Décisions
CA Rennes, 7e ch prud'homale, 4 avril 2024, n° 21/01730
RENNES
Arrêt
Autre
7ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°102/2024
N° RG 21/01730 - N° Portalis DBVL-V-B7F-ROMM
Mme [U] [E]
C/
S.A. METIERS DU BOIS REUNIS DU 35
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 04 AVRIL 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 29 Janvier 2024, devant Monsieur Hervé BALLEREAU et Monsieur Bruno GUINET, magistrats rapporteurs, tenant seuls l'audience, en la formation double rapporteur, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame [R], médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 04 avril 2024 comme indiqué à l'issue des débats.
****
APPELANTE :
Madame [U] [E]
née le 13 Décembre 1977 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 6] (CANADA)
Représentée par Me Bruno LOUVEL de la SELARL PHENIX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me MARTIN DE SAINT SEMMERA
INTIMÉE :
S.A. METIERS DU BOIS REUNIS DU 35 prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représentée par Me Karima BLUTEAU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
La société coopérative artisanale à forme anonyme Métiers du bois réunis d'Ille-et-Vilaine (MBR 35) est une centrale d'achats de bois ayant pour adhérents des artisans des métiers du bois et de la couverture.
Le 5 mars 2005, Mme [E] a été embauchée par la coopérative MBR en qualité de directrice de la coopérative, en contrat à durée indéterminée, hors coefficient, notamment chargée, sous la responsabilité et les directives du président directeur général, à qui elle rend compte, des tâches suivantes : assurer l'organisation et le fonctionnement de la Coopérative (suivi des relations d'affaires entre MBR 35 et ses associés, contacts avec les fournisseurs pour développer la gamme et négocier les termes des contrats, encadrer, motiver et animer l'équipe des salariés'), proposer toutes actions permettant le développement de la société, accueillir ou contacter toute entreprise susceptible d'être candidate à l'adhésion. Elle agit sous l'autorité directe du directeur général et le cas échéant du directeur général délégué qui pourront lui demander de venir rendre compte de l'exécution de ses missions devant les organes d'administration ou de conseils de la coopérative (Assemblée générale, conseil d'administration, commissions, etc').
A compter du 9 mars 2005, elle a bénéficié d'une délégation de signature de la part du président directeur général de la coopérative.
Le 14 janvier 2010, elle a été nommée directrice générale, mandataire sociale, par le conseil d'administration, sans rémunération pour cette mission " avec les pouvoirs attachés à cette fonction prévus par le code de commerce sous réserve des limitations fixées par les dispositions de l'article 27 des statuts. "
Dans le dernier état de la relation contractuelle, sa rémunération mensuelle brute s'établissait à 6.616,28 euros.
A compter du 9 février 2016, elle a été placée en arrêt pour accident du travail à la suite d'une chute dans les escaliers sur son lieu de travail. Elle ne reprendra plus ses fonctions. La CPAM d'Ille-et-Vilaine a déclaré son état de santé consolidé à la date du 5 novembre 2017. Les arrêts de travail se sont poursuivis ensuite en maladie simple jusqu'au 13 avril 2018.
Le 13 mars 2017, le conseil d'administration de la société MBR 35 a révoqué Mme [E] de son mandat de directrice générale après avoir été informée courant juin 2016 par l'ORCAB, coopérative d'achat dont la société MBR 35 est adhérente, de l'existence d'anomalies dans la gestion des stocks au cours de l'exercice 2015, et notamment une surévaluation de ces derniers, et après lui avoir demandé en vain d'effectuer un inventaire. La salariée a contesté le même jour les manquements qui lui étaient imputés. M. [A] [V] l'a remplacée aux fonctions de directeur-mandataire social à compter du mois d'août 2017.
Le 26 avril 2018, lors de sa visite de reprise le médecin du travail l'a déclarée inapte à son poste avec possibilité de reclassement "sur un poste sans posture assise prolongée, sans déplacement routier, sans vibration transmise au rachis et sans manutention lourde".
Le 4 mai 2018, l'employeur a adressé à Mme [E] par LRAR ses bulletins de paie pour la période de novembre 2017 à avril 2018 ainsi qu'un chèque de 13.406,71 euros au titre du maintien de salaire pendant toute la période.
Le 28 mai 2018, l'employeur lui a adressé deux propositions de reclassement (après consultation des délégués du personnel), assistante achat et animatrice de salle d'exposition au sein de MBR 35, auxquelles Mme [E] n'a pas donné de réponse.
Par courrier en date du 15 juin 2018, Mme [E] a été convoquée à un entretien préalable fixé le 26 juin suivant, auquel elle ne s'est pas présentée pour raisons médicales.
Par courrier en date du 29 juin 2018, elle s'est vue notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
La société MBR 35 a considéré que l'inaptitude de Mme [E] n'avait pas d'origine professionnelle et lui a adressé son solde de tout compte pour un montant de 45.500,82 euros, sans paiement des indemnités prévues à l'article L1226-14 du code du travail.
***
Sollicitant le paiement de diverses sommes, Mme [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes le 30 octobre 2018 et a formulé les demandes suivantes :
- Fixer le salaire mensuel moyen de Mme [E] à la somme de 6 616,28 euros brut
- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, nets de CSG CRDS : 72 779,00 euros net
- Dommages et intérêts pour préjudice subi lié au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité : 6 616,28 euros
- lndemnité de préavis : 19 848,84 euros brut
- lndemnité spéciale de licenciement : 18 050,74 euros net
- Délivrance de bulletins de paye et d'une attestation Pôle Emploi conformes à la décision
- Article 700 du code de procédure civile : 3 500,00 euros
- Assortir les condamnations des intérêts au taux légal et ordonner la capitalisation des intérêts
- Exécution provisoire
- Entiers dépens y compris ceux éventuels d'exécution forcée du jugement à intervenir
La SA Métiers du bois réunis du 35 a demandé au conseil de prud'hommes de:
- Se déclarer incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes
Par jugement en date du 15 février 2021, le conseil de prud'hommes de Rennes a :
- Dit et jugé que le licenciement de Mme [E] pour inaptitude suite à une maladie non professionnelle et pour impossibilité de reclassement est fondé sur une cause réelle et sérieuse.
- S'est déclaré incompétent an profit du tribunal de commerce de Rennes concernant les litiges relatifs aux mandats sociaux, les conditions d'exercice et la révocation du mandat de Mme [E],
- Débouté Mme [E] de l'ensemble de ses demandes.
- Débouté la SA MBR 35 de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Laissé à chaque partie la charge respective de ses propres dépens.
Pour statuer ainsi, le conseil de prud'hommes a retenu que :
>à la date de l'avis d'inaptitude, le médecin du travail atteste sur un formulaire avoir établi que cet avis était susceptible d'avoir un lien avec l'accident du travail du 9 février 2016 mais n'indique pas dans ses préconisations de reclassement que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé au cas où il aurait constaté l'épuisement professionnel signalé par son médecin traitant le 18 février 2017 ;
>la consultation des délégués du personnel a été régulière ;
>l'absence de réponse de Mme [E] au regard de sa connaissance de la gestion du personnel de l'entreprise dont elle avait la responsabilité et de ses compétences en matière de gestion des ressources humaines permet d'en déduire la manifestation d'un refus aux propositions de reclassement faites ;
>les responsabilités de Mme [E] justifiaient qu'elle continue à être informée des événements liés à l'activité de l'entreprise au titre des délégations de pouvoirs et de signatures qui lui avaient été accordées ; au vu d'attestations d'adhérents et de collègues ou de courriers échangés entre les parties, il n'est pas établi qu'elle ait fait l'objet d'accusation grave ou diffamatoire ou que la révocation de son mandat social résultait d'une stratégie de déstabilisation ou de dénigrement ; il n'y avait donc pas lieu de prendre des mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé mentale de Mme [E] ; le licenciement de Mme [E] pour inaptitude fait suite à une maladie non professionnelle et à l'impossibilité de reclassement : il est donc fondé sur une cause réelle et sérieuse.
***
Mme [E] a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 17 mars 2021.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 25 octobre 2021, Mme [E] demande à la cour d'appel de :
- Déclarer Mme [E] recevable en son appel ;
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 15 février 2021 en ce qu'il a :
- dit et jugé que le licenciement de Mme [E] pour inaptitude suite à une maladie non professionnelle et pour impossibilité de reclassement est fondé sur une cause réelle et sérieuse;
- s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes concernant les litiges relatifs aux mandats sociaux, les conditions d'exercice et la révocation du mandat de Mme [E] ;
- a débouté Mme [E] de l'ensemble de ses demandes;
- a laissé à chaque partie la charge respective de ses propres dépens.
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 15 février 2021 en ce qu'il a débouté la société MBR 35 de sa demande de condamnation de Mme [E] au versement de l'article 700 du code de procédure civile pour 3 500 euros.
Statuant à nouveau :
- Juger que l'inaptitude de Mme [E] a une origine professionnelle,
- Juger que l'employeur est à l'origine de l'inaptitude de Mme [E] par son manquement à l'obligation de sécurité de résultat,
- Juger que le licenciement de Mme [E] est sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence,
- Condamner la société MBR 35 à payer à Mme [E] la somme de 72.779,00 euros nets de CSG/CRDS à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Condamner la société MBR 35 à payer à Mme [E] la somme de 6.616,28 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi lié au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;
- Condamner la société MBR 35 à payer à Mme [E] la somme de 19.848,84 euros bruts à titre d'indemnité de préavis ;
- Condamner la société MBR 35 à payer à Mme [E] la somme de 18.050,74 euros nets au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;
- Ordonner la délivrance de bulletins de paye et d'une attestation Pôle Emploi conformes à la décision à intervenir ;
- Condamner la société MBR 35 à payer à Mme [E] la somme de 3.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouter la société MBR 35 de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
- Condamner la société MBR 35 aux entiers dépens, y compris ceux afférents à l'exécution forcée du jugement à intervenir.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 11 décembre 2023,la SA Métiers du bois réunis 35 demande à la cour d'appel de :
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes intervenu le 15 février 2021 en ce qu'il a :
- Dit et jugé que le licenciement de Mme [E] pour inaptitude suite à une maladie non professionnelle et pour impossibilité de reclassement est fondé sur une cause réelle et sérieuse
- S'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Rennes concernant les litiges relatifs aux mandats sociaux, les conditions d'exercice et la révocation du mandat de Mme [E]
- Débouté Mme [E] de l'ensemble de ses demandes
- Réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes intervenu le 15 février 2021 en ce qu'il a :
- Débouté la SA MBR 35 de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- Laissé à chaque partie la charge respective de ses propres dépens
Statuant à nouveau
- Condamner Madame [E] à verser à la société MBR35 la sommes de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et la somme de 4 500 euros au titre de la présente instance
- Condamner Mme [E] aux entiers dépens de l'instance
***
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 19 décembre 2023 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 29 janvier 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'incompétence du conseil de prud'hommes de Rennes quant aux " litiges relatifs aux mandats sociaux " de Mme [E] :
Mme [E] sollicite l'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes de Rennes en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes au regard de l'article R1453-5 du code du travail concernant les litiges relatifs aux mandats sociaux, les conditions d'exercice et la révocation du mandat de Mme [E].
L'employeur fait valoir que Mme [E] contestant les conditions de la révocation de son mandat social, c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce, dès lors que son arrêt de travail suspend son contrat de travail mais pas son mandat social.
