conditions que l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Convient-il d’interpréter l’article 3, paragraphe 1, de la directive [2001/29] en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle la fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication, telles que les téléviseurs installés dans les chambres ou dans la salle de sport d’un hôtel, constitue une communication au public lorsque, certes, le signal est en outre retransmis aux installations au moyen d’un réseau de distribution par câble propre à l’hôtel, mais que cette retransmission par câble a lieu de manière légale au titre d’une licence acquise par l’hôtel ? »
Sur la question préjudicielle
Observations liminaires
20 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que les doutes éprouvés par la juridiction de renvoi découlent, ainsi qu’il a été relevé au point 18 du présent arrêt, de la « dissociation » dont la communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, ferait l’objet en droit national entre, d’une part, le droit prévu à l’article 20b de l’UrhG et, d’autre part, celui prévu à l’article 22 de l’UrhG, ces droits transposant, selon les indications figurant dans la décision de renvoi, cet article 3, paragraphe 1.
21 Dans sa réponse à la demande d’éclaircissements qui lui a été adressée par la Cour conformément à l’article 101 du règlement de procédure de la Cour, la juridiction de renvoi a toutefois relevé que l’article 20b de l’UrhG était essentiellement issu de la modification de cette loi par le Viertes Gesetz zur Änderung des Urheberrechtsgesetzes vom 8. Mai 1998 (quatrième loi portant modification de l’UrhG du 8 mai 1998) (BGBl. 1998 I, p. 902), qui avait vocation à transposer la directive 93/83 dans l’ordre juridique allemand.
22 Tout en indiquant que l’article 20b de l’UrhG a, par la suite, été modifié avec effet au 1er janvier 2008 par le Zweites Gesetz zur Regelung des Urheberrechts in der Informationsgesellschaft vom 26. Oktober 2007 (deuxième loi portant réglementation du droit d’auteur dans la société de l’information du 26 octobre 2007) (BGBl. 2007 I, p. 2513) afin de poursuivre l’adaptation du droit d’auteur allemand aux évolutions dans le domaine des technologies de l’information et de la communication ainsi que de résoudre les questions qui, compte tenu du délai court de transposition de la directive 2001/29, n’avaient pas pu l’être dans le cadre de la précédente réforme du droit d’auteur, cette juridiction souligne que, selon l’exposé des motifs de cette loi, il « n’était pas question de modifier la structure de base du droit de retransmission par câble “eu égard à des exigences internationales et européennes” ».
23 Selon une jurisprudence constante, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation de dispositions nationales, une telle interprétation relevant en effet de la compétence exclusive du juge national. Ainsi, la Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur la question de savoir si les dispositions de l’article 20b de l’UrhG constituent une transposition de la directive 93/83 ou de la directive 2001/29 [voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2021, A et B (Taxation en commun des petites brasseries), C 221/20 et C 223/20, EU:C:2021:890, points 16 et 17 ainsi que jurisprudence citée].
24 Cela étant précisé, il y a lieu de relever que la juridiction de renvoi indique clairement, dans sa réponse visée au point 21 du présent arrêt, que la quatrième loi portant modification de l’UrhG du 8 mai 1998, qui a inséré un article 20b dans l’UrhG, a transposé la directive 93/83.
25 Sur ce point, il convient de rappeler, en premier lieu, que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 93/83, la notion de « retransmission par câble » est définie comme étant la « retransmission simultanée, inchangée et intégrale par câble ou par un système de diffusion par ondes ultracourtes pour la réception par le public d’une transmission initiale à partir d’un autre État membre, sans fil ou avec fil, notamment par satellite, d’émissions de télévision ou de radio destinées à être captées par le public ».
26 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, la directive 93/83 ne régit que l’exercice du droit de retransmission par câble dans la relation entre les titulaires des droits d’auteur et de droits voisins, d’une part, et les « distributeurs par câble » ou les « câblodistributeurs », d’autre part. Or, les notions de « distributeur par câble » ou de « câblodistributeur » désignent les opérateurs des réseaux câblés traditionnels (arrêt du 8 septembre 2022, RTL Television, C 716/20, EU:C:2022:643, points 76 et 77).
