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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 27 mars 2024, n° 22/19280

PARIS

Ordonnance

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupe Lactalis (SA)

Défendeur :

Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tell

Avocats :

Me Saleh Cherabieh, Me Calla, Me Boulkeroua

TJ Paris, JLD, du 14 nov. 2022

14 novembre 2022

Par ordonnance du 14 novembre 2022, au visa de l'article L. 450-4 du code de commerce, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris a autorisé des opérations de visite et de saisie dans les locaux des entreprises suivantes :

- SODIAAL UNION, [Adresse 5], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse, ci-après "SODIAAL" ;

- GROUPE LACTALIS, [Adresse 2] et [Adresse 7] et [Adresse 18], et les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses, ci-après "LACTALIS";

- SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES et SAVENCIA, [Adresse 4], et [Adresse 6], et les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses, ci-après "SRL" ou "SAVENCIA" ;

- EURIAL, [Adresse 8], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse.

Cette ordonnance faisait suite à une requête en date du 7 novembre 2022 et des pièces qui y sont jointes, du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence (ci-après "le rapporteur général") aux fins d'établir si lesdites entreprises se livrent à la pratique prohibée par les articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après "TFUE") relevée dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée.

Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées les 17 et 18 novembre 2022 au siège du Groupe LACTALIS sis [Adresse 2] et au [Adresse 7]. L'opération d'expurgation s'est déroulée les 13, 14 et 15 décembre 2022.

Après avoir rappelé, qu'à cette requête, outre la demande d'enquête du rapporteur général du 4 novembre 2022, accompagnée de la copie de la note des rapporteurs, étaient annexés 19 autres documents contenant des pièces communiqués par le rapporteur général, que ces documents ont été recueillis ou reçus par les agents de l'Autorité de la concurrence ou de la DGCCRF en application des articles L. 450-1, L. 450-2 et L. 450-3 du code de commerce, que s'agissant des éléments d'information transmis par la DGCCRF, l'Autorité de la concurrence a pris la direction des investigations sur le fondement de l'article L. 450-5 du code de commerce et que les pièces présentées à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite puisqu'elles émanent de la consultation d'études, d'avis, de sites Internet et de banques de données électroniques accessibles au public, de l'exercice par la DGCCRF de son droit de communication dont elle semble avoir usé de manière régulière, mais également de la possibilité pour l'Autorité de la concurrence de se voir communiquer les informations ou les documents que la DGCCRF détient ou recueille, le juge des libertés et de la détention a mentionné que dans la dite requête, le rapporteur général fait état d'éléments d'information selon lesquels les entreprises précitées seraient convenues de se répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache en violation des dispositions des articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du TFUE.

La consultation de ces documents lui a permis de retenir les points suivants :

Comme l'a observé l'Autorité de la concurrence dans son avis relatif au fonctionnement du secteur laitier, ce dernier comporte trois niveaux : la production de lait (qui inclut sa collecte), sa transformation en produits destinés à être consommés ou stockés et la distribution (annexe à la requête n° 18, page 3). Le lait étant une matière première périssable, il est stocké par le producteur sur l'exploitation avant d'être collecté en moyenne tous les deux jours (annexe à la requête n° 18, page 6) et transporté vers un centre de collecte ou une laiterie pour y être transformé au plus tard 72 heures après la traite.

Selon les articles L. 631-24 I et R. 631-7 du code rural et de la pêche maritime, l'achat de lait de vache livré sur le territoire français, quelle que soit son origine, doit faire l'objet de contrats écrits entre producteurs et acheteurs ('contrats d'application'), dont la durée ne peut être inférieure à 5 ans (annexe à la requête n° 2). Selon l'article L. 631-24 II du code rural et de la pêche maritime, lorsque le producteur a donné mandat à une organisation de producteurs reconnue dont il est membre ou à une association d'organisations de producteurs reconnue à laquelle appartient l'organisation de producteurs dont il est membre pour négocier la commercialisation de ses produits sans qu'il y ait transfert de leur propriété, ces contrats sont précédés d'accords-cadres écrits entre organisations de producteurs ou associations d'organisations de producteurs et acheteurs (annexe à la requête n° 2).

Il ressort des éditions 2017, 2021 et 2022 de l'étude intitulée "L 'économie laitière en chiffres" publiée par le CNIEL que la collecte est passée de 24 milliards de litres de lait de vache en 2016 à 23,5 milliards de litres en 2021 en France alors que selon cette même étude, il existait en 2015 sur le territoire national 61807 exploitations livrant du lait de vache (51656 en 2019 et 50349 en 2020), pour 446 entreprises de collecte (395 en 2019 et 411 en 2020) (annexe à la requête n° 3). En général, l'agriculteur contracte avec un seul acheteur alors que celui-ci s'approvisionne auprès de plusieurs centaines, voire milliers d'exploitants (annexe à la requête n° 3).

Ainsi en 2015, parmi les 446 entreprises de collecte, seules environ 6 % d'entre elles réalisaient 70 % de la collecte et en 2019 et 2020, environ 7 % des entreprises collectrices réalisaient plus de 77% de la collecte (annexe à la requête n° 3). Le marché de l'approvisionnement de lait de vache se caractériserait par une offre atomisée face à une demande en comparaison concentrée, susceptible de générer un déséquilibre dans le pouvoir de négociation au détriment des producteurs. La puissance de grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, tels que LACTALIS, SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES ('SRL'), SODIAAL et EURIAL, la branche lait du groupe AGRIAL, serait renforcée par la place également prépondérante qu'ils occupent sur les marchés aval de la transformation et fabrication de produits laitiers (annexe à la requête n° 17).

Dans ce contexte il est souligné que LACTALIS et SRL ont conclu, le 3 juin 2016, un contrat d'achat-vente réciproque de lait de vache départ ferme pour une durée indéterminée à compter du 1er mai 2016 (annexe à la requête n° 4).

Les ventes de lait de vache par les agriculteurs s'effectuent au départ de la ferme et il revient à l'acheteur de se charger de collecter le lait de vache pour l'acheminer vers un centre de collecte ou de transformation.

L'article 1er de ce contrat stipule que LACTALIS et SRL « s'engagent à se vendre et s'acheter réciproquement du lait entier cru refroidi, départ ferme, de qualité saine, loyale et marchande » et que le contrat repose sur les principes de l'équilibre des volumes achetés et vendus et du ramassage pour ordre et compte d'autrui ' et concerne des producteurs de la région Normandie (annexe à la requête n° 4).

Aux termes de l'article 2, il est prévu que « LACTALIS vendra à SAVENCIA départ ferme, la production laitière de 64 producteurs, désignés en annexe 1. La collecte de ces producteurs représente un volume annuel de 27 522 000 litres. SAVENCIA vendra à LACTALIS, départ ferme, la production laitière des 60 producteurs désignés en annexe 2. La collecte de ces producteurs représente un volume annuel de 27 965 000 litres. (...) » (annexe à la requête n° 4). Il est en outre précisé que « les parties conviennent que les listes des producteurs concernés, établies en annexes, ne pourront faire l'objet d'aucune modification sans l'accord exprès de l'autre partie. » (annexe à la requête n° 4).

L'article 3 du contrat prévoit que « les ventes de lait réciproques s'effectuant départ ferme, la collecte des quantités de lait est assurée par l'acheteur de ces quantités pour ordre et compte du vendeur. La collecte est assurée toutes les 4 traites pour l'ensemble des producteurs. Les quantités facturées par chaque partie seront les quantités payées (litrage/MG/MP) aux producteurs. » (annexe à la requête n° 4). Cet article ajoute que « les Parties conviennent expressément que le vendeur conserve la relation avec ses producteurs visés par l'accord, notamment le paiement de la fourniture de lait et la maîtrise de la production laitière » (annexe à la requête n° 4).

Conformément à l'article 6, les achats et ventes de lait réciproques entre LACTALIS et SRL donnent lieu à des factures établies mensuellement et toutes les obligations de paiement de sommes d'argent qui naissent entre les parties de l'exécution du contrat se compenseront entre elles, le règlement du solde étant effectué une fois par mois (annexe à la requête n° 4). Ainsi, à titre d'exemple, LACTALIS a adressé à SRL plusieurs factures le 31 décembre 2017 correspondant au lait de vache départ ferme collecté par SRL pour ordre et compte de LACTALIS, qui le lui a revendu (annexe à la requête n° 5).

Il ressort de ce contrat que les producteurs de lait ayant un accord avec LACTALIS voient leur lait collecté par SRL et inversement. Les termes de ce contrat à durée indéterminée, en particulier ses articles 2 et 3, signifieraient que LACTALIS s'interdirait de démarcher, contracter et/ou d'acheter du lait de vache auprès des producteurs laitiers ayant conclu un contrat avec SRL (visés en annexe dudit contrat), et réciproquement.

Il est souligné que, derrière l'objectif de rationalisation des coûts de la collecte, le contrat conclu entre LACTALIS et SRL pourrait avoir eu pour objet et/ou effet de répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache entre ces deux entreprises et ainsi d'empêcher les producteurs laitiers de contracter avec l'un des concurrents de leur acheteur actuel. En outre, un tel accord qui repose sur les principes de l'équilibre des volumes achetés et vendus par les parties, serait également susceptible de figer les volumes de lait produits par les producteurs visés en annexe dudit contrat.

Il est donc affirmé que ce contrat pourrait être le support ou révéler une entente entre LACTALIS et SRL prohibée par l'article L. 420-1 4° du code de commerce.

MM. [TM] [EI], [BD] [JV], [GX] [DS] et [UD] [GP], respectivement directeur gestion finances, chef comptable, directeur ressources laitières du bassin ouest et responsable du contrôle de gestion et de la facture de lait de l'entreprise SRL, ont déclaré le 10 avril 2018 :

Nous achetons notre lait aux producteurs qui sont regroupés en OP (ainsi que 2 indépendants), soit à des coopératives (Agrial pour l'Ouest et Terra Lacta pour le [Localité 16]). Tout ce qui est poudre est acheté par une autre filiale. Nous avons des échanges de lait avec Lactalis et Sodiaal (principalement) : nous collectons le lait de certains producteurs Lactalis et Sodiaal et inversement, de façon à optimiser les tournées de collecte. Cela représente 15 à 20 % de notre collecte (...) Le prix du lait retenu avec Lactalis et Sodiaal est un ' prix d'échange' il correspond à un prix ' moyenne nationale ', valable sur tout le territoire. Nous avons un contrat avec chacune de ces 2 entités ' (annexe à la requête n°6).

Il est indiqué qu'il s'évince de ces déclarations que SRL aurait conclu un accord similaire avec SODIAAL, que les comportements observés ne seraient pas circonscrits à LACTALIS et SRL et qu'une répartition similaire des sources d'approvisionnement en lait de vache pourrait avoir été convenue entre SRL et SODIAAL. Ces soupçons d'agissements illicites seraient corroborés par plusieurs déclarations de producteurs laitiers et représentants d'organisations de producteurs laitiers indiquant se trouver dans l'impossibilité de changer d'entreprise de collecte du lait, du fait notamment, d'accords passés entre les différentes entreprises actives dans ce secteur.

Dans un courriel adressé le 7 août 2017 au ministère de l'économie et des finances, M. [AV] [PO], société TMCE (Technique Minérale de Culture et d'Elevage) a dénoncé une 'probable entente illicite entre industriels du lait depuis environ 17 ans aux dépens des producteurs de lait'. Selon ses dires, ' il ne serait désormais plus possible à un producteur de changer de laiterie et de signer un contrat avec une laiterie concurrente '. Il a à ce sujet indiqué que 'jusqu'en 1998-2000, un producteur de lait mécontent de sa relation avec sa laiterie, prenait contact avec une laiterie concurrente et, dans les semaines suivantes, c'est cette nouvelle entreprise qui venait acheter son lait. Depuis 2000-2002, un producteur peut tenter la même démarche, aucune nouvelle laiterie n'accepte de venir collecter son lait. Le producteur n'a plus aucune possibilité de faire jouer la concurrence. (...) Les laiteries ont gelé la répartition de la ressource lait entre elles et toutes respectent ce pacte ' ; ' parmi les acheteurs concernés, il a désigné ' Lactalis, Savencia, ' (annexe à la requête n°7).

Mme [IN] [AZ] et MM. [FP] [ZG] et [EZ] [JE], respectivement prestataire en secrétariat, co-président et responsable des relations commerciales avec SRL et co-président et responsable des relations commerciales avec LACTALIS de l'association de producteurs France Milkboard (FMB) Normandie, et d'autres zones géographiques depuis 2014, ont déclaré le 6 juillet 2018 :

FMB bassin normand traite avec 4 industriels : SAVENCIA, LACTALIS, FLECHARD (début de négociation depuis 2018) et MILLERET (fromagerie en France Comté, rédaction du contrat cadre, négociation en septembre prochain). (...)

Un éleveur laitier n'a pas le choix de sa laiterie, selon son lieu géographique et son historique. On peut quitter sa laiterie, mais aucune autre laiterie ne nous reprendra. Avec la signature du contrat d'application, le producteur est main et poing liés avec la laiterie, car le volume est lié au contrat. Le jour où vous n'avez plus de contrat, vous n'avez plus de volumes. Il faut retrouver un autre contrat, et c'est impossible car il y a une entente entre eux. La seule exception est l'installation d'un jeune. (annexe à la requête n° 9).

Mme [U] [AD], conjointe de M. [LT] [AD], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 13] en Normandie, a déclaré le 4 juillet 2018 : La production laitière annuelle est d'environ 230 000 litres collectés par la fromagerie de [Localité 11] (groupe SAVENCIA /EURIAL), et payé SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (SRL) du centre de [Localité 20] (...). Je n'ai pas eu le choix sur le lieu géographique du centre de collecte, je dépends de [Localité 20], et le lait part sur [Localité 11], mais il peut partir vers d'autres laiteries du groupe ou de concurrents' (annexe à la requête n°8).

M. [G] [UK], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 21] en Normandie, a déclaré le 13 septembre 2018 : ' Je suis exploitant agricole depuis 1989. J'exploite 17 hectares en céréales. Je suis producteur de lait de vache, avec un troupeau de 80 vaches laitières et une production annuelle 673 000 de litres, collectés au centre de collecte d'AGRIAL [Localité 21]. SAVENCIA a un accord avec AGRIAL concernant la collecte. (...). Pour l'historique, l'Union laitière Normande a fait faillite. [T] [aujourd'hui SAVENCIA Fromage & Dairy] a racheté cette coopérative à hauteur de 14 %, le reste des capitaux étaient privés. [T] a désormais une convention avec EURIAL pour la collecte afin d'optimiser les coûts de collecte. LACTALIS a également des conventions pour optimiser les coûts de collecte. (...). Si je souhaitais changer de laiterie, je ne pourrais pas, car les laiteries ne sont pas en recherche de nouveaux fournisseurs. Elles demandent à leurs fournisseurs actuels d'augmenter leur nombre de litres. Toutes les laiteries veulent gérer leur propre organisation de producteurs. La livraison de ma collecte est destinée au centre de collecte de [Localité 21] ; Je n'ai pas le choix. " (annexe à la requête n° 10).

Il est souligné que cette déclaration fait état de l'existence entre SRL (SAVENCIA) et EURIAL, filiale d'AGRIAL, d'un contrat d'achat/vente réciproque de lait de vache similaire à celui conclu entre SRL et LACTALIS.

M. [CC] [ZP], producteur laitier en [Localité 19], président de l'Association des Eleveurs Producteurs de Lait de [Localité 19] et président de l'établissement régional de l'élevage d'[Localité 12], a déclaré le 13 novembre 2018 :

'Les producteurs peuvent difficilement changer d'acheteur car il y a les accords de collecte notamment entre SODIAAL et LACTALIS. C'est un frein au changement lorsqu'il n'y a qu'une seule société qui collecte. La collecte est stratégique dans notre secteur de production car le produit devient rapidement non commercialisable. Il me semble que LACTALIS maintient ses producteurs dans un état de dépendance économique ' (annexe à la requête n° 11).

Cette déclaration fait également état de l'existence entre LACTALIS et SODIAAL d'un contrat d'achat/vente réciproque de lait de vache similaire à celui conclu entre LACTALIS et SRL.

Il apparaît ainsi que des contrats d'achat-vente de lait de vache similaires à celui conclu entre SRL et LACTALIS (annexe à la requête n° 4) auraient de la même manière été conclus par les grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, qui leur permettraient de se répartir les producteurs laitiers.

Il est encore mentionné que ces différentes déclarations concordent avec celles d'autres producteurs laitiers figurant dans la presse et avec des articles de presse publiés sur le sujet. Un article intitulé ' Producteurs de lait : ' Nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie' ' publié par le journal Ouest France, le 31 janvier 2017, relate les déclarations de M. [I] [HG], président de l'association des producteurs de lait de la Laiterie nouvelle de l'Arguenon:

'Cette année, le prix moyen annuel payé aux producteurs étant largement inférieur à la valorisation de l'entreprise, le différentiel ne revient qu'aux coopérateurs. Cette situation est forcément subie, car nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie, à cause d'accords de collecte entre industriels.' (annexe à la requête n° 12).