Mais force est de constater que Mme [E] n'avait saisi le conseil de prud'hommes d'aucune prétention relative à la révocation de son mandat social de sorte que c'est à tort que le conseil de prud'hommes de Rennes a décliné sa compétence " pour des litiges relatifs aux mandats sociaux ".
Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.
Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude de Mme [E] et sa connaissance par l'employeur :
En vertu des articles L 1226-7 et suivants du code du travail, les salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle bénéficient d'une protection particulière dans leurs rapports avec l'employeur au service duquel est survenu l'accident ou a été contractée la maladie.
Dans le cas d'une inaptitude d'origine professionnelle, l'article L 1226-14 du code du travail dispose que la rupture du contrat de travail ouvre droit au profit du salarié à une indemnité spéciale de licenciement qui sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L 1234-9 du code du travail.
Cette protection joue, dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
Le droit du travail étant autonome par rapport au droit de la sécurité sociale, l'application de ces dispositions protectrices n'est pas liée à la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie par un organisme de sécurité sociale . Ainsi, la décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels d'un accident ou d'une maladie ne constitue qu'un élément de preuve parmi d'autres laissés à l'appréciation du juge prud'homal auquel il appartient de rechercher lui-même l'existence d'un lien de causalité entre l'inaptitude et l'accident du travail ou la maladie professionnelle. Dans le même sens, une décision de refus de prise en charge ou d'inopposabilité d'une décision de prise en charge ne suffit pas davantage à écarter ce lien de causalité.
Il appartient donc aux juges de rechercher eux-mêmes l'existence du lien de causalité et la connaissance qu'avait l'employeur de l'origine professionnelle de l'accident ou de la maladie.
Mme [E] soutient que son inaptitude a incontestablement une origine professionnelle puisqu'elle a été arrêtée pour un accident du travail du 9 février 2016 jusqu'au 6 novembre 2017 (ce que l'employeur n'a jamais contesté), qu'elle n'a jamais repris le travail postérieurement, qu'elle a présenté un état anxiodépressif en lien avec son accident du travail (dans la mesure où elle son employeur n'a cessé de la solliciter durant son arrêt maladie, sans égards pour sa santé) et qu'enfin le médecin du travail lui a établi l'imprimé de " Demande d'indemnité temporaire d'inaptitude ", ce dont il résulte que son employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement puisqu'elle lui a remis cet imprimé et en accusé réception le 4 mai 2018 et qu'elle a perçu l'indemnité temporaire d'inaptitude.
La société MBR 35 réplique que :
- l'inaptitude de Mme [E] n'est pas liée à l'événement du 9 février 2016 dès lors qu'elle ne verse aucune pièce pour l'établir, qu'il s'est écoulé plus de deux ans depuis l'accident à la date de l'inaptitude du 26 avril 2018 et que la salarié l'a elle-même informée qu'il s'agissait d'une maladie simple et qu'elle souffrait d'un cancer du rein, ce qu'elle a du reste confié à d'autres salariés ; par ailleurs, le médecin du travail n'a jamais fait état d'un burn out (ce dont il n'aurait pas manqué de l'informer si tel avait été le cas ; dans cette hypothèse, il aurait coché la case " tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement
préjudiciable à sa santé ") et Mme [E] ne s'appuie que sur les certificats médicaux de son médecin traitant à cet égard qui, s'il fait le lien avec le travail, n'a fourni aucun certificat médical à l'appui d'une déclaration d'accident du travail de Mme [E] en vue d'une prise en charge de ce prétendu burn out au titre de la législation professionnelle;
- par ailleurs, le fait que le médecin du travail ait remis à Mme [E] le formulaire Cerfa d'indemnité temporaire d'inaptitude n'a pas pour conséquence la reconnaissance d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle : il indique simplement que l'avis d'inaptitude est " susceptible " d'être en lien avec l'accident du travail du 9 février 2016 ; dans son courrier du 4 mai 2018, la société n'a fait que remplir une obligation légale consistant à compléter le volet 3 dans reconnaissance quelconque d'une maladie professionnelle que seule la CPAM a le pouvoir de reconnaître ; en définitive, à la date du 29 juin 2018, la société MBR 35 avait seulement connaissance d'un arrêt de travail pour maladie non professionnelle à compter du 6 novembre 2017 et n'avait pas été informée du versement par la CPAM de l'indemnité temporaire d'inaptitude.
Pour justifier que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a une origine professionnelle, Mme [E] verse aux débats:
- l'avis d'inaptitude à son poste établi par le médecin du travail, le Dr [O], le 17 avril 2018, mentionnant une première visite au 17 avril 2018 et une seconde le 26 avril 2018, une possibilité de reclassement sur un poste " sans posture assise prolongée, sans déplacement routier, sans vibration transmise au rachis et sans manutention lourde ", un échange avec l'employeur/ étude des conditions de travail / étude du poste de travail le 25 avril 2018 ;
- le formulaire de demande d'indemnité temporaire d'inaptitude rempli par ses soins le 30 avril 2018 et complété par le médecin du travail qui certifie avoir établi le 26 avril 2018 un avis d'inaptitude pour Mme [E] qui est susceptible d'être en lien avec l'accident du travail ou la maladie professionnelle du 9 février 2016 ;
- des relevés d'indemnités journalières émanant de la CPAM qui montre qu'elle a perçu des indemnités journalières du 6 novembre 2017 au 13 avril 2018 pour 6.382,80 euros, l'indemnité temporaire d'inaptitude du 12 mai 2018 au 25 mai 2018, soit 2.330 euros nets ;
- un certificat médical du Dr [X], son médecin traitant daté du 18 décembre 2017, à l'intention du médecin du travail, qui évoque chez Mme [E] un tableau se rapprochant du burn out précisant qu'elle " sera incapable de reprendre un poste à responsabilité ; il me semble cohérent et judicieux de la mettre inapte à une reprise du travail dans l'emploi qu'elle occupait " ;
De son côté l'employeur produit :
- le certificat médical initial d'accident du travail établi le 10 février 2016 par le Dr [X], médecin généraliste traitant de Mme [U] [E] rapportant une date de 1ère constatation médicale du 9 février 2016 et les lésions suivantes : " Chute avec traumatisme cervico-dorsal, douleur mobilisation rachis cervical, douleur palpation vertèbres cervicales + dorsales, contracture musculaire / réveil douleur lombosciatique gauche " et prescrivant un arrêt de travail jusqu'au 17 février 2016 ;
- les certificats médicaux de prolongation d'arrêt de travail des 11 mars, 31 mars, 18 avril, 29 avril, 13 mai, 31 mai, 15 juin, 1er juillet, 29 juillet, 31 août, 1er octobre, 15 octobre, 21 décembre 2016, 30 janvier, 28 février, 2 mai, 30 juin, illisible, 16 décembre 2017, 8 janvier 2018, 31 janvier 2018 [jusqu'au 4 mars 2018], faisant tous référence à un accident du travail du 9 février 2016 ;
- un avis d'arrêt de travail initial du 6 novembre 2017 sans référence à un accident du travail est les certificats médicaux de prolongation y afférents jusqu'au 22 mars 2018 [arrêt jusqu'au 13 avril 2018] ;
- un accusé de réception du 21 décembre 2017 par le tribunal du contentieux de l'incapacité de Rennes d'une déclaration de recours par la société MBR 35 contre la décision de la CPAM d'Ille-et-Vilaine de fixer à 3% le taux d'incapacité permanente partielle de Mme [E] au titre de ses séquelles indemnisables et l'invitant à communiquer le nom et l'adresse du médecin conseil de l'entreprise ;
- un courrier de l'employeur à la CPAM d'Ille-et-Vilaine du 24 octobre 2017 dans lequel il s'interroge sur la durée de l'arrêt de travail au titre de l'accident du travail du 9 février 2016 et un autre du 11 avril 2018 dans lequel il s'étonne d'être destinataire, depuis le 6 novembre 2017, d'arrêts maladie concernant Mme [E], relevant à la fois de la législation professionnelle et de la simple maladie ;
- un courrier du 30 mars 2018 à la salariée dans lequel la société MBR 35 accuse réception d'une lettre de Mme [E] du 9 mars 2018 lui apprenant qu'elle était en maladie simple depuis le 6 novembre 2017 ;
- un courriel de l'avocate de Mme [E] à celle de la société MBR 35 du 9 mai 2018 lui rappelant : " Ma cliente est en arrêt maladie depuis le 6 novembre 2017, à la suite de son accident du travail survenu le 9 février 2016 ('). Par ailleurs, Mme [E] a été déclarée, lors de sa visite de reprise en date du 26 avril 2018, inapte à son poste de Directrice Commerciale avec les préconisations suivantes en terme de reclassement sur un poste " sans posture assise prolongée, sans déplacement routier, sans vibration transmise au rachis et sans manutention lourde. Cette inaptitude a été déclarée d'origine professionnelle par le médecin du travail qui a remis à Mme [E] l'imprimé Cerfa de demande d'indemnité temporaire d'inaptitude " ;
- les attestations de plusieurs salariés (M. [S], M. [P], Mme [G], M. [T], Mme [N]) relatant que Mme [E] leur a confié en 2016 qu'elle souffrait d'un cancer du rein.
Il ressort de ces éléments que :
>l'arrêt de travail de Mme [E] pour accident du travail du 9 février 2016 (l'employeur ne produit pas la déclaration d'accident du travail) s'est prolongé jusqu'au 4 mars 2018 (soit un mois et demi avant la première visite médicale de reprise du 17 avril 2018) et ce n'est que le 9 mars 2018 que la salariée a informé l'employeur qu'en réalité l'arrêt de travail s'était poursuivi pour maladie simple depuis le 6 novembre 2017;
>l'employeur a contesté le 15 décembre 2017 le taux d'incapacité permanente partielle de 3% retenu par la Caisse au titre des séquelles imputables à l'accident du travail du 9 février 2016 (mais ne produit pas la décision du tribunal du contentieux de l'incapacité à cet égard) ;
>surtout, l'étude du poste réalisée par le médecin du travail, identifiait les contraintes du poste en lien avec les douleurs situées au niveau du dos " sans posture assise prolongée, sans déplacement routier, sans vibration transmise au rachis et sans manutention lourde ", très clairement mises en évidence dans le certificat médical initial du 10 février 2016 [" Chute avec traumatisme cervico-dorsal, douleur mobilisation rachis cervical, douleur palpation vertèbres cervicales + dorsales, contracture musculaire / réveil douleur lombosciatique gauche"] et proposait à l'employeur des possibilités de reclassement permettant d'éviter ces contraintes sans aucune référence, ni à un cancer du rein, ni à un burn-out (qui n'a du reste jamais fait l'objet d'une déclaration au titre d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle).
Il en découle que, alors qu'il est constant que la salariée n'a jamais repris le travail après son accident du travail, que l'inaptitude résulte au moins partiellement de l'accident du travail en date du 9 février 2016, l'employeur ne pouvant ignorer le lien entre l'accident du travail et les séquelles causées à Mme [E] (il a été informé du taux d'IPP retenu par la Caisse mais se garde de produire la notification que lui a adressée celle-ci) qui ont conduit à une déclaration d'inaptitude, de sorte que l'origine professionnelle de la dite inaptitude est caractérisée.
Si le reçu pour solde de tout compte mentionne l'indemnité de licenciement que Mme [E] a perçue, cette indemnité correspond à l'indemnité de licenciement de droit commun, soit celle dont l'employeur s'estime seulement débiteur, et non l'indemnité spéciale de licenciement prévue en cas de licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle, par l'article L1226-14 du code du travail, égale au double de l'indemnité légale de licenciement prévue par l'article L1234-9 du même code.