27 Il s’ensuit qu’un établissement hôtelier ne saurait être considéré comme étant un « distributeur par câble », au sens de la directive 93/83 (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2022, RTL Television, C 716/20, EU:C:2022:643, points 84 et 85).
28 En second lieu, quant à la circonstance, relevée par la juridiction de renvoi, que, dans l’affaire au principal, l’établissement hôtelier exploité par Citadines disposerait d’un contrat de licence autorisant les retransmissions en cause, il y a lieu de constater que la décision de renvoi ne contient aucune précision sur le type d’actes qui sont couverts par un tel contrat de licence.
29 Dans ses observations écrites, Citadines a fait observer que, si elle ne conteste pas que, en retransmettant des émissions aux appareils de réception à l’intérieur de son établissement hôtelier, elle a effectué des actes de communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, elle affirme également que, à cet effet, elle a acquis, de manière exhaustive, les licences requises auprès des sociétés de gestion collective compétentes, pour lesquelles elle paie annuellement une redevance forfaitaire pour chaque chambre d’hôtel.
30 Pour sa part, MPLC a fait valoir que le contrat de licence conclu par Citadines ne couvre pas la retransmission directe et indirecte de programmes de radio et de télévision au moyen d’un réseau de distribution propre à l’établissement hôtelier concerné.
31 À cet égard, conformément à une jurisprudence constante, dans le contexte de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national (arrêt du 17 décembre 2020, BAKATI PLUS, C 656/19, EU:C:2020:1045, point 30 et jurisprudence citée).
32 Partant, c’est à la juridiction de renvoi qu’il incombe de déterminer si, dans le litige dont elle est saisie, le contrat de licence conclu par Citadines couvre les éventuels actes de communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, effectués par cette société.
33 Dans ce contexte, il importe, en tout état de cause, d’ajouter que la circonstance qu’un tel contrat de licence ait été conclu est sans pertinence sur le point de savoir si les retransmissions en cause constituent une communication au public, au sens de cette disposition. En revanche, ainsi que la Commission européenne l’a relevé dans ses observations écrites, l’existence d’un tel contrat de licence est susceptible d’établir si une telle communication, à la supposer avérée, a été autorisée par l’auteur de l’œuvre concernée.
34 C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la question préjudicielle.
Sur le fond
35 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que la fourniture de postes de télévision installés dans les chambres ou dans la salle de sport d’un établissement hôtelier, lorsqu’un signal est, en outre, retransmis à ces postes au moyen d’un réseau de distribution par câble propre à cet établissement, constitue une « communication au public », au sens de cette disposition.
36 À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, « [l]es États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière à ce que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ».
37 Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, en vertu de cette disposition, les auteurs disposent d’un droit de nature préventive leur permettant de s’interposer entre d’éventuels utilisateurs de leur œuvre et la communication au public que ces utilisateurs pourraient envisager d’effectuer, et ce afin d’interdire celle-ci (arrêts du 31 mai 2016, Reha Training, C 117/15, EU:C:2016:379, point 30, et du 22 juin 2021, YouTube et Cyando, C 682/18 et C 683/18, EU:C:2021:503, point 62 ainsi que jurisprudence citée).
38 Pour ce qui concerne le contenu de la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, celle-ci doit, comme le souligne le considérant 23 de la directive 2001/29, s’entendre au sens large comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication et, ainsi, toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion. En effet, il résulte des considérants 4, 9 et 10 de cette directive que celle-ci a pour objectif principal d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur des auteurs, permettant à ceux-ci d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, notamment à l’occasion d’une communication au public (arrêt du 22 juin 2021, YouTube et Cyando, C 682/18 et C 683/18, EU:C:2021:503, point 63 et jurisprudence citée).
39 À cet égard, ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, cette notion associe deux éléments cumulatifs, à savoir un acte de communication d’une œuvre et la communication de cette dernière à un public, et implique une appréciation individualisée (arrêts du 31 mai 2016, Reha Training, C 117/15, EU:C:2016:379, point 37 ; du 2 avril 2020, Stim et SAMI, C 753/18, EU:C:2020:268, point 30, et du 22 juin 2021, YouTube et Cyando, C 682/18 et C 683/18, EU:C:2021:503, point 66 ainsi que jurisprudence citée).
