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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 9 avril 2024, n° 23/00361

ANGERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Sotres (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Corbel

Conseillers :

M. Chappert, Mme Gandais

Avocats :

Me Hugel, Me Vacher, Me Salagnon, Me Clouzard, Me Poulet, Me Malard

TJ Angers, du 9 févr. 2023, n° 22/00402

9 février 2023

FAITS ET PROCÉDURE :

La société anonyme Société de Travaux de Recherche et d'Ingeneering Spécialisée (SA Sotres) exerce une activité d'étude, de réalisation et d'installation de matériels pour le traitement des matières minérales (eau, sable, boue, effluents urbains), de dessablage de boues bentonitiques, de pressage de boues, de conception et de réalisation de stations de clarification des eaux.

Par un acte sous seing privé du 4 janvier 2013, la SA Sotres a conclu un contrat de mandat d'agent commercial avec M. [X] [G], dont l'objet était de visiter la clientèle dans un 'territoire' recouvrant les départements :

* de l'Ariège (09),

* de l'Aude (11),

* de la Haute Garonne (31),

* du Gers (32),

* de la Gironde (33),

* des Landes (40),

* du Lot-et-Garonne (47),

* des Pyrénées-Atlantiques (64), 

* des Hautes-Pyrénées (65),

* des Pyrénées-Orientales (66),

* du Tarn (81), et

* du Tarn-et-Garonne (82),

en vue de la promotion et de la vente des produits fabriqués ou distribués par la SA Sotres, de mettre les clients potentiels en relation avec la SA Sotres et d'assister cette dernière, autant que nécessaire, en vue de la passation des commandes.

L'article 4 du contrat prévoyait qu'il était "conclu pour une durée de 12 mois, expirant le 01 décembre 2013" et "reconduit par tacite reconduction, pour des nouvelles périodes de douze mois".

L'article 5 de ce même contrat prévoyait qu'en rémunération de ses interventions, l'agent commercial percevra une commission égale à un pourcentage du montant net HT des factures encaissées', ce pourcentage étant fixé à l'annexe II.

Par une lettre du 18 novembre 2019, la SA Sotres a entendu mettre fin au contrat, avec effets au 18 février 2020 et en acceptant le versement d'une indemnité compensatrice (...) pour un montant représentant deux années de commissions brutes, calculées du 18/02/2018 au 18/02/2020".

Par une lettre du 19 décembre 2019, M. [G] a contesté la date de la fin du contrat, le calcul de certaines de ses commissions ainsi que celui de son indemnisation et il a sollicité la communication du (...) grand livre des ventes (écriture lettrée et non lettrée) relatif au secteur géographique confié, certifié par l'expert-comptable de la société Sotres et ce, afin de pouvoir vérifier l'assiette de calcul de mes commissions conformément à l'article R. 134-3 du code de commerce.

Le 7 janvier 2020, la SA Sotres lui a proposé un rendez-vous, lui a transmis des éléments comptables, a maintenu la date de la rupture du contrat au 18 février 2020 et lui a rappelé que le taux des commissions avait été réduit, affaire par affaire, en fonction des remises commerciales octroyées. Le 24 février 2020, la SA Sotres lui a transmis un tableau récapitulant le calcul du droit à indemnité et lui a adressé un chèque d'un montant de 24 761,48 euros.

M. [G] a réitéré ses contestations et sa demande de communication des éléments comptables par une lettre du 24 février 2020.

Une réunion s'est tenue dans les locaux de la SA Sotres avec M [G], le 20 juillet 2020.

M. [G] a ensuite réitéré ses contestations par des lettres du 5 octobre 2020, du 26 avril 2021, du 3 juin 2021 puis, par l'intermédiaire de l'association Alliance des agents commerciaux de France (APAC), du 28 octobre 2021, du 23 novembre 2021 et du 12 janvier 2022.

C'est dans ces circonstances que M. [G] a fait assigner la SA Sotres en référé devant le président du tribunal judiciaire d'Angers, par un acte d'huissier du 7 juillet 2022, pour obtenir la communication sous astreinte des documents comptables ou, subsidiairement, l'organisation d'une d'expertise judiciaire.

