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Décisions

CA Colmar, 1re ch. A, 8 novembre 2023, n° 21/05228

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Kronenbourg (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Walgenwitz

Conseillers :

M. Roublot, Mme Rhode

Avocats :

Me Polidori, Me Crovisier

TJ Strasbourg, du 17 sept. 2021

17 septembre 2021

Exposé du litige

FAITS PROCÉDURE PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Aux termes d'un accord commercial bière conclu pour une durée de 5 ans à effet du 15 septembre 2017, M. [D] [O], exploitant un bar restaurant sous l'enseigne 'Bistrot du Diable', s'est engagé à s'approvisionner en bières des marques KRONENBOURG, pour un volume de 400 hl de bières en fûts, en contrepartie de l'obtention d'une prestation financière d'un montant de 16.666 euros HT et d'une rémunération en fonction des volumes réalisés.

Estimant que depuis avril 2018, M. [D] [O] avait cessé tout approvisionnement auprès la société LE CELLIER DISTRIBUTION, entrepositaire de la société KRONENBOURG - et ce en violation des obligations de l'accord commercial liant les parties qui prévoyaient un approvisionnement constant et exclusif - la SAS KRONENBOURG a assigné M. [D] [O] devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de STRASBOURG en résiliation du contrat de bière et paiement de l'indemnité contractuelle.

Par un jugement en date du 17 septembre 2021, le tribunal judiciaire de STRASBOURG a :

Constaté la résiliation de l'accord commercial bière du 10 octobre 2017, aux torts et griefs exclusifs de M. [D] [O], exploitant un bar restaurant sous l'enseigne 'Bistrot du Diable',

Condamné M. [D] [O], à payer à la SAS BRASSERIES KRONENBOURG la somme de 44.047,92 euros en règlement de l'indemnité contractuelle, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

Condamné M. [D] [O] aux entiers dépens de la présente instance.

Condamné M. [D] [O] à payer à la SAS KRONENBOURG une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

Débouté les parties de l'ensemble de leurs autres fins, moyens, demandes et prétentions.

Par une déclaration faite au greffe en date du 23 décembre 2021, M. [D] [O] a interjeté appel de cette décision.

Le 3 janvier 2022, la SAS BRASSERIES KRONENBOURG s'est constituée partie intimée dans la présente affaire.

Par ses dernières conclusions en date du 17 mars 2022, M. [D] [O] demande à la Cour de :

Déclarer l'appel de M. [D] [O] recevable et bien fondé.

En conséquence,

Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Et statuant à nouveau,

A titre principal,

Débouter la SAS KRONENBOURG de ses demandes comme étant infondées.

Prononcer, ordonner l'annulation du contrat conclu entre la SAS KRONENBOURG et M. [D] [O] le 20 octobre 2017.

Pour le reste,

A titre subsidiaire,

Dire et juger que la créance invoquée par la SAS KRONENBOURG est parfaitement indéterminée.

Réduire en tout état de cause l'indemnité contractuelle sollicitée par la SAS KRONENBOURG s'analysant comme une clause pénale.

En tout état de cause,

Rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la SAS KRONENBOURG.

Condamner la SAS KRONENBOURG à verser à M. [D] [O] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner la SAS KRONENBOURG aux entiers dépens de première instance et d'appel.

M. [D] [O] soutient, dans un premier temps, la nullité du contrat à raison d'un défaut de certitude sur la signature du brasseur, au motif qu'il n'est pas précisé dans l'acte qui est l'auteur de cette signature (absence de tampon, de nom, prénom et qualité du signataire).

Dans un deuxième temps, M. [D] [O] estime que l'accord commercial de bière serait nul pour indétermination du prix, en ce que la convention ne comporterait aucune mention quant au prix, à sa détermination ni aux conditions de son évolution.

En troisième lieu, M. [D] [O] affirme que la SAS KRONENBOURG ne démontre pas qu'il aurait seulement commandé 84.40 HL de bière entre 2017 et 2018, de sorte que la créance sollicitée ne serait ni déterminée, ni démontrée.

Enfin, sur la clause pénale, M. [D] [O] affirme que la SAS KRONENBOURG ne subirait aucun préjudice du fait de la résiliation de l'accord commercial. M. [D] [O] considère que devoir régler une somme qui correspond à 20 % de commandes qui ne seront jamais honorées constitue une condamnation excessive.

Par ses dernières conclusions en date du 2 juin 2022, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la SAS KRONENBOURG demande à la Cour de :

Dire et juger l'appel mal fondé.

En conséquence,

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 17 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG 19-01126.