40 Aux fins d’une telle appréciation, il importe de tenir compte de plusieurs critères complémentaires, de nature non autonome et interdépendants les uns par rapport aux autres. Ces critères pouvant, dans différentes situations concrètes, être présents avec une intensité très variable, il y a lieu de les appliquer tant individuellement que dans leur interaction les uns avec les autres (arrêts du 31 mai 2016, Reha Training, C 117/15, EU:C:2016:379, point 35, et du 22 juin 2021, YouTube et Cyando, C 682/18 et C 683/18, EU:C:2021:503, point 67 ainsi que jurisprudence citée).
41 Parmi ces critères, la Cour a, d’une part, souligné le rôle incontournable joué par l’utilisateur et le caractère délibéré de son intervention. En effet, celui-ci réalise un « acte de communication » lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, en principe, jouir de l’œuvre diffusée (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, YouTube et Cyando, C 682/18 et C 683/18, EU:C:2021:503, point 68 ainsi que jurisprudence citée).
42 Par ailleurs, la Cour a jugé que le caractère lucratif d’une communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, n’est pas dénué de pertinence (arrêt du 8 septembre 2016, GS Media, C 160/15, EU:C:2016:644, point 38 et jurisprudence citée).
43 D’autre part, pour relever de la notion de « communication au public », au sens de cette disposition, encore faut-il que les œuvres protégées soient effectivement communiquées à un public [arrêts du 31 mai 2016, Reha Training, C 117/15, EU:C:2016:379, point 40, et du 28 octobre 2020, BY (Preuve photographique), C 637/19, EU:C:2020:863, point 25 ainsi que jurisprudence citée].
44 À cet égard, la Cour a précisé que la notion de « public » vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important (arrêts du 31 mai 2016, Reha Training, C 117/15, EU:C:2016:379, point 41, et du 22 juin 2021, YouTube et Cyando, C 682/18 et C 683/18, EU:C:2021:503, point 69 ainsi que jurisprudence citée).
45 Il résulte également d’une jurisprudence constante que, pour être qualifiée de « communication au public », une œuvre protégée doit être communiquée selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés ou, à défaut, auprès d’un « public nouveau », c’est à-dire un public n’ayant pas été déjà pris en compte par le titulaire du droit lorsqu’il a autorisé la communication initiale de son œuvre au public (arrêt du 22 juin 2021, YouTube et Cyando, C 682/18 et C 683/18, EU:C:2021:503, point 70 ainsi que jurisprudence citée).
46 C’est au regard, notamment, de ces critères, et conformément à l’appréciation individualisée rappelée au point 39 du présent arrêt, qu’il convient d’apprécier si, dans une affaire telle que celle en cause au principal, l’exploitant d’un établissement hôtelier qui fournit dans les chambres et la salle de sport de cet établissement des postes de télévision et/ou de radio auxquels il retransmet un signal radiodiffusé réalise un acte de communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.
47 S’il appartient, en principe, au juge national de déterminer si tel est le cas dans une espèce particulière et de porter toutes appréciations de fait définitives à cet égard, la Cour est compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union pour apprécier s’il existe un tel acte de communication au public.
48 En l’occurrence, en premier lieu, il convient de considérer que l’exploitant d’un établissement hôtelier procède à un acte de communication, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, lorsqu’il transmet délibérément à sa clientèle des œuvres protégées, en distribuant volontairement un signal au moyen de postes de télévision qu’il a installés dans cet établissement (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C 117/15, EU:C:2016:379, point 54 et jurisprudence citée).
49 En deuxième lieu, la Cour a déjà jugé que les clients d’un tel établissement hôtelier constituent un nombre indéterminé de destinataires potentiels, dans la mesure où l’accès de ces clients aux services de cet établissement résulte, en principe, du choix propre à chacun d’entre eux et n’est limité que par la capacité d’accueil dudit établissement, et que les clients d’un établissement hôtelier constituent un nombre assez important de personnes, de sorte que celles-ci doivent être considérées comme étant un « public » [arrêt du 15 mars 2012, Phonographic Performance (Ireland), C 162/10, EU:C:2012:141, points 41 et 42].