Au regard de son salaire mensuel brut de 6.616,28 euros et de son ancienneté de 13 ans et 3 mois, l'indemnité spéciale de licenciement due à Mme [E] s'élève à 23.475,42 euros x 2, soit 47.490,84 euros, soit un solde dû de 18.590,74 euros déduction faite de l'indemnité de licenciement déjà perçue de 28.900,10 euros, calcul que l'employeur ne discute pas, et ce, par voie d'infirmation du jugement entrepris.
Statuant dans les limites de la demande de la salariée, il lui sera alloué un solde d'indemnité spéciale de licenciement d'un montant de 18.050,74 euros.
L'article L.1226-14 du code du travail prévoit en outre une indemnité compensatrice qui est égale à l'indemnité compensatrice de préavis de droit commun (fixée à l'article L. 1234-5 du code du travail). Dans ces conditions, la société MBR 35 sera condamnée à payer à Mme [E] une indemnité compensatrice de préavis correspondant à trois mois de salaire brut soit la somme de 3 x 6.616,28 euros = 19.848,84 euros, par voie d'infirmation du jugement.
Sur le caractère irrégulier du licenciement pour inaptitude :
Mme [E] fait valoir que :
- les délégués du personnel n'ont pas été consultés régulièrement ce qui rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse : l'employeur ne leur a pas communiqué les informations suffisantes sur les recherches de reclassement, ne leur a pas communiqué le registre du personnel et le procès-verbal signés par les délégués du personnel a validé des démarches entreprises auprès des adhérents de la coopérative, alors que ceux-ci n'ont été interrogés que 3 jours après ;
- les recherches de reclassement n'ont été ni loyales ni sérieuses : les recherches de reclassement effectuées au niveau du groupe des adhérents de la coopérative par le biais d'une lettre circulaire du 28 mai 2018 qui a été établi pour les besoins de la cause comme en témoigne le fait que sont produites des réponses d'adhérents des 21 et 22 mai 2018 alors que les registres du personnel ne sont pas fournis ; les recherches en interne ont abouti à deux propositions sans indication de durée du travail, ni de rémunération et très inférieurs à sa qualification professionnelle ; la société n'a pas produit le registre du personnel empêchant de vérifier s'il n'y avait pas des postes disponibles aussi comparables que possible à son poste précédemment occupé et si les postes proposés étaient bien disponibles.
L'employeur réplique que :
- la société MBR 35 ne fait pas partie d'un groupe ; elle est donc allée au-delà de ses obligations en consultant les entreprises adhérentes de la coopérative pour tenter de la reclasser ;
- les deux offres de reclassement ont été communiquées tant aux délégués du personnels qu'à Mme [E] avec la rémunération et quoi qu'il en soit, c'est Mme [E] elle-même qui rédigeait les fiches de fonction ;
- lorsqu'un poste de reclassement adapté aux conclusions du médecin du travail est disponible, l'employeur doit le proposer au salarié, même s'il est inférieur à la qualification de la salariée concernée.
Aux termes de l'article L1226-10 du code du travail, lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.
L'article L1226-12 du même code stipule que lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement.
L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.
L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.
La recherche de reclassement doit être sincère et loyale et la proposition de reclassement de l'employeur doit être précise et contenir la qualification du poste, les horaires de travail et la rémunération.
S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III.
L'employeur doit recueillir l'avis du CSE s'il existe, après lui avoir fourni toutes les informations nécessaires quant à l'état de santé du salarié et la recherche de son reclassement, y compris les conclusions du médecin du travail sur les possibilités de reclassement du salarié : à défaut, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
L'employeur doit fournir aux délégués du personnel toutes les informations nécessaires quant au reclassement du salarié, pour leur permettre de fournir un avis en toute connaissance de cause.
Selon l'article L1226-10 du code du travail, l'avis des délégués du personnel est préalable à la proposition de reclassement qui doit être faite par l'employeur et qui prend en compte tout à la fois les conclusions du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise ; cet avis doit avoir un effet utile, ce qui implique que les délégués disposent des informations nécessaires quant au reclassement du salarié et, par voie de conséquence, des informations relatives à l'avis formulé par le médecin du travail dès lors que l'avis des délégués est préalable à la proposition faite par l'employeur en vue d'un reclassement du salarié et qu'il a pour objet la recherche d'un possible reclassement pour le salarié. Pour autant, l'avis des délégués du personnel n'a pas pour objet en lui-même la proposition de postes de reclassement puisqu'une telle proposition incombe en vertu du texte légal à l'employeur.
L'article L.1226-10 du code du travail n'impose aucun formalisme à la consultation des délégués du personnel.
En l'espèce, sont versés aux débats les éléments suivants :
>la convocation de Mme [D] et de M. [L], délégués du personnel du 18 mai 2018 à une réunion le 25 mai 2018 pour connaître leur avis sur les possibilités de reclassement de Mme [E] à laquelle sont joints d'une part l'exposé des mesures entreprises pour tenter le reclassement (dates des visites auprès du médecin du travail, préconisations de ce dernier le 26 avril 2018, proposition de deux fiches de poste par l'employeur et la réponse du médecin du travail le 17 mai 2018 : " Dans son courrier du 14 mai dernier, votre président, M. [B], propose deux postes qui me semblent compatibles avec l'état de santé de Mme [E] ; en effet, les postures statiques debout - assise étant contre-indiquées -, il faudra veiller à ce qu'elle puisse les alterner régulièrement. Par ailleurs il faudra aussi lui mettre à disposition un siège de bureau adapté (') ", l'employeur précisant que " dès les 18 mai 2018, MBR 35 a adressé le CV de Mme [E] à l'ensemble de ses adhérents pour rechercher un ou des postes disponibles respectant les préconisations médicales précitées. Les coopératives suivantes ont été consultées pour tenter de trouver des postes disponibles pouvant être proposés à Mme [E] : coopératives IMS et ARB "), d'autre part les fiches de poste d'assistant achat (salaire brut mensuel 2.000 euros) et d'animateur salle d'exposition (salaire brut mensuel 2.200 euros) ;
>le PV de réunion des délégués du personnel du 25 mai 2018 : " Le 25 mai 2018, les délégués du personnel, Mme [D] et M. [L], respectivement du collège cadre et non-cadre, ont étudié les possibilités de reclassement et ont émis un avis favorable à la proposition de MBR 35 sur les 2 postes suivants : Assistant Achat et Animateur salle d'expo. Ils ont validé aussi les démarches entreprises chez les adhérents et autres coopératives pour rechercher un poste disponible respectant les préconisations du médecin du travail " ;
>la LRAR du 28 mai 2018 par laquelle la société MBR 35 indique avoir consulté les délégués du personnel sur les possibilités de reclassement, " ces derniers ont rendu l'avis suivant le 25 mai 2018 : avis favorable à la proposition de MBR 35 sur les deux postes suivants Assistant achat ou Animateur salle d'expo ", que " le médecin du travail nous a confirmé par courrier du 17 mai 2018 que ces deux postes étaient compatibles avec votre état de santé " et que " si l'une de ces propositions de reclassement vous convient, nous vous demandons de nous le confirmer par écrit avant le 5 juin 2018. En cas de refus de votre part sur l'ensemble de ces propositions, nous serons conduits à engager la procédure de licenciement pour inaptitude en raison de l'impossibilité de reclassement " ;
>la convocation à l'entretien préalable du 15 juin 2018 et la lettre de licenciement du 12 juin 2018, faute de réponse aux propositions de reclassement tant de la salariée que de son avocate ;
>la réponse négative du 21 mai 2018 d'un coopérateur, la SASU Des solutions pour toit à Saint Uniac qui indique que son entreprise n'est pas en phase de recrutement, et ce sur aucun poste administratif ou technique ;
>la réponse négative de la société coopérative ARB-ORCAB du 22 mai 2018;
>le registre du personnel mentionnant 59 salariés dont 36 en contrat à durée indéterminée ;
>la délégation de pouvoirs du 16 juillet 2007 dans laquelle il est indiquée que Mme [E] a le pouvoir d'agir en lieu et place de M. [K], PDG, notamment pour gérer le personnel de la coopérative (embauche, contrats, évolution des salaires, horaires de travail, licenciement').
Il s'en déduit que :
> dans la mesure où la convocation des délégués du personnel (remplacés par le CSE) a été accompagnée d'informations sur la situation de la salariée, le poste qu'elle occupait, et que le procès-verbal de la réunion des délégués du personnel (désormais le CSE) démontre qu'ils avaient été informés de la teneur de l'avis du médecin du travail ainsi que des réponses apportées par celui-ci aux propositions de reclassement formulées par l'employeur, ils ont ainsi été en possession de toutes les informations nécessaires leur permettant d'émettre un avis sur la possibilité ou non de reclasser la salariée,
>la société MBR 35 a procédé à une recherche sérieuse et loyale d'un poste de reclassement, en interne puisqu'elle n'appartient à aucun groupe, mais aussi en sollicitant des clients de la coopérative ou d'autres coopératives et qu'elle a proposé à la salariée l'ensemble des postes à pourvoir, appropriés à ses capacités et tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail.
Dès lors, le licenciement de l'intéressée qui n'a pas répondu aux propositions de reclassement ni ne s'est présentée à l'entretien préalable, manifestant ainsi son refus, reposait bien sur une cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit fondé le licenciement pour inaptitude de Mme [E] et débouté la salariée de ses demandes indemnitaires subséquentes.
Sur le manquement de l'employeur à son obligation légale de sécurité :
Mme [E] fait valoir que son inaptitude résulte d'un manquement de son employeur à son obligation de sécurité de sorte que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse : du fait de la confusion, entretenue par son employeur, entre les missions découlant de son contrat de travail et celles de son mandat social de directrice générale (ce qui explique qu'elle n'était pas rémunérée pour ce dernier), elle n'a pas cessé de travailler durant son arrêt (assister aux réunions de secteur, à celle du conseil d'administration, pressions pour qu'elle honore des rendez-vous, réponde aux courriels des adhérents [une trentaine par jour] ; elle a continué à échanger avec l'expert-comptable de la société ou avec le responsable suivi de l'ORCAB qui la sommait de réaliser un inventaire) ; la société MBR 35 a longtemps résisté à sa demande de révocation de son mandat, qu'elle ne se sentait plus en capacité d'exercer, pour finir par la prononcer mais pour des motifs injurieux (" une gestion désastreuse ") en exigeant la restitution de documents ou de matériels alors que son contrat subsistait toujours, ce qui a encore aggravé son état de santé, alors qu'elle n'a pas été licenciée pour faute grave ; d'ailleurs son médecin traitant a écrit à deux reprises à son employeur, les 26 décembre 2016 et le 30 juin 2017 pour l'alerter sur l'état d'épuisement qui était le sien " L'état de santé de Mme [E] impose un arrêt de travail très prolongé ; il est impératif qu'elle ne reçoive plus aucun appel téléphonique, ni SMS, ni e-mail, ni courrier recommandé venant du travail pour créer une réelle rupture lui permettant d'améliorer son état de santé ", En dépit de ces alertes, l'employeur a poursuivi une entreprise de dénigrement, l'accusant d'avoir falsifié les stocks en se rendant à la coopérative durant son arrêt maladie, après les heures de fermeture pour détruire des feuilles de comptage.