Un autre article intitulé ' Lactalis : les éleveurs ne veulent plus compter pour du beurre ', publié par le journal Les Echos, le 24 janvier 2018, précise : ' Dans tous les cas, les producteurs ont intérêt à ce que Lactalis conserve sa place de leader et maintienne sa croissance'. ' Il est quasiment impossible de changer de laiterie ', indique [W] [VK], coordinatrice de l'OPLGO (Organisation de producteurs laitiers du Grand Ouest) qui regroupe 1 500 éleveurs. ' La concentration de ce secteur industriel permet rarement aux éleveurs de modifier leurs conditions de livraison. La gestion des flux pour le ramassage du lait dans les fermes est organisée à partir d'ententes entre industriels. Les producteurs sont donc pieds et poings liés avec leur laiterie, sauf dans des bassins en tension, comme dans le sud-ouest et le centre de la France où le nombre des éleveurs ne cesse de se réduire, ce qui permet à ceux qui restent de plus facilement négocier avec les laiteries. Un mal pour un bien... " (annexe à la requête n° 13).

Un dernier article intitulé ' La course infernale des producteurs de lait ' publié par le journal Le Monde diplomatique, le 1er février 2021, mentionne : ' Le ' bas de la chaîne ' ' n'a d'autre choix que d'accepter les conditions des collecteurs de sa région, qu'une main invisible semble harmoniser : ' Moi, je suis Sodiaal, et mon voisin Lactalis, mais c'est le même camion qui nous ramasse, s'amuse M. [NA] [O]. Ils s'arrangent entre eux. Ça me fait bien rigoler ; ce n'est pas de la concurrence. Sur les prix aussi, ils sont pareils, au centime près.' Mais gare à celui qui s'aviserait de changer de laiterie : C'est dangereux, car personne ne te prendra en face ! Les groupes s'accordent en effet pour s'épargner une coûteuse lutte de captation de producteurs. C'est ainsi que MM [NR] et [UU] sont ' chez Lactalis' comme leurs pères, et que MM. [O] et [L] [CT] sont ' chez Sodiaal ' comme les leurs. ' Quand tu reprends une ferme, tu reprends ses quotas et sa laiterie résume M. [UU].' (annexe à la requête n° 14) ;

Dans le cadre d'un reportage audio intitulé ' Journal Breton - Saison 2 ; Episode 8: La fabrique du silence : les agriculteurs sous pression des industriels ' diffusé le 29 janvier 2018 par l'émission ' Les Pieds sur Terre ' de la radio France Culture, M. [EB] [SF], producteur laitier en [Localité 14], a expliqué avoir tenté de trouver une nouvelle entreprise pour collecter le lait de vache qu'il produit à la suite de la dénonciation par LACTALIS du contrat qui les liait et il a précisé à ce sujet :

' Mais ce qui a été le plus dur pour moi à accepter c'est d'entendre certaines secrétaires vous dire : Oh mais normalement on n'a pas le droit, c'est interdit par les lois, mais nous, on a des accords avec Lactalis, donc on ne touche pas à leurs producteurs et puis eux ils ne touchent pas aux nôtres '. Et ça, c'est royalement interdit mais ça se pratique quasiment tout le temps. C'est des accords de non-concurrence, il faut l'appeler comme ça.' (annexe à la requête n° 15).

L'ordonnance attaquée énonce qu'il ressort de ces différents éléments d'information que les grands groupes d'approvisionnement en lait de vache semblent avoir mis en place un système de fonctionnement tel que les producteurs laitiers ne seraient pas en position de choisir librement l'entreprise qui va procéder à la collecte et que cette répartition des sources d'approvisionnement entre collecteurs pourrait également avoir des conséquences négatives sur le prix payé aux producteurs de lait de vache.

Il est constaté que la mesure de vérification demandée par le rapporteur général aura pour objectif de confirmer ou d'infirmer l'existence de tels agissements décrits et analysés ci-dessus, ainsi que leurs auteurs dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache.

Il est donc considéré que l'ensemble de ces agissements semble constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes à dimension nationale visant à se répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache, susceptible de relever de la pratique prohibée par l'article L. 420-1 4° du code de commerce. Si la pratique illicite présumée examinée peut toucher potentiellement l'ensemble ou une partie du territoire national, elle est également susceptible d'affecter sensiblement le commerce entre Etats membres et de relever ainsi de l'application de l'article 101-1 c) du TFUE.

Le juge des libertés et de la détention a considéré que la portée de ses présomptions est suffisante au regard des qualifications prévues aux articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du TFUE et que la recherche de la preuve de cette pratique apparaît justifiée. L'énumération des agissements pour lesquels il existe des présomptions d'entente n'est probablement pas exhaustive, ceux mentionnés dans sa décision n'étant que des illustrations de la pratique prohibée dont la preuve est recherchée dans le secteur concerné.

Il est relevé que rien n'interdit de retenir, comme éléments de présomptions des faits non prescrits, des documents ou des éléments d'information datant de plus de 5 ans (annexe à la requête n° 20).

Il est affirmé que l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Autorité de la concurrence de corroborer ses soupçons. En effet, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou effet de se répartir les sources d'approvisionnement sont établies suivant des modalités secrètes, de sorte que les documents nécessaires à la preuve de la pratique prohibée sont vraisemblablement détenus et conservés en des lieux et sous des formes qui facilitent leur dissimulation, destruction ou altération en cas de vérification.

Dans ces conditions, il est considéré que le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du code de commerce constitue le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché alors que les opérations de visite et de saisie sollicitées n'apparaissent pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre puisque les intérêts et droits des entreprises concernées sont garantis dès lors que les pouvoirs des agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce sont utilisés sous son contrôle.

Il est rappelé que le juge peut, en application de l'article L. 450-4 du code de commerce, autoriser des visites et saisies en tous lieux dès lors qu'il constate que des documents se rapportant à des pratiques anticoncurrentielles présumées sont susceptibles de s'y trouver (annexe à la requête n° 19).

Aux termes de la requête qui lui a été présentée, le juge des libertés et de la détention considère qu'il est vraisemblable que les documents et les supports d'information utiles à l'apport de la preuve recherchée se trouvent dans les locaux des entreprises LACTALIS, SRL, SODIAAL et EURIAL, la branche lait du groupe AGRIAL et qu'il est nécessaire de permettre aux agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce d'intervenir simultanément afin d'éviter la disparition ou la dissimulation d'éléments matériels de preuve.

La requête du rapporteur général apparaissant fondée, il y a été fait droit.

LA PROCÉDURE

LACTALIS a interjeté appel de cette ordonnance le 25 novembre 2022 et exerçait le même jour deux recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées au siège du Groupe LACTALIS sis [Adresse 2] le 17 novembre 2022 (RG n° 22/19298) et contre le déroulement des opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées au siège social [Adresse 7] le 17 novembre 2022 (RG n° 22/19299). LACTALIS exerçait également un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie effectuées les 13-14 et 15 décembre 2023, selon procès-verbal d'ouverture de scellés fermés provisoires clos le 15 décembre 2023 à 13h37 (RG n° 22/20481).

L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 13 décembre 2023.

Sur l'appel :

La société Groupe LACTALIS, par conclusions récapitulatives déposées au greffe de la Cour d'appel de PARIS le 14 novembre 2023, au visa des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, au vu des principes de proportionnalité et de nécessité, tels que notamment garantis par la CESDH, des droits de la défense, au visa des dispositions du livre IV du code de commerce et des articles L. 450-1 et suivants du code de commerce demande au premier président:

- d'annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 14 novembre 2022 dans toutes ses dispositions,

En conséquence de :

- juger illégales les opérations de visite et saisie effectuées sur le fondement de l'ordonnance précitée dans les locaux de la société Groupe Lactalis,

- ordonner la restitution à la société Groupe Lactalis de l'ensemble des documents et données saisies en ses locaux lors de ces opérations de visite et saisie,

- ordonner le versement à la société Groupe Lactalis d'une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner l'Autorité de la concurrence aux dépens.

L'Autorité de la concurrence, par observations du 16 octobre 2023, demande au premier président de :

- confirmer l'ordonnance d'autorisation rendue le 14 novembre 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris ;

- rejeter la demande, par voie de conséquence, de restitution des documents et des données saisis dans les locaux de Lactalis lors des opérations de visite et de saisie et condamner Lactalis au paiement de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Le ministère public conclut par observations en date du 8 décembre 2023 à la confirmation de l'ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris.

Sur les recours,

La société Groupe LACTALIS, sur le déroulement des opérations de visite et de saisie, par conclusions en réplique et récapitulatives déposées au greffe de la Cour d'appel de PARIS le 11 décembre 2023, demande au premier président de :

- déclarer irrégulières les saisies de documents effectuées par l'Autorité de la concurrence dans les locaux de la société Groupe Lactalis sur la base de l'ordonnance du 14 novembre 2022 ;

- annuler en conséquence les opérations de visite et saisies des 17 et 18 novembre 2022 et l'opération d'expurgation des 13, 14 et 15 décembre 2022 ;

- annuler en conséquence les procès-verbaux de visite et saisies du 18 novembre 2022, à [9] et à [10], et le procès-verbal du 15 décembre 2022 ; et

- ordonner la restitution à la société Groupe Lactalis de l'ensemble des documents et données saisies en ses locaux lors de ces opérations de visite et saisie ;

A titre subsidiaire :

- ordonner la restitution à la société Groupe Lactalis, en raison du bris de scellé constaté au matin du 14 décembre 2022, de tous les documents placés sous scellés fermés définitifs et remis à la société Groupe Lactalis le 15 décembre 2022,

A titre infiniment subsidiaire :

- ordonner la restitution à la société Groupe Lactalis des documents couverts par la protection du secret des correspondances avocat-client figurant dans les Pièces n° 18, n° 19, n° 25, n° 26, n° 27 et n° 32,

- ordonner la restitution à la société Groupe Lactalis des documents relatifs à la vie privée et aux données à caractère personnel figurant dans les Pièces n° 20, n° 21, n° 28, n° 29, n° 30 et n° 33, et

- ordonner la restitution à la société Groupe Lactalis des documents en dehors du champ de l'enquête figurant dans les Pièces n° 20, n° 21 et n° 34;

En tout état de cause :

- ordonner le versement à la société Groupe Lactalis d'une indemnité de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamner l'Autorité de la concurrence aux dépens.

L'Autorité de la concurrence, dans ses observations en date du 6 décembre 2023, demande au premier président de :

- rejeter les demandes, à titre principal, d'annulation des opérations de visite et saisie du 17-18 novembre 2022 et d'ouverture des scellés fermés provisoires des 13, 14 et 15 décembre 2022 et des procès-verbaux y afférents, et de restitution de l'ensemble des documents et données saisis ;

- rejeter la demande, à titre subsidiaire, de restitution de l'ensemble des documents placés sous scellés fermés définitifs ;

- rejeter les demandes, à titre infiniment subsidiaire, de restitution des documents prétendument couverts par la protection du secret des correspondances avocat-client, relatifs à la vie privée et aux données à caractère personnel et en dehors du champ de l'enquête ;

- condamner la société Lactalis au paiement de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

le ministère public conclut dans son avis en date du 8 décembre 2023 que les documents provenant ou destinés à un avocat indépendant et dont il est démontré qu'ils concernent l'exercice des droits de la défense de l'entreprise devront être restitués, de même que les documents dont il est démontré qu'ils n'ont aucun rapport avec le champ de l'enquête. La demande de restitution des documents qui concerneraient la vie privée des salariés ne pourra, elle, qu'être rejetée.

MOTIVATION

SUR LA JONCTION

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient en application de l'article 367 du code de procédure civile et eu égard au lien de connexité entre les affaires, de joindre les instances enregistrées sous les numéros de RG n° 22/19280, RG n° 22/19298, RG n° 22/19299 et RG n° 22/20481 qui seront regroupées sous le numéro le plus ancien.

SUR L'APPEL (RG n° 22/ 19280),

Sur l'allégation selon laquelle l'ordonnance reposerait sur une requête infondée :

LACTALIS, dans ses conclusions du 14 novembre 2023, rappelle que les exigences de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le texte de l'article L. 450-4 du code de commerce imposent au juge des libertés et de la détention de vérifier, sur la base des éléments fournis par l'administration, que la demande qui lui est faite est fondée. L'appelante soutient que l'autorisation a été accordée par le juge des libertés et de la détention sur la base de simples suppositions des services d'instruction, ne reposant sur aucun élément tangible et sans démonstration sérieuse d'indices ' graves, précis et concordants ' à son encontre ; les pièces produites à l'appui de la requête étant dénuées de pertinence et d'adéquation avec les allégations de la requête. Elle rappelle que les relations entre les producteurs et les laiteries sont, du fait de contraintes légales que l'Autorité avait elle-même appelées de ses vœux, d'une durée minimale de plusieurs années (au minimum 5 ans), qui expliquent dès lors qu'ils ne peuvent changer de laiteries immédiatement et que les échanges de matière ne sont pas ' occultes ', comme allégué à tort par la requête, mais déjà connus depuis de nombreuses années et qu'ils ont déjà pu être constatés par l'Autorité dans d'autres secteurs sans jamais soulever de difficultés quelconques au regard du droit de la concurrence.

LACTALIS soutient que la requête n'est pas fondée à tirer du contrat et des factures annexées des indices sérieux des pratiques alléguées dès lors que l'origine dans le dossier de l'Annexe 4 (le contrat) et de l'Annexe 5 (les factures s'y rapportant) n'est pas avérée. Elle ajoute que la présentation qui est faite du contrat dans la requête est biaisée et que les conclusions qu'elle en tire ne reposent sur aucun fondement. Elle argue que les stipulations des articles 2 et 3 du contrat ne prévoient nullement une interdiction de démarchage entre transformateurs.

En outre, LACTALIS soutient, s'agissant des autres annexes à la requête, qu'elles ne comportent aucun indice sérieux permettant de laisser présumer qu'elle se livrerait à des pratiques illicites ; la très grande majorité des pièces produites (14 pièces sur 20) ne découleraient pas d'actes d'enquêtes, mais seraient des éléments publics, alors que les six documents relevant de mesures d'enquête s'inscrivent, pour cinq d'entre eux, dans une enquête sans rapport avec les pratiques alléguées et, pour leur majorité, ne la concerneraient pas.

L'autorité de la concurrence, dans ses conclusions récapitulatives du 16 octobre 2023, rappelle que si les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce imposent au juge de vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée et qu'elle doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite, selon la jurisprudence pertinente, il ne saurait en être déduit de ce texte une quelconque obligation pour le juge des libertés et de la détention de s'assurer de l'existence de ' présomptions graves, précises et concordantes'. Il est rappelé qu'au stade de l'ordonnance d'autorisation et de la réunion de simples indices, il n'y a pas lieu de rechercher si les éléments constitutifs de telle ou telle infraction sont réunis ; le juge devant apprécier, au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont fournis, s'il existe des présomptions simples d'agissements prohibés sans qu'il soit nécessaire d'exiger une preuve suffisante de chacun d'eux pris isolément. L'autorité de la concurrence soutient que les éléments divers invoqués par l'appelante, comme la durée minimale des contrats fixée à 5 ans, ou encore l'existence de mécanismes similaires sur d'autres marchés, notamment celui de la betterave sucrière, ne permettent pas d'écarter la présomption de pratiques anticoncurrentielles découlant des indices avancés dans cette affaire, chaque secteur et chaque entreprise devant être étudiés dans leur spécificité.

Le ministère public est d'avis qu'en l'espèce, conformément aux textes et à la jurisprudence, la requête et l'ordonnance se basent sur un faisceau d'indices (voir notamment pages 4 à 8 de l'ordonnance) faisant présumer l'existence, derrière l'existence d'accords de collecte, de pratiques pouvant être anticoncurrentielles, et mettant en cause l'ensemble des intervenants du secteur de la collecte de lait, dont LACTALIS. Si l'Autorité de la concurrence n'a pas en ce début d'instruction à faire la preuve de l'existence de pratiques anticoncurrentielles contre toutes les entreprises concernées, elle doit en revanche présenter des indices qui aboutissent à une ou plusieurs présomptions de pratiques prohibées, un seul indice pouvant d'ailleurs être suffisant. Le ministère public est d'avis qu'à ce stade de l'enquête, les éléments apportés dans les annexes de sa requête par l'Autorité de la concurrence étaient suffisants pour justifier du bien-fondé d'opérations de visites domiciliaires et de saisies, et donc pour que le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Paris, qui n'a pas à instruire à charge et à décharge puisse, après analyse, rendre son ordonnance du 14 novembre 2022.