50 En troisième lieu, la Cour a jugé que, pour qu’il y ait communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, il faut que l’utilisateur concerné donne, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, accès à une émission radiodiffusée contenant une œuvre protégée à un public supplémentaire et qu’il apparaisse ainsi que, en l’absence de cette intervention, les personnes constituant ce public « nouveau », tout en se trouvant à l’intérieur de la zone de couverture de cette émission, ne pourraient, en principe, jouir de cette œuvre. Ainsi, lorsque l’exploitant d’un établissement hôtelier transmet délibérément à sa clientèle une telle œuvre, en distribuant volontairement un signal au moyen de récepteurs de télévision ou de radio qu’il a installés dans cet établissement, il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner accès à cette œuvre à ses clients. En effet, en l’absence de cette intervention, ces clients, tout en se trouvant à l’intérieur d’une telle zone de couverture, ne pourraient, en principe, jouir de ladite œuvre (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C 117/15, EU:C:2016:379, points 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée).
51 En quatrième lieu, selon la jurisprudence de la Cour, pour qu’il y ait communication au public, au sens de cette disposition, il suffit que l’œuvre soit mise à la disposition du public de sorte que les personnes qui composent celui-ci puissent y avoir accès (voir, en ce sens, arrêt du 7 décembre 2006, SGAE, C 306/05, EU:C:2006:764, point 43). Il s’ensuit qu’est dépourvue de pertinence la circonstance, mentionnée par la juridiction de renvoi, que les postes de télévision aient été allumés non pas par Citadines, mais par des clients de l’établissement hôtelier exploité par cette société.
52 En cinquième lieu, s’agissant du caractère lucratif visé au point 42 du présent arrêt, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’acte par lequel l’exploitant d’un établissement hôtelier donne accès à une œuvre radiodiffusée à ses clients constitue une prestation de service supplémentaire ayant une influence sur le standing de cet établissement et, partant, sur le prix des chambres de celui-ci, de sorte que cet acte revêt un caractère lucratif [voir, en ce sens, arrêts du 7 décembre 2006, SGAE, C 306/05, EU:C:2006:764, point 44, ainsi que du 15 mars 2012, Phonographic Performance (Ireland), C 162/10, EU:C:2012:141, points 44 et 45].
53 En sixième et dernier lieu, il ne saurait être considéré que la fourniture de postes de télévision dans les chambres et la salle de sport de l’établissement hôtelier en cause au principal constitue une « simple fourniture d’installations », au sens du considérant 27 de la directive 2001/29.
54 En effet, s’agissant d’établissements hôteliers, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, si la simple fourniture d’installations physiques, impliquant, outre un tel établissement, habituellement des entreprises spécialisées dans la vente ou la location d’appareils de télévision, ne constitue pas, en tant que telle, un acte de communication au sens de la directive 2001/29, il n’en reste pas moins que ces installations peuvent rendre techniquement possible l’accès du public à des œuvres radiodiffusées. Dès lors, si, au moyen des appareils de télévision ainsi installés, cet établissement hôtelier distribue le signal à ses clients logés dans les chambres de celui-ci, il s’agit d’une communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, sans qu’il importe de savoir quelle est la technique de transmission du signal utilisée (voir, en ce sens, arrêt du 7 décembre 2006, SGAE, C 306/05, EU:C:2006:764, point 46).
55 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que la fourniture de postes de télévision installés dans les chambres ou dans la salle de sport d’un établissement hôtelier, lorsqu’un signal est, en outre, retransmis à ces postes au moyen d’un réseau de distribution par câble propre à cet établissement, constitue une « communication au public », au sens de cette disposition.
Sur les dépens
56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information,
doit être interprété en ce sens que :
la fourniture de postes de télévision installés dans les chambres ou dans la salle de sport d’un établissement hôtelier, lorsqu’un signal est, en outre, retransmis à ces postes au moyen d’un réseau de distribution par câble propre à cet établissement, constitue une « communication au public », au sens de cette disposition.