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Décisions

CA Douai, soc. d salle 2, 29 mars 2024, n° 22/01270

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 22/01270

29 mars 2024

ARRÊT DU

29 Mars 2024

N° 392/24

N° RG 22/01270 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UPQ5

LB/CH

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DUNKERQUE

en date du

05 Août 2022

(RG 20/00205 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 29 Mars 2024

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [S] [U] épouse [G]

[Adresse 4]

représentée par Me Marc DEBEUGNY, avocat au barreau de DUNKERQUE

INTIMÉS :

Me [L] [X] pris en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement judiciaire de la sté ITP EMPLOI ET RECRUTEMENT

[Adresse 2]

représenté par Me Yann LEUPE, avocat au barreau de DUNKERQUE

S.A.S. ITP EMPLOI ET RECRUTEMENT en redressement judiciaire

[Adresse 1]

représentée par Me Yann LEUPE, avocat au barreau de DUNKERQUE

CGEA D'[Localité 7]

- signification DA le 25.10.22

- signification des conclusions le 08/02/23 à personne habilitée

[Adresse 3]

n'ayant pas constitué avocat

DÉBATS : à l'audience publique du 01 Février 2024

Tenue par Laure BERNARD

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Angelique AZZOLINI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Virginie CLAVERT

: CONSEILLER

Laure BERNARD

: CONSEILLER

ARRÊT : Réputé contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2024,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 11 janvier 2024

EXPOSE DU LITIGE

La société Itp exerce une activité d'agence de travail intérimaire. Elle est soumise à la convention collective nationale des agences d'intérim.

Mme [S] [G] née [U] a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée en date du 24 juillet 2015 en qualité d'assistante d'agence du site «Creanor» situé à [Localité 5] à [Localité 6].

Par avenant au contrat de travail en date du 12 décembre 2018, elle a été promue responsable d'agence, statut cadre au niveau F.

Par avertissement du 14 janvier 2020, Mme [S] [G] a été sanctionnée au motif d'une absence injustifiée à une réunion à [Localité 9].

Par courrier du 29 janvier 2020, elle a formulé une demande de rupture conventionnelle qui a été refusée le 28 février 2020.

Mme [S] [G] s'est vue notifier un nouvel avertissement le 5 février 2020.

A compter du 7 février 2020 Mme [S] [G] a été placée en arrêt de travail. L'arrêt de travail s'est poursuivi jusqu'à la date de son licenciement.

Par courrier remis en main propre le 28 février 2020, Mme [S] [G] s'est vue notifier sa mise à pied conservatoire et été convoquée à un entretien préalable fixé au 9 mars. Par courrier du 2 mars 2020, la date de l'entretien préalable a été reportée au 12 mars 2020.

La salariée ne s'est pas présentée à cet entretien. Le 17 mars 2020, elle a été licenciée pour faute grave.

Le 20 juin 2020, Mme [S] [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Dunkerque aux fins principalement de contester les avertissements dont elle a fait l'objet, de contester son licenciement, de voir reconnaître l'existence d'une discrimination salariale et d'obtenir les indemnités et dommages et intérêts afférents.

Par jugement du tribunal de commerce de Tours du 11 mai 2021, la société Itp a été placée en redressement judiciaire et Maître [E] [T] a été désigné en qualité d'administrateur judiciaire.

Par jugement du 25 octobre 2022, le tribunal de commerce de Tours a désigné Maître [L] [X] en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement judiciaire et a mis fin aux fonctions de Maître [E] [T].

Par jugement rendu le 5 août 2022, la juridiction prud'homale a :

- dit que le licenciement de Mme [S] [G] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- fixé la créance de Mme [S] [U], épouse [G] dans le redressement judiciaire de la société Itp pour les sommes suivantes :

- 2 882,42 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 7 059 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 705,90 euros au titre des congés payés sur préavis,

- débouté Mme [S] [G] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Itp de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit le présent jugement opposable au CGEA d'[Localité 7] dans la limite de sa garantie légale conformément aux dispositions légales et réglementaires toutes créances confondues,

- laissé les dépens à la charge de la société Itp représentée par ses mandataires.