Sur ce, le magistrat délégué :

Il convient de rappeler qu'au stade de l'ordonnance d'autorisation, qui ne se fonde que sur la réunion de simples indices et non de présomptions précises, graves et concordantes, il n'y a pas lieu de rechercher si les éléments constitutifs de telle ou telle infraction sont réunis. Le juge doit se limiter à apprécier si, au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont fournis, il existe des présomptions simples d'agissements prohibés sans qu'il soit nécessaire d'exiger une preuve suffisante de chacun d'eux pris isolément (Cass crim, 8 novembre 2017, n° 16-84525 ; n° 16-84531).

A ce stade de l'enquête, de simples présomptions de l'existence de pratiques anticoncurrentielles suffisent donc pour fonder l'autorisation délivrée. Il convient de rappeler en effet, qu'au stade de l'autorisation de visite et saisie où aucune accusation n'est portée à l'encontre de l'appelante, l'Autorité de la concurrence n'a pas à produire d'éléments de preuve de l'existence de pratiques anticoncurrentielles (ou démontrer la réalité de celles-ci), mais seulement des indices qui par leur addition, leur rapprochement, leur confrontation et leur combinaison aboutissent à une ou plusieurs simples présomptions de pratiques prohibées.

LACTALIS critique la présentation qui est faite dans la requête du contrat d'achat-vente de lait de vache départ ferme, conclu entre elle et SRL le 3 juin 2016 (annexe n° 4) comme étant biaisée et non fondée par une analyse pertinente de l'accord. Elle estime que l'annexe 5 de la requête (factures ayant pour objet ' Ramassage pour compte ' adressées par LACTALIS à SRL le 31 décembre 2017) n'est pas en soi un indice pour alléguer l'existence de pratiques anticoncurrentielles. La question de savoir si les clauses de l'accord de collecte conclu entre LACTALIS et SAVENCIA produit en annexe n° 4 revêtent ou non un caractère anticoncurrentiel n'a pas à être tranchée à ce stade de la procédure. Il est soutenu que l'on ne peut déduire dudit contrat qu'un transformateur s'interdirait de démarcher des producteurs ayant conclu un contrat avec son concurrent.

S'agissant du contrat d'achat-vente de lait de vache départ ferme, conclu entre LACTALIS et SRL le 3 juin 2016 (annexe n° 4) et des factures visées en annexe n° 5, l'ordonnance entreprise retient comme indice de pratiques prohibées, en pages 5 et 6, que :

les termes de ce contrat à durée indéterminée, en particulier ses articles 2 et 3, signifieraient que LACTALIS s'interdirait de démarcher, contracter et/ou d'acheter du lait de vache auprès des producteurs laitiers ayant conclu un contrat avec SRL (visés en annexe dudit contrat), et réciproquement ;

Que, derrière l'objectif de rationalisation des coûts de la collecte, le contrat conclu entre LACTALIS et SRL pourrait avoir eu pour objet et/ou effet de répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache entre ces deux entreprises et ainsi d'empêcher les producteurs laitiers de contracter avec l'un des concurrents de leur acheteur actuel ;

Qu'en outre, un tel accord qui repose sur les principes de l'équilibre des volumes achetés et vendus par les parties serait également susceptible de figer les volumes de lait produits par les producteurs visés en annexe dudit contrat ;

Que ce contrat pourrait être le support ou révéler une entente entre LACTALIS et SRL prohibée par l'article L. 420-1 4° du code de commerce ; '.

Le grief formulé au juge d'avoir dénaturé les clauses précitées du contrat pour en tirer la conclusion qu'il serait susceptible d'être le support ou révéler une entente entre LACTALIS et SRL prohibée par l'article L. 420-1 4° du code de commerce n'est pas fondé. C'est ainsi que procédant à l'analyse de ce contrat, le juge des libertés et de la détention a relevé que :

Attendu que, dans ce contexte, LACTALIS et SRL ont conclu, le 3 juin 2016, un contrat d'achat-vente réciproque de lait de vache départ ferme pour une durée indéterminée à compter du 1er mai 2016 (annexe à la requête n° 4) ;

Que les ventes de lait de vache par les agriculteurs s'effectuent au départ de la ferme ; qu'il revient à l'acheteur de se charger de collecter le lait de vache pour l'acheminer vers un centre de collecte ou de transformation ;

Que l'article 1er de ce contrat stipule que LACTALIS et SRL " s'engagent à se vendre et s'acheter réciproquement du lait entier cru refroidi, départ ferme, de qualité saine, loyale et marchande " et que le contrat " repose sur les principes de l'équilibre des volumes achetés et vendus et du ramassage pour ordre et compte d'autrui ", et concerne des producteurs de la région Normandie (annexe à la requête n°4) ;

Qu'aux termes de l'article 2, il est prévu que " LACTALIS vendra à SAVENCIA départ ferme, la production laitière de 64 producteurs, désignés en annexe 1. La collecte de ces producteurs représente un volume annuel de 27 522 000 litres. SAVENCIA vendra à LACTALIS, départ ferme, la production laitière des 60 producteurs désignés en annexe 2. La collecte de ces producteurs représente un volume annuel de 27 965 000 litres. (') " (annexe à la requête n° 4);

Qu'il est en outre précisé que " les parties conviennent que les listes des producteurs concernés, établies en annexes, ne pourront faire l'objet d'aucune modification sans l'accord exprès de l'autre partie. " (annexe à la requête n° 4) ;

Que l'article 3 du contrat prévoit que " les ventes de lait réciproques s'effectuant départ ferme, la collecte des quantités de lait est assurée par l'acheteur de ces quantités pour ordre et compte du vendeur. La collecte est assurée toutes les 4 traites pour l'ensemble des producteurs. Les quantités facturées par chaque partie seront les quantités payées (litrage/MG/MP) aux producteurs. " (annexe à la requête n° 4) ;

Que cet article ajoute que " les Parties conviennent expressément que le vendeur conserve la relation avec ses producteurs visés par l'accord, notamment le paiement de la fourniture de lait et la maîtrise de la production laitière " (annexe à la requête n° 4) ;

Que, conformément à l'article 6, les achats et ventes de lait réciproques entre LACTALIS et SRL donnent lieu à des factures établies mensuellement et que toutes les obligations de paiement de sommes d'argent qui naissent entre les parties de l'exécution du contrat se compenseront entre elles, le règlement du solde étant effectué une fois par mois (annexe à la requête n°4) ;

Qu'ainsi, à titre d'exemple, LACTALIS a adressé à SRL plusieurs factures le 31 décembre 2017 correspondant au lait de vache départ ferme collecté par SRL pour ordre et compte de LACTALIS, qui le lui a revendu (annexe à la requête n° 5) ;

Qu'il ressort de ce contrat que les producteurs de lait ayant un accord avec LACTALIS voient leur lait collecté par SRL et inversément.

En effet, l'absence de clause spécifique interdisant le démarchage audit contrat ne s'oppose pas à ce que le juge des libertés et de la détention, par une motivation que cette juridiction fait sienne, interprète le contrat d'achat-vente réciproque de lait conclu par Lactalis et SRL, comme un frein potentiel au démarchage des producteurs concernés par ledit contrat, dont le lait est collecté et vendu au départ de la ferme par l'un de ces industriels pour le compte de l'autre. En effet, dès lors que ce contrat permet à Lactalis de collecter et acheter au départ de la ferme, pour le compte de Savencia, le lait des producteurs sous contrat avec celle-ci énumérés en annexe, il serait susceptible de prévenir toute incitation pour Lactalis de démarcher et de rechercher à contracter directement avec les producteurs concernés. Ce contrat serait donc susceptible de prévenir la concurrence entre Savencia et Lactalis à l'égard des producteurs concernés, sans qu'une clause spécifique interdisant le démarchage ne soit stipulée.

En outre, sans dénaturer le contrat, le juge des libertés et de la détention rappelle que ce contrat s'inscrit ' dans ce (le) contexte ' qui est décrit précédemment au regard des éléments figurant dans les annexes à la requête n° 2, n° 3, n° 17 et n° 18, soit que ' (...) Le marché de l'approvisionnement de lait de vache se caractériserait par une offre atomisée face à une demande en comparaison concentrée, susceptible de générer un déséquilibre dans le pouvoir de négociation au détriment des producteurs. La puissance de grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, tels que LACTALIS, SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (' SRL '), SODIAAL et EURIAL, la branche lait du groupe AGRIAL, serait renforcée par la place également prépondérante qu'ils occupent sur les marchés aval de la transformation et fabrication de produits laitiers (annexe à la requête n° 17, étude XERFI intitulée ' La fabrication de produits laitiers'.

En outre, l'analyse du juge se fonde également sur les autres annexes à la requête, notamment les auditions des producteurs de lait de vache et les autres représentants des organisations professionnelles entendus (annexes à la requête précitées n° 6, 7, 9,10, 11,12, 13, 14 et 15) qui viennent corroborer son analyse du risque anticoncurrentiel que présentent les articles 2 et 3 de l'accord de collecte précité:

C'est ainsi que MM. [TM] [EI], [BD] [JV], [GX] [DS] et [UD] [GP], respectivement directeur gestion finances, chef comptable, directeur ressources laitières du bassin ouest et responsable du contrôle de gestion et de la facture de lait de l'entreprise SRL confirment la pratique généralisée par les entreprises chargées de l'approvisionnement en lait de vache, dont SRL de la conclusion d'accord d'échanges de collecte. Ils ont déclaré le 10 avril 2018 : ' Nous achetons notre lait aux producteurs qui sont regroupés en OP (ainsi que 2 indépendants), soit à des coopératives (Agrial pour l'Ouest et Terra Lacta pour le [Localité 16]). Tout ce qui est poudre est acheté par une autre filiale. Nous avons des échanges de lait avec Lactalis et Sodiaal (principalement): nous collectons le lait de certains producteurs Lactalis et Sodiaal et inversement, de façon à optimiser les tournées de collecte. Cela représente 15 à 20 % de notre collecte (...) Le prix du lait retenu avec Lactalis et Sodiaal est un ' prix d'échange' il correspond à un prix ' moyenne nationale ', valable sur tout le territoire. Nous avons un contrat avec chacune de ces 2 entités ' (annexe à la requête n° 6).

Partant c'est à juste titre que le juge des libertés et de la détention déduit de ces déclarations 'que SRL aurait conclu un accord similaire avec SODIAAL, que les comportements observés ne seraient pas circonscrits à LACTALIS et SRL et qu'une répartition similaire des sources d'approvisionnement en lait de vache pourrait avoir été convenue entre SRL et SODIAAL. Ces soupçons d'agissements illicites seraient corroborés par plusieurs déclarations de producteurs laitiers et représentants d'organisations de producteurs laitiers indiquant se trouver dans l'impossibilité de changer d'entreprise de collecte du lait, du fait notamment, d'accords passés entre les différentes entreprises actives dans ce secteur' .

C'est ainsi que dans un courriel adressé le 7 août 2017 au ministère de l'économie et des finances, M. [AV] [PO], société TMCE (Technique Minérale de Culture et d'Elevage) a dénoncé une ' probable entente illicite entre industriels du lait depuis environ 17 ans aux dépens des producteurs de lait '. Selon ses dires, ' il ne serait désormais plus possible à un producteur de changer de laiterie et de signer un contrat avec une laiterie concurrente '. (...) ' Depuis 2000-2002, un producteur peut tenter la même démarche (changer de laiterie et signer un nouveau contrat avec une laiterie concurrente), aucune nouvelle laiterie n'accepte de venir collecter son lait. Le producteur n'a plus aucune possibilité de faire jouer la concurrence. (...) Les laiteries ont gelé la répartition de la ressource lait entre elles et toutes respectent ce pacte ' ; Le juge souligne que ' parmi les acheteurs concernés, il a désigné ' Lactalis, Savencia, ' (annexe à la requête n° 7).

Mme [IN] [AZ] et MM. [FP] [ZG] et [EZ] [JE], respectivement prestataire en secrétariat, co-président et responsable des relations commerciales avec SRL et co-président et responsable des relations commerciales avec LACTALIS de l'association de producteurs France Milkboard (FMB) Normandie, et d'autres zones géographiques depuis 2014, ont déclaré le 6 juillet 2018 : ' FMB bassin normand traite avec 4 industriels : SAVENCIA, LACTALIS, FLECHARD (début de négociation depuis 2018) et MILLERET (fromagerie en France Comté, rédaction du contrat cadre, négociation en septembre prochain). (...). Un éleveur laitier n'a pas le choix de sa laiterie, selon son lieu géographique et son historique. On peut quitter sa laiterie, mais aucune autre laiterie ne nous reprendra. Avec la signature du contrat d'application, le producteur est main et poing liés avec la laiterie, car le volume est lié au contrat. Le jour où vous n'avez plus de contrat, vous n'avez plus de volumes. Il faut retrouver un autre contrat, et c'est impossible car il y a une entente entre eux. La seule exception est l'installation d'un jeune.' (Annexe à la requête n° 9).

Mme [U] [AD], conjointe de M. [LT] [AD], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 13] en Normandie, a déclaré le 4 juillet 2018 : ' La production laitière annuelle est d'environ 230 000 litres collectés par la fromagerie de [Localité 11] (groupe SAVENCIA /EURIAL), et payé SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (SRL) du centre de [Localité 20] (...). Je n'ai pas eu le choix sur le lieu géographique du centre de collecte, je dépends de [Localité 20], et le lait part sur [Localité 11], mais il peut partir vers d'autres laiteries du groupe ou de concurrents ' (annexe à la requête n°8).

M. [G] [UK], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 21] en Normandie, a déclaré le 13 septembre 2018 : ' Je suis exploitant agricole depuis 1989. (...) Je suis producteur de lait de vache, avec un troupeau de 80 vaches laitières et une production annuelle 673 000 de litres, collectés au centre de collecte d'AGRIAL [Localité 21]. SAVENCIA a un accord avec AGRIAL concernant la collecte. (...). Pour l'historique, l'Union laitière Normande a fait faillite. [T] [aujourd'hui SAVENCIA Fromage & Dairy] a racheté cette coopérative à hauteur de 14 %, le reste des capitaux étaient privés. [T] a désormais une convention avec EURIAL pour la collecte afin d'optimiser les coûts de collecte. LACTALIS a également des conventions pour optimiser les coûts de collecte. (...). Si je souhaitais changer de laiterie, je ne pourrais pas, car les laiteries ne sont pas en recherche de nouveaux fournisseurs. Elles demandent à leurs fournisseurs actuels d'augmenter leur nombre de litres. Toutes les laiteries veulent gérer leur propre organisation de producteurs. La livraison de ma collecte est destinée au centre de collecte de [Localité 21] ; Je n'ai pas le choix. " (annexe à la requête n° 10).

M. [CC] [ZP], producteur laitier en [Localité 19], président de l'Association des Eleveurs Producteurs de Lait de [Localité 19] et président de l'établissement régional de l'élevage d'[Localité 12], a déclaré le 13 novembre 2018 : 'Les producteurs peuvent difficilement changer d'acheteur car il y a les accords de collecte notamment entre SODIAAL et LACTALIS. C'est un frein au changement lorsqu'il n'y a qu'une seule société qui collecte. La collecte est stratégique dans notre secteur de production car le produit devient rapidement non commercialisable. Il me semble que LACTALIS maintient ses producteurs dans un état de dépendance économique ' (annexe à la requête n° 11).

Un article intitulé ' Producteurs de lait : ' Nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie' ' publié par le journal Ouest France, le 31 janvier 2017, relate les déclarations de M. [I] [HG], président de l'association des producteurs de lait de la Laiterie nouvelle de l'Arguenon ' Cette année, le prix moyen annuel payé aux producteurs étant largement inférieur à la valorisation de l'entreprise, le différentiel ne revient qu'aux coopérateurs. Cette situation est forcément subie, car nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie, à cause d'accords de collecte entre industriels.' (Annexe à la requête n° 12).

Un autre article intitulé ' Lactalis : les éleveurs ne veulent plus compter pour du beurre ', publié par le journal Les Echos, le 24 janvier 2018, précise : ' Dans tous les cas, les producteurs ont intérêt à ce que Lactalis conserve sa place de leader et maintienne sa croissance.' ' Il est quasiment impossible de changer de laiterie ', indique [W] [VK], coordinatrice de l'OPLGO (Organisation de producteurs laitiers du Grand Ouest) qui regroupe 1.500 éleveurs. ' La concentration de ce secteur industriel permet rarement aux éleveurs de modifier leurs conditions de livraison. La gestion des flux pour le ramassage du lait dans les fermes est organisée à partir d'ententes entre industriels. Les producteurs sont donc pieds et poings liés avec leur laiterie, sauf dans des bassins en tension, comme dans le sud-ouest et le centre de la France où le nombre des éleveurs ne cesse de se réduire, ce qui permet à ceux qui restent de plus facilement négocier avec les laiteries. Un mal pour un bien... " (annexe à la requête n° 13).