Par une ordonnance du 9 février 2023, le président du tribunal judiciaire d'Angers a :

- déclaré sans objet la demande de communication de pièces formée par M.'[G],

- dit n'y avoir lieu à référé,

- rejeté la demande de M. [G] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [G] à payer à la SA Sotres une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [G] aux dépens dont distraction au profit du cabinet Oratio Avocats,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Le juge des référés a estimé que la demande de M. [G] tendant à se voir communiquer l'ensemble des documents comptables utiles à la vérification des commissions prétendument dues était imprécise et s'analysait en une mesure d'audit général proscrite. Il s'est référé, d'une part, à une lettre de l'expert-comptable de la SA Sotres, dans laquelle celui-ci explique que « (...) la société Sotres a mis en place une comptabilité analytique organisée par affaires et non par secteur géographique. En conséquence, l'édition d'un grand livre client par département n'est pas possible » pour conclure qu'il n'était pas matériellement possible de satisfaire aux demandes de M. [G]. Il s'est référé, d'autre part, à une lettre du commissaire aux comptes confirmant que « (...) la procédure mise en place par la société Sotres pour déterminer le montant des commissions sur pièces de rechange reposant sur une base de données non issue de la comptabilité générale a été testée et permet d'attribuer une assurance raisonnable quant au montant des commissions versées », ainsi qu'aux nombreux documents remis par la SA Sotres (relevés de commissions avec justificatifs comptables, factures avec bons de livraison afférents), relatifs à la période et aux zones géographiques concernées pour conclure que la SA Sotres avait pleinement exécuté ses obligations.

Par une déclaration du 2 mars 2023, M. [G] a formé appel de cette ordonnance en ce que le juge des référés a déclaré sans objet sa demande de communication de pièces sous astreinte, en ce qu'il a rejeté sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en ce qu'il l'a condamné aux frais irrépétibles et aux dépens, intimant la SA Sotres.

M. [G] et la SA Sotres ont conclu.

Une ordonnance du 29 janvier 2024 a clôturé l'instruction de l'affaire.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Aux termes de ces dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 18 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [G] demande à la cour :

- d'infirmer l'ordonnance du 9 février 2023 en toutes ses dispositions,

et statuant de nouveau, à titre principal,

- d'ordonner à la SA Sotres de lui communiquer l'ensemble des documents comptables utiles à la vérification des commissions qui lui sont dues, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, notamment :

* un extrait de son grand livre comptable, relatant sans sélection préalable les opérations effectuées depuis le 30 novembre 2015 pour des clients situés dans les départements suivants : Ariège (09), Aude (11), Haute-Garonne (31), Gers (32), Gironde (33), Landes (40), Lot-et-Garonne (47), Pyrénées-Atlantiques (64), Hautes-Pyrénées (65), Pyrénées-Orientales (66), Tarn (81) et Tarn-et-Garonne (82),

* les relevés de commissions et du grand livre comptable, relatant sans sélection préalable les opérations effectuées depuis le 30 novembre 2015 pour des clients situés dans les mêmes départements,

* une attestation de son expert-comptable, certifiant l'exactitude de ces documents et des chiffres qui y apparaissent,

* l'ensemble des factures émises par la SA Sotres depuis le 30 novembre 2015 pour des sociétés situées sur le territoire de M. [G], avec les bons de livraison afférents,

* l'ensemble des bons des livraisons effectuées sur le territoire concédé à M.'[G] depuis le 30 novembre 2015,

- de se réserver la liquidation de l'astreinte,

à titre subsidiaire,

- d'ordonner une mesure d'expertise,

- de désigner tel expert qu'il plaira à la juridiction avec mission de':

* se faire remettre, sous forme physique ou dématérialisée, l'intégralité des grands livres des ventes de la SA Sotres au titre des années 2015 à 2023 ; toutes pièces comptables utiles à l'accomplissement de sa mission, notamment toutes factures clients, commandes, fiches produits ; tous documents contractuels et techniques et plus généralement toutes pièces utiles à l'accomplissement de sa mission, même détenues par des tiers afin de permettre d'évaluer son droit à commission pour les produits et territoires visés au contrat d'agent du 4 janvier 2013 ; les références des produits qui entrent dans le champ du contrat afin de pouvoir les croiser avec les factures de la SA Sotres,

