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Décisions

CA Douai, ch. 2 sect. 1, 4 avril 2024, n° 22/03219

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

BMA (Selas)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gilles

Conseillers :

Mme Mimiague, Mme Bubbe

Avocats :

Me Franchi, Me Delfly, Me Besson, Me Cormont

T. com. Boulogne-sur-Mer, du 21 juin 202…

21 juin 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [R] [X], née [J], et M. [O] [J], qui sont frère et soeur, ont constitué en 1996 la SARL CCTM qui exploitait un centre de contrôle technique ; le capital social était détenu à hauteur de 50 % par chacun des associés et M. [J] était désigné comme unique gérant. Mme [J] exerçait des fonctions administratives et a fait l'objet le 26 avril 2005 d'un licenciement pour motif économique, requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse par arrêt de la chambre sociale de cette cour du 31 octobre 2008.

Une mésentente entre les deux associés a donné lieu à plusieurs procédures et, notamment, par ordonnance de référé du 15 décembre 2020, le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a désigné, à la requête de Mme [J], un expert avec pour mission d'identifier d'éventuels dysfonctionnements dénoncés par celle-ci. L'expert a déposé son rapport le 30 avril 2021.

Au mois de septembre 2021, M. [J] a notifié sa démission de ses fonctions de gérant de la société CCTM à effet au 31 décembre 2021. Lors de l'assemblée générale du 11 octobre 2021 les associés ne sont pas parvenus à désigner un nouveau gérant.

Autorisé à assigner à jour fixe, M. [J] a saisi par acte du 17 décembre 2021 le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer aux fins de voir ordonner la dissolution de la société CCTM et désigner un liquidateur amiable. Mme [J] a notifié des conclusions pour s'opposer à ces demandes et demander reconventionnellement la désignation d'un administrateur provisoire pour procéder à la nomination d'un gérant et la condamnation de M. [J] à payer diverses sommes à la société CCTM en raison de fautes commises en sa qualité de gérant.

Par jugement avant dire droit du 6 janvier 2022 le tribunal de commerce a désigné Me Laurent Miquel membre de la SELAS BMA Administrateur Judiciaire en qualité d'administrateur provisoire de la société CCTM pour une durée de six mois, l'affaire étant renvoyée sur le fond.

Le 14 février 2022, M. [J] a appelé en garantie l'expert-comptable de la société CCTM.

A l'audience du 3 mai 2022 le tribunal a ordonné la disjonction de l'instance en deux instances : l'une relative à la demande principale en dissolution de la société CCTM, l'autre relative à l'action en responsabilité formée contre M. [J].

Dans l'instance relative à la demande de dissolution de la société CCTM, le tribunal, précisant qu'eu égard à la décision du 3 mai 2022, il n'examinerait que les moyens développés au titre de la demande de dissolution judiciaire a, par jugement du 21 juin 2022 :

- dit M. [J] recevable et bien fondé en sa demande de dissolution de la société CCTM,

- prononcé la dissolution de la société CCTM pour justes motifs à effet de ce jour,

- rappelé que la personne morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation,

- ordonné la publication au registre du commerce et des sociétés de la désignation du liquidateur,

- autorisé la poursuite de l'activité de la société CCTM dans le cadre liquidatif,

- mis fin à la mission de Me [I] [B], précédemment nommé en qualité d'administrateur provisoire dans la procédure,

- nommé en qualité de liquidateur de la société CCTM, Me [K] [T], avec pour mission de :

- continuer les affaires en cours ou en engager de nouvelles pour les besoins de la liquidation et d'une manière générale accomplir tous les actes nécessaires à l'achèvement des affaires pour parvenir à la liquidation,

- assurer l'administration provisoire de la société jusqu'à la cessation complète de l'activité,

- rechercher un repreneur dans les meilleurs délais pour sauvegarder l'entreprise et les emplois y attachés,

- effectuer un inventaire du patrimoine de la société dissoute, procéder à la réalisation des actifs de la société, apurer son passif et, le cas échéant, procéder au partage du boni de liquidation en fonction de la répartition du capital social,

- dit qu'en cas de difficulté le liquidateur en référera à M. Le président du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer,

- ordonné l'exécution provisoire,

- réservé les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les entiers dépens de l'instance, liquidés concernant les frais de greffe à la somme de 100,37 euros TTC à la charge de M. [J].