La société MBR 35 réplique que :
- Madame [E] n'était pas convoquée aux réunions du Conseil d'Administration de MBR35 (pièces n°36 et 37). Si elle s'y rendait, c'était de son propre chef. Madame [E] ne peut aujourd'hui le reprocher à MBR 35 ;
- dans un mail du 28 février 2017 (pièce adverse n°28), la société MBR 35 précisait expressément : si tu ne peux y satisfaire, et de manière générale afin de pallier ton absence, il convient de mettre en place de manière urgente une organisation permettant s'assurer la continuité de I'activité de notre coopérative. Quelles sont tes préconisations '
- alors qu'elle en avait la possibilité, Mme [E] n'a jamais démissionné de son mandat social ; la société n'a jamais été destinataire des courriers du médecin traitant des 26 décembre 2016 et 30 juin 2017, demandant à ce qu'elle ne soit plus importunée : ni la salariée ni le médecin ne le lui ont transmis ;
- parmi les nombreux courriels que Mme [E] produits, seuls 2/5ème lui sont destinés, et sur cette proportion, la très grande majorité concerne son mandat social (convocations aux conseils d'administrations et aux assemblées générales) ;
- Madame [E] est revenue de son propre chef durant son arrêt de travail pour continuer à dissimuler ses manoeuvres de surévaluation des stocks ; missionnée par la chambre de la cour d'appel de Rennes par décision du 2 octobre 2018 pour dire si les stocks avaient été ou non surévalués, Mme [I], expert-comptable a indiqué en conclusions de son pré-rapport : " Nous avons mis en évidence que les pages 53 à 63 des feuilles de comptage de l'inventaire de 2016 sont probablement des feuillets rajoutés au cours des opérations de comptage, soit entre le 23 août 2016 (date de début de I'inventaire physique) et le 5 septembre 2016, Mme [E], bien qu'étant en arrêt maladie, aurait cependant continué à se rendre dans les locaux de MBR durant cette période. La destruction des feuilles de comptage lors du départ de Mme [E] donne du crédit à I'hypothèse selon laquelle la directrice qénérale ait pu procéder à la falsification volontaire des stocks. " La procédure pénale est toujours en cours.
- le médecin du travail est muet sur le burn-out évoqué par le médecin traitant de l'intéressée.
L'employeur est tenu d'une obligation légale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs en vertu des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail. Il lui appartient de veiller à l'effectivité de cette obligation en assurant la prévention des risques professionnels. Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité peut avoir une incidence sur le bien-fondé du licenciement pour inaptitude, et ce, que l'inaptitude ait été reconnue d'origine professionnelle ou non.
Si l'inaptitude médicalement constatée d'un salarié trouve son origine dans un ou plusieurs manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, le licenciement intervenu pour inaptitude et impossibilité de reclassement est sans cause réelle et sérieuse. L'inaptitude physique ne peut en effet légitimer un licenciement lorsqu'elle résulte d'un manquement de l'employeur à son obligation générale de sécurité.
Il incombe à l'employeur de démontrer qu'il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité du salarié.
Pour établir que son employeur a manqué à son obligation légale de sécurité, Mme [E] produit 355 pages de courriels échangés sur la période du 12 décembre 2016 au 20 janvier 2017, soit approximativement un mois, avec d'autres salariés de la société (en particulier Mme [W], directrice administratif et financier) ou avec des coopérateurs, ou encore avec le cabinet d'expertise comptable de la société et l'avocat de la société
Pour une part minoritaire, il ne s'agit pas de courriels adressés à Mme [E] ([Courriel 3]) mais mis en copie à l'adresse structurelle [Courriel 5], auxquels la salariée ne justifie pas du reste qu'elle a répondu, et qui ont trait tantôt à des demandes envoyées au service après-vente, tantôt à des informations tarifaires des fournisseurs.
Mais pour une part très importante, les courriels concernent, notamment, des demandes de signature pour un crédit-bail, une invitation à une assemblée générale annuelle de la coopérative, une relance d'un assureur (Atradius Crédit Insurance N.V) relative à la situation de la société MBR35 et au prévisionnel actualisé à laquelle Mme [E] s'engage à répondre, un courriel de Mme [W] lui transmettant le détail mensuel des règlements comptants, un courriel de M. [C], adjoint de direction lui transmettant le prévisionnel de hausse par pôle et famille de produits (menuiserie, bois, couverture, agencement, placo-isolation, quincaillerie'), un courriel de Mme [W] relatif à l'embauche d'une personne au service comptabilité, un message de M. [C], un courriel de la menuiserie " Mulonnière " de [Localité 4] " Je t'écris aujourd'hui car j'ai repensé à la réunion d'hier soir, j'ai été choqué par tes propos vis-à-vis de [F] (') " et la réponse de Mme [E], un courriel de Mme [E] au commissaire aux comptes, M. [M] en réponse à une demande de prévisionnel de trésorerie à 12 mois (année 2017) afin que celui-ci atteste le fait que la coopérative est capable de financer son activité sur les 12 prochains mois puis les correctifs apportés en réponse à d'autres courriels de M. [M], un courriel à Mme [W] afin qu'elle envoie une convocation aux administrateurs pour le CA suite aux travaux de clôture et pour le CA d'arrêté des comptes, diverses relances adressées à Mme [E] pour savoir si l'AG du 20 janvier est ou non maintenue, des échanges avec Me Le Berre, avocat, sur le rapport de gestion, le tableau financier, le projet des résolutions, le déroulement à venir de l'AG, un courriel de M. [C], lui demandant, le 12 janvier 2017, de ramener dans l'après-midi le courrier reçu concernant la non-conformité des enseignes, des échanges de mails avec M. [Y], expert-comptable du cabinet Cocerto.
Il est justifié des réponses de Mme [E] à ces courriels ainsi que d'un courriel de sa part du 12 décembre à Mme [W], Responsable administratif et financier, contenant ses instructions sur le salaire de décembre 2016 (payes arrêtées le 15 décembre et salaires versés le 23 décembre) et d'un autre du 18 janvier 2017, dans lequel elle rappelle l'organisation de la coopérative et la présence aux différentes informations et réunions produits.
Par ailleurs, d'autres courriels témoignent tant de la pression qu'elle subit que de la fatigue qui en découle : ainsi, le 20 décembre 2016, M. [Z] [J], Responsable suivi de gestion lui adresse le courriel suivant : " Je venais vers toi concernant le bilan MBR, clos au 31 août 2016. Cela fait presque 4 mois que l'exercice est achevé donc j'imagine que le conseil d'arrêté des comptes a eu lieu. Comme de coutume à l'ORCAB et malgré les relations tendues existantes à ce jour, peux-tu me communiquer la liasse fiscale et la plaquette détaillées des comptes ' (') ". Et, Mme [E] d'écrire le 6 janvier 2017 à Mme [W]: " Je suis très fatiguée avec un petit coup de blues' " ou encore le 9 janvier 2017 : " Je suis en examen toute la matinée et je dois voir dans quelques minutes le rhumato. Pour moi il est nécessaire de maintenir le CA avant l'AG. Nous pourrons faire le point sur les impayés. Le dossier chiffres est-il en avance. Pour M. [H], le mieux est de caler un rendez-vous 1ère semaine de février, tu peux lui signaler que je suis arrêtée jusqu'à fin janvier. "
En définitive, et sans qu'il soit besoin d'examiner si les accusations de surévaluation des stocks portées contre la salariée sont ou non fondées, Mme [E] établit qu'elle a continué à travailler, sans être rémunérée puisqu'elle était alors en arrêt de travail et qu'elle n'était pas rémunérée au titre de son mandat social de directrice générale, qui plus est à un rythme très soutenu, en décembre 2016 / janvier 2017, dans une période complexe, à la fois parce que la coopérative traversait alors des turbulences (deux exercices déficitaires consécutifs) et parce qu'elle se devait de répondre à des sollicitations multiples tant de son employeur que de tiers (clôture des comptes, préparation des AG, absences de salariés, échanges nombreux avec le commissaire aux comptes, le cabinet comptable, Mme [W], l'adjoint à la direction'), sans que puisse être clairement distingué ce qui relevait de ses fonctions de salariée et de ses attributions de mandataire social. En tout état de cause les courriels produits démontrent qu'ils excédaient ce qui est ordinairement attendu d'un mandataire social en ce qu'ils avaient trait aux relations avec les fournisseurs, à la gestion du personnel, à l'établissement des comptes, etc'. Ce faisant, Mme [E] établit que son employeur, qui n'a pris la mesure ni de ses obligations vis-à-vis d'une salariée placée en arrêt de travail, ni de celles résultant de son devoir de prévention quant à la santé et à la sécurité de l'intéressée (l'employeur ne produit à cet égard aucun document unique d'évaluation des risques), a manqué à son obligation de sécurité.
Il est ainsi incontestable que ce travail très conséquent a généré une fatigue et un stress importants, à tout le moins sur la période du décembre 2016 / janvier 2017, ce dont l'employeur avait nécessairement connaissance puisque la salariée était alors en arrêt de travail (du reste, par mail du 12 décembre 2016, Mme [D], Responsable des achats, rappelaient à tous les salariés figurant sur la mailing list de la société que " Nous vous remercions de ne pas l'importuner [Mme [E]] pendant son arrêt de travail, et de diriger vos demandes vers [LE] "), et ce, quand bien même il n'est pas établi qu'il ait été destinataire des certificats médicaux du médecin traitant de l'intéressée, lequel avait constaté un épuisement suite aux sollicitations incessantes ayant entraîné un état d'éreintement dont elle s'était ouverte auprès de Mme [W], Responsable administratif.
Dans ces conditions, par voie d'infirmation du jugement entrepris, la société MBR 35 sera condamnée à payer à Mme [E] la somme de 6.616 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la salariée.
Toutefois, ce manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, établi uniquement pour une période de 5 semaines courant du 12 décembre 2016 au 20 janvier 2017, n'a pas pu contribuer, même pour partie, à l'inaptitude de Mme [E], laquelle a été constatée 15 mois plus tard par le médecin du travail, précisément le 28 avril 2018, soit une date trop éloignée pour pouvoir être rattachée à cet épisode de surmenage momentané, étant observé en outre que le médecin du travail n'en fait pas état.
L'inaptitude de la salariée ne trouvant pas sa cause dans un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité, Mme [E] ne peut qu'être déboutée de sa demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur la remise d'un bulletin de salaire rectifié :
Il convient d'ordonner à la société de remettre à la salariée un bulletin de salaire rectifié conforme aux dispositions du présent arrêt, et ce, dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Il convient de condamner la société MBR 35 à payer à Mme [E] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur les dépens :
Il convient de condamner la société coopérative MBR 35 aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,
- Infirme le jugement du conseil des prud'hommes de Rennes du 15 février 2021, sauf en ce qu'il a dit le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau, et y ajoutant,
- Dit que l'inaptitude de Mme [E] est d'origine professionnelle ;
- Condamne en conséquence la société Métiers du Bois Réunis 35 à payer à Mme [E] :
* la somme de 18.050,74 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L1226-14 du code du travail ;
* la somme de 19.848,84 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis;
- Dit que la société Métiers du Bois Réunis 35 a manqué à son obligation légale de sécurité ;
- Condamne en conséquence la société Métiers du Bois Réunis 35 à payer à Mme [E] la somme de 6.616 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
- Ordonne à la société Métiers du Bois Réunis 35 de remettre à Mme [E] un bulletin de salaire rectifié conforme aux dispositions du présent arrêt, et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision;
- Rappelle que les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt.