* en possession de ces éléments, après avoir convoqué les parties et leurs conseils, évaluer sur la période du 20 novembre 2015 à ce jour le droit à commission de M. [G] sur l'intégralité du territoire contractuel au regard des produits contractuels vendus par la SA Sotres et en particulier, déterminer le montant de commissions lui étant acquises depuis le 18 février 2020 sur l'ensemble du territoire lui ayant été confié, déterminer le montant de commissions lui étant acquises,

* faire le compte entre les parties sur les commissions dues et les commissions payées,

* fournir tous éléments de faits et techniques permettant ultérieurement à la juridiction du fond d'apprécier la violation ou non du territoire contractuel pour les produits contractuels par la SA Sotres,

* fournir tous éléments permettant de vérifier que les ventes en direct ont été réalisées au même tarif que celui qu'il a fourni ou à défaut mettre en évidence les différences de tarifs,

* fournir tous éléments permettant ultérieurement à la juridiction du fond d'apprécier le respect par la SA Sotres de ses obligations contractuelles notamment en termes d'information et de transparence vis-à-vis de son agent,

* fournir tous éléments de faits et techniques permettant ultérieurement à la juridiction du fond d'apprécier les préjudices matériels et immatériels et le droit à commission de M. [G],

- de dire que l'expert effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 163 et suivants du code de procédure civile,

- de dire que l'expert pourra, après avoir recueilli l'avis préalable des parties, se faire assister de tout sapiteur d'une spécialité distincte de la sienne, à charge pour lui d'annexer son avis à son rapport et procéder à la mise en œuvre de tout moyen rendu utile par la nature de ses investigations,

- de dire que l'expert dressera un pré-rapport comprenant son avis motivé sur l'ensemble des chefs de sa mission, dans le délai d'un mois à compter du jour de ses opérations en présence des parties, qu'il adressera aux parties et au greffe de la cour, en laissant un délai de deux mois aux parties pour le dépôt de leurs dires,

- de dire que l'expert répondra aux dires des parties de manière complète, circonstanciée et si nécessaire documentée en rappelant de façon précise les normes ou les documents contractuels non respectés et, en cas de désaccord sur leur existence ou leur contenu, en annexant à son rapport des extraits concernés de ces normes et documents,

- de fixer le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, à consigner par la SA Sotres,

- de condamner la SA Sotres à consigner le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l'ordonnance, sous astreinte de 200 euros par jour de retard,

- de se réserver la liquidation de l'astreinte,

- de dire qu'en cas de refus ou d'empêchement, l'expert commis sera remplacé par simple ordonnance sur requête,

- de dire que le magistrat chargé du contrôle des mesures d'instruction suivra l'exécution de l'expertise,

- de condamner la SA Sotres à lui payer une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, incluant les frais de première instance et d'appel,

- de condamner la SA Sotres aux entiers dépens de l'instance.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 26 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la SA Sotres demande à la cour :

- de débouter M. [G] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du 9 février 2023,

En tout état de cause,

- de condamner M. [G] à lui payer une somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et de le condamner aux dépens d'appel, dont distraction au profit du Cabinet Oratio Avocats.

MOTIFS DE LA DECISION :

- sur la demande de communication des pièces sous astreinte :

M. [G] rappelle qu'en application de l'article R. 134-3 du code de commerce, la charge de la preuve du calcul du montant des commissions est inversée, en ce sens qu'il appartient au mandant de fournir à son agent commercial toutes les informations, notamment comptables, nécessaires pour vérifier le montant des commissions dues. De ce fait, il reproche au premier juge de s'en être remis à la lettre de l'expert-comptable faisant état de l'absence de mise en oeuvre par la SA Sotres d'une comptabilité analytique permettant de retracer les affaires par secteur géogragphique, alors qu'il appartient selon lui précisément à la SA Sotres, qui se devait d'utiliser un logiciel adapté à son choix de recourir à des agents commerciaux, de faire reprendre sa comptabilité par tout professionnel qualifié afin de faire appraître les affaires secteur par secteur.