Mme [S] [G] a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration du 13 septembre 2022.

Régulièrement cité, le CGEA d'[Localité 7] n'a pas constitué avocat.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 15 novembre 2022, Mme [S] [G] demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et l'a déboutée de ses demandes,

A titre principal,

- annuler les deux sanctions disciplinaires notifiées le 14 janvier 2020 et le 5 février 2020,

- juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Itp à lui payer les sommes suivantes :

- 2 882,42 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 7 059 euros à titre d'indemnité de préavis,

- 705,90 euros au titre d'indemnité de congés payés afférente,

- 11 765 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 20 362,49 euros au titre des dommages et intérêts pour discrimination salariale,

- 821 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente,

- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

En cas d'impécuniosité de la société Itp,

- fixer sa créance au passif de la procédure collective pour les sommes ci-avant rappelées,

- ordonner à Maître [L] [X] ès qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement judiciaire ou tout mandataire à désigner, de procéder au paiement desdites sommes, dont l`avance devra être faite par le CGEA d'[Localité 7],

- débouter la société Itp et les autres intimés de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Itp aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de leurs conclusions transmises par RPVA le 19 janvier 2023, la société Itp et Maître [L] [X] ès qualité de mandataire judiciaire de la société Itp demandent à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [S] [G] du surplus de ses demandes et a déclaré la décision opposable au CGEA et l'infirmer pour le surplus,

- juger que le licenciement de Mme [S] [G] est fondé sur une faute grave,

- débouter Mme [S] [G] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [S] [G] à lui payer 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux frais et dépens d'appel.

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'annulation des deux avertissements

L'article L.1333-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Conformément à l'article L.1333-2 du code du travail, le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

L'avertissement du 14 janvier 2020

Le 14 janvier 2020, Mme [S] [G] a fait l'objet d'un avertissement pour ne pas s'être rendue à la réunion annuelle prévue les 7 et 8 janvier 2020 au siège de la société à [Localité 9], en dépit des instructions reçues de son supérieur.

Mme [S] [G] ne conteste pas la matérialité des faits mais soutient que son comportement est justifié par des circonstances exceptionnelles tenant au mouvement national de grève les 7 et 8 janvier 2020.

Les pièces versées aux débats par la salariée démontrent qu'un mouvement de grève nationale à la Sncf a lieu les 7 et 8 janvier 2020, que le premier train réservé au départ de [Localité 6] a été annulé puis que le second train a été retardé (en raison d'une panne technique) ; que par ailleurs son assistante était angoissée à l'idée de se retrouver coincée à [Localité 8] au retour, étant seule avec trois enfants à charge.

Cependant, il ressort des pièces produites par la société Itp que dès le 15 novembre 2019, Mme [S] [G] avait exprimé auprès de M. [J] [D], son supérieur, le fait qu'elle ne souhaitait pas se rendre à cette réunion, en partie pour des raisons non professionnelles (pas «d'accroche» avec son assistante) ; que le service garantie Sncf avait confirmé que les nouveaux trains réservés par la société circulaient en dépit du mouvement de grève.

Ainsi, si le train au départ de [Localité 6] prévu à 7 heures était retardé, Mme [S] [G] avait la possibilité de rejoindre [Localité 9] dans la journée, sachant qu'il était prévu qu'elle y dorme et reparte le lendemain en fin d'après-midi.

Son refus de prendre le train pour se rendre à la réunion annuelle prévue de longue date et malgré les instructions reçues n'était donc pas justifié et constituait un refus des consignes que la société Itp pouvait légitimement sanctionner par un avertissement.

Mme [S] [G] sera donc, par confirmation du jugement entrepris, déboutée de sa demande d'annulation de l'avertissement du 14 janvier 2020.

L'avertissement du 5 février 2020

Mme [S] [G] s'est vu notifier un second avertissement le 5 février 2020 pour avoir refusé d'accomplir certaines tâches relevant de ses attributions.