Un dernier article intitulé ' La course infernale des producteurs de lait ' publié par le journal Le Monde diplomatique, le 1er février 2021, mentionne : ' Le ' bas de la chaîne ' ' n'a d'autre choix que d'accepter les conditions des collecteurs de sa région, qu'une main invisible semble harmoniser : ' Moi, je suis Sodiaal, et mon voisin Lactalis, mais c'est le même camion qui nous ramasse, s'amuse M. [NA] [O]. Ils s'arrangent entre eux. Ça me fait bien rigoler ; ce n'est pas de la concurrence. Sur les prix aussi, ils sont pareils, au centime près.' Mais gare à celui qui s'aviserait de changer de laiterie : C'est dangereux, car personne ne te prendra en face ! Les groupes s'accordent en effet pour s'épargner une coûteuse lutte de captation de producteurs. C'est ainsi que MM [NR] et [UU] sont ' chez Lactalis' comme leurs pères, et que MM. [O] et [L] [CT] sont ' chez Sodiaal ' comme les leurs. ' Quand tu reprends une ferme, tu reprends ses quotas et sa laiterie résume M. [UU].' (annexe à la requête n° 14) ;

Dans le cadre d'un reportage audio intitulé ' Journal Breton - Saison 2 ; Episode 8: La fabrique du silence : les agriculteurs sous pression des industriels ' diffusé le 29 janvier 2018 par l'émission ' Les Pieds sur Terre ' de la radio France Culture, M. [EB] [SF], producteur laitier en [Localité 14], a expliqué avoir tenté de trouver une nouvelle entreprise pour collecter le lait de vache qu'il produit à la suite de la dénonciation par LACTALIS du contrat qui les liait et il a précisé à ce sujet :

' Mais ce qui a été le plus dur pour moi à accepter c'est d'entendre certaines secrétaires vous dire : Oh mais normalement on n'a pas le droit, c'est interdit par les lois, mais nous, on a des accords avec Lactalis, donc on ne touche pas à leurs producteurs et puis eux ils ne touchent pas aux nôtres '. Et ça, c'est royalement interdit mais ça se pratique quasiment tout le temps. C'est des accords de non concurrence, il faut l'appeler comme ça. ' (annexe à la requête n° 15).

C'est ainsi qu'au vu du contenu des articles 2 et 3 de l'accord entre LACTALIS et SRL produit en annexe n° 4 et rappelés ci-dessus et de l'ensemble des autres annexes n° 6, 7, 9,10, 11,12, 13, 14 et 15 présentées dans la requête reprises ci-dessus, le juge des libertés et de la détention a pu à juste titre retenir qu'il existait un risque de pratiques anticoncurrentielles de la combinaison de ce contrat d'accord de collecte et de contrats analogues, conclus entre les acteurs de l'approvisionnement en lait de vache visés par l'ordonnance d'autorisation, desquels il a pu déduire en l'espèce que ' LACTALIS s'interdisait de démarcher, contracter, et/ou d'acheter du lait de vache auprès des producteurs laitiers ayant conclu avec SRL (visés en annexe dudit contrat) et inversément ' (pages 5 et 6 de l'ordonnance).

En outre, contrairement aux allégations de l'appelante, il en résulte qu'il est susceptible d'être très difficile voire impossible, pour un producteur de lait de vache, de résilier de manière anticipée le contrat le liant à un transformateur, ou d'en changer à l'issue du contrat. En toute hypothèse, à ce stade de l'enquête, il n'était pas imposé à l'Autorité de la concurrence de prouver que tous les contrats liant les producteurs de lait aux collecteurs ne pouvaient être résiliés en raison des clauses contenues dans les accords de collecte entre les transformateurs collectant le lait de vache. L'ordonnance, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus se fonde sur des indices de la pratique prohibée qui est en l'espèce recherchée.

Il apparaît ainsi que des contrats d'achat-vente de lait de vache similaires à celui conclu entre SRL et LACTALIS (annexe à la requête n° 4) auraient de la même manière été conclus par les grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, qui leur permettraient de se répartir les producteurs laitiers.

En outre, il convient de relever que ce ne sont pas a priori les accords de collecte de lait de vache entre les entreprises visées par l'ordonnance qui ont pour effet de figer le marché, mais l'objectif sous-jacent à ces contrats, ainsi que le contexte de leur conclusion, qui en font un support susceptible de révéler une entente anticoncurrentielle, compte tenu des caractéristiques spécifiques au secteur qui ressortent très clairement des études produites et des témoignages récoltés. Ainsi l'autorisation donnée a précisément pour objet de vérifier si les contrats litigieux ne seraient pas sous-jacents à des pratiques anticoncurrentielles généralisées.

En outre, les annexes 7 à 15 précitées font bien référence directement (annexes à la requête n° 6, 9 (contrat d'application), 11, 12, 15 ou indirectement à la pratique des accords de collecte de lait de vache entre les entreprises visées par l'ordonnance d'autorisation (annexes à la requête n° 10, 13, 14) susceptibles de les empêcher de changer de laiterie et susceptibles de comporter des effets anticoncurrentiels. C'est ainsi que même à l'expiration du contrat pluriannuel d'une durée de 5 ou 7 ans, il est susceptible d'être déduit qu'il est très difficile voire impossible pour les producteurs de changer de laiterie (voir annexes à la requête n° 7 et n° 14 in fine). Les annexes à la requête n° 6, 9, 11, 12 et 15 évoquent un lien entre les difficultés des producteurs de lait cru à changer de laiterie et les accords de collecte.

C'est ainsi que LACTALIS, dans ses écritures, analyse séparément chaque annexe à la requête pour en critiquer la pertinence au regard des soupçons pesant sur ses activités et au regard de l'autorisation donnée. Toutefois, conformément à l'article L. 450-1 du code de commerce et de la jurisprudence établie, le juge des libertés et de la détention s'est fondé, ainsi qu'il a été démontré précédemment, sur un faisceau d'indices qui englobe l'ensemble des annexes à la requête produites et en particulier les annexes 3, 4, 5, 6 à 17, laissant présumer l'existence d'un risque de pratique anticoncurrentielle à l'encontre de l'appelante résultant de ses pratiques sur le marché de l'approvisionnement en lait de vache ; peu important à cet égard que LACTALIS ne soit pas expressément visée par toutes les annexes à la requête auxquelles le juge s'est référé.

Le moyen sera écarté.

Sur l'absence manifeste de contrôle du contenu de la requête par le juge :

LACTALIS soutient que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris n'a pas spontanément relevé que la requête n'avait pas joint l'ensemble des pièces qu'elle annonçait contenir, en violation manifeste des principes des droits de la défense et de l'égalité des armes et du droit au procès-équitable. Elle argue qu'en l'espèce, 66 pièces et documents, bien que visés dans la requête et/ou ses annexes, n'ont été communiqués, ni au juge des libertés et de la détention, ni à l'appelante, privant cette dernière de la possibilité d'en prendre connaissance et, partant, d'exercer son recours de manière effective. Il s'agit en particulier dans l'annexe 6 de la requête, des 54 fichiers informatiques visés en page 4 du procès-verbal d'audition, pour lequel seul un inventaire est transmis, mais en aucun cas les fichiers annoncés, dans l'annexe 8 de la requête des 7 pièces jointes énumérées au soutien des déclarations de Monsieur [LT] [AD] et dans l'annexe 9 de la requête des 5 pièces jointes que les personnes auditionnées annoncent transmettre mais qui ne figurent pas dans la requête.

En outre, LACTALIS soutient que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris n'a pas relevé que la requête avait joint certaines annexes dont l'origine n'était pas établie, en violation manifeste du principe de loyauté de la preuve, s'agissant de l'annexe 4 intitulée " contrat d'achat-vente de lait de vache départ ferme conclu entre SRL et LACTALIS le 3 juin 2016 " et de l'annexe 5 intitulée " factures ayant pour objet " Ramassage pour compte " adressées par LACTALIS à SRL, en date du 31 décembre 2017 ". Elle argue que l'origine tant de l'annexe 4 que de l'annexe 5 n'est nullement établie dans la requête, ni a fortiori dans l'ordonnance. Elles ne figurent pas dans l'inventaire des fichiers transmis à la DGCCRF (cf. Annexe 6, page 4 et s.), ni d'aucune des autres parties auditionnées par la DIRECCTE.

L'Autorité de la concurrence soutient que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris a bien procédé au contrôle de l'origine apparemment licite des annexes présentées à l'appui de la requête et a justifié de ce contrôle en page 3 de l'ordonnance d'autorisation. Elle indique que l'article L. 463-1 alinéa 2 nouveau, du code de commerce, dispose : ' Les pratiques dont l'Autorité de la concurrence est saisie peuvent être établies par tout mode de preuve '. Elle soutient qu'en cas de contestation de la part des entreprises visitées sur l'origine apparemment licite d'une ou plusieurs annexes jointes à la requête dans le cadre du contentieux qui s'ouvre devant la Cour d'appel, l'administration peut produire des pièces complémentaires visant à prouver la source des documents litigieux. L'Autorité de la concurrence produit aux débats le courriel du 13 avril 2018 par lequel M. [TM] [EI], directeur gestion finances de la société SRL, auditionné le 10 avril 2018 (annexe 6 à la requête), communique à l'inspecteur [Z] [RW] de la DGCCRF ' les documents supplémentaires demandés lors du contrôle ', notamment un ' exemple de contrat d'échange avec Lactalis ' et des ' factures d'achats ventes liés aux échanges avec Lactalis sur Décembre 2017 ' (annexe A à ses observations).

Le ministère public dans son avis du 8 décembre 2023, souligne qu'il est établi, d'une part, que le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence a régulièrement communiqué au juge des libertés et de la détention les procès-verbaux joints en annexes 6, 8 et 9 à la requête, sans pour autant communiquer les pièces jointes que ceux-ci mentionnaient. Il est d'avis qu'aucune violation de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du droit au procès équitable, des droits de la défense et du principe de l'égalité des armes ne saurait en résulter puisque ces pièces, qui n'ont donc été fournies à personne, n'ont pas servi de fondement à l'ordonnance du 14 novembre 2022. En outre, il est d'avis que d'autre part, le juge des libertés et de la détention, conformément à ce qu'il a inscrit en page 3 de son ordonnance, a effectué un contrôle de l'apparence licite des pièces qui lui ont été transmises par l'administration, au nom du principe de loyauté et que rien ne permettait de douter de leur origine. Il conclut donc que ce moyen d'annulation ne pourra donc qu'être rejeté.

Sur ce, le magistrat délégué :

Sur l'argument de LACTALIS selon lequel la requête n'avait pas joint, en violation de ses droits, l'ensemble des pièces qu'elle annonçait contenir, il convient de constater, au vu des annexes n° 6, 8 et 9 de la requête, qui sont des procès-verbaux de déclarations et de prise de copie de documents, dressés en application des articles L. 450-2 et L. 450-3 du code de commerce par des inspecteurs de la DGCCRF respectivement les 10 avril 2018, 4 et 6 juillet 2018, de cadres de SRL, de Mme [U] [AD], conjointe d'un exploitant agricole et de Mme [IN] [AZ], prestataire en secrétariat pour l'association France Milkboard (FMB) bassin normand, M. [FP] [ZG], co-président de FMB Normandie et responsable des relations commerciales avec SRL et M. [EZ] [JE], co-président de FMB Normandie et responsable des relations commerciales avec LACTALIS, que les déclarants ont remis (annexe 6) ou s'étaient engagés à remettre à la DGCCRF des documents divers en lien avec le contenu de leurs propos.

Toutefois ces documents ne figurent pas dans les annexes 6, 8 et 9 soumises au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris et par conséquent n'ont pas servi de fondement à l'ordonnance d'autorisation qui a été rendue le 14 novembre 2023. Ils ne figurent donc pas aux débats et n'avaient pas à être communiqués à LACTALIS. Il s'ensuit qu'il n'y a pas eu en l'espèce violation des droits de la défense à ce stade de la procédure.

LACTALIS critique en second lieu l'absence de contrôle effectif par le juge des libertés et de la détention de l'origine apparemment licite des documents visés aux annexes n° 4 et 5.

Il est de jurisprudence établie que le juge des libertés et de la détention doit s'assurer que les éléments produits par l'administration revêtent une apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et saisie soit justifiée. Cela exclut une contestation de fond sur l'origine d'une pièce, l'ordonnance devant faire preuve par elle-même de sa régularité et devant indiquer par quelle voie les pièces produites devant ce juge sont parvenues entre les mains de l'administration. C'est ainsi que l'ordonnance entreprise mentionne en page 3 que 'ces documents ont été recueillis ou reçus par les agents de l'Autorité de la concurrence ou de la DGCCRF en application des articles L. 450-1, L. 450-2 et L. 450-3 du code de commerce, que s'agissant des éléments d'information transmis par la DGCCRF, l'Autorité de la concurrence a pris la direction des investigations sur le fondement de l'article L. 450-5 du code de commerce et que les pièces présentées à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite puisqu'elles émanent de la consultation d'études, d'avis, de sites Internet et de banques de données électroniques accessibles au public, de l'exercice par la DGCCRF de son droit de communication dont elle semble avoir usé de manière régulière, mais également de la possibilité pour l'Autorité de la concurrence de se voir communiquer les informations ou les documents que la DGCCRF détient ou recueille ; '.

Ainsi qu'il est énoncé à juste titre par l'ordonnance entreprise, l'origine licite des documents est donc présumée et LACTALIS n'établit pas dans ses écritures que les documents visés aux annexes n° 4 et 5 aient une origine illicite. En outre, sont produits devant la juridiction de céans par l'Autorité de la concurrence le courriel du 13 avril 2018 par lequel M. [TM] [EI], directeur gestion finances de la société SRL, auditionné le 10 avril 2018 (annexe n°6 à la requête), communique à l'inspecteur, M. [Z] [RW], de la DGCCRF les documents supplémentaires demandés lors du contrôle, notamment un exemple de contrat d'échange avec Lactalis et des factures d'achats ventes liés aux échanges avec Lactalis sur décembre 2017. Ce document a été versé aux débats par l'Autorité de la concurrence devant la cour en annexe A; ce qui permet à cette juridiction de confirmer que ces documents ont une origine licite.

L'argument selon lequel le juge des libertés et de la détention n'aurait pas effectué de contrôle de l'origine apparemment licite des documents visés aux annexes n° 4 et 5 ne saurait donc prospérer.

Le moyen sera écarté.

3) Sur le respect du principe de proportionnalité :

LACTALIS rappelle que les opérations de visite et de saisie opérées sur le fondement de l'article L. 450-4 du code de commerce doivent constituer par nature des mesures exceptionnelles et qu'il appartient au juge de les autoriser dans le strict respect du principe de proportionnalité par rapport à l'objectif poursuivi, en application notamment de l'article 8 précité de la CESDH. Elle soutient ainsi que le recours à des opérations de visite et de saisie doit s'apprécier à l'aune du principe de proportionnalité, lequel doit, à son tour, nécessairement s'apprécier au regard des pouvoirs étendus dont disposent les rapporteurs dans le cadre de l'article L. 450-3 du code de commerce. Elle soutient donc qu'en l'espèce, le rapporteur général a subitement décidé de requérir l'autorisation de pouvoir procéder à des visites domiciliaires de grande ampleur - procédure attentatoire des droits et libertés qui devrait demeurer exceptionnelle - alors que pendant près de 5 ans d'enquêtes successives de la DGCCRF, puis des services d'instruction de l'Autorité, jamais l'appelante n'a été interrogée, ni ne s'est vu demander communication de documents ou d'informations, en particulier de ses éventuels contrats, pourtant au c'ur des allégations de la requête et qui n'étaient en rien occultes, ce qui ne lui sera demandé qu'à l'issue des opérations de visite et de saisie, démontrant assurément la disproportion des mesures d'investigation sollicitées en l'espèce.

LACTALIS souligne ainsi que les prérogatives que le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence tient des articles L. 450-3 du code de commerce (enquête ordinaire) ou d'injonctions de l'article L. 464-2, V du même code, auraient dû préalablement être utilisées par les services d'instruction avant tout déclenchement d'opérations de visite et de saisie, s'agissant d'obtenir la transmission des contrats de collecte des laiteries des différentes sociétés visitées, ce qui, très étrangement, n'a jamais été fait en plus de 5 ans depuis le signalement de 2017. Elle se prévaut au soutien de son argumentation des demandes des rapporteurs de transmission des contrats durant lesdites opérations, puis l'envoi, entre le 9 février et le 18 avril 2023 de plusieurs questionnaires à l'appelante qui attesteraient du caractère totalement disproportionné des opérations de visite et de saisie, dès lors que les rapporteurs ont sollicité des éléments dont il est démontré qu'ils leur étaient accessibles dans le cadre de leurs pouvoirs d'enquête 'simple'.

L'Autorité de la concurrence rappelle que, s'agissant du principe de proportionnalité, l'article L. 450-4 du code de commerce n'a jamais été remis en cause par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, ni d'ailleurs par celle des juridictions nationales dont l'appelante se prévaut.