- Condamne la société Métiers du Bois Rsunis 35 à payer à Mme [E] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
- Condamne la société Métiers du Bois Réunis 35 aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier Le Président
ARRÊT N°102/2024
N° RG 21/01730 - N° Portalis DBVL-V-B7F-ROMM
Mme [U] [E]
C/
S.A. METIERS DU BOIS REUNIS DU 35
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 04 AVRIL 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 29 Janvier 2024, devant Monsieur Hervé BALLEREAU et Monsieur Bruno GUINET, magistrats rapporteurs, tenant seuls l'audience, en la formation double rapporteur, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame [R], médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 04 avril 2024 comme indiqué à l'issue des débats.
****
APPELANTE :
Madame [U] [E]
née le 13 Décembre 1977 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 6] (CANADA)
Représentée par Me Bruno LOUVEL de la SELARL PHENIX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me MARTIN DE SAINT SEMMERA
INTIMÉE :
S.A. METIERS DU BOIS REUNIS DU 35 prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représentée par Me Karima BLUTEAU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
La société coopérative artisanale à forme anonyme Métiers du bois réunis d'Ille-et-Vilaine (MBR 35) est une centrale d'achats de bois ayant pour adhérents des artisans des métiers du bois et de la couverture.
Le 5 mars 2005, Mme [E] a été embauchée par la coopérative MBR en qualité de directrice de la coopérative, en contrat à durée indéterminée, hors coefficient, notamment chargée, sous la responsabilité et les directives du président directeur général, à qui elle rend compte, des tâches suivantes : assurer l'organisation et le fonctionnement de la Coopérative (suivi des relations d'affaires entre MBR 35 et ses associés, contacts avec les fournisseurs pour développer la gamme et négocier les termes des contrats, encadrer, motiver et animer l'équipe des salariés'), proposer toutes actions permettant le développement de la société, accueillir ou contacter toute entreprise susceptible d'être candidate à l'adhésion. Elle agit sous l'autorité directe du directeur général et le cas échéant du directeur général délégué qui pourront lui demander de venir rendre compte de l'exécution de ses missions devant les organes d'administration ou de conseils de la coopérative (Assemblée générale, conseil d'administration, commissions, etc').
A compter du 9 mars 2005, elle a bénéficié d'une délégation de signature de la part du président directeur général de la coopérative.
Le 14 janvier 2010, elle a été nommée directrice générale, mandataire sociale, par le conseil d'administration, sans rémunération pour cette mission " avec les pouvoirs attachés à cette fonction prévus par le code de commerce sous réserve des limitations fixées par les dispositions de l'article 27 des statuts. "
Dans le dernier état de la relation contractuelle, sa rémunération mensuelle brute s'établissait à 6.616,28 euros.
A compter du 9 février 2016, elle a été placée en arrêt pour accident du travail à la suite d'une chute dans les escaliers sur son lieu de travail. Elle ne reprendra plus ses fonctions. La CPAM d'Ille-et-Vilaine a déclaré son état de santé consolidé à la date du 5 novembre 2017. Les arrêts de travail se sont poursuivis ensuite en maladie simple jusqu'au 13 avril 2018.
Le 13 mars 2017, le conseil d'administration de la société MBR 35 a révoqué Mme [E] de son mandat de directrice générale après avoir été informée courant juin 2016 par l'ORCAB, coopérative d'achat dont la société MBR 35 est adhérente, de l'existence d'anomalies dans la gestion des stocks au cours de l'exercice 2015, et notamment une surévaluation de ces derniers, et après lui avoir demandé en vain d'effectuer un inventaire. La salariée a contesté le même jour les manquements qui lui étaient imputés. M. [A] [V] l'a remplacée aux fonctions de directeur-mandataire social à compter du mois d'août 2017.
Le 26 avril 2018, lors de sa visite de reprise le médecin du travail l'a déclarée inapte à son poste avec possibilité de reclassement "sur un poste sans posture assise prolongée, sans déplacement routier, sans vibration transmise au rachis et sans manutention lourde".
Le 4 mai 2018, l'employeur a adressé à Mme [E] par LRAR ses bulletins de paie pour la période de novembre 2017 à avril 2018 ainsi qu'un chèque de 13.406,71 euros au titre du maintien de salaire pendant toute la période.
Le 28 mai 2018, l'employeur lui a adressé deux propositions de reclassement (après consultation des délégués du personnel), assistante achat et animatrice de salle d'exposition au sein de MBR 35, auxquelles Mme [E] n'a pas donné de réponse.
Par courrier en date du 15 juin 2018, Mme [E] a été convoquée à un entretien préalable fixé le 26 juin suivant, auquel elle ne s'est pas présentée pour raisons médicales.
Par courrier en date du 29 juin 2018, elle s'est vue notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
La société MBR 35 a considéré que l'inaptitude de Mme [E] n'avait pas d'origine professionnelle et lui a adressé son solde de tout compte pour un montant de 45.500,82 euros, sans paiement des indemnités prévues à l'article L1226-14 du code du travail.
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Sollicitant le paiement de diverses sommes, Mme [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes le 30 octobre 2018 et a formulé les demandes suivantes :
- Fixer le salaire mensuel moyen de Mme [E] à la somme de 6 616,28 euros brut
- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, nets de CSG CRDS : 72 779,00 euros net
- Dommages et intérêts pour préjudice subi lié au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité : 6 616,28 euros
- lndemnité de préavis : 19 848,84 euros brut
- lndemnité spéciale de licenciement : 18 050,74 euros net
- Délivrance de bulletins de paye et d'une attestation Pôle Emploi conformes à la décision
- Article 700 du code de procédure civile : 3 500,00 euros
- Assortir les condamnations des intérêts au taux légal et ordonner la capitalisation des intérêts
- Exécution provisoire
- Entiers dépens y compris ceux éventuels d'exécution forcée du jugement à intervenir
La SA Métiers du bois réunis du 35 a demandé au conseil de prud'hommes de:
- Se déclarer incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes
Par jugement en date du 15 février 2021, le conseil de prud'hommes de Rennes a :
- Dit et jugé que le licenciement de Mme [E] pour inaptitude suite à une maladie non professionnelle et pour impossibilité de reclassement est fondé sur une cause réelle et sérieuse.
- S'est déclaré incompétent an profit du tribunal de commerce de Rennes concernant les litiges relatifs aux mandats sociaux, les conditions d'exercice et la révocation du mandat de Mme [E],
- Débouté Mme [E] de l'ensemble de ses demandes.
- Débouté la SA MBR 35 de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Laissé à chaque partie la charge respective de ses propres dépens.
Pour statuer ainsi, le conseil de prud'hommes a retenu que :
>à la date de l'avis d'inaptitude, le médecin du travail atteste sur un formulaire avoir établi que cet avis était susceptible d'avoir un lien avec l'accident du travail du 9 février 2016 mais n'indique pas dans ses préconisations de reclassement que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé au cas où il aurait constaté l'épuisement professionnel signalé par son médecin traitant le 18 février 2017 ;
>la consultation des délégués du personnel a été régulière ;
>l'absence de réponse de Mme [E] au regard de sa connaissance de la gestion du personnel de l'entreprise dont elle avait la responsabilité et de ses compétences en matière de gestion des ressources humaines permet d'en déduire la manifestation d'un refus aux propositions de reclassement faites ;
>les responsabilités de Mme [E] justifiaient qu'elle continue à être informée des événements liés à l'activité de l'entreprise au titre des délégations de pouvoirs et de signatures qui lui avaient été accordées ; au vu d'attestations d'adhérents et de collègues ou de courriers échangés entre les parties, il n'est pas établi qu'elle ait fait l'objet d'accusation grave ou diffamatoire ou que la révocation de son mandat social résultait d'une stratégie de déstabilisation ou de dénigrement ; il n'y avait donc pas lieu de prendre des mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé mentale de Mme [E] ; le licenciement de Mme [E] pour inaptitude fait suite à une maladie non professionnelle et à l'impossibilité de reclassement : il est donc fondé sur une cause réelle et sérieuse.
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Mme [E] a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 17 mars 2021.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 25 octobre 2021, Mme [E] demande à la cour d'appel de :
- Déclarer Mme [E] recevable en son appel ;
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 15 février 2021 en ce qu'il a :
- dit et jugé que le licenciement de Mme [E] pour inaptitude suite à une maladie non professionnelle et pour impossibilité de reclassement est fondé sur une cause réelle et sérieuse;
- s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes concernant les litiges relatifs aux mandats sociaux, les conditions d'exercice et la révocation du mandat de Mme [E] ;
- a débouté Mme [E] de l'ensemble de ses demandes;
- a laissé à chaque partie la charge respective de ses propres dépens.
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 15 février 2021 en ce qu'il a débouté la société MBR 35 de sa demande de condamnation de Mme [E] au versement de l'article 700 du code de procédure civile pour 3 500 euros.
Statuant à nouveau :
- Juger que l'inaptitude de Mme [E] a une origine professionnelle,
- Juger que l'employeur est à l'origine de l'inaptitude de Mme [E] par son manquement à l'obligation de sécurité de résultat,
- Juger que le licenciement de Mme [E] est sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence,
- Condamner la société MBR 35 à payer à Mme [E] la somme de 72.779,00 euros nets de CSG/CRDS à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Condamner la société MBR 35 à payer à Mme [E] la somme de 6.616,28 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi lié au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;
- Condamner la société MBR 35 à payer à Mme [E] la somme de 19.848,84 euros bruts à titre d'indemnité de préavis ;
- Condamner la société MBR 35 à payer à Mme [E] la somme de 18.050,74 euros nets au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;
- Ordonner la délivrance de bulletins de paye et d'une attestation Pôle Emploi conformes à la décision à intervenir ;
- Condamner la société MBR 35 à payer à Mme [E] la somme de 3.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouter la société MBR 35 de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
- Condamner la société MBR 35 aux entiers dépens, y compris ceux afférents à l'exécution forcée du jugement à intervenir.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 11 décembre 2023,la SA Métiers du bois réunis 35 demande à la cour d'appel de :
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes intervenu le 15 février 2021 en ce qu'il a :
- Dit et jugé que le licenciement de Mme [E] pour inaptitude suite à une maladie non professionnelle et pour impossibilité de reclassement est fondé sur une cause réelle et sérieuse
- S'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Rennes concernant les litiges relatifs aux mandats sociaux, les conditions d'exercice et la révocation du mandat de Mme [E]
- Débouté Mme [E] de l'ensemble de ses demandes
- Réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes intervenu le 15 février 2021 en ce qu'il a :
- Débouté la SA MBR 35 de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- Laissé à chaque partie la charge respective de ses propres dépens
Statuant à nouveau
- Condamner Madame [E] à verser à la société MBR35 la sommes de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et la somme de 4 500 euros au titre de la présente instance
- Condamner Mme [E] aux entiers dépens de l'instance
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La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 19 décembre 2023 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 29 janvier 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'incompétence du conseil de prud'hommes de Rennes quant aux " litiges relatifs aux mandats sociaux " de Mme [E] :
Mme [E] sollicite l'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes de Rennes en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes au regard de l'article R1453-5 du code du travail concernant les litiges relatifs aux mandats sociaux, les conditions d'exercice et la révocation du mandat de Mme [E].
L'employeur fait valoir que Mme [E] contestant les conditions de la révocation de son mandat social, c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce, dès lors que son arrêt de travail suspend son contrat de travail mais pas son mandat social.
Mais force est de constater que Mme [E] n'avait saisi le conseil de prud'hommes d'aucune prétention relative à la révocation de son mandat social de sorte que c'est à tort que le conseil de prud'hommes de Rennes a décliné sa compétence " pour des litiges relatifs aux mandats sociaux ".
Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.
Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude de Mme [E] et sa connaissance par l'employeur :
En vertu des articles L 1226-7 et suivants du code du travail, les salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle bénéficient d'une protection particulière dans leurs rapports avec l'employeur au service duquel est survenu l'accident ou a été contractée la maladie.
Dans le cas d'une inaptitude d'origine professionnelle, l'article L 1226-14 du code du travail dispose que la rupture du contrat de travail ouvre droit au profit du salarié à une indemnité spéciale de licenciement qui sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L 1234-9 du code du travail.
Cette protection joue, dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
Le droit du travail étant autonome par rapport au droit de la sécurité sociale, l'application de ces dispositions protectrices n'est pas liée à la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie par un organisme de sécurité sociale . Ainsi, la décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels d'un accident ou d'une maladie ne constitue qu'un élément de preuve parmi d'autres laissés à l'appréciation du juge prud'homal auquel il appartient de rechercher lui-même l'existence d'un lien de causalité entre l'inaptitude et l'accident du travail ou la maladie professionnelle. Dans le même sens, une décision de refus de prise en charge ou d'inopposabilité d'une décision de prise en charge ne suffit pas davantage à écarter ce lien de causalité.
Il appartient donc aux juges de rechercher eux-mêmes l'existence du lien de causalité et la connaissance qu'avait l'employeur de l'origine professionnelle de l'accident ou de la maladie.
Mme [E] soutient que son inaptitude a incontestablement une origine professionnelle puisqu'elle a été arrêtée pour un accident du travail du 9 février 2016 jusqu'au 6 novembre 2017 (ce que l'employeur n'a jamais contesté), qu'elle n'a jamais repris le travail postérieurement, qu'elle a présenté un état anxiodépressif en lien avec son accident du travail (dans la mesure où elle son employeur n'a cessé de la solliciter durant son arrêt maladie, sans égards pour sa santé) et qu'enfin le médecin du travail lui a établi l'imprimé de " Demande d'indemnité temporaire d'inaptitude ", ce dont il résulte que son employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement puisqu'elle lui a remis cet imprimé et en accusé réception le 4 mai 2018 et qu'elle a perçu l'indemnité temporaire d'inaptitude.
La société MBR 35 réplique que :
- l'inaptitude de Mme [E] n'est pas liée à l'événement du 9 février 2016 dès lors qu'elle ne verse aucune pièce pour l'établir, qu'il s'est écoulé plus de deux ans depuis l'accident à la date de l'inaptitude du 26 avril 2018 et que la salarié l'a elle-même informée qu'il s'agissait d'une maladie simple et qu'elle souffrait d'un cancer du rein, ce qu'elle a du reste confié à d'autres salariés ; par ailleurs, le médecin du travail n'a jamais fait état d'un burn out (ce dont il n'aurait pas manqué de l'informer si tel avait été le cas ; dans cette hypothèse, il aurait coché la case " tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement
préjudiciable à sa santé ") et Mme [E] ne s'appuie que sur les certificats médicaux de son médecin traitant à cet égard qui, s'il fait le lien avec le travail, n'a fourni aucun certificat médical à l'appui d'une déclaration d'accident du travail de Mme [E] en vue d'une prise en charge de ce prétendu burn out au titre de la législation professionnelle;
- par ailleurs, le fait que le médecin du travail ait remis à Mme [E] le formulaire Cerfa d'indemnité temporaire d'inaptitude n'a pas pour conséquence la reconnaissance d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle : il indique simplement que l'avis d'inaptitude est " susceptible " d'être en lien avec l'accident du travail du 9 février 2016 ; dans son courrier du 4 mai 2018, la société n'a fait que remplir une obligation légale consistant à compléter le volet 3 dans reconnaissance quelconque d'une maladie professionnelle que seule la CPAM a le pouvoir de reconnaître ; en définitive, à la date du 29 juin 2018, la société MBR 35 avait seulement connaissance d'un arrêt de travail pour maladie non professionnelle à compter du 6 novembre 2017 et n'avait pas été informée du versement par la CPAM de l'indemnité temporaire d'inaptitude.
Pour justifier que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a une origine professionnelle, Mme [E] verse aux débats:
- l'avis d'inaptitude à son poste établi par le médecin du travail, le Dr [O], le 17 avril 2018, mentionnant une première visite au 17 avril 2018 et une seconde le 26 avril 2018, une possibilité de reclassement sur un poste " sans posture assise prolongée, sans déplacement routier, sans vibration transmise au rachis et sans manutention lourde ", un échange avec l'employeur/ étude des conditions de travail / étude du poste de travail le 25 avril 2018 ;
- le formulaire de demande d'indemnité temporaire d'inaptitude rempli par ses soins le 30 avril 2018 et complété par le médecin du travail qui certifie avoir établi le 26 avril 2018 un avis d'inaptitude pour Mme [E] qui est susceptible d'être en lien avec l'accident du travail ou la maladie professionnelle du 9 février 2016 ;
- des relevés d'indemnités journalières émanant de la CPAM qui montre qu'elle a perçu des indemnités journalières du 6 novembre 2017 au 13 avril 2018 pour 6.382,80 euros, l'indemnité temporaire d'inaptitude du 12 mai 2018 au 25 mai 2018, soit 2.330 euros nets ;
- un certificat médical du Dr [X], son médecin traitant daté du 18 décembre 2017, à l'intention du médecin du travail, qui évoque chez Mme [E] un tableau se rapprochant du burn out précisant qu'elle " sera incapable de reprendre un poste à responsabilité ; il me semble cohérent et judicieux de la mettre inapte à une reprise du travail dans l'emploi qu'elle occupait " ;
De son côté l'employeur produit :
- le certificat médical initial d'accident du travail établi le 10 février 2016 par le Dr [X], médecin généraliste traitant de Mme [U] [E] rapportant une date de 1ère constatation médicale du 9 février 2016 et les lésions suivantes : " Chute avec traumatisme cervico-dorsal, douleur mobilisation rachis cervical, douleur palpation vertèbres cervicales + dorsales, contracture musculaire / réveil douleur lombosciatique gauche " et prescrivant un arrêt de travail jusqu'au 17 février 2016 ;
- les certificats médicaux de prolongation d'arrêt de travail des 11 mars, 31 mars, 18 avril, 29 avril, 13 mai, 31 mai, 15 juin, 1er juillet, 29 juillet, 31 août, 1er octobre, 15 octobre, 21 décembre 2016, 30 janvier, 28 février, 2 mai, 30 juin, illisible, 16 décembre 2017, 8 janvier 2018, 31 janvier 2018 [jusqu'au 4 mars 2018], faisant tous référence à un accident du travail du 9 février 2016 ;
- un avis d'arrêt de travail initial du 6 novembre 2017 sans référence à un accident du travail est les certificats médicaux de prolongation y afférents jusqu'au 22 mars 2018 [arrêt jusqu'au 13 avril 2018] ;
- un accusé de réception du 21 décembre 2017 par le tribunal du contentieux de l'incapacité de Rennes d'une déclaration de recours par la société MBR 35 contre la décision de la CPAM d'Ille-et-Vilaine de fixer à 3% le taux d'incapacité permanente partielle de Mme [E] au titre de ses séquelles indemnisables et l'invitant à communiquer le nom et l'adresse du médecin conseil de l'entreprise ;
- un courrier de l'employeur à la CPAM d'Ille-et-Vilaine du 24 octobre 2017 dans lequel il s'interroge sur la durée de l'arrêt de travail au titre de l'accident du travail du 9 février 2016 et un autre du 11 avril 2018 dans lequel il s'étonne d'être destinataire, depuis le 6 novembre 2017, d'arrêts maladie concernant Mme [E], relevant à la fois de la législation professionnelle et de la simple maladie ;
- un courrier du 30 mars 2018 à la salariée dans lequel la société MBR 35 accuse réception d'une lettre de Mme [E] du 9 mars 2018 lui apprenant qu'elle était en maladie simple depuis le 6 novembre 2017 ;
- un courriel de l'avocate de Mme [E] à celle de la société MBR 35 du 9 mai 2018 lui rappelant : " Ma cliente est en arrêt maladie depuis le 6 novembre 2017, à la suite de son accident du travail survenu le 9 février 2016 ('). Par ailleurs, Mme [E] a été déclarée, lors de sa visite de reprise en date du 26 avril 2018, inapte à son poste de Directrice Commerciale avec les préconisations suivantes en terme de reclassement sur un poste " sans posture assise prolongée, sans déplacement routier, sans vibration transmise au rachis et sans manutention lourde. Cette inaptitude a été déclarée d'origine professionnelle par le médecin du travail qui a remis à Mme [E] l'imprimé Cerfa de demande d'indemnité temporaire d'inaptitude " ;
- les attestations de plusieurs salariés (M. [S], M. [P], Mme [G], M. [T], Mme [N]) relatant que Mme [E] leur a confié en 2016 qu'elle souffrait d'un cancer du rein.
Il ressort de ces éléments que :
>l'arrêt de travail de Mme [E] pour accident du travail du 9 février 2016 (l'employeur ne produit pas la déclaration d'accident du travail) s'est prolongé jusqu'au 4 mars 2018 (soit un mois et demi avant la première visite médicale de reprise du 17 avril 2018) et ce n'est que le 9 mars 2018 que la salariée a informé l'employeur qu'en réalité l'arrêt de travail s'était poursuivi pour maladie simple depuis le 6 novembre 2017;
>l'employeur a contesté le 15 décembre 2017 le taux d'incapacité permanente partielle de 3% retenu par la Caisse au titre des séquelles imputables à l'accident du travail du 9 février 2016 (mais ne produit pas la décision du tribunal du contentieux de l'incapacité à cet égard) ;
>surtout, l'étude du poste réalisée par le médecin du travail, identifiait les contraintes du poste en lien avec les douleurs situées au niveau du dos " sans posture assise prolongée, sans déplacement routier, sans vibration transmise au rachis et sans manutention lourde ", très clairement mises en évidence dans le certificat médical initial du 10 février 2016 [" Chute avec traumatisme cervico-dorsal, douleur mobilisation rachis cervical, douleur palpation vertèbres cervicales + dorsales, contracture musculaire / réveil douleur lombosciatique gauche"] et proposait à l'employeur des possibilités de reclassement permettant d'éviter ces contraintes sans aucune référence, ni à un cancer du rein, ni à un burn-out (qui n'a du reste jamais fait l'objet d'une déclaration au titre d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle).
Il en découle que, alors qu'il est constant que la salariée n'a jamais repris le travail après son accident du travail, que l'inaptitude résulte au moins partiellement de l'accident du travail en date du 9 février 2016, l'employeur ne pouvant ignorer le lien entre l'accident du travail et les séquelles causées à Mme [E] (il a été informé du taux d'IPP retenu par la Caisse mais se garde de produire la notification que lui a adressée celle-ci) qui ont conduit à une déclaration d'inaptitude, de sorte que l'origine professionnelle de la dite inaptitude est caractérisée.
Si le reçu pour solde de tout compte mentionne l'indemnité de licenciement que Mme [E] a perçue, cette indemnité correspond à l'indemnité de licenciement de droit commun, soit celle dont l'employeur s'estime seulement débiteur, et non l'indemnité spéciale de licenciement prévue en cas de licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle, par l'article L1226-14 du code du travail, égale au double de l'indemnité légale de licenciement prévue par l'article L1234-9 du même code.