Cependant, contrairement à ce que soutient la société Itp, il ne ressort pas des échanges de sms entre Mme [S] [G] et son supérieur direct M. [J] [D] le 5 février 2020 un refus d'assurer les missions qui lui incombent mais uniquement une demande de précision sur le positionnement à avoir vis-à-vis des clients dans la perspective de son départ de l'agence, puisqu'elle était dans l'attente d'une réponse de la direction à sa demande de rupture conventionnelle.

Si les propos tenus par Mme [S] [G] étaient maladroits dans la mesure où son employeur ne s'était pas positionné sur la demande de rupture, il n'est pas démontré que ceux-ci se sont traduits par un désengagement de Mme [S] [G] de ses fonctions et un refus d'accomplir certaines tâches ; ainsi, le comportement de la salariée ne revêtait pas de caractère fautif et ne justifiait pas le prononcé d'une sanction disciplinaire, même légère.

Il y a lieu, dès lors, d'annuler l'avertissement du 5 février 2020. Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Sur le rappel de salaire

Mme [S] [G] évoque dans le corps de ses conclusions une demande de rappel de salaire d'un montant de 8 210 euros cependant, aucune demande correspondante ne figure dans le dispositif de ses conclusions ; dès lors, en application de l'article 954 du code civil, la cour n'étant donc pas saisie d'une demande de rappel de salaire.

Sur les dommages et intérêts pour discrimination

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Conformément à l'article L.1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, Mme [S] [G] invoque l'existence d'une discrimination salariale en raison de son genre, faisant valoir que son prédécesseur de genre masculin, M. [C], percevait une rémunération de base largement supérieure à la sienne, sans motif légitime.

Mme [S] [G] percevait un salaire de base de 2 353 euros pour un temps complet, en qualité de directrice de l'agence d'intérim de [Localité 5], statut cadre F. Elle avait été promue à ce poste en janvier 2019 et occupait auparavant depuis 2015, un poste d'assistante d'agence.

Mme [S] [G] verse aux débats la fiche de paie de M. [C] du mois de novembre 2018. Ce salarié occupait le poste de directeur de l'agence d'intérim de [Localité 5], statut cadre G avait été licencié à la fin de l'année 2018 (son ancienneté étant inconnue de la cour) ; cette fiche de paie fait apparaître une rémunération de 1 754,98 euros brut pour 93 heures travaillées, soit une rémunération de base de 2 835 euros pour un temps complet.

Mme [S] [G] rapporte donc bien un indice d'une discrimination salariale fondée sur le genre féminin.

Pour justifier cette différence salariale, la société Itp se prévaut de différences dans le poste réellement occupé, dans la mesure où Mme [S] [G] avait bénéficié d'aménagements de ses objectifs pour tenir compte de ses appréhensions à conduire un véhicule, et partant, de ses difficultés à assurer des prospects en présentiel quotidiens. Si ces aménagements sont avérés (seulement 3 prospects par semaine, mais compensée par une présence soutenue dans les réseaux), ceux-ci ne permettent pas de considérer que le poste occupé par Mme [S] [G] différait de celui occupé par M.[C], étant observé que la salarié ne disposait pas de davantage de collaborateurs que celui-ci pour la seconder dans ses tâches. Il ressort en outre l'évaluation de Mme [S] [G] pour l'année 2018-2019 (en septembre 2019) que la salariée remplissait ses fonctions avec efficacité et compétence et autonomie, dépassant même certains attendus du poste de directrice d'agence.

Dès lors, aucune différence dans la nature et la qualité des tâches accomplies ne justifiait la différence de rémunération entre Mme [S] [G] et son prédécesseur.

Concernant par ailleurs la baisse constante du chiffre d'affaires de l'agence allégué par la société Itp, aucun élément n'est produit en ce sens. Mme [S] [G] bénéficiait dans tous les cas d'une part de rémunération variable destinée précisément à prendre en compte les évolutions de ce chiffre d'affaires.

L'employeur invoque également l'expérience antérieure de M. [C] en matière de management, comparée à l'inexpérience de Mme [S] [G] qui était auparavant assistante d'agence et qui a bénéficié d'un accompagnement renforcé lors de sa promotion, afin qu'elle monte en compétence.