Elle souligne que le juge des libertés et de la détention a effectué un contrôle de la proportionnalité de la mesure d'enquête autorisée. Elle rappelle en outre que la procédure prévue par cet article n'est nullement subsidiaire à celle de l'enquête simple de l'article L. 450-3 du même code et soutient qu'en l'espèce elle a été entièrement proportionnée aux agissements complexes et secrets recherchés derrière les contrats de collecte.

Le ministère public est d'avis que compte tenu de la gravité des comportements anticoncurrentiels présumés, à une échelle nationale et sur un marché très important, que des investigations comportant des opérations de visites domiciliaires et saisies étaient nécessaires et proportionnées. Il rappelle que selon la jurisprudence, aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres modes de preuve et que dès lors qu'existent des présomptions d'agissements constitutifs d'infractions, la procédure de visite domiciliaire est justifiée en ce qu'elle permet de rechercher la preuve de ces agissements.

Sur ce, le magistrat délégué :

Il convient de rappeler qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres modes de preuve. L'enquête dite ' lourde ' n'est pas subsidiaire et devient inévitable lorsque les pratiques anticoncurrentielles qui sont présumées procèdent d'agissements complexes et secrets, comme il est allégué en l'espèce. Il est de jurisprudence établie en matière d'opérations de visite et de saisie diligentées par l'administration qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres procédures moins intrusives (Cass. com., 26 octobre 2010, n° 09-70.509).

En cas d'enquête simple préalable, la loi ne prévoit aucun délai autre que celui résultant de la prescription entre le recueil d'éléments dans ce cadre et le déroulement d'opérations de visite et de saisie. Il est de jurisprudence constante que des faits non prescrits peuvent être éclairés par des faits prescrits décrivant le contexte factuel et historique dans lequel peuvent s'inscrire les pratiques incriminées et partant, des documents ou des éléments datant de plus de cinq ans peuvent ainsi être pris en considération dans la requête et l'ordonnance d'autorisation. L'ordonnance au demeurant mentionne expressément que ' (...) rien n'interdit de retenir, comme éléments de présomptions des faits non prescrits, des documents ou des éléments d'information datant de plus de 5 ans' (page 10 de l'ordonnance), conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation produite en annexe n° 20 à la requête (Cass crim, 28 mai 2003, n° 01-86883 et Cass crim, 2 avril 2003, n° 00-30212).

Dès lors qu'existent des présomptions d'agissements constitutifs de pratiques anticoncurrentielles, la procédure de visite domiciliaire est justifiée en ce qu'elle permet de rechercher la preuve de ces agissements et ainsi d'accéder à des documents de gestion quotidienne de l'entreprise ou relatifs à l'organisation interne, que les représentants des entreprises n'ont pas l'obligation de remettre dans le cadre d'une procédure de contrôle classique.

Du reste, le juge des libertés et de la détention dans sa décision précise à bon droit, en l'espèce, que l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Autorité de la concurrence de corroborer ses soupçons. En effet, il est souligné à juste titre, par des motifs que cette juridiction fait siens, que les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou effet de se répartir les sources d'approvisionnement sont établies suivant des modalités secrètes, de sorte que les documents nécessaires à la preuve de la pratique prohibée sont vraisemblablement détenus et conservés en des lieux et sous des formes qui facilitent leur dissimulation, destruction ou altération en cas de vérification.

Sur l'absence de proportionnalité alléguée par l'appelante, il convient en outre de rappeler que les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce énoncent que les agents des administrations visées à l'article L. 450-1 du même code disposent d'un droit de visite et de saisie, soit dans le cadre d'une enquête demandée comme en l'espèce par l'Autorité de la concurrence, soit visant à conforter les indices selon lesquels une entité aurait commis une infraction aux dispositions du livre IV du même code. Cette mesure, prévue par l'article L. 450-4 du code de commerce est encadrée par des règles de fond et procédurales et, notamment, ces visites sont autorisées par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui même si rendue non contradictoirement, peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel, de même que le déroulement des opérations de visite et de saisie. La décision du premier président de la cour d'appel pouvant faire l'objet d'un pourvoi.

Il convient de rappeler qu'en exerçant son contrôle in concreto sur le dossier présenté par l'autorité administrative indépendante, le juge des libertés et de la détention exerce de fait un contrôle de proportionnalité. En cas de refus, il peut inviter l'autorité requérante à avoir recours à d'autres moyens d'enquête moins intrusifs (par exemple ' enquête simple '…). En autorisant le 14 novembre 2022 les opérations de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention a entendu accorder au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ce mode d'investigations plus intrusif en fonction de la requête présentée. Le juge des libertés et de la détention en prenant sa décision a donc bien procédé à un contrôle de proportionnalité.

En l'espèce, en effet, conformément à la jurisprudence constante en matière d'opérations de visite et de saisie, et ainsi que cela a été évalué lors de la réponse au premier moyen soulevé par l'appelante, le juge des libertés et de la détention s'est référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par le rapporteur général et a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements frauduleux, visés à l'article L. 450-4 du code de commerce.

Si l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) énonce que 'Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance', c'est sous réserve qu' ' Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.'.

Il a été jugé par la Cour de cassation que 'Les dispositions de l'article L 450-4 ne contreviennent pas à celles des articles 6, 8 et 13 de la CEDH dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et que les droits à un procès équitable et à un recours effectif sont garantis, tant par l'intervention du juge des libertés et de la détention qui vérifie le bien-fondé de la requête de l'administration que par le contrôle exercé par la Cour de cassation.' (Cass crim, 11 juillet 2017, n° 16-81065).

En l'espèce, il s'infère donc de ce qui précède qu'il n'y a pas eu violation des dispositions de l'article 8 de la CESDH et que la mesure ordonnée conformément aux dispositions de l'article L 450-4 du code de commerce précité était nécessaire et n'a pas été disproportionnée eu égard au but poursuivi rappelé ci-dessus.

Ce moyen sera rejeté.

Il suit de tout ce qui précède que l'ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judicaire de Paris sera confirmée.

SUR LES RECOURS (RG n° 22/19298, RG n° 22/19299 et RG n° 22/20481)

LACTALIS rappelle que le 17 novembre 2022 au matin, des opérations de visite et de saisie se sont déroulées au sein des locaux de la société Groupe Lactalis situés [Adresse 2] (" [9] ") et [Adresse 7] (" [10] ") [Adresse 17] et [Adresse 18]. Les agents de l'Autorité ont dressé un procès-verbal de visite et saisie pour chaque site (" PV [9]" et " PV [10] ") à l'issue des investigations et ont placé sous scellé fermé provisoire les données électroniques copiées depuis les sites de [9] et [10] après confirmation par les occupants des lieux de la présence de documents couverts par le secret des correspondance avocat-client. Elle a établi deux jeux d'observations distinctes, remises à l'officier de police judiciaire le 18 novembre 2022, à l'issue des opérations de visite et de saisie concernant les opérations susvisées. Le 2 décembre 2022, elle a remis à l'Autorité une liste de 5 356 documents identifiés comme relevant de la protection du secret des correspondances avocat-client, afin de les expurger du scellé définitif. A cette occasion, Lactalis a émis plusieurs réserves transmises par courriel à l'Autorité. Le 12 décembre 2022, Lactalis a adressé à l'Autorité des observations complémentaires sur le champ excessif des saisies pratiquées et comprenant en annexe une liste de documents devant bénéficier de la protection des données à caractère personnel et de la vie privée, et, ce faisant, devant bénéficier selon elle de la procédure de scellé fermé provisoire.

LACTALIS rappelle encore que le 16 décembre 2022, elle a formé un recours pour contester les opérations qui se sont déroulées dans les locaux de l'Autorité les 13, 14 et 15 décembre ayant consisté en la procédure d'ouverture des scellés fermés provisoires mise en place par l'Autorité dans ses locaux, qui a donné lieu à la rédaction d'un procès-verbal du 15 décembre (le " PV d'expurgation").

LACTALIS, dans ses conclusions en réplique et récapitulatives du 11 décembre 2023, auxquelles il sera référé pour de plus amples développements, soutient à titre principal, que les opérations de visite et de saisie ont méconnu un grand nombre d'exigences légales et ont porté gravement atteinte à ses droits de la défense et à ceux de ses salariés ainsi qu'à un certain nombre de principes fondamentaux (1). A titre subsidiaire, elle sollicite la restitution de l'ensemble des documents placés sous scellé fermé provisoire le 15 décembre 2022, en raison notamment du bris de scellé constaté au matin du 14 décembre 2022 (2). A titre infiniment subsidiaire, elle sollicite la restitution d'une très grande partie des documents saisis à tort (3).

1) Lactalis soutient que les procès-verbaux dressés par l'Autorité de la concurrence ne reflètent pas la réalité du déroulement des opérations, ni les constations réellement effectuées et leur seraient mêmes contraires.

- Il est reproché en premier lieu au procès-verbal [9] de ne pas mentionner la saisie de documents papier dans le bureau de M. [RO] [FI]. Ce procès-verbal mentionne la mise sous scellés au début des opérations de plusiers bureaux - dont celui de [RO] [FI], Directeur Général Corporate, afin de vérifier ultérieurement la présence éventuelle de documents entrant dans le champ de l'ordonnance. Le procès-verbal indique que l'Autorité "a procédé à la visite des locaux ci-après ", en visant les différents bureaux des salariés du site ayant été préalablement mis sous scellés. Or, le bureau de M. [RO] [FI] ne fait pas partie de cette liste, alors qu'il ressort de l'inventaire des documents saisis, joint au PV [9], que 18 documents papier - sur les 93 saisis au total au sein des locaux [9] - proviennent du bureau de M. [RO] [FI]. Il est donc fait grief audit procès-verbal de ne pas indiquer que des saisies ont été réalisées dans l'espace de travail de M. [FI] ni, a fortiori, qu'il a été constaté que des documents saisis dans cet espace entraient effectivement " dans le champ de l'autorisation de visite et de saisie donnée par le juge des libertés et de la détention ", prérequis obligatoire.

- Il est reproché en second lieu au procès-verbal [10] de ne pas mentionner une prétendue injonction faite par l'Autorité à Monsieur [NJ] [FZ], un des salariés de Lactalis, non présent au siège ce jour-là, de s'y rendre et d'apporter avec lui son ordinateur portable, qui n'était pas accessible depuis les locaux visités. Le procès-verbal qui mentionne : ' A 18h45 M. [NJ] [FZ] Directeur approvisionnement lait groupe est revenu de réunion et a apporté son ordinateur portable de marque Dell dans la salle de réunion 1.06 pour analyse. ' donnerait la fausse impression que M. [NJ] [FZ] s'est rendu spontanément et volontairement dans les lieux visités. Il est avancé que ce serait sous la contrainte de l'Autorité et du risque d'exposer Lactalis à une procédure d'obstruction, que M. [NJ] [FZ] a interrompu un déplacement professionnel et est revenu au siège avec son ordinateur portable.

- Il est reproché en troisième lieu au procès-verbal dressé le 15 décembre 2022, à l'issue de l'ouverture des scellés fermés provisoires, l'absence de mentions conformes à la réalité concernant les problèmes liés à des bris de scellés allégués et qui seraient survenus les 14 et 15 décembre 2022 au matin.

- concernant le bris de scellé allégué du 14 décembre au matin, Lactalis rappelle qu'à l'issue de la journée du 13 décembre 2022, l'Autorité a apposé, en présence de l'officier de police judiciaire, de l'occupante des lieux et de ses conseils des scellés sur chacune des deux portes d'accès à la salle de réunion. Il est soutenu que le 14 décembre 2022 au matin, l'occupante des lieux n'a pu constater en présence de ses conseils et de l'officier de police judiciaire, le caractère intact que des seuls scellés apposés sur l'une des deux portes ; concernant l'autre porte ce même constat n'a pas été effectué. Lactalis soutient qu'en revanche, le second scellé posé sur la seconde porte d'accès à la salle de réunion - Porte 2 - contenant les éléments électroniques faisant l'objet des SFP était indiscutablement brisé, comme l'illustrerait la photo ci-dessous de la Porte 2 qu'elle produit dans ses écritures. Lactalis expose qu'après ce constat, elle a immédiatement demandé à l'officier de police judiciaire de joindre le juge des libertés et de la détention pour lui signifier cet incident et demander la suspension immédiate des opérations. Ce juge a demandé qu'un rapport lui soit remis à ce sujet, dont aucune copie ne lui a été transmise, ni à la cour de céans.

LACTALIS fait grief au procès-verbal dressé à l'issue des opérations le 15 décembre 2022, concernant les faits de dénaturer la réalité en mentionnant : ' Concernant le bris de scellé posé sur la deuxième porte de la salle de réunion 102/104 dédiée aux opérations par le rapporteur [WS] [MJ] qui sortait de la salle, Mme [D] [P], officier de police judiciaire a contacté Madame le Juge des libertés et la détention qui a lui demandé un rapport détaillé sur l'incident, Madame le Juge des libertés et de la détention a ordonné la poursuite des opérations'. Lactalis soutient qu'il n'a pas été constaté ni par l'occupante des lieux, l'officier de police judiciaire ou l'Autorité à quelle occasion les scellés sur cette porte 2 ont été brisés. Lactalis affirme qu'il n'avait pas été constaté antérieurement, en présence de l'occupante des lieux, que le scellé était intact comme cela aurait dû l'être et que rien n'indique que ce scellé ait été brisé par le Rapporteur consécutivement à sa sortie de la salle, contrairement à ce qu'il est prétendu dans le procès-verbal. Il est donc reproché à l'Autorité de la concurrence d'avoir refusé de modifier le procès-verbal sur ce point.

- concernant le bris de scellé allégué du 15 décembre 2022 au matin :

LACTALIS ajoute qu'il aurait été constaté, le matin du 15 décembre, que le scellé apposé ne s'est pas brisé lors de l'ouverture de la porte d'entrée n° 1 de la salle de réunion au sein de laquelle avaient lieu les opérations d'expurgation. Il est fait grief au procès-verbal dressé le 15 décembre 2022 (page 5) de n'en faire aucune mention et d'affirmer que les scellés se seraient brisés lors de l'ouverture de la porte.

Dans ses dernières écritures, Lactalis, en réponse aux observations de l'Autorité selon lesquelles l'absence du rapport détaillé au juge de l'officier de police judiciaire au dossier de la cour de céans s'explique par le fait qu'il a probablement été fait à l'oral, soutient que pourtant le procès-verbal du 15 décembre 2022 mentionnait bien un " rapport détaillé ".

2) Lactalis soutient que les opérations de visite et de saisie ont donné lieu à la saisie de documents en dehors du champ de l'ordonnance :

- En premier lieu, les opérations de visite et de saisie auraient permis à l'Autorité de saisir des documents qui étaient localisés en dehors du périmètre géographique de l'autorisation délivrée par le juge.

Il est rappelé que la jurisprudence a précisé que les saisies opérées sur le fondement de l'article L. 450-4 du code de commerce ne peuvent porter que sur les documents et supports d'information en lien avec l'objet de l'enquête et qui se trouvent dans les lieux que le juge a désignés ou sont accessibles depuis ceux-ci. Il est à nouveau soutenu qu'en l'espèce, les agents de l'Autorité ont enjoint à l'un des salariés de l'entreprise absent de rejoindre les locaux de l'appelante avec son ordinateur portable, pour contourner les limites géographiques de l'ordonnance et ainsi éventuellement saisir des documents qui n'étaient pas accessibles depuis les locaux visités.

- En second lieu, il est argué que les opérations de visite et de saisie ont conduit à saisir un très grand nombre de documents assurément hors du champ de l'ordonnance :

Il est allégué que l'Autorité a effectué une saisie non ciblée des documents papiers ainsi qu'une saisie globale massive et indifférenciée des fichiers de messageries électroniques dans les bureaux d'un grand nombre de salariés de la société Groupe Lactalis, appréhendant ce faisant un très grand nombre de documents sans aucun rapport avec les pratiques visées et nullement nécessaires pour établir le cas échéant la preuve des infractions visées dans l'ordonnance.

- En troisième lieu, la procédure d'ouverture des scellés fermés provisoires et de saisie définitive des documents contreviendraient aux exigences légales, aux droits de la défense de l'appelante et à certains principes fondamentaux.

Il est reproché à la procédure de placement sous scellés fermés provisoires d'exclure les documents concernés du bénéfice du droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, en violation notamment des dispositions européennes et françaises liées au RGPD et au mépris des articles 7 et 8 de la Charte et de l'article 8 de la CESDH.

LACTALIS soutient ainsi que les dispositions de l'article 9 du Règlement (UE) n° 2016/79 du Parlement et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (le " RGPD ") et la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (la " Loi de 1978 "), modifiée par la loi n° 2018-493, du 20 juin 2018, relative à la protection des données personnelles (la "Loi de 2018") s'appliquent aux opérations de visite et de saisie effectuées sur le fondement de l'article L. 450-4 du code de commerce. Lactalis rappelle qu'au début des opérations de visite et saisie, elle a appelé l'attention de l'Autorité de la concurrence sur la présence dans les documents saisis d'un très grand nombre d'entre eux concernant la vie privée de ses salariés et contenant des données à caractère personnel sensibles, sans rapport avec l'objet de l'enquête, mais a également suggéré d'appliquer à ces documents la méthode utilisée pour les documents protégés au titre de la correspondance avocat-client, pour éviter de collecter des données personnelles.