Il reproche également au premier juge d'avoir considéré que les relevés de commission, les factures et les bons de livraison produits par la SA'Sotres étaient suffisants et d'avoir occulté les différentes contestations qu'il avait émises contre ces pièces, dont il affirme qu'elles ne lui permettent pas de vérifier le montant de toutes les commissions qui lui pourraient lui être dues. Il invoque ainsi l'absence de tout élément concernant les commissions du 18 février 2020 au 30 novembre 2020, alors qu'il prétend que la SA Sotres ne pouvait pas mettre fin au contrat conclu pour une durée déterminée avant la date de son échéance annuelle ; la modification du taux des commissions de 8 % ; le fait que son nom ait été écorché en '[G]' pendant plusieurs années ; la perception de commissions sur des pièces détachées sans avoir toutefois obtenu de commission sur les affaires principales ; ou la situation des entreprises de travaux publics clientes de la SA Sotres qui, bien qu'ayant leur siège social hors d'un département relevant de son ancien secteur géographique, disposent d'agences, de succursales ou de filiales sur ce territoire, seuls les bons de livraison devant permettre de s'assurer du lieu où se situe l'établissement qui a passé la commande et du lieu de la livraison effective.

De son côté, la SA Sotres oppose que les demandes de M.'[G] sont soit incompréhensibles, soit ont déjà été satisfaites. Elles sont incompréhensibles s'agissant de la communication, d'une part, d'un 'grand livre journal' qui n'a aucune signification en matière de comptabilité et, d'autre part, d'une comptabilité par secteur géographique puisqu'une telle comptabilité analytique n'est pas requise par la loi et que le logiciel de la SA Sotres, pourtant bien conforme à la réglementation applicable, ne le permet pas comme l'attestent l'expert-comptable et le commissaire aux comptes. Elles ont déjà été satisfaites s'agissant des factures et des bons de livraison y afférents, qui lui ont été adressés dès l'origine et sur la base desquels ses commissions ont été calculées. Elle ajoute que les contestations tirées de la date de fin du contrat, du périmètre du secteur applicable, de l'orthographe erronée du nom de famille qu'elle précise avoir corrigée très rapidement, ou encore des informations sur son site Internet n'ont aucun lien avec la communication des pièces demandées et échappent en tout état de cause la compétence du juge des référés. Elle conclut qu'une réunion à son siège social permettrait à M. [G], accompagné de ses conseils, de se convaincre de la conformité de son logiciel de comptabilité, du caractère exhaustif des pièces qui ont été communiquées et du calcul des commissions qui en ressort.

Sur ce,

M. [G] a été lié à la SA Sotres par un contrat d'agent commercial conclu à durée déterminée pour une durée de 12 mois, tacitement reconductible, à compter du 1er décembre 2013, pour la représentation de la société sur un territoire défini à l'annexe I, expressément qualifié d'exclusif, et pour les opérations visées à l'annexe III. La SA Sotres a mis fin à ce contrat par une lettre du 18 novembre 2019 avec un préavis de trois mois expirant le 18 février 2020.

Bien qu'elle évoque certaines fautes ou insuffisances de M. [G], la SA Sotres ne conteste aucunement le droit pour celui-ci de percevoir l'indemnité compensatrice de l'article L. 134-12 du code de commerce, qu'elle a d'ailleurs elle-même chiffrée à la somme de 24'761,48 euros.

Le litige ne porte pas plus sur les modalités du calcul de l'indemnité de fin de contrat, dont le principe veut qu'elle recouvre l'ensemble des préjudices causés par la rupture imputable au mandat. Il ressort du courrier de la SA Sotres du 18 novembre 2019 et de la lettre en réponse de M. [G] datée du 19 décembre 2019 que les parties s'accordent en l'espèce sur un montant de deux années de commissions brutes, en référence à l'article 12.1 du contrat.

En revanche, M. [G] conteste l'assiette du calcul de cette indemnité au regard du montant des commissions auxquelles il aurait pu prétendre.

Il convient d'examiner le fondement juridique invoqué par M.'[G], afin de déterminer les conditions de la mise en œuvre de son action. Il se prévaut, d'une part, des dispositions de l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile qui impliquent que l'obligation ne soit pas sérieusement contestable et, d'autre part, de celles de l'article 145 du même code. La communication forcée des pièces détenues par un tiers ou par une partie en vue de la préparation d'une action est en réalité assimilée à une mesure d'instruction et relève de l'article 145 du code de procédure civile, qui se trouve donc être seul applicable en l'espèce. Il suffit dès lors à M. [G] de justifier d'un intérêt légitime à sa demande de communication de pièces et, réciproquement, à la SA Sotres de discuter la légitimité de l'intérêt allégué.