Y ajoutant,

Condamner l'appelant à payer à la SAS KRONENBOURG une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure d'appel.

Au soutien de ses prétentions, sur la prétendue nullité du contrat à raison d'un problème portant sur sa signature, la SAS KRONENBOURG indique que l'accord commercial bière a bien été signé par son représentant en faisant remarquer que la signature de son représentant est également apposée en page 3 de l'accord litigieux.

Sur la prétendue nullité du contrat pour indétermination du prix, la SAS KRONENBOURG se fonde sur la jurisprudence de la Cour de cassation datant de 1995, indiquant que la détermination du prix n'est pas une condition de validité dans les contrats cadre.

Sur la prétendue indétermination de la créance sollicitée, la SAS KRONENBOURG indique qu'il revient à M. [D] [O] de démontrer avoir commandé et écoulé les hectolitres de bières contractualisés, en faisant référence à l'attestation de l'approvisionneur qui indique clairement quelles ont été les quantités de bière commandées et livrées.

Sur la clause pénale, la SAS KRONENBOURG fait valoir que le contrat prévoyait un objectif contractuel de commande de 400 HL sur 5 ans qui n'a pas été atteint (seuls 84,40 HL ont été commandés). Le montant réclamé est donc parfaitement justifié et calculé sur le manque.

La Cour se référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits, de la procédure et de leurs prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile.

Par une ordonnance en date du 4 janvier 2023, Madame le magistrat chargé de la mise en état près la cour d'appel de COLMAR a ordonné la clôture de la procédure et a renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoirie du 8 février 2023, audience reportée au 13 septembre 2023.

Motivation

MOTIFS DE LA DECISION :

1) Sur la résiliation de l'accord commercial bière du 10 octobre 2017 :

Aux termes de l'article 1103 du code civil 'les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits'.

En l'espèce, les parties au contrat, à savoir la SAS KRONENBOURG et M. [D] [O], ont signé un accord commercial bière (ACB+) le 10 octobre 2017. Il résulte de l'étude du contrat qu'en sa dernière page il a été signé par l'appelant et par une personne représentant de la SAS KRONENBOURG, sans pour autant que le nom ou la qualité de celle-ci ne soit précisé.

Monsieur [D] [O] ne conteste pas avoir signé ce contrat, ni qu'un tiers l'ait signé pour le compte de KRONENBOURG, ni avoir bénéficié de la prestation financière promise par le brasseur d'un montant de 16.666 euros HT. Le versement de ce montant démontre que le signataire de l'acte était bien habilité à engager la SAS KRONENBOURG, qui a respecté son engagement.

Dès lors, la validité de l'acte ne peut être remise en question du fait de l'absence d'indications concernant la qualité du signataire représentant KRONENBOURG.

M. [D] [O] fonde également son moyen tendant à obtenir la nullité du contrat, sur les articles 1591 et 1592 du code civil, estimant que le contrat serait frappé d'une 'indétermination du prix', soutenant que l'accord litigieux ne comporterait qu'un engagement de sa part à acquérir un volume de bière, pour une durée donnée, sans qu'aucune mention utile et précise ne soit portée quant aux prix, à sa détermination ni aux conditions de son évolution.

La Cour rappelle la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, qui retient que 'lorsqu'une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l'indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n'affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci'. L'article 1129 du code civil ne s'applique pas à la détermination du prix et les clauses qui font référence au tarif en vigueur au jour de la livraison n'affectent pas la validité du contrat.

Il en résulte que l'indétermination du prix n'est pas de nature à affecter la validité de l'accord litigieux, en rappelant par ailleurs que pendant près de deux années M. [D] [O] s'est approvisionné auprès du distributeur sans jamais contester les prix pratiqués ou encore leur mode de calcul.

L'article 1193 du code civil édicte que 'les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise'.

L'article 1217 du code civil prévoit que 'la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- Refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation,

- Poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation,

- Provoquer la résolution du contrat

- Demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter'.

L'accord commercial de bière passé entre les parties comprend une clause d'exclusivité à la charge de M. [D] [O] qui s'engageait à ne proposer à ses clients que des bières en fûts de la gamme de produits du Brasseur, et ce pendant la durée du contrat de 5 ans à partir du 15 septembre 2017, et à acquérir sur cette période 400 HL de bière.

La SAS LE CELLIER DISTRIBUTION, le distributeur de la SA KRONENBOURG pour toute la durée du contrat, (comme indiqué dans l'accord litigieux à l'article 'DESIGNATION DU DISTRIBUTEUR'), a rédigé une attestation le 10 décembre 2018 où elle mentionne que M. [D] [O] ne s'approvisionne plus exclusivement auprès de son établissement depuis le 23 avril 2018, et précise que les volumes réalisés entre le début des relations contractuelles et leur rupture au mois d'avril 2018 n'ont été que de 84,40 HL. L'appelant ne conteste pas la réalité des faits dénoncés dans cette attestation.