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 5 juillet 2022 Mme [J] a relevé appel tendant à l'annulation ou l'infirmation de ce jugement déférant à la cour l'ensemble des chefs de celui-ci à l'exception du chef relatif aux dépens et intimant M. [J], l'administrateur provisoire (MBA- Me [B]), et le liquidateur désigné par le jugement dont appel (Me [T]).

Par ordonnance du 21 juillet 2022, le magistrat délégué par le premier président a déclaré Mme [J] irrecevable en sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire.

Dans le cadre de l'autre instance disjointe, le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer, statuant sur incident formé par Mme [J] a, par jugement du 13 décembre 2022, rejeté l'exception de connexité soulevée aux fins de voir renvoyer l'examen de l'entier dossier devant la cour. Mme [J] a relevé appel de ce jugement le 27 décembre 2022 et par arrêt du 11 mai suivant la cour a confirmé le jugement.

Par ailleurs, par un jugement du 5 janvier 2023, le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société CCTM avec poursuite d'activité jusqu'au 5 avril 2023 et désigné la SELARL WRA Wiart C & Routhier P-F en qualité de liquidateur judiciaire et Me [T] en qualité d'administrateur judiciaire avec mission de représentation.

Par assignation 'en reprise d'instance' du 21 mars 2023, remise à personne habilitée à recevoir l'acte, Mme [J] a mis en cause la SELARL WRA Wiart et [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CCTM.

Ayant modifié ses demandes formées dans ses premières conclusions notifiées le 6 septembre 2022 Mme [J] demande à la cour, aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 15 décembre 2023, de :

- réformer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne les dépens,

statuant à nouveau,

- juger que la mésentente entre les associés est directement imputable à M. [J], auteur d'actes de déloyauté et détournements subis par la société CCTM,

- sur la fixation du préjudice subi du chef de la dissolution convertie depuis, en liquidation judiciaire : juger qu'elle subit un préjudice personnel et distinct de celui de la société CCTM constitué par la perte de la valeur de ses titres au 17 décembre 2021 et condamner en conséquence M. [J] à lui payer la somme de 125 000 euros correspondant à cette perte de valeur,

- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour estimerait être insuffisamment renseignée sur la valeur de la société CCTM au 17 décembre 2021, désigner tel expert avec mission d'évaluer les titres de la société CCTM à cette date,

- en toutes hypothèses, condamner M. [J] aux entiers dépens et à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et dire que la SCP Processuel pourra se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, Mme [X] fait valoir que la décision du premier juge est dépourvue de base légale en ce qu'elle a refusé d'examiner l'imputabilité de la mésentente entre associés rappelant que l'associé à l'origine de la mésentente est mal fondé à solliciter la dissolution anticipée de la société pour ce motif. Elle estime que si elle n'a plus intérêt à s'opposer à la dissolution compte tenu de la liquidation judiciaire intervenue depuis, elle reste bien fondée à demander à la cour de statuer sur l'imputabilité de la mésentente entre associés et à en tirer les conséquences en rejetant le moyen de dissolution présenté par M. [J] et en l'indemnisant des conséquences irréversibles de cette dissolution prononcée illégitimement.

Selon elle, la mésentente est exclusivement imputable à M. [J] au vu des manquements qui lui sont reprochés par ailleurs dans le cadre de l'action en responsabilité du gérant, à savoir :

- prise en gérance d'une société concurrente par M. [J] (violation de son obligation de loyauté vis à vis de la société),

- fixation de sa rémunération de gérant sans autorisation préalable des associés,

- violation des règles du droit des sociétés dans la gestion de la société CCTM : transfert illégitime de personnel (violation des règles relatives aux conventions réglementées), détournement de fonds liés à l'absence de justification de contrôles techniques effectués gratuitement, affectation d'une flotte de véhicules sans intérêt pour la société CCTM,

- refus de M. [J] de la désigner en qualité de gérante constitutif d'un abus d'égalité.