LACRALIS estime que les jurisprudences citées par l'Autorité dans ses observations - notamment les affaires du 30 novembre 2011 , du 4 octobre 2011 et du 28 juin 2017 - visant à démontrer que les dispositions du RGPD seraient inapplicables en l'espèce (pages 34 et 35 de ses Observations) sont tout simplement irrecevables car ont toutes été rendues avant l'entrée en vigueur du RGPD et sa transposition résultant de la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles. Elle se prévaut d'une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le traitement de données à caractère personnel mis en œuvre par l'administration fiscale aux fins d'obtenir l'autorisation de procéder à des opérations de visite et saisies sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, entre dans le champ d'application matériel du RGPD (Com., 1er juin 2023, n° 21-18.558).

LACTALIS énonce dans ses écritures, qu'en tout état de cause, elle produit sur un même CD-ROM, les copies des documents qui constituent des données sensibles au sens du RGPD au sein de plusieurs pièces :

- une pièce n° 28 comprenant l'ensemble des copies des documents listés à la pièce n° 20 (documents devant bénéficier de la protection de la vie privée et des données à caractère personnel provenant des saisies opérées à [9]),

- une pièce n° 29 comprenant l'ensemble des copies des documents listés à la pièce n° 21 (documents devant bénéficier de la protection de la vie privée et des données à caractère personnel provenant des saisies opérées à [10]), et

- une pièce n° 30 comprenant, parmi les pièces précitées figurant en Pièces n° 28 et n° 29, 24 documents devant bénéficier de la protection de la vie privée et des données à caractère personnel saisis à [9] et [10] pour lesquels il est demandé un examen prioritaire car se rapportant à des données de santé de ses salariés.

A titre subsidiaire, Lactalis invite le magistrat délégué par le premier président, s'il n'annule pas les opérations de visites et de saisies, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de Justice pour lui poser des questions préjudicielles en interprétation concernant la compatibilité des textes et des pratiques internes avec l'article 9 du RGPD.

LACTALIS soutient qu'en tout état de cause, les opérations de visite et de saisie ont entraîné, plus largement, une violation du droit au respect de la vie privée, contraire notamment aux articles 9 du code civil, 7 de la Charte et 8 de la CESDH . La requérante fait valoir qu'en saisissant des documents et fichiers relatifs à la vie privée et familiale des salariés et dirigeants de la société Groupe Lactalis, les enquêteurs ont violé le droit au respect de la vie privée des personnes concernées, tel que protégé notamment par les articles 9 du code civil, 7 de la Charte et 8 de la CESDH.

- LACTALIS fait grief aux opérations de visite et de saisie d'avoir violé le secret des correspondances échangées entre un avocat et son client. La requérante soutient que l'Autorité a refusé d'expurger de très nombreux documents couverts par la protection de la correspondance avocat-client, au motif erroné selon elle qu'ils ne seraient pas en lien avec l'exercice des droits de la défense de l'appelante dans un dossier de concurrence. Elle reproche également à l'Autorité son refus d'expurger les avis juridiques d'avocats dans le cadre de leur activité de conseil arguant que cela serait contraire aux des dispositions légales applicables et à la jurisprudence française et européenne à laquelle elle se réfère dans ses écritures. Elle soutient que la protection du secret des correspondances avocat-client couvre tant les correspondances émanant ou adressées à un avocat que les échanges entre salariés reprenant ou résumant des éléments provenant de leurs avocats ou à destination de ces derniers. Lactalis constate qu'à l'issue de la procédure d'expurgation, quasiment la moitié des documents qu'elle avait identifiés comme protégés par le secret professionnel avocat-client ont été conservés par l'Autorité dans le scellé définitif, soit 2 294 documents sur les 5 356 documents identifiés selon un décompte de l'Autorité (Observations, page 70). Parmi ses documents, figurent des documents émanant des avocats de l'entreprise en lien avec un dossier impliquant l'Autorité de la concurrence et en lien avec l'objet des présentes opérations de visite et de saisie.

LACTALIS énonce dans ses écritures, qu'elle produit sur un même CD-ROM, les copies des documents dont elle allègue qu'ils sont protégés au titre des correspondances avocat-client au sein de plusieurs pièces :

- une Pièce n° 25 comprenant l'ensemble des copies des documents listés à la Pièce n° 18 (documents protégés au titre des correspondances avocat-client provenant des saisies opérées à [9])

- une Pièce n° 26 comprenant l'ensemble des copies des documents listés à la Pièce n° 19 (documents protégés au titre des correspondances avocat-client provenant des saisies opérées à [10])

- une Pièce n° 27 comprenant, parmi les pièces précitées figurant en Pièces n° 25 et 26 les documents à examiner en priorité numérotés de 27.1 à 27.77.

LACTALIS ajoute que le respect du secret des correspondances avocat-client n'a pas été garanti en l'absence de délai raisonnable accordé à l'Appelante pour identifier les documents pouvant bénéficier d'une telle protection et pour les présenter, sous forme de tableau.

LACTALIS demande en outre l'annulation des opérations de visite et de saisie en ce qu'il a été constaté d'une part, un bris de scellé lors de la procédure de SFP le 14 au matin, ainsi, d'autre part, qu'un scellé ne fonctionnait pas le 15 au matin.

LACTALIS soutient qu'au regard de la jurisprudence, le seul constat du bris de scellé le 14 décembre au matin, comme le constat d'une défectuosité des scellés le 15 décembre au matin suffiraient - sans qu'il soit besoin de démontrer que quelqu'un serait entré dans la salle préalablement, ni une quelconque altération des preuves - à remettre en cause la validité de la procédure d'ouverture des scellés fermés provisoires et de mise sous scellés définitifs, ainsi que l'intégrité des éventuels éléments de preuves qui figureraient sur ces derniers.

LACTALIS soutient encore que les opérations de visite et de saisie doivent être annulées en ce qu'elles ont entraîné la violation du droit à l'assistance effective d'un avocat pendant la procédure de d'ouverture des scellés fermés provisoires.

LACTALIS soutient que la jurisprudence consacre le droit, pour les avocats des entreprises faisant l'objet d'opérations de visite et de saisie de prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 alinéa 8 du code de commerce. Il est prétendu que l'Autorité lors des opérations de visite et de saisie a contraint les conseils de la requérante à réduire leur mission d'assistance à un rôle strictement passif, les empêchant d'assister de manière effective leur client, en violation flagrante des dispositions susvisées du code de commerce et de la jurisprudence précitée et au mépris des droits de la défense de l'Appelante. Il est encore prétendu qu' au cours de la procédure d'ouverture des scellés fermés provisoires, la société Groupe Lactalis et ses conseils n'ont pas été en mesure de formuler la moindre observation, ni même tout simplement d'observer le déroulement des opérations. Il est affirmé que l'Autorité a catégoriquement refusé que la requérante et ses conseils prennent part à la phase d'expurgation des scellés.

LACTALIS soutient enfin que les opérations de visite et de saisie se sont déroulées en dehors de la présence de l'occupant des lieux et de l'officier de police judiciaire et n'ont pas permis que le juge des libertés et de la détention soit informé de difficultés graves qui seraient survenues durant le déroulement des opérations concernant les scellés fermés provisoires.

Il est prétendu que l'Autorité a délibérément poursuivi la conduite des opérations par le biais de traitements informatiques, en l'absence de l'occupant des lieux et de l'officier de police judiciaire. Il est prétendu qu'à l'issue de la journée du 13 décembre 2022, l'Autorité a unilatéralement décidé que des traitements informatiques se poursuivrait pendant la nuit du 13 au 14 décembre 2022 - hors la présence de l'occupant des lieux et de l'officier de police judiciaire - pour tenter de remédier à l'impossibilité constatée le 13 décembre d'accéder à la messagerie de M. [Y] [E], telle que copiée sur les scellés fermés provisoires. Lactalis soutient n'en avoir été informée qu'a posteriori, le lendemain et elle a aussitôt relevé cet incident dans ses réserves du 14 décembre 2022.

L'Autorité de la concurrence soutient, dans ses observations récapitulatives du 6 décembre 2023, auxquelles il sera référé pour de plus amples développements, que :

- Selon l'article L. 450-2 du code de commerce, les procès-verbaux, qui ne sont pas contradictoires, font foi jusqu'à preuve contraire ; les réserves faites par Lactalis étant insuffisantes à les remettre en question. Elle soutient que ces procès-verbaux [9] et [10] ont transcrit loyalement la réalité du déroulement des opérations, seul le scellé apposé sur une des deux portes de la salle de réunion avait été brisé lors de l'entrée dans cette salle des rapporteurs, accompagnés du représentant de l'occupant des lieux et de l'OPJ. Elle prétend que dès lors que les participants à l'opération n'ont utilisé qu'une seule porte pour entrer dans cette salle, le scellé apposé sur la seconde porte d'entrée n'a pas été brisé, tandis qu'elle affirme que le scellé apposé sur la seconde porte d'entrée a été brisé par inadvertance lorsqu'un rapporteur l'a empruntée pour sortir de cette salle, peu de temps après la reprise des opérations.

- Sur les moyens tirés de la saisie de documents en dehors du champ de l'ordonnance, l'Autorité de la concurrence fait valoir que la remise du portable par M. [FZ] est intervenue durant les opérations de visite et de saisie, et non postérieurement à la clôture du procès-verbal. Aucune référence à une remise volontaire et à la jurisprudence de cette cour ne saurait donc être faite, et alors que ce dernier, revenant d'un rendez-vous extérieur, dispose de son bureau dans les locaux de LACTALIS.

- Concernant les saisies qui auraient eu lieu en dehors du champ de l'ordonnance, l'Autorité de la concurrence rappelle la jurisprudence constante permettant aux enquêteurs " de saisir les pièces pour parties utiles : si l'administration ne peut appréhender que des documents se rapportant aux agissements retenus par l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie, il ne lui est pas interdit de saisir des pièces pour partie utiles à la preuve desdits agissements " . Elle souligne d'ailleurs que les saisies ont été ciblées puisque sur les deux sites seuls les bureaux et espaces de stockage de 15 salariés ont fait l'objet de fouilles et que sur un total de 3 563 246 fichiers analysés, les enquêteurs n'en ont finalement saisi que 26 965, soit une proportion de 0,76 %.

L'Autorité de la concurrence précise, enfin, que la procédure de scellé fermé provisoire ne s'applique pas aux documents hors champ et aux documents relevant de la vie privée, en vertu d'une jurisprudence constante .

- Sur la violation alléguée par Lactalis d'exigences légales, des droits de la défense et de certains principes fondamentaux lors de la procédure d'ouverture des scellés fermés provisoires et de la saisie définitive des documents, l'Autorité de la concurrence fait valoir que le RGDP et la loi informatique et libertés ne sont applicables qu'aux traitement de données à caractère personnel. Elle se prévaut de décisions de la Cour d'appel de Paris et de la Cour de cassation qui ont décidé, que les saisies effectuées sur le fondement de l'article L. 4504 du code de commerce ne constituent pas un traitement de données à caractère personnel au sens de la loi de 1978, certes antérieurement à l'entrée en vigueur du RGPD mais ce qui serait sans incidence sur la validité de leur argumentation, dès lors que la définition du champ d'application des textes n'a pas été modifiée. Sur le moyen allégué de la violation de la vie privée des salariés de Lactalis, l'Autorité de la concurrence se réfère à la jurisprudence constante selon laquelle la présence d'éléments de vie privée dans une saisie globale de documents n'entraîne pas l'annulation des opérations de visites et de saisies, mais ouvre le droit, aux salariés eux-mêmes et non à Lactalis, de demander leur restitution en démontrant in concreto qu'ils concernent leur vie privée.

- Sur la violation du secret des correspondances échangées entre un avocat et son client, l'Autorité de la concurrence rappelle que le principe de la confidentialité des correspondances entre les avocats et leurs clients n'est absolu et que la protection, réservée aux avocats indépendants et aux fins du droit de la défense du client, n'est pas applicable aux juristes d'entreprise. Elle se prévaut de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a refusé d'étendre le principe de confidentialité des échanges entre un avocat et son client aux documents internes à l'entrepris au motif qu'ils reprendraient une stratégie de défense arrêtée par un avocat, en l'absence d'un véritable rapport d'audit juridique émanant d'un avocat externe indépendant préparant la stratégie de défense de l'entreprise. L'Autorité de la concurrence soutient que tant la procédure de mise sous scellé fermé provisoire des fichiers sélectionnés par les rapporteurs que celle a posteriori de contrôle par le Premier président sont totalement respectueuses des droits de la défense. Elle précise que dans ce dossier, 3 072 documents ont été supprimés, laissant dans le scellé définitif 2 294 documents, soit moins de la moitié des fichiers initialement saisis.

- Sur les moyens soulevés par Lactalis relatifs aux prétendus bris de scellés du 14 décembre et à l'incident relatifs aux scellés du 15 décembre, l'Autorité de la concurrence soutient que la jurisprudence invoquée par la requérante au soutien de sa demande d'annulation des opérations d'ouverture des scellés fermés provisoires, concerne des bris irréguliers de scellés, avec altération. L'Autorité de la concurrence affirme, qu'en l'espèce, deux scellés ont été brisés par un rapporteur de l'Autorité habilité à cet effet par l'article L. 450-4. Elle fait valoir que les scellés en cause étaient apposés sur les portes d'une salle de réunion de son siège abritant des ordinateurs contenant des fichiers dont la liste avait été arrêtée et communiquée à la requérante à l'issue des opérations. Elle ajoute que lors des opérations d'ouverture des deux scellés fermés provisoires, les rapporteurs ont supprimé les documents couverts par le secret de la correspondance avocat-client et ces opérations ont été transcrites sur les procès-verbaux des 13, 14 et 15 décembre ; ce qui garantit une traçabilité totale des opérations.

- Sur la violation alléguée du droit à l'assistance effective d'un avocat pendant la procédure d'ouverture des scellés fermés provisoires, l'Autorité de la concurrence rappelle que la présence d'un avocat pendant les opérations de visite et de saisie n'est en aucune manière une condition de la validité des opérations, mais une simple faculté offerte à l'occupant des lieux ou son représentant de se faire assister par un conseil de son choix et, qu'il est de jurisprudence constante de considérer que les droits de la défense sont assurés par la présence des conseils sur place le jour des opérations. Elle soutient que les conseils ayant assisté LACTALIS bénéficiaient de toute l’attitude pour s'installer ou se déplacer dans les lieux dédiés ou ailleurs, converser avec leur client et prendre la parole pour demander des explications aux rapporteurs ou à l'officier de police judiciaire ; ce qu'ils ont fait à propos des scellés ou pour émettre d'autres réserves.

- S'agissant de l'irrégularité liée à la prétendue poursuite des opérations de visites domiciliaires et de saisies en l'absence de l'occupant des lieux et de l'officier de police judiciaire qui résulterait de la poursuite de traitements informatiques par l'Autorité pendant la nuit du 13 au 14 décembre 2022, l'Autorité de la concurrence explique qu'il s'agissait d'un processus d'ouverture de messagerie qui ne nécessitait aucune intervention humaine. Le lendemain, les enquêteurs avaient d'ailleurs constaté que cette tentative avait échoué, et le fichier de messagerie concerné avait alors été supprimé des saisies.

- Sur la restitution demandée par Lactalis de l'ensemble des documents placés sous scellés définitifs en raison des bris de scellés constatés, l'Autorité de la concurrence expose qu'elle a supprimé la totalité de la copie de travail des données numériques et n'a conservé qu'une sélection de 123 839 documents qu'elle a estimé comme entrant dans le champ des investigations, non protégés et précisément identifiés, ainsi que les scellés originaux fermés, inaccessibles aux rapporteurs. Elle soutient donc avoir purgé dans un délai raisonnable les fichiers informatiques en sa possession de tout élément potentiellement hors champ ou bénéficiant d'une éventuelle protection. Elle considère que les demandes de restitutions demeurent insuffisamment motivées faute de préciser en quoi chacun des documents listés et produits a trait à l'exercice des droits de la défense. Elle rappelle que selon la jurisprudence, il appartient aux salariés de Lactalis de demander la restitution par une action principale ou une intervention volontaire des documents concernant leur vie privée.

Le ministère public, dans son avis du 8 décembre 2022, conclut au rejet de l'ensemble des moyens d'annulation soulevés par Lactalis et au rejet de ses demandes de restitutions.

- Il considère que rien n'établit que les procès-verbaux produits, qui font juridiquement foi jusqu'à preuve contraire, ne reflètent pas la réalité des opérations, dès lors qu'ils n'ont pas à être établis de façon contradictoire, mais loyale, et rien ne démontre une absence, qu'elle soit totale ou partielle, de loyauté.