Au regard de son salaire mensuel brut de 6.616,28 euros et de son ancienneté de 13 ans et 3 mois, l'indemnité spéciale de licenciement due à Mme [E] s'élève à 23.475,42 euros x 2, soit 47.490,84 euros, soit un solde dû de 18.590,74 euros déduction faite de l'indemnité de licenciement déjà perçue de 28.900,10 euros, calcul que l'employeur ne discute pas, et ce, par voie d'infirmation du jugement entrepris.
Statuant dans les limites de la demande de la salariée, il lui sera alloué un solde d'indemnité spéciale de licenciement d'un montant de 18.050,74 euros.
L'article L.1226-14 du code du travail prévoit en outre une indemnité compensatrice qui est égale à l'indemnité compensatrice de préavis de droit commun (fixée à l'article L. 1234-5 du code du travail). Dans ces conditions, la société MBR 35 sera condamnée à payer à Mme [E] une indemnité compensatrice de préavis correspondant à trois mois de salaire brut soit la somme de 3 x 6.616,28 euros = 19.848,84 euros, par voie d'infirmation du jugement.
Sur le caractère irrégulier du licenciement pour inaptitude :
Mme [E] fait valoir que :
- les délégués du personnel n'ont pas été consultés régulièrement ce qui rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse : l'employeur ne leur a pas communiqué les informations suffisantes sur les recherches de reclassement, ne leur a pas communiqué le registre du personnel et le procès-verbal signés par les délégués du personnel a validé des démarches entreprises auprès des adhérents de la coopérative, alors que ceux-ci n'ont été interrogés que 3 jours après ;
- les recherches de reclassement n'ont été ni loyales ni sérieuses : les recherches de reclassement effectuées au niveau du groupe des adhérents de la coopérative par le biais d'une lettre circulaire du 28 mai 2018 qui a été établi pour les besoins de la cause comme en témoigne le fait que sont produites des réponses d'adhérents des 21 et 22 mai 2018 alors que les registres du personnel ne sont pas fournis ; les recherches en interne ont abouti à deux propositions sans indication de durée du travail, ni de rémunération et très inférieurs à sa qualification professionnelle ; la société n'a pas produit le registre du personnel empêchant de vérifier s'il n'y avait pas des postes disponibles aussi comparables que possible à son poste précédemment occupé et si les postes proposés étaient bien disponibles.
L'employeur réplique que :
- la société MBR 35 ne fait pas partie d'un groupe ; elle est donc allée au-delà de ses obligations en consultant les entreprises adhérentes de la coopérative pour tenter de la reclasser ;
- les deux offres de reclassement ont été communiquées tant aux délégués du personnels qu'à Mme [E] avec la rémunération et quoi qu'il en soit, c'est Mme [E] elle-même qui rédigeait les fiches de fonction ;
- lorsqu'un poste de reclassement adapté aux conclusions du médecin du travail est disponible, l'employeur doit le proposer au salarié, même s'il est inférieur à la qualification de la salariée concernée.
Aux termes de l'article L1226-10 du code du travail, lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.
L'article L1226-12 du même code stipule que lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement.
L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.
L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.
La recherche de reclassement doit être sincère et loyale et la proposition de reclassement de l'employeur doit être précise et contenir la qualification du poste, les horaires de travail et la rémunération.
S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III.
L'employeur doit recueillir l'avis du CSE s'il existe, après lui avoir fourni toutes les informations nécessaires quant à l'état de santé du salarié et la recherche de son reclassement, y compris les conclusions du médecin du travail sur les possibilités de reclassement du salarié : à défaut, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
L'employeur doit fournir aux délégués du personnel toutes les informations nécessaires quant au reclassement du salarié, pour leur permettre de fournir un avis en toute connaissance de cause.
Selon l'article L1226-10 du code du travail, l'avis des délégués du personnel est préalable à la proposition de reclassement qui doit être faite par l'employeur et qui prend en compte tout à la fois les conclusions du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise ; cet avis doit avoir un effet utile, ce qui implique que les délégués disposent des informations nécessaires quant au reclassement du salarié et, par voie de conséquence, des informations relatives à l'avis formulé par le médecin du travail dès lors que l'avis des délégués est préalable à la proposition faite par l'employeur en vue d'un reclassement du salarié et qu'il a pour objet la recherche d'un possible reclassement pour le salarié. Pour autant, l'avis des délégués du personnel n'a pas pour objet en lui-même la proposition de postes de reclassement puisqu'une telle proposition incombe en vertu du texte légal à l'employeur.
L'article L.1226-10 du code du travail n'impose aucun formalisme à la consultation des délégués du personnel.
En l'espèce, sont versés aux débats les éléments suivants :
>la convocation de Mme [D] et de M. [L], délégués du personnel du 18 mai 2018 à une réunion le 25 mai 2018 pour connaître leur avis sur les possibilités de reclassement de Mme [E] à laquelle sont joints d'une part l'exposé des mesures entreprises pour tenter le reclassement (dates des visites auprès du médecin du travail, préconisations de ce dernier le 26 avril 2018, proposition de deux fiches de poste par l'employeur et la réponse du médecin du travail le 17 mai 2018 : " Dans son courrier du 14 mai dernier, votre président, M. [B], propose deux postes qui me semblent compatibles avec l'état de santé de Mme [E] ; en effet, les postures statiques debout - assise étant contre-indiquées -, il faudra veiller à ce qu'elle puisse les alterner régulièrement. Par ailleurs il faudra aussi lui mettre à disposition un siège de bureau adapté (') ", l'employeur précisant que " dès les 18 mai 2018, MBR 35 a adressé le CV de Mme [E] à l'ensemble de ses adhérents pour rechercher un ou des postes disponibles respectant les préconisations médicales précitées. Les coopératives suivantes ont été consultées pour tenter de trouver des postes disponibles pouvant être proposés à Mme [E] : coopératives IMS et ARB "), d'autre part les fiches de poste d'assistant achat (salaire brut mensuel 2.000 euros) et d'animateur salle d'exposition (salaire brut mensuel 2.200 euros) ;
>le PV de réunion des délégués du personnel du 25 mai 2018 : " Le 25 mai 2018, les délégués du personnel, Mme [D] et M. [L], respectivement du collège cadre et non-cadre, ont étudié les possibilités de reclassement et ont émis un avis favorable à la proposition de MBR 35 sur les 2 postes suivants : Assistant Achat et Animateur salle d'expo. Ils ont validé aussi les démarches entreprises chez les adhérents et autres coopératives pour rechercher un poste disponible respectant les préconisations du médecin du travail " ;
>la LRAR du 28 mai 2018 par laquelle la société MBR 35 indique avoir consulté les délégués du personnel sur les possibilités de reclassement, " ces derniers ont rendu l'avis suivant le 25 mai 2018 : avis favorable à la proposition de MBR 35 sur les deux postes suivants Assistant achat ou Animateur salle d'expo ", que " le médecin du travail nous a confirmé par courrier du 17 mai 2018 que ces deux postes étaient compatibles avec votre état de santé " et que " si l'une de ces propositions de reclassement vous convient, nous vous demandons de nous le confirmer par écrit avant le 5 juin 2018. En cas de refus de votre part sur l'ensemble de ces propositions, nous serons conduits à engager la procédure de licenciement pour inaptitude en raison de l'impossibilité de reclassement " ;
>la convocation à l'entretien préalable du 15 juin 2018 et la lettre de licenciement du 12 juin 2018, faute de réponse aux propositions de reclassement tant de la salariée que de son avocate ;
>la réponse négative du 21 mai 2018 d'un coopérateur, la SASU Des solutions pour toit à Saint Uniac qui indique que son entreprise n'est pas en phase de recrutement, et ce sur aucun poste administratif ou technique ;
>la réponse négative de la société coopérative ARB-ORCAB du 22 mai 2018;
>le registre du personnel mentionnant 59 salariés dont 36 en contrat à durée indéterminée ;
>la délégation de pouvoirs du 16 juillet 2007 dans laquelle il est indiquée que Mme [E] a le pouvoir d'agir en lieu et place de M. [K], PDG, notamment pour gérer le personnel de la coopérative (embauche, contrats, évolution des salaires, horaires de travail, licenciement').
Il s'en déduit que :
> dans la mesure où la convocation des délégués du personnel (remplacés par le CSE) a été accompagnée d'informations sur la situation de la salariée, le poste qu'elle occupait, et que le procès-verbal de la réunion des délégués du personnel (désormais le CSE) démontre qu'ils avaient été informés de la teneur de l'avis du médecin du travail ainsi que des réponses apportées par celui-ci aux propositions de reclassement formulées par l'employeur, ils ont ainsi été en possession de toutes les informations nécessaires leur permettant d'émettre un avis sur la possibilité ou non de reclasser la salariée,
>la société MBR 35 a procédé à une recherche sérieuse et loyale d'un poste de reclassement, en interne puisqu'elle n'appartient à aucun groupe, mais aussi en sollicitant des clients de la coopérative ou d'autres coopératives et qu'elle a proposé à la salariée l'ensemble des postes à pourvoir, appropriés à ses capacités et tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail.
Dès lors, le licenciement de l'intéressée qui n'a pas répondu aux propositions de reclassement ni ne s'est présentée à l'entretien préalable, manifestant ainsi son refus, reposait bien sur une cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit fondé le licenciement pour inaptitude de Mme [E] et débouté la salariée de ses demandes indemnitaires subséquentes.
Sur le manquement de l'employeur à son obligation légale de sécurité :
Mme [E] fait valoir que son inaptitude résulte d'un manquement de son employeur à son obligation de sécurité de sorte que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse : du fait de la confusion, entretenue par son employeur, entre les missions découlant de son contrat de travail et celles de son mandat social de directrice générale (ce qui explique qu'elle n'était pas rémunérée pour ce dernier), elle n'a pas cessé de travailler durant son arrêt (assister aux réunions de secteur, à celle du conseil d'administration, pressions pour qu'elle honore des rendez-vous, réponde aux courriels des adhérents [une trentaine par jour] ; elle a continué à échanger avec l'expert-comptable de la société ou avec le responsable suivi de l'ORCAB qui la sommait de réaliser un inventaire) ; la société MBR 35 a longtemps résisté à sa demande de révocation de son mandat, qu'elle ne se sentait plus en capacité d'exercer, pour finir par la prononcer mais pour des motifs injurieux (" une gestion désastreuse ") en exigeant la restitution de documents ou de matériels alors que son contrat subsistait toujours, ce qui a encore aggravé son état de santé, alors qu'elle n'a pas été licenciée pour faute grave ; d'ailleurs son médecin traitant a écrit à deux reprises à son employeur, les 26 décembre 2016 et le 30 juin 2017 pour l'alerter sur l'état d'épuisement qui était le sien " L'état de santé de Mme [E] impose un arrêt de travail très prolongé ; il est impératif qu'elle ne reçoive plus aucun appel téléphonique, ni SMS, ni e-mail, ni courrier recommandé venant du travail pour créer une réelle rupture lui permettant d'améliorer son état de santé ", En dépit de ces alertes, l'employeur a poursuivi une entreprise de dénigrement, l'accusant d'avoir falsifié les stocks en se rendant à la coopérative durant son arrêt maladie, après les heures de fermeture pour détruire des feuilles de comptage.