Sur ce point, l'appelant rappelle les dispositions de l'article R. 134-3 du code de commerce, qui l'autorisent à exiger de la SA Sotres qu'elle lui fournisse toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui étaient dues. De fait, les conditions de la rémunération de M. [G] telles qu'elles ont été fixées à l'article 5-1 du contrat et de l'annexe II dépendent du montant des factures encaissées, auxquelles sont appliquées des pourcentages. Ces pourcentages sont variables en fonction de la nature de l'affaire et, s'agissant des chantiers situés dans le secteur géographique exclusive mais d'une société dont le siège est hors de ce secteur, de l'intervention directe ou non de M.'[G]. Les éléments de facturation des clients, sur la base desquels la commission est calculée, étant exclusivement détenus par la SA Sotres, M.'[G] a donc un intérêt légitime à en obtenir la communication pour s'assurer que sa commission a été exactement calculée. Mais au-delà, le fait que M. [G] puisse prétendre à des commissions pour des affaires traitées, même sans son intervention, avec des sociétés dont le siège est hors de son secteur géographique exclusif dès lors que le chantier se trouve, lui, dans ce secteur rend légitime la demande de M.'[G] de disposer de la trace de toutes les opérations qui ont été réalisées dans les départements sur lesquels il avait l'exclusivité, afin de pouvoir s'assurer du caractère exhaustif des commissions qui lui ont été accordées.

A cela, la SA Sotres oppose, d'une part, que la demande n'est pas compréhensible et qu'elle ne peut pas être satisfaite, compte tenu de l'absence de comptabilité analytique adéquate. Il est en effet nécessaire que l'existence des pièces dont la communication est sollicitée soit, si ce n'est établie avec certitude, du moins vraisemblable, et que lesdites pièces soient suffisamment déterminées.

La demande de M. [G] d'obtenir la communication de « (...) l'ensemble des documents comptables utiles à la vérification des commissions qui lui sont dues (...) » est certes imprécise et générale, comme l'a relevé le premier juge. Néanmoins, l'appelant circonscrit ensuite sa demande à certains éléments précis, dont l'objet est de lui permettre de connaître toutes les opérations effectuées par la SA Sotres auprès de ses clients sur les départements qui lui étaient confiés exclusivement et sur une période de cinq années avant le terme contractuel de son dernier contrat. La cour observe que le terme de « grand-livre journal », qui est critiqué par la SA Sotres comme étant incompréhensible, n'est désormais plus utilisé par M. [G], qui lui a substitué le terme de « grand-livre comptable » sans susciter de critique du même ordre de la part de la société intimée.

La seconde question tient à la possibilité pour la SA Sotres de communiquer les pièces demandées, l'intimée affirmant qu'elle n'est pas en mesure de communiquer les extraits du grand livre comptable et les relevés de commissions pour les clients situés dans les départements correspondant au secteur géographique de M. [G]. Elle produit certes en ce sens un écrit de son expert-comptable, duquel ressort que la société « (...) a mis en place une comptabilité analytique organisée par "affaires" et non par "secteur géographique". En conséquence l'édition d'un grand livre client par département n'est pas possible', ainsi qu'un écrit de son commissaire aux comptes pour confirmer que « (...) dans le cadre de ma mission, la procédure mise en place par la société Sotres pour déterminer le montant des commissions sur pièces de rechange reposant sur une base de données non issue la comptabilité générale a été testée et permet d'attribuer une assurance raisonnable quant au montant des commissions versées'. Pour autant que l'édition d'un grand livre client par département ne soit pas possible, il n'est pas démontré ni même allégué par la SA Sotres qu'elle est dans l'incapacité de fournir les éléments comptables utiles, le cas échéant en retraitant les informations dont elle dispose déjà, afin de satisfaire la demande de M. [G] et de se conformer ainsi à l'obligation mise à sa charge par l'article R. 134-3 précité. Au contraire, les extraits de la comptabilité par affaires traitées par M. [G], les factures et les bons de livraison qu'elle verse aux débats révèlent que les informations sur le département et sur l'adresse du client livré sont bien connues et renseignées en comptabilité. L'absence de comptabilité analytique adéquate n'est donc pas un obstacle à la communication sollicitée. Quant à l'écrit du commissaire aux comptes, la cour observe qu'il n'envisage que le seul calcul des commissions sur pièces de rechange alors que M. [G] émet également des doutes quant à des commissions pour la conclusion d'affaires principales, qu'il ne permet pas de conclure à l'exhaustivité des commissions auxquelles M. [G] pouvait prétendre et qu'il ne peut en tout état de cause pas faire échec au droit pour l'appelant de vérifier le détail des commissions qui lui sont dues.