Par conséquent, force est de constater que M. [D] [O] n'a pas respecté les termes du contrat.

Les premiers juges ont à juste titre prononcé la résolution de l'accord commercial aux torts exclusifs de M. [D] [O].

2) Sur l'indétermination de la créance :

Comme indiqué plus haut, l'attestation de la SAS LE CELLIER DISTRIBUTION témoigne de la non-exécution du contrat par M. [D] [O], et permet de déterminer avec précision quelle a été la quantité de bière vendue, ce qui permet de déterminer la quantité manquante et corrélativement l'indemnité réclamée (à savoir le remboursement de l'aide financière + 20% de la valeur de la quantité de bière non vendue, ici 315.6 HL).

M. [D] [O] n'apporte aucun élément de preuve qui démontre que la créance est indéterminée, de sorte que sa demande en nullité pour indétermination de la créance sera écartée.

3) Sur l'application de la clause pénale :

La convention commerciale comporte une clause intitulée 'ECHEANCE - NON RESPECT- RUPTURE DE L'ACCORD', selon laquelle :

'En cas de non-respect total ou partiel par le débitant de boissons, de tout ou partie des obligations qui constituent la cause déterminante des engagements du brasseur, ou de cessation d'activité du débitant de boissons, le présent accord sera résilié de plein droit aux torts et griefs exclusifs du débitant de boissons, après mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception ('). En conséquence de quoi, le débitant de boissons s'oblige à titre d'indemnité :

- à la restitution en valeur d'origine de tous les avantages consentis par le brasseur,

- et, en outre, au paiement au brasseur de dommages et intérêts qui ne sauraient être inférieurs à un montant fixé forfaitairement à 20 % du prix TTC des quantités de bière manquante valorisée sur base de la dernière facturation au tarif du distributeur CHD.

Ces mêmes dispositions s'appliqueront, à l'échéance de l'accord, si le débitant de boissons n'a pas réalisé les volumes prévus'.

Les parties s'accordent pour dire que ces dispositions contractuelles constituent une clause pénale au sens de l'article 1231-5 du code civil, qui prévoit que la sanction pécuniaire a un caractère forfaitaire car il ne peut être alloué à l'autre partie une somme ni moindre ni plus élevée, et que le juge, peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire, en sachant que lorsque l'engagement a été exécuté en partie - ce qui est le cas en l'espèce puisque l'appelant a acquis 84 HL à KRONENBOURG - la pénalité convenue peut être diminuée par le juge même d'office à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré aux créanciers.

En première instance Monsieur [D] [O] a été condamné à verser à KRONENBOURG une indemnité calculée en tenant compte de la restitution de l'avantage financier que lui avait versé la SAS KRONENBOURG, à savoir les 19.999,20 euros, mais également une somme de 24.048,72 euros TTC à savoir 20 % de la valeur de la quantité de bière non livrée.

Les premiers juges ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et des dispositions légales applicables en l'espèce, en ce qu'ils ont tenu compte intégralement des 19 999,20 euros TTC correspondant à 'l'avantage financier', en revanche la cour estime que le montant retenu de 24.048,72 euros TTC - semblant correspondre à la perte de bénéfice - est excessif et doit être revu à la baisse pour être fixé à la somme de 12 000 € TTC.

En conséquence, la décision sera partiellement infirmée sur ce seul point.

4) Sur les demandes annexes :

Les dispositions de la décision de première instance portant sur la question des dépens et des frais irrépétibles seront confirmées.

La partie appelante qui succombe au principal, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la SAS KRONENBOURG, qui se verra accorder 3.000 euros.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Confirme le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Strasbourg le 17 septembre 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné M. [D] [O] à payer à la SAS KRONENBOURG la somme de 44.047,92 euros TTC, en règlement de l'indeminité contractuelle,

L'infirme de ce seul chef,

Statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Condamne M. [D] [O] à verser à la SAS KRONENBOURG la somme de 31.999,70 euros TTC (trente et un mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf euros et soixante-dix centimes) en règlement de l'indemnité contractuelle, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

Y ajoutant,

Condamne M. [D] [O] aux dépens d'appel,

Condamne M. [D] [O] à verser à la SAS KRONENBOURG la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel,

Rejette la demande de M. [D] [O] fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à hauteur de Cour.