La société MBR 35 réplique que :
- Madame [E] n'était pas convoquée aux réunions du Conseil d'Administration de MBR35 (pièces n°36 et 37). Si elle s'y rendait, c'était de son propre chef. Madame [E] ne peut aujourd'hui le reprocher à MBR 35 ;
- dans un mail du 28 février 2017 (pièce adverse n°28), la société MBR 35 précisait expressément : si tu ne peux y satisfaire, et de manière générale afin de pallier ton absence, il convient de mettre en place de manière urgente une organisation permettant s'assurer la continuité de I'activité de notre coopérative. Quelles sont tes préconisations '
- alors qu'elle en avait la possibilité, Mme [E] n'a jamais démissionné de son mandat social ; la société n'a jamais été destinataire des courriers du médecin traitant des 26 décembre 2016 et 30 juin 2017, demandant à ce qu'elle ne soit plus importunée : ni la salariée ni le médecin ne le lui ont transmis ;
- parmi les nombreux courriels que Mme [E] produits, seuls 2/5ème lui sont destinés, et sur cette proportion, la très grande majorité concerne son mandat social (convocations aux conseils d'administrations et aux assemblées générales) ;
- Madame [E] est revenue de son propre chef durant son arrêt de travail pour continuer à dissimuler ses manoeuvres de surévaluation des stocks ; missionnée par la chambre de la cour d'appel de Rennes par décision du 2 octobre 2018 pour dire si les stocks avaient été ou non surévalués, Mme [I], expert-comptable a indiqué en conclusions de son pré-rapport : " Nous avons mis en évidence que les pages 53 à 63 des feuilles de comptage de l'inventaire de 2016 sont probablement des feuillets rajoutés au cours des opérations de comptage, soit entre le 23 août 2016 (date de début de I'inventaire physique) et le 5 septembre 2016, Mme [E], bien qu'étant en arrêt maladie, aurait cependant continué à se rendre dans les locaux de MBR durant cette période. La destruction des feuilles de comptage lors du départ de Mme [E] donne du crédit à I'hypothèse selon laquelle la directrice qénérale ait pu procéder à la falsification volontaire des stocks. " La procédure pénale est toujours en cours.
- le médecin du travail est muet sur le burn-out évoqué par le médecin traitant de l'intéressée.
L'employeur est tenu d'une obligation légale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs en vertu des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail. Il lui appartient de veiller à l'effectivité de cette obligation en assurant la prévention des risques professionnels. Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité peut avoir une incidence sur le bien-fondé du licenciement pour inaptitude, et ce, que l'inaptitude ait été reconnue d'origine professionnelle ou non.
Si l'inaptitude médicalement constatée d'un salarié trouve son origine dans un ou plusieurs manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, le licenciement intervenu pour inaptitude et impossibilité de reclassement est sans cause réelle et sérieuse. L'inaptitude physique ne peut en effet légitimer un licenciement lorsqu'elle résulte d'un manquement de l'employeur à son obligation générale de sécurité.
Il incombe à l'employeur de démontrer qu'il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité du salarié.
Pour établir que son employeur a manqué à son obligation légale de sécurité, Mme [E] produit 355 pages de courriels échangés sur la période du 12 décembre 2016 au 20 janvier 2017, soit approximativement un mois, avec d'autres salariés de la société (en particulier Mme [W], directrice administratif et financier) ou avec des coopérateurs, ou encore avec le cabinet d'expertise comptable de la société et l'avocat de la société
Pour une part minoritaire, il ne s'agit pas de courriels adressés à Mme [E] ([Courriel 3]) mais mis en copie à l'adresse structurelle [Courriel 5], auxquels la salariée ne justifie pas du reste qu'elle a répondu, et qui ont trait tantôt à des demandes envoyées au service après-vente, tantôt à des informations tarifaires des fournisseurs.
Mais pour une part très importante, les courriels concernent, notamment, des demandes de signature pour un crédit-bail, une invitation à une assemblée générale annuelle de la coopérative, une relance d'un assureur (Atradius Crédit Insurance N.V) relative à la situation de la société MBR35 et au prévisionnel actualisé à laquelle Mme [E] s'engage à répondre, un courriel de Mme [W] lui transmettant le détail mensuel des règlements comptants, un courriel de M. [C], adjoint de direction lui transmettant le prévisionnel de hausse par pôle et famille de produits (menuiserie, bois, couverture, agencement, placo-isolation, quincaillerie'), un courriel de Mme [W] relatif à l'embauche d'une personne au service comptabilité, un message de M. [C], un courriel de la menuiserie " Mulonnière " de [Localité 4] " Je t'écris aujourd'hui car j'ai repensé à la réunion d'hier soir, j'ai été choqué par tes propos vis-à-vis de [F] (') " et la réponse de Mme [E], un courriel de Mme [E] au commissaire aux comptes, M. [M] en réponse à une demande de prévisionnel de trésorerie à 12 mois (année 2017) afin que celui-ci atteste le fait que la coopérative est capable de financer son activité sur les 12 prochains mois puis les correctifs apportés en réponse à d'autres courriels de M. [M], un courriel à Mme [W] afin qu'elle envoie une convocation aux administrateurs pour le CA suite aux travaux de clôture et pour le CA d'arrêté des comptes, diverses relances adressées à Mme [E] pour savoir si l'AG du 20 janvier est ou non maintenue, des échanges avec Me Le Berre, avocat, sur le rapport de gestion, le tableau financier, le projet des résolutions, le déroulement à venir de l'AG, un courriel de M. [C], lui demandant, le 12 janvier 2017, de ramener dans l'après-midi le courrier reçu concernant la non-conformité des enseignes, des échanges de mails avec M. [Y], expert-comptable du cabinet Cocerto.
Il est justifié des réponses de Mme [E] à ces courriels ainsi que d'un courriel de sa part du 12 décembre à Mme [W], Responsable administratif et financier, contenant ses instructions sur le salaire de décembre 2016 (payes arrêtées le 15 décembre et salaires versés le 23 décembre) et d'un autre du 18 janvier 2017, dans lequel elle rappelle l'organisation de la coopérative et la présence aux différentes informations et réunions produits.
Par ailleurs, d'autres courriels témoignent tant de la pression qu'elle subit que de la fatigue qui en découle : ainsi, le 20 décembre 2016, M. [Z] [J], Responsable suivi de gestion lui adresse le courriel suivant : " Je venais vers toi concernant le bilan MBR, clos au 31 août 2016. Cela fait presque 4 mois que l'exercice est achevé donc j'imagine que le conseil d'arrêté des comptes a eu lieu. Comme de coutume à l'ORCAB et malgré les relations tendues existantes à ce jour, peux-tu me communiquer la liasse fiscale et la plaquette détaillées des comptes ' (') ". Et, Mme [E] d'écrire le 6 janvier 2017 à Mme [W]: " Je suis très fatiguée avec un petit coup de blues' " ou encore le 9 janvier 2017 : " Je suis en examen toute la matinée et je dois voir dans quelques minutes le rhumato. Pour moi il est nécessaire de maintenir le CA avant l'AG. Nous pourrons faire le point sur les impayés. Le dossier chiffres est-il en avance. Pour M. [H], le mieux est de caler un rendez-vous 1ère semaine de février, tu peux lui signaler que je suis arrêtée jusqu'à fin janvier. "
En définitive, et sans qu'il soit besoin d'examiner si les accusations de surévaluation des stocks portées contre la salariée sont ou non fondées, Mme [E] établit qu'elle a continué à travailler, sans être rémunérée puisqu'elle était alors en arrêt de travail et qu'elle n'était pas rémunérée au titre de son mandat social de directrice générale, qui plus est à un rythme très soutenu, en décembre 2016 / janvier 2017, dans une période complexe, à la fois parce que la coopérative traversait alors des turbulences (deux exercices déficitaires consécutifs) et parce qu'elle se devait de répondre à des sollicitations multiples tant de son employeur que de tiers (clôture des comptes, préparation des AG, absences de salariés, échanges nombreux avec le commissaire aux comptes, le cabinet comptable, Mme [W], l'adjoint à la direction'), sans que puisse être clairement distingué ce qui relevait de ses fonctions de salariée et de ses attributions de mandataire social. En tout état de cause les courriels produits démontrent qu'ils excédaient ce qui est ordinairement attendu d'un mandataire social en ce qu'ils avaient trait aux relations avec les fournisseurs, à la gestion du personnel, à l'établissement des comptes, etc'. Ce faisant, Mme [E] établit que son employeur, qui n'a pris la mesure ni de ses obligations vis-à-vis d'une salariée placée en arrêt de travail, ni de celles résultant de son devoir de prévention quant à la santé et à la sécurité de l'intéressée (l'employeur ne produit à cet égard aucun document unique d'évaluation des risques), a manqué à son obligation de sécurité.
Il est ainsi incontestable que ce travail très conséquent a généré une fatigue et un stress importants, à tout le moins sur la période du décembre 2016 / janvier 2017, ce dont l'employeur avait nécessairement connaissance puisque la salariée était alors en arrêt de travail (du reste, par mail du 12 décembre 2016, Mme [D], Responsable des achats, rappelaient à tous les salariés figurant sur la mailing list de la société que " Nous vous remercions de ne pas l'importuner [Mme [E]] pendant son arrêt de travail, et de diriger vos demandes vers [LE] "), et ce, quand bien même il n'est pas établi qu'il ait été destinataire des certificats médicaux du médecin traitant de l'intéressée, lequel avait constaté un épuisement suite aux sollicitations incessantes ayant entraîné un état d'éreintement dont elle s'était ouverte auprès de Mme [W], Responsable administratif.
Dans ces conditions, par voie d'infirmation du jugement entrepris, la société MBR 35 sera condamnée à payer à Mme [E] la somme de 6.616 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la salariée.
Toutefois, ce manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, établi uniquement pour une période de 5 semaines courant du 12 décembre 2016 au 20 janvier 2017, n'a pas pu contribuer, même pour partie, à l'inaptitude de Mme [E], laquelle a été constatée 15 mois plus tard par le médecin du travail, précisément le 28 avril 2018, soit une date trop éloignée pour pouvoir être rattachée à cet épisode de surmenage momentané, étant observé en outre que le médecin du travail n'en fait pas état.
L'inaptitude de la salariée ne trouvant pas sa cause dans un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité, Mme [E] ne peut qu'être déboutée de sa demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur la remise d'un bulletin de salaire rectifié :
Il convient d'ordonner à la société de remettre à la salariée un bulletin de salaire rectifié conforme aux dispositions du présent arrêt, et ce, dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Il convient de condamner la société MBR 35 à payer à Mme [E] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur les dépens :
Il convient de condamner la société coopérative MBR 35 aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,
- Infirme le jugement du conseil des prud'hommes de Rennes du 15 février 2021, sauf en ce qu'il a dit le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau, et y ajoutant,
- Dit que l'inaptitude de Mme [E] est d'origine professionnelle ;
- Condamne en conséquence la société Métiers du Bois Réunis 35 à payer à Mme [E] :
* la somme de 18.050,74 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L1226-14 du code du travail ;
* la somme de 19.848,84 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis;
- Dit que la société Métiers du Bois Réunis 35 a manqué à son obligation légale de sécurité ;
- Condamne en conséquence la société Métiers du Bois Réunis 35 à payer à Mme [E] la somme de 6.616 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
- Ordonne à la société Métiers du Bois Réunis 35 de remettre à Mme [E] un bulletin de salaire rectifié conforme aux dispositions du présent arrêt, et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision;
- Rappelle que les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt.
- Condamne la société Métiers du Bois Rsunis 35 à payer à Mme [E] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
- Condamne la société Métiers du Bois Réunis 35 aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier Le Président