La SA Sotres affirme, d'autre part, qu'elle produit déjà l'ensemble des factures et des bons de livraison qui sont nécessaires à M. [G] pour calculer le montant de ses commissions et pour s'assurer qu'aucune facture ne lui a échappé. Elle verse en effet aux débats un très grand nombre de documents. Les premiers sont les factures des commissions versées à M. [G] avec les extraits de sa comptabilité pour chaque affaire sur la période du 13 décembre 2012 au 14 février 2020. Les seconds correspondent aux bons de livraison et aux factures afférents aux commissions acquises.

Ce faisant, M. [G] dispose certes d'un certain nombre d'éléments qui lui permettent de vérifier l'exactitude du montant des commissions qui lui ont été versées, notamment quant aux réductions du taux de 8 % en fonction des remises commerciales octroyées. Pour autant, les éléments ainsi produits ne satisfont pas pleinement les demandes de l'appelant.

M. [G] se plaint en effet de l'absence de tout élément relatif aux commissions perçues, dans son secteur géographique et pour les produits relevant de son exclusivité, sur la période du 19 février 2020 à la fin de l'échéance annuelle de son contrat à durée déterminée (1er décembre 2020). La SA Sotres ne conteste pas cette absence d'information mais elle se prévaut d'avoir valablement pu mettre un terme au contrat dès le 18 février 2020, après avoir respecté le délai conventionnel de préavis. Il est toutefois de principe que la cessation anticipée du contrat d'agence commerciale à durée déterminée ouvre à l'agent le droit d'obtenir la réparation du préjudice résultant de la perte des commissions qui lui auraient été versées jusqu'à la date conventionnellement prévue. Cette indemnité ne se confond pas avec celle de l'article L. 134-12 du code de commerce, qui répare le préjudice résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune, et les deux indemnités peuvent de ce fait se cumuler. Or les éléments produits ne permettent pas à M.'[G] d'apprécier pleinement le préjudice résultant de la rupture anticipée du contrat, dont il pourrait ensuite demander la réparation.

Il démontre également que son nom a parfois été mal orthographié et que, contrairement à ce que soutient la SA Sotres, cette erreur n'a pas été corrigée rapidement puisqu'elle apparaît sur plusieurs des extraits de la comptabilité fournie par l'intimée, que ce soit en 2013, en 2015, en 2016 et en 2017. La société intimée se contente d'affirmer que ces erreurs n'emportent aucune conséquence, sans toutefois répondre utilement à la difficulté évoquée par M.'[G] du bon rattachement des opérations à l'agent disposant d'un droit à commission. Dans ce contexte, la communication des éléments comptables, des factures et des bons de livraison de l'ensemble des opérations réalisées sur les départements relevant de l'exclusivité de M. [G] s'avère nécessaire.