Cependant, la lecture du curriculum vitae de ce salarié révèle qu'il avait occupé auparavant essentiellement des postes sur le terrain en matière de BTP puis des postes de chauffeur et que ses domaines de compétences lors de son engagement étaient la conduite d'engins de travaux publics, la conduite de poids lourds et convois exceptionnels ainsi que la topographe et la lecture de plans.

Ainsi, la société Itp ne démontre pas que la différence salariale entre Mme [S] [G] et M. [C] d'un montant de 518 euros par mois était justifiée par des éléments objectifs, étant observé par ailleurs que les textes attachés à la convention collective applicable en matière de salaire prévoient une différence de salaire de 242 euros entre le salaire minimum du cadre F et celui du cadre G.

Il est donc bien caractérisé une discrimination fondée sur le genre féminin qui doit être réparée par l'allocation de la somme de 9 000 euros, somme qui sera fixée au passif de la procédure collective de la société Itp.

S'agissant d'une créance de nature indemnitaire, elle n'ouvre pas droit à congés payés, Mme [S] [G] doit donc être débouté de cette demande par confirmation du jugement déféré.

Sur le bien-fondé du licenciement

Aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre.

Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Pour que le licenciement disciplinaire soit justifié, l'existence d'une faute avérée et imputable au salarié doit être caractérisée.

La faute grave s'entend d'une faute d'une particulière gravité ayant pour conséquence d'interdire le maintien du salarié dans l'entreprise.

Devant le juge saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part, d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part, de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis. Les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables.

Enfin, la sanction doit être proportionnée à la faute et tenir compte du contexte dans lequel les faits ont été commis, de l'ancienneté du salarié et des conséquences des agissements incriminés.

En l'espèce, dans la lettre de licenciement datée du 12 mars 2020, la société Itp reproche à Mme [S] [G] :

De ne pas avoir respecté les procédures santé sécurité au travail et en particulier d'avoir omis de vérifier les documents d'identité d'un travailleur étranger le 9 juillet 2019 et avoir commis des fautes lors de la mise à disposition des salariés intérimaires [H] [A] et [B] [K] le 3 février 2020 (pas de déclaration préalable à l'embauche, pas de vérification de la fiche Rome, pas de tests de sécurité obligatoires, pas de fiche d'équipement de sécurité, pas d'organisation de la visite médicale, pas de fiche couverture santé et de fiche RGPD),

De ne pas avoir respecté les consignes de travail : respect du planning de travail, saisie des éléments commerciaux sur le logiciel Tempo (rétention d'information), travail avec des entreprises non garantie et sans accord du service gestion (1/3 du portefeuille clients étant non garanti), pas de vérification des retours de contrats (252 contrats non retournés)

D'avoir utilisé son véhicule de service pour des trajets personnels et d'avoir violé sa délégation de pouvoir pour la mise en place de des salariés intérimaires [H] [A] et [B] [K] le 3 février 2020,

D'avoir proféré des menaces, exercé du chantage et diffamé la société auprès des membres de la direction lors de l'entretien du 28 février 2020 en vue d'obtenir une rupture conventionnelle.

Concernant les faits du 9 juillet 2019, c'est à juste titre que Mme [S] [G] invoque leur prescription, au regard du délai prévu à l'article L.1332-4 du code du travail du code du travail (l'employeur ayant eu connaissance des faits dès cette date), étant observé par ailleurs que leur imputabilité à Mme [S] [G] n'est pas avérée (courriel de l'employeur évoquant un oubli de l'assistante de celle-ci).

S'agissant des faits relatifs à l'utilisation prohibée du véhicule de service à des fins personnelles, il ressort des propres affirmations de Mme [W], PDG de la société Itp dans un mail daté du 20 janvier 2020 que Mme [S] [G] bénéficiait d'un véhicule de fonctions et non de service. Ce grief n'est donc pas fondé.

Concernant le non-respect du planning de travail, le tableau produit par la société Itp qui fait apparaître un nombre dérisoire de visites physiques à compter du 1er janvier 2019 est en contradiction avec les observations élogieuses dont la salariée a fait l'objet en septembre 2019 lors de son évaluation quant à ses capacités commerciales, sachant qu'elle faisait l'objet d'un suivi et d'un point hebdomadaire avec son supérieur ; il ne peut donc être valablement retenu de faute imputable à Mme [S] [G], tenant au non-respect des consignes concernant le rythme et l'organisation de son travail.