- L'examen des faits démontre que les enquêteurs ont bien, conformément à l'ordonnance, saisis les documents en lien avec l'enquête menée. S'il s'avère que des documents saisis ne peuvent avoir aucun intérêt pour cette enquête et se trouve donc hors champ, il faudra que LACTALIS les désigne in concreto pour demander leur restitution.

- S'il est indéniable que la protection des données personnelles telle qu'elle est organisée par le RGPD et par la loi Informatique et liberté du 6 janvier 1978 s'applique dès lors qu'il existe un traitement de ces données, les opérations de visites et de saisies menées en application de l'article L. 450-4 du code de commerce par l'Autorité de la concurrence ne constituent pas de tels traitements. Le RGPD leur est donc inapplicable, sans qu'il soit utile de saisir la Cour de Justice d'une question préjudicielle en interprétation. D'autre part, il est rappelé que de jurisprudence constante la saisie de documents hors champ de l'ordonnance, et notamment parce qu'ils relèvent de la vie privée, n'entraîne pas l'annulation des opérations.

Il résulte clairement des textes ainsi que de la jurisprudence que la correspondance entre un avocat et son client est protégée, et est insaisissable, si elle est couverte par le secret professionnel de la défense et du conseil et si elle relève de l'exercice des droits de la défense.

- La présence, dans les documents saisis ou remis, de documents protégés par le secret des correspondances entre un avocat et son client n'entraîne pas l'invalidation de la totalité des opérations de visites et de saisies, dès lors que la seule annulation de la saisie des documents en question par le premier président suffit à rétablir la société requérante dans ses droits. Il revient ainsi à la requérante de produire les documents qu'elles estiment illicitement saisis et de motiver pourquoi, selon elles, ils relèvent de la confidentialité des échanges avec leurs avocats, ce qui permettra à la chambre de se prononcer, à la suite d'un contrôle de proportionnalité, sur leur restitution.

Le ministère public est d'avis qu'aucun doute n'étant permis sur l'absence totale de conséquence des bris de scellés ayant eu lieu, aucune remise en question des saisies ne peut être admise, surtout si on ajoute que ces bris, à l'évidence accidentels, ont été faits par des agents de l'Autorité de la concurrence.

- Il est encore d'avis que la logique poursuivie par les deux derniers moyens de Lactalis, sur la violation du droit à l'assistance effective d'un avocat pendant la procédure du scellé fermé provisoire et la poursuite des opérations de visites domiciliaires et de saisies en l'absence de l'occupant des lieux et de l'officier de police judiciaire, sans que le juge des libertés et de la détention ne soit informé, est de jeter le doute sur la probité des enquêteurs et la régularité de l'enquête. Or, les procès-verbaux établissent une telle traçabilité qu'on ne voit pas ce que pourraient faire les enquêteurs, même de nuit, sur les fichiers saisis. De même, le bris accidentel des scellés, n'aurait dû rester que ce qu'il est vraiment, à savoir une maladresse dans l'ouverture des portes d'une salle de réunion.

- sur la restitution de l'ensemble des documents placés sous scellés définitifs en raison des bris de scellés constatés, le ministère public est d'avis qu'aucune atteinte à l'intégrité des documents saisis n'a résulté de ce qui n'a été qu'une maladresse. La demande de restitution ne pourra donc qu'être rejetée.

Sur la restitution des documents prétendument saisis à tort, le ministère public est d'avis qu'il revient à la requérante de produire les documents qu'elle estime illicitement saisis, mais aussi de motiver pourquoi, selon elle, ils relèvent soit de la confidentialité des échanges avocat-client et donc de l'exercice des droits de la défense, ce qui permettra à la chambre de se prononcer, à la suite d'un contrôle de proportionnalité, sur leur restitution, soit qu'ils sont totalement en dehors du champ de l'enquête. Quant aux documents concernant la vie privée, c'est aux intéressés de demander leur restitution.

Sur ce, le magistrat délégué :

Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées les 17 et 18 novembre 2022 au siège du Groupe LACTALIS sis [Adresse 2] et au [Adresse 7]. L'opération d'expurgation s'est déroulée les 13, 14 et 15 décembre 2022 dans les locaux de l'Autorité de la concurrence à [Localité 15] et a donné lieu à la rédaction d'un procès-verbal.

Un procès-verbal de visite en date du 18 novembre 2022 clos à 1h55 pris en exécution de l'Ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS a été dressé par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence. Un procès-verbal de visite en date du 18 novembre 2022 clos à 1h54 pris en exécution de la même ordonnance a été dressé par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence. Un procès-verbal d'ouverture de scellés fermés provisoires en date du 15 décembre 2022 clos à 13h37 a également été dressé par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence.

1) Sur l'allégation selon laquelle les procès-verbaux ne refléteraient pas la réalité des opérations et les constatations réellement effectuées :

Il convient de rappeler que conformément à l'article L. 450-2 du code de commerce, le procès-verbal de visite et saisie dressé par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence fait foi jusqu'à preuve contraire. Cette preuve contraire ne peut résulter des seules réserves déposées par l'occupant des lieux auprès de l'officier de police judiciaire ou des observations formulées auprès de l'Autorité de la concurrence.

Le procès-verbal dressé en date du 18 novembre 2022 dans les locaux de Lactalis au [Adresse 2] et le procès-verbal en date du 18 novembre 2022 dressé dans les locaux de Lactalis au [Adresse 7] et le procès-verbal d'expurgation des scellés fermés provisoires clos le 15 décembre 2022 ont bien été signés par les agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce, par l'officier de police judiciaire et par le représentant de l'occupante des lieux. Cette dernière disposait cependant de la possibilité de ne pas les signer et le cas échéant, mention en est portée sur l'acte, ce qui ne s'est pas produit, en l'espèce.

Un procès-verbal de visite et saisie n'est pas un document établi de manière contradictoire entre les parties, mais relève de la responsabilité des agents habilités et autorisés à effectuer la visite et la saisie qui y relatent leurs opérations et constatations, étant précisé que l'occupant des lieux a, de toute façon, la possibilité de soumettre directement ses observations au juge des libertés et de la détention puis, le cas échéant, de développer ses remarques en contestation de l'opération dans le cadre du recours prévu par l'article L. 450-4 du code de commerce qui permet l'ouverture d'un débat contradictoire sur le déroulement des opérations en cause.

- La requérante fait grief au procès-verbal dressé le 17-18 novembre 2022 sur le site [9]de ne pas indiquer qu'une visite a été réalisée dans l'espace de travail de M. [FI] et d'avoir omis de constater que des documents saisis dans ce lieu entraient ' dans le champ de l'autorisation de visite et de saisie', ce qui serait un prérequis obligatoire.

Le procès-verbal dressé en date du 18 novembre 2022 dans les locaux de Lactalis au [Adresse 2] dit '[9]", mentionne d'une part, en page 2/25 qu'il a été procédé à la mise sous scellé du bureau de Monsieur [RO] [FI], en page 5 ' Espace réseau de Monsieur [RO] [FI] ' nous avons examiné les données informatiques présentes sur l'espace réseau de M.[RO] [FI]. Aucune saisie n'a été réalisée ', que des documents ont été saisis dans son bureau et inventoriés (pages 16 et 17). Par suite, nonobstant l'omission de la mention audit procès-verbal en page 2 de son bureau à la suite de la phrase

' L'équipe constituée de (..) en présence constante de l'occupant des lieux a procédé à la visite des locaux désignés ci-après...', l'occupante des lieux a pu légitimement en déduire que cela avait été le cas. Cette omission n'est donc pas substantielle, ne fait pas grief à la requérante et ne saurait, par suite, conduire à l'annulation du procès-verbal, ni à celle des opérations de visite et de saisie dans les lieux situés au [Adresse 2]. La requérante n'établit nullement dans ses écritures ou par les réserves formulées auprès de l'officier de police judiciaire de preuve documentaire de ses allégations.

- Sur le constat que le procès-verbal ne mentionne pas que des documents saisis dans le bureau de M. [FI] entraient dans le champ de l'autorisation, il convient de relever que le procès-verbal mentionne : ' Espace réseau de Monsieur [RO] [FI] ' nous avons examiné les données informatiques présentes sur l'espace réseau de M. [RO] [FI]. Aucune saisie n'a été réalisée '. En outre, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose aux rapporteurs de l'Autorité de la concurrence de rédiger au procès-verbal une mention relative au constat que les documents papier sélectionnés, inventoriés et finalement saisis entrent dans le champ de l'autorisation de visite et de saisie donnée par le juge des libertés et de la détention comme soutenu par la requérante. L'occupant des lieux est en mesure de consulter les documents papier avant leur saisie, ainsi qu'en l'espèce le procès-verbal en atteste en page 8 : 'après que M. [TM] [X], occupant des lieux, et M. [HX] [S], officier de police judiciaire, ont été mis en mesure de prendre connaissance, avons effectué la saisie des documents ou supports d'information que nous avons inventoriés dans l'état ci-après et réunis sous les scellés n° 2 à 10 ". L'occupant des lieux en a en outre reçu une copie intégrale avant la fin de la visite ainsi qu'il est précisé au même procès-verbal en page 24 : ' Nous avons remis copie de l'ensemble des documents ou supports d'information à M. [TM] [X], occupant des lieux, à l'exception de ceux placés sous le scellé fermé provisoire n°1".

Cet argument de Lactalis ne saurait donc prospérer.

- La requérante fait grief au procès-verbal dressé le 17-18 novembre 2022 sur le site [10] de ne pas faire état de la prétendue injonction faite par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence à M. [NJ] [FZ], absent, de rejoindre les lieux visités. Le procès-verbal en date du 18 novembre 2022 dressé dans les locaux de Lactalis au [Adresse 7], dit '[10]", mentionne en page 2 que les rapporteurs ont placé sous scellé le bureau de Monsieur [NJ] [FZ], directeur approvisionnement lait du Groupe. Il est indiqué qu'à 18h45, ce dernier est revenu de réunion et a apporté son ordinateur portable de marque Dell dans la salle de réunion 1.06 pour analyse.

Il convient de rappeler que le procès-verbal de visite et saisie dressé par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence fait foi jusqu'à preuve contraire et qu'en l'espèce, la requérante n'établit nullement la preuve de ses allégations selon lesquelles M. [FZ] se serait rendu au siège [Adresse 17] sous la contrainte.

Cet argument de Lactalis ne saurait donc prospérer.

- Sur les moyens soulevés par Lactalis relatifs à l'absence dans le procès-verbal du 15 décembre 2022 des prétendus bris de scellés, il convient encore de rappeler que ce procès-verbal dressé par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence fait foi jusqu'à preuve contraire.

Le procès-verbal litigieux a été signé par les agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce, par l'officier de police judiciaire et par le représentant de l'occupant des lieux. En l'espèce, le procès-verbal clos le 15 décembre 2022 mentionne en pages 3 et 4 les faits contestés par la requérante comme suit : ' le mercredi 14 décembre 2022, à 9h15. (...) ' avons brisé le scellé se trouvant sur la première porte de la salle de réunion 102/104 où étaient entreposés les ordinateurs, en la présence constante de Monsieur [WS] [K], représentant de l'occupant des lieux et de Mme [D] [P], officier de police judiciaire. Sommes rentrés dans la salle de réunion 102/104. Concernant le bris du scellé posé sur la deuxième porte de la salle de réunion 102/104 dédiée aux opérations par le rapporteur [WS] [MJ] qui sortait de la salle, Mme [D] [P], officier de police judiciaire a contacté Madame la Juge des libertés et de la détention qui lui a demandé un rapport détaillé sur l'incident. Madame le Juge des libertés et de la détention a ordonné la poursuite des opérations.'

Il s'en déduit que seul le scellé se trouvant sur la deuxième porte de la salle de réunion, non utilisée pour que les participants pénètrent dans cette salle est concerné par un bris de scellé effectué ainsi qu'il résulte de ce procès-verbal par inadvertance par un des rapporteurs et sans incidence sur la validité des opérations, dès lors que l'occupant des lieux, l'officier de police judiciaire et les rapporteurs de l'Autorité étaient préalablement entrés dans les lieux par l'autre porte de la salle de réunion. En l'espèce, la requérante n'établit nullement la preuve de ses allégations, notamment en produisant des photographies non probantes car ne comportant pas d'heure de prise et ne prouvant pas qu'elles auraient été prises avant la reprise des opérations afférentes aux scellés fermés provisoires. Il ne peut qu'être constaté par cette juridiction l'absence au dossier d'un rapport détaillé sur l'incident sollicité par la Juge des libertés et de la détention visée au procès-verbal, ce qui pour autant n'accrédite pas les allégations de la requérante, ni ne porte atteinte aux droits de la requérante dans la procédure faute de son existence, ni n'emporte par suite la nullité du procès-verbal ou des opérations afférentes aux scellés fermés provisoires. Il sera constaté que le procès-verbal mentionne néanmoins que la juge des libertés et de la détention a ordonné la poursuite des opérations.

Cet argument de Lactalis ne saurait donc prospérer.

- Sur les moyens soulevés par Lactalis selon lesquels le procès-verbal relatif aux scellés fermés provisoires ne mentionne pas le fait que le scellé apposé sur une des portes de la salle de réunions102/104 ne se serait pas brisé lors de l'ouverture de celle-ci le 15 décembre au matin, il convient de nouveau de rappeler que ce procès-verbal dressé par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence fait foi jusqu'à preuve contraire. Le procès-verbal clos le 15 décembre 2022 mentionne en page 5 'le jeudi 15 décembre 2022, à 9h08 ", (...) ' Nous (...) rapporteurs des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence ' (...) ' avons brisé les scellés se trouvant sur les deux portes de la salle de réunion 102/104 où étaient entreposés les ordinateurs, en la présence constante de Mme [KL] [A], représentant de l'occupant des lieux et de M. [XZ] [B], officier de police judiciaire.' Ces constatations en présence de l'officier de police judiciaire, des rapporteurs de l'Autorité de la concurrence et du représentant de l'occupant des lieux contredisent les allégations de la requérante. La photographie produite par la requérante dans ses écritures ne prouve nullement ses dires selon lesquels le scellé n'aurait pas été brisé lors de son ouverture le matin du 15 décembre 2022 à la reprise des travaux dans les conditions reprises au procès-verbal. Son grief développé à l'encontre de l'officier de police judiciaire qui n'aurait pas référé immédiatement le prétendu incident au juge ne saurait pas prospérer, cette saisine restant à l'appréciation de cet officier de police judiciaire en fonction des circonstances selon une jurisprudence établie.

Cet argument de Lactalis ne saurait donc prospérer et le moyen sera écarté en toutes ses branches.

2) Sur l'allégation de la requérante selon laquelle les opérations de visite et de saisie ont donné lieu à la saisie de documents en dehors du champ de l'ordonnance :

2-1) Sur la régularité de la fouille et des saisies effectuées sur l'ordinateur de M. [FZ] :

Selon le procès-verbal du 18 novembre 2022 dressé dans les locaux de Lactalis au [Adresse 7], dit '[10]", il est mentionné en page 2 que les rapporteurs ont placé sous scellé le bureau de Monsieur [NJ] [FZ], directeur approvisionnement lait du Groupe. Il est indiqué qu'à 18h45, ce dernier est revenu de réunion et a apporté son ordinateur portable de marque Dell dans la salle de réunion 1.06 pour analyse. Ces mentions font foi jusqu'à preuve du contraire. L'ordinateur de M. [FZ] lorsqu'il a été présenté aux rapporteurs de l'Autorité de la concurrence se trouvait dans les locaux de Lactalis, et par suite ce support d'information et les fichiers qu'il contenait se trouvaient dans les lieux que le juge avait désigné en application de l'article L. 450-1 du code de commerce. On ne peut conférer à cette saisie effectuée sur les lieux objet de l'autorisation judiciaire le caractère d'une "remise volontaire".

Cet argument de Lactalis ne saurait donc prospérer.

2-2) Sur le caractère prétendument "massif et indifférencié" des saisies effectuées et la saisie de documents prétendument en dehors du champ de l'ordonnance :

Il convient en premier lieu de rappeler que l'occupant des lieux ou ses représentants ont eu la possibilité de se faire assister de ses conseils tout au long de la procédure ainsi que cela résulte des différents procès-verbaux dressés. En outre, la violation des dispositions de l'article 56 du code de procédure pénale invoquée par la requérante n'est pas pertinente dès lors que l'article L. 450-4, alinéa 9 du code de commerce n'y fait référence que pour les inventaires et les mises sous scellés.