Enfin, les pièces versées par la SA Sotres sont tout au mieux de nature à vérifier le calcul des commissions qui ont été versées à l'appelant mais elles ne suffisent pas à s'assurer de l'exhaustivité de ces commissions par rapport aux opérations qui ont été réalisées sur le territoire de M. [G]. Comme précédemment relevé, le contrat d'agent commercial prévoit des commissions non seulement pour les commandes de pièces détachées mais également pour toute affaire apportée ou traitée. Ce même contrat prévoit un droit à commission sur les affaires traitées avec une société dont le siège est hors du secteur géographique dès lors qu'elles concernent un chantier situé sur ce secteur, que l'agent soit intervenu directement ou pas, ainsi qu'auprès des grandes groupes français, société mère ou filiale, déjà clients de la SA Sotres. Or, M. [G] évoque, d'une part, la facturation de commissions pour des commandes de pièces détachées alors qu'il n'a pas été commissionné pour l'affaire principale. La SA Sotres ne fournit pas d'explication sur ce point, que M. [G] a pourtant porté à sa connaissance dès une lettre du 26 avril 2021 en lui soumettant un tableau nominatif des affaires concernées, sans obtenir de réponse malgré plusieurs relances ultérieures. Il évoque, d'autre part, des chantiers réalisés sur les départements relevant de son exclusivité par des filiales de grandes entreprises du bâtiment, qu'il cite expressément, pour lesquels il n'a pas été commissionné et sans que, ici encore, la SA Sotres ne fournisse d'explication en retour. Dans ce contexte, la communication des factures et des bons de livraison, telle qu'elle est demandée par M. [G], apparaît nécessaire afin de lui permettre de s'assurer de l'exhaustivité des commissions qui lui ont été versées, ce que ne permet pas en l'état les seules pièces produites par l'intimée.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. [G] est légitime à obtenir la communication forcée des pièces qu'il sollicite. L'ordonnance entreprise sera en conséquence infirmée et la communication sera ordonnée dans les termes du dispositif ci-dessous mais cantonnée à la période du 30'novembre 2015 (non discutée par l'intimée) au 30 novembre 2020, dès lors que M. [G] ne démontre pas l'utilité d'une communication sur la période postérieure au terme conventionnellement prévu.

- sur l'astreinte :

L'article L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution prévoit que tout juge peut, même d'office, ordonner une astreinte pour assurer l'exécution de sa décision.

M. [G] demande que la communication des pièces soit assortie d'une astreinte en tirant argument du comportement d'obstruction adopté par la SA Sotres.

La SA Sotres a toutefois déjà tenté de collaborer avec M. [G] en organisant une rencontre dans ses locaux et en lui communiquant un grand nombre de documents qui, bien qu'incomplets, permettent de satisfaire au moins une partie de ses demandes. Le risque d'une obstruction par la SA Sotres à la communication forcée des pièces mise à sa charge, laquelle va rendre nécessaire des recherches assurément fastidieuses notamment d'un point de vue comptable, n'est donc pas avéré. L'astreinte n'apparaît donc pas nécessaire à l'exécution du présent arrêt et M. [G] est renvoyé à la possibilité de saisir ultérieurement le juge de l'exécution, le cas échéant.

- sur les demandes accessoires :

L'ordonnance est infirmée en ce qu'elle a statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance. La SA Sotres, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance comme d'appel. Elle sera par ailleurs déboutée de sa demande formée au titre des frais irrépétibles exposés en appel et condamnée à verser à M. [G] une somme totale de 4 000 euros recouvrant les frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Ordonne à la SA Sotres de communiquer à M. [G] les pièces suivantes':

* les relevés de commission, un extrait de son grand livre comptable ou tout document comptable relatant sans sélection préalable les opérations effectuées entre le 30 novembre 2015 et le 30 novembre 2020 pour des clients et des chantiers situés dans les départements suivants : Ariège (09), Aude (11), Haute-Garonne (31), Gers (32), Gironde (33), Landes (40), Lot-et-Garonne (47), Pyrénées-Atlantiques (64), Hautes-Pyrénées (65), Pyrénées-Orientales (66), Tarn (81) et Tarn-et-Garonne (82),

* une attestation de son expert-comptable, certifiant l'exactitude de ces documents et des chiffres qui y apparaissent,

* l'ensemble des factures émises par la SA Sotres pour les opérations effectuées entre le 30 novembre 2015 et le 30 novembre 2020 pour des sociétés et les chantiers situés sur le territoire de M. [G], avec les bons de livraison afférents,

* l'ensemble des bons des livraisons effectuées sur le territoire concédé à M.'[G] entre le 30 novembre 2015 et le 30 novembre 2020,

Déboute M. [G] de sa demande d'astreinte ;

Y ajoutant,

Déboute la SA Sotres de sa demande formée au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SA Sotres à verser à M. [G] une somme totale de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel';

Condamne la SA Sotres aux dépens, de première instance et d'appel ;