S'agissant du fait de ne pas avoir retourné 252 contrats, il est observé que le tableau produit porte sur une période se terminant bien après le licenciement (25 septembre 2020) et que le nombre de contrats non retournés a continué d'augmenter significativement après le départ de Mme [S] [G] ; il existe dès lors un doute sur l'imputabilité de ces faits à cette salariée. Il n'est par ailleurs apporté aucun élément quant à la procédure applicable une fois les contrats établis et signés (renvoi des contrats au siège, simple information du siège quant à leur signature par la mise à jour informatique du dossier) ; ce grief ne peut donc être valablement retenu contre Mme [S] [G].

En ce qui concerne la mise péril de la santé financière de la société Itp par la conclusion de contrats avec de trop nombreuses entreprises non garanties, il ressort clairement des échanges de mail entre Mme [S] [G] et l'un de ses clients le 27 janvier 2020 que la décision de mettre à disposition des intérimaires auprès de ce type de société était soumise à l'approbation du directeur général ; Mme [I], ancienne collègue, atteste par ailleurs que les responsables d'agence n'avaient pas autorité pour valider un nouveau client, que les demandes de garantie relevaient du siège qui donnait le «feu vert» pour travailler avec ces clients. Il est observé en outre que l'évaluation de Mme [S] [G] fin septembre 2019 faisait état d'une bonne gestion financière de l'agence. Ainsi, ce grief, non fondé, doit être également écarté.

S'agissant du défaut d'enregistrement d'informations commerciales dans le logiciel Tempo, ce reproche n'est étayé par aucune pièce, et ne peut donc être retenu contre la salariée.

Concernant le déroulement de l'entretien du 28 février 2020 au cours duquel la société Itp affirme avoir été menacée et calomniée, s'il est avéré que les parties étaient en désaccord sur le principe d'une rupture amiable du contrat, sur la rémunération due à Mme [S] [G] et sur la levée de la clause de non-concurrence, il n'est pas apporté la preuve d'un chantage ou de menaces imputables à la salariée. Le fait qu'elle revendique un salaire qu'elle estime lui être dû au regard du salaire de son prédécesseur (d'ailleurs à raison) et de négocier ses conditions de départ ne constitue pas des menaces ou des pressions ; par ailleurs, c'est de manière légitime que Mme [S] [G] s'est interrogée sur l'existence de deux fiches de poste différentes pour un même poste, sachant qu'il ressort de la main courante de M. [D] lui-même que c'est le représentant de la salariée qui a évoqué la condamnation de certains employeurs pour faux. Ainsi, ce grief invoqué par la société Itp dans la lettre de licenciement n'est pas fondé.