Plus généralement, il ressort des procès-verbaux dressés dans les locaux de Lactalis au [Adresse 2] et au [Adresse 7], que du procès-verbal clos le 15 décembre 2022, que la requérante n'apporte aucun élément pour établir que les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence auraient effectué une saisie non ciblée de documents papier dans ses locaux. Selon le procès-verbal '[9]" seuls ont été fouillés les bureaux et espaces de stockage de 9 salariés de la société Lactalis (M. [E], Mme [C], M. [PY], M. [N], M. [X], M. [K], Mme [A], Mme [F] et M. [FI]). Parmi ceux-ci, un bureau (celui de Mme [F]) n'a donné lieu à la saisie d'aucun document papier. Selon le procès-verbal '[10]" seuls ont été fouillés les bureaux et armoires de 6 salariés de la société Lactalis (M. [FZ], M. [R], M. [OH], M. [PH], Mme [XB], Mme [XI]). Dans ces bureaux, plusieurs armoires n'ont donné lieu à la saisie d'aucun document papier.

En outre, les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce permettent aux rapporteurs de saisir tout support d'information, c'est-à-dire les ordinateurs eux-mêmes, leurs disques durs, les clés USB, les téléphones ou une copie complète de ceux-ci.

Il ressort des mêmes procès-verbaux (pages 6 et 7 pour [9]) que les rapporteurs ont procédé à une sélection des documents informatiques saisis et n'ont saisi que des copies de fichiers informatiques qui comportaient des éléments entrant dans le champ de l'autorisation accordée par le juge des libertés et de la détention. Seuls les supports informatiques de 17 salariés occupant des fonctions commerciales ou de direction (M. [J], M. [H], M. [M], M. [E], M. [X], M. [N], M. [K], Mme [LC], M. [YP], M. [OH], M. [PH], M. [WB], M. [FZ], M. [FI], M. [RF], M. [ZX] et M. [PY]) ont fait l'objet d'analyse et de copie d'une sélection d'éléments apparaissant en lien avec l'autorisation judiciaire.

En outre selon une jurisprudence constante de cette juridiction, il est constant qu'un fichier de messagerie de type Outlook, sauf à en altérer le contenu, est insécable (8 novembre 2017, n° 14/13247, groupe Candy Hoover c/ Autorité de la concurrence). Une saisie globale d'une messagerie peut être validée en raison de son caractère insécable, dès lors qu'elle contient des éléments en lien même ténu avec le champ d'application de l'ordonnance, alors que la nature insécable des messageries ne permet pas à l'Autorité de la concurrence de discriminer les messages. La saisie d'éléments hors champ de l'enquête, dans des fichiers de messagerie, ne sauraient entraîner la nullité des opérations de visite et de saisie.

Enfin, le seul fait vérifié par le juge, comme en l'espèce selon les procès-verbaux précités, qu'une messagerie électronique contienne pour partie seulement des éléments entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire suffit à valider la saisie globale opérée (Cass crim, 20 décembre 2017, n° 16-83469).

La requérante n'apporte donc aucun élément à l'appui de son allégation selon laquelle les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence auraient effectué une saisie globale massive et indifférenciée de fichiers de messageries électroniques dans les bureaux d'un grand nombre de salariés de la société Groupe Lactalis.

Cet argument de Lactalis ne saurait donc prospérer.

3) Sur l'allégation selon laquelle la procédure de suppression avant saisie contreviendrait à certaines exigences légales et aux droits de la défense :

3-1) La procédure afférente aux scellés fermés provisoires exclut les documents saisis du bénéfice de la protection des données personnelles :

Lactalis soutient que l'Autorité de la concurrence n'a pas respecté le règlement n° 2016/79 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ( le " RGPD ") ainsi que les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés telle que modifiée par la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en ce que la mesure de suppression avant saisie définitive n'a pas été étendue aux documents relevant de la vie privée. Lactalis a soutenu que les saisies effectuées par l'Autorité de la concurrence en application de l'article L. 450-4 du code de commerce constituent un traitement de données au sens du RGPD et entrent dans son champ d'application.

Toutefois, ainsi qu'il a été jugé, les saisies effectuées sur le fondement de l'article L 450-4 du code de commerce les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés sont inapplicables, dès lors que l'exécution d'une opération de visite et saisie, autorisée par le juge des libertés et de la détention, est réalisée sous son contrôle et son déroulement est susceptible d'un recours devant le premier président (Cass., crim, 30 novembre 2011, n° 10-81748). Par suite, les obligations du RGPD et de la loi informatique et libertés ne sont pas applicables aux opérations de visite et de saisie effectuées par l'Autorité de la concurrence suite à l'autorisation délivrée le 14 novembre 2022 par le juge des libertés et de la détention de Paris.

En outre, il n'a été saisi que des messageries professionnelles à l'occasion de ces opérations, les fichiers saisis sont donc présumés revêtir un caractère professionnel. Il est de jurisprudence constante que les éléments de nature personnelle ou concernant la vie privée, qui seraient saisis incidemment dans des messageries professionnelles, ne sont donc pas par nature exclus du champ de l'autorisation. Ces fichiers ne sont pas concernés par la procédure d'expurgation qui ne concerne que les correspondances avocats-clients. Lactalis ne saurait obtenir l'annulation ou la restitution de la saisie de documents relevant de la vie privée de ses salariés. Cette revendication appartient à ces personnes par la voie de l'intervention ou de l'action directe.

Par suite, la demande de restitution formée par Lactalis de documents devant bénéficier de la vie privée et de la protection des données à caractère personnel listés en pièces 20 et 21 et figurant en pièces n° 28, 29 et 30 sera rejetée.

Enfin, il a été jugé par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation et les juridictions européennes que le dispositif mis en place par les dispositions de l'article L. 450-1 et L. 450-4 était compatible avec les droits fondamentaux, notamment avec le respect du à la vie privée des personnes concernées.

Compte tenu de la nature coercitive et d'ordre public de la procédure prévue par les articles L. 450-4 et L. 450-1 du code de commerce, cette juridiction ne considère pas qu'il soit nécessaire de surseoir à statuer sur l'applicabilité du RGPD aux opérations de visite et de saisie et de saisir la cour de justice de questions préjudicielles.

3-2) Sur la prétendue violation du secret des correspondances échangées entre avocats et clients par la procédure de visite et de saisie :

Un document n'est insaisissable qu'aux deux conditions cumulatives qu'il soit couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, d'une part, et qu'il relève de l'exercice des droits de la défense.

Il n'est pas interdit aux agents de l'Autorité de la concurrence de prendre connaissance de manière sommaire des documents afin de décider s'ils doivent ou non les saisir ; cette connaissance se justifiant par la nécessité de vérifier s'ils entrent manifestement, explicitement et véritablement dans le cadre de la protection alléguée pour être écartés ou, le cas échéant annulés. C'est ainsi que la simple lecture d'un échange avocat-client ne peut avoir pour effet l'annulation de l'ensemble de la saisie et seule sa saisie aurait pour effet d'entraîner l'annulation du document relevant de la protection légale de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée (CA Paris 1er février 2017, n° 16/05170). Il est de jurisprudence établie que la présence dans les documents saisis de documents protégés par le secret des correspondances entre un avocat et son client n'a pas pour effet d'entraîner l'invalidation de la totalité des opérations de visite et de saisie.

Le seul fait vérifié par le juge, qu'une messagerie électronique contienne pour partie seulement des éléments entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire suffit à valider la saisie globale opérée. La saisie, dans ce cadre global, de certains documents personnels à des salariés ou de correspondances avocat-client bénéficiant à ce titre de la protection prévue par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, n'invalide pas la saisie, mais doit conduire l'administration à restituer les documents concernés dès lors qu'ils auront été identifiés par les intéressés.

La procédure de scellé fermé provisoire permet dans ce cadre de protéger la confidentialité des correspondances avocat-client et de garantir les objectifs d'efficacité de l'enquête. Même si elle participe des garanties offertes aux personnes saisies et au respect de la protection prévue par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, ce qui la rend en pratique fréquente et souhaitable, elle n'est pas obligatoire pour l'Autorité, la saisie des pièces pouvant être par la suite contestée devant le premier président.

Il est de jurisprudence constante en outre qu'il appartient à la société requérante de produire individuellement les pièces contestées et d'expliquer pour chacune les raisons, afin qu'un contrôle in concreto sur le respect de la confidentialité avocat-client puisse être exercé sur cette pièce, notamment que chaque pièce est en lien avec l'exercice des droits de la défense.

Il n'est pas suffisamment précis de se référer à l'objet d'un courriel, quand bien même son intitulé pourrait le rattacher à un litige, pour en déduire qu'il est protégé au titre de la correspondance avocat-client et se réfère à l'exercice des droits de la défense. Il appartient aux sociétés requérantes de verser aux débats les pièces contestées en précisant les raisons qui les rendent insaisissables (Cass. com, 5 janvier 2016, n° 14.24-266) et de justifier et motiver pour chaque document repris aux pièces n° 25 à 27 son lien avec l'exercice effectif des droits de la défense.

En l'espèce, il apparaît que la requérante ne motive pas sa demande de restitution des documents concernés et listés en pièces n° 17, 18 et 19 dont les copies figurent en pièces n° 25, 26 et 27, S'agissant des motifs tenant pour chaque document à leur rattachement à la protection sollicitée, elle se limite à produire plusieurs tableaux reprenant pour chaque document, outre le nom de l'avocat concerné, une mention très sommaire et répétée à l'identique dans des centaines de cases, soit ainsi les formules ' dossier de concurrence..', ' droit économique ', ' antitrust acquisition ', ' antitrust yaourt ', ' antitrust compotes ' etc qui ne permettent pas à cette juridiction de remplir son office.

La demande d'annulation de la saisie et de restitution des documents listés en pièces n° 17, 18 et 19 dont les copies figurent en pièces n° 25, 26 et 27 formée par Lactalis sera rejetée.

Le moyen sera écarté.

Sur l'annulation des opérations de visite et de saisie en raison d'un bris de scellés :

Il convient de rappeler que conformément à l'article L. 450-2 du code de commerce, le procès-verbal de visite et saisie dressé par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence fait foi jusqu'à preuve contraire. Ainsi qu'il a été développé précédemment, la requérante n'établit nullement la preuve de ses allégations selon lesquelles les bris de scellés constatés dans les locaux de l'Autorité seraient établis selon les circonstances qu’elles développent dans ses écritures.

Ce moyen sera écarté et la demande de restitution y afférente rejetée.

Sur la violation alléguée du droit à l'assistance effective d'un avocat pendant les opérations de visite et de saisie.

Il convient de rappeler que selon l'article L. 450-4, alinéa 5 du code de commerce, la présence d'un avocat durant les opérations de visite et de saisie n'est pas une condition de leur validité, mais une faculté offerte à l'occupant des lieux. Il n'existe pas un droit pour les conseils des parties de prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, la procédure issue des articles L. 450-1 et L. 450-4 du code de commerce n'est pas une procédure contradictoire, à l'instar des procédures se déroulant devant les juridictions pénales ou civiles, mais une procédure inquisitoire qui vise à recueillir des éléments de preuve des agissements contraires aux dispositions du code de commerce relatives notamment aux pratiques anticoncurrentielles. Les personnes concernées par les opérations de visite et de saisie bénéficient des garanties prévues par l'article L. 450-4, notamment d'être assistées d'un conseil selon les limites rappelées ci-dessus, de la présence d'un officier de police judiciaire et du droit de recours devant le premier président de la cour d'appel.

Il ne résulte pas des procès-verbaux des opérations de visite et de saisie, en particulier du procès-verbal clos le 15 décembre 2022 relatif à la procédure d'expurgation des scellés fermés provisoires, dont il a été indiqué qu'ils faisaient foi jusqu'à preuve contraire non rapportée en l'espèce, que les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence aient fait preuve de déloyauté, ni vis-à-vis des représentants de l'occupante des lieux, ni à l'égard de ses conseils. En outre, il ne résulte pas plus de déloyauté vis-à-vis de l'occupante des lieux du délai qui lui a été imparti, ainsi qu'à ses conseils, pour préparer les opérations d'expurgation, compte tenu de la taille et des ressources de cette entreprise, tel que cela résulte de l'annexe 17 à la requête ; les dispositions légales ne prévoyant aucun délai en la matière. Il ne ressort toutefois pas des articles du commerce précités, compte tenu de leur finalité, que les opérations d'expurgation doivent perdurer selon des délais incompatibles avec ces objectifs.

Le moyen sera écarté.

Sur le moyen selon lequel les opérations de visite et de saisie se sont déroulées en dehors de la présence de l'occupant des lieux et de l'officier de police judiciaire et n'ont pas permis que le juge des libertés et de la détention soit informé de difficultés graves qui seraient survenues durant le déroulement des opérations concernant les scellés fermés provisoires :

Lactalis fait grief aux rapporteurs de l'Autorité de la concurrence d'avoir poursuivi des traitements informatiques pendant la nuit du 13 au 14 décembre 2022, en dehors de la présence de l'occupant des lieux et de l'officier de police judiciaire pour tenter de remédier à l'impossibilité constatée le 13 décembre d'accéder à la messagerie de M. [E] telle que copiée sur les scellés fermés provisoires.

L'Autorité de la concurrence a exposé qu'il n'y avait pas eu d'analyse ou traitement informatique nécessitant l'intervention des rapporteurs de l'Autorité de la concurrence sur les documents électroniques placés sous scellés fermés provisoires la nuit du 13 au 14 décembre 2022. Elle a fait valoir que le 13 décembre 2022, avant la suspension des opérations, les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence ont lancé l'ouverture du fichier de messagerie de M. [E] sur un de leurs ordinateurs.

En outre, le procès-verbal précité des 13, 14 et 15 décembre 2022 fait état, le 14 décembre 2022, et non pas le 13 décembre 2022, du constat par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence qu'il était impossible d'ouvrir le fichier de messagerie de M. [E] (page 4 du PV).

Le processus de traitement informatique exposé par l'Autorité de la concurrence ne peut pas s'apparenter à la poursuite, en l'absence de l'occupant des lieux ou de l'officier de police judiciaire, des opérations d'expurgation des scellés fermés provisoires, car ce processus n'a consisté qu'à lancer pendant les opérations l'ouverture d'un fichier informatique, sans la nécessité d'une intervention humaine pour son suivi et sans qu'il soit établi que ces données étaient accessibles aux rapporteurs à distance. En outre, cette ouverture de fichiers informatique n'a pas causé de griefs à la requérante dès lors que ce fichier a été entièrement supprimé avant saisie.

Il ne résulte donc pas du procès-verbal d'expurgation clos le 15 décembre 2022 que les opérations de visite et de saisie se soient déroulées en dehors de la présence de l'occupant des lieux et de l'officier de police judiciaire.

Par ailleurs les allégations de la requérante selon lesquelles les rapporteurs auraient empêché que l'officier de police judiciaire et partant le juge des libertés et de la détention soient informés de graves difficultés dans le déroulement des opérations d'expurgation ne sont nullement étayées par les pièces du dossier. Il résulte a contrario du procès-verbal que l'officier de police judiciaire a contacté le juge des libertés et de la détention ainsi qu'il a été indiqué précédemment dans cette décision et que ce juge a demandé de poursuivre le déroulement des opérations. En outre, les allégations de la requérante sur son manque d'accès à l'officier de police judiciaire, en raison d'une obstruction alléguée des rapporteurs de l'Autorité de la concurrence, sont démenties par le procès-verbal des 13, 14 et 15 décembre 2022 et ses propres notes transmises à l'officier de police judiciaire. Enfin, comme déjà indiqué, l'officier de police judiciaire conformément au texte applicable apprécie souverainement l'opportunité de référer ou non au juge une difficulté qui lui serait soulevée par l'occupante des lieux, sous réserve du contrôle que la juridiction du premier président opère sur la validité des opérations de visite et de saisie. Il ne ressort pas des éléments objectifs du dossier, notamment du procès-verbal précité, que l'officier de police judiciaire n'ait pas rempli son office vis-à-vis de l'occupante des lieux de manière loyale lors des opérations d'expurgation.

Le moyen sera écarté.

Il résulte de tout ce qui précède que l'ensemble des opérations de visite et de saisie seront déclarées régulières.

SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE :

Les circonstances de l'espèce et l'équité justifient qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'Autorité de la concurrence, la société Lactalis sera ainsi condamnée au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR LES DÉPENS :

La société Lactalis succombant en ses prétentions sera tenue aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement et en dernier ressort,

Ordonnons la jonction des instances enregistrées sous les numéros de RG 22/19280, RG n° 22/19298, RG n° 22/19299 et RG n° 22/20481 et disons que l'instance se poursuivra sous le numéro RG le plus ancien, soit le numéro de RG 22/19280.

Confirmons l'ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris,

Déclarons régulières les opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées les 17 et 18 novembre 2022 au siège du Groupe LACTALIS S.A sis [Adresse 2] et [Adresse 7] et l'opération d'expurgation qui s'est déroulée les 13, 14 et 15 décembre 2022 au siège de l'Autorité de la concurrence,

Rejetons les demandes de restitution de l'ensemble des documents et données saisis formées par le Groupe LACTALIS S.A,

Condamnons le Groupe LACTALIS S.A à payer à l'Autorité de la concurrence la somme de DIX MILLE EUROS (10 000 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamnons le Groupe LACTALIS SA aux dépens.