S'agissant, enfin, des conditions de la mise à disposition de deux salariés intérimaires le 3 février 2020 (M. [H] [A] et M.[B] [K]), il est avéré que ceux-ci n'ont fait l'objet d'une déclaration préalable que le jour de leur mission (avec 3 heures de retard), cependant, les éléments apportés de part et d'autre ne permettent pas de délimiter le rôle de chacun concernant cette déclaration, sachant que le siège était en charge de l'établissement des contrats d'intérim, laquelle pouvait être tardive (mail de Mme [S] [G] daté du 20 janvier 2020 se plaignant de dysfonctionnements sur ce point). Par ailleurs, si la consultation informatique du dossier de ces salariés (copie écran avec le dossier ouvert sur l'onglet «cartes et documents») ne fait apparaître que la présence de carte d'identité et la carte vitale (pas de fichier Rome, ni de fiche RGPD), il n'est pas démontré que la tâche de mise à jour de ces dossiers incombait à Mme [S] [G] personnellement (sachant qu'une assistante travaillait également à l'agence sur les dossiers des intérimaires) ; les contrats étaient en outre établis au siège ce qui impliquait l'intervention de plusieurs salariés de la société Itp sur un même dossier de salarié intérimaire. Or, l'employeur n'apporte pas d'élément permettant d'éclairer suffisamment la cour sur la procédure interne et le rôle de chacun (répartition des missions entre le siège et l'agence locale). Par ailleurs, la copie écran produite par la société Itp qui ne concerne que l'onglet «cartes et documents» ne permet pas de démontrer l'absence de test sécurité obligatoire. Concernant la visite médicale, celle-ci devait être réalisée dans les trois mois de la mise à disposition (article R4624-10 du code du travail) or la consultation informatique du dossier de M. [H] [A] et M.[B] [K] est antérieure à ce délai. Ainsi, il existe un doute quant à la réalité des manquements allégués dans la tenue des dossiers de ces salariés intérimaires, et également quant à leur imputabilité à Mme [S] [G]. Le grief tenant à la violation de la délégation de pouvoir accordée à la salariée responsable d'agence concerne la mise à disposition des deux salariés intérimaires précités le 3 février 2020 et n'est donc pas fondé, au regard des développements qui précèdent.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il n'est pas démontré à l'encontre de la salariée de faute justifiant son licenciement pour faute grave, ni même pour faute simple, celui-ci étant dès lors sans cause réelle et sérieuse. Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.

Sur les conséquences du licenciement

Au regard du salaire de Mme [S] [G] et de son ancienneté, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a fixé au passif de la procédure collective la somme de 2 882,42 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 7 059 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 705,90 euros au titre des congés payés afférents, au profit de la salariée.

Concernant l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'article L.1235-3 dans sa rédaction applicable prévoit que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge, en l'absence de réintégration, octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau repris au présent article.

En l'espèce, au moment de son licenciement, Mme [S] [G] bénéficiait d'une ancienneté de 4 années complètes, occupait un poste de directrice d'agence moyennant une rémunération de 2 353 euros par mois et était âgée de 37 ans.

Elle avait bénéficié auparavant essentiellement d'une qualification et d'une expérience dans la restauration.

Elle ne justifie pas de sa situation actuelle sur le plan de l'emploi.

Au vu de ces éléments et des possibilités pour Mme [S] [G] de retrouver un emploi de qualification et de rémunération équivalente, il y a lieu de lui allouer la somme de 10 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, somme qui sera fixée au passif de la procédure collective de la société Itp.

Sur la garantie due par le CGEA

Le CGEA auquel la présente décision est opposable de droit devra garantie des sommes allouées à Mme [S] [G] dans la limite de sa garantie légale et règlementaire.

Sur les dépens et l'indemnité de procédure

Les dispositions du jugement déféré concernant le sort des dépens et l'indemnité de procédure seront confirmées.

Le mandataire de la société Itp sera condamné aux dépens qui seront recouvrés selon les règles applicables en matière de procédure collective.

Il sera en outre fixé au passif de la procédure collective de la société Itp une somme complémentaire de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [S] [G].

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement rendu le 5 août 2022 par le conseil de prud'hommes de Dunkerque, sauf en ce qu'il a débouté Mme [S] [G] de sa demande d'annulation de l'avertissement du 14 janvier 2020, a fixé au passif de la procédure collective de la société Itp la somme de 2 882,42 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 7 059 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 705,90 euros au titre des congés payés afférents au profit de la salariée et débouté la société Itp de ses demandes ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

ANNULE l'avertissement notifié à Mme [S] [U] épouse [G] le 5 février 2019 ;

DIT que le licenciement de Mme [S] [U] épouse [G] est sans cause réelle et sérieuse ;

FIXE au passif de la procédure collective de la société Itp les sommes suivantes au profit de Mme [S] [U] épouse [G] :

9 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

10 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1 500 euros à titre d'indemnité de procédure, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que le CGEA auquel la présente décision est opposable de droit devra garantie des sommes allouées à Mme [S] [U] épouse [G] dans les limites légales et règlementaires ;

CONDAMNE le mandataire de la société Itp aux dépens qui seront recouvrés selon les règles applicables en matière de procédure collective.

LE GREFFIER

Serge LAWECKI

LE PRESIDENT

Pierre NOUBEL