Elle soutient en outre que si le tribunal n'avait pas ordonné la disjonction, qui n'avait pas été demandée, et si l'action en responsabilité contre le gérant s'était poursuivie, la société CCTM aurait pu profiter des sommes mises à la charge de M. [J] et poursuivre son activité ; l'état de cessation des paiements a un lien avec la crise de gouvernance et a conduit à la perte de la valeur de ses titres ; elle sollicite alors la condamnation de M. [J] au paiement de la valeur de ses parts, si besoin après expertise pour apprécier la valeur de la société.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiée par voie électronique le 19 décembre 2023 M. [J] demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,

- statuant à nouveau : le dire recevable et bien fondé en sa demande de dissolution de la société CCTM, prononcer la dissolution de celle-ci pour justes motifs à effet au 21 juin 2021, rappeler que la personne morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation, ordonner la publication au RCS de la désignation du liquidateur, autoriser la poursuite de l'activité de la société CCTM dans le cadre liquidatif, mettre fin à la mission de Me [I] [B], précédemment nommé en qualité d'administrateur provisoire, nommer en qualité de liquidateur de la société CCTM Me [K] [T], administrateur judiciaire avec mission reprise au dispositif de la décision, ordonner l'exécution provisoire, réserver les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire irrecevables comme nouvelles et ne pouvant se rattacher aux demandes d'origine par un lien suffisant les demandes présentées par Mme [J] tendant à :

- faire juger qu'elle aurait subi un préjudice personnel et distinct de celui de CCTM du chef du comportement de M. [J], constitué par la perte de la valeur de ses titres au 17 décembre 2021,

- le faire condamner à lui verser de ce chef la somme de 125 000 euros et désigner expert en cas d'insuffisance de justificatifs sur la valeur des parts,

- subsidiairement, déclarer ces demandes mal fondées et débouter en conséquence Mme [J] de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.

L'intimé conteste les manquements qui lui sont reprochés par l'appelante :

- l'exploitation d'un centre de contrôle technique concurrent (société ACT) n'est pas à l'origine de la mésentente, il ne s'agit pas d'un acte de concurrence déloyale, Mme [J] y avait consenti et est en tout état de cause prescrite à invoquer un tel manquement,

- s'agissant de la rémunération du gérant, il ne suffit pas que l'assemblée générale n'ait pas statué sur ce point pour que le gérant soit obligé de la restituer ; il y a eu une approbation tacite et la rémunération était justifiée compte tenu de ses fonctions,

- la flotte de véhicules appartenant à la société était utile pour l'activité de l'entreprise et l'expert a conclu à l'absence d'anomalie à ce titre,

- la réalisation de contrôles techniques gratuits est une pratique commerciale courante,

- la mise à disposition de personnel au profit de la société ACT est une pratique courante entre société apparentés et a été régulièrement facturée,

- il n'y pas eu d'abus d'égalité,

et relève que l'expert judiciaire n'a conclu à aucune faute ni préjudice pour la société CCTM.

Sur la dissolution de la société CCTM, M. [J] fait valoir que Mme [J] est seule à l'origine de la mésentente à raison des fautes commises par elle du temps où elle exerçait des fonctions administratives dans l'entreprise ; il estime que les premiers juges ont répondu aux arguments de Mme [J] et que la dissolution s'imposait à raison des blocages constatés et du péril imminent à laisser la société en activité du fait :

- de l'impossibilité de désigner un nouveau gérant compétent,

- d'un conflit ancien entre les deux associés régulièrement alimenté par Mme [J] qui en est à l'origine,

- du refus systématique de celle-ci de céder le fonds de commerce.

Il soutient par ailleurs que la demande de dommages-intérêts formée par Mme [J] est nouvelle en appel et ne se rattache pas par un lien suffisant aux prétentions d'origine et doit en conséquence faire l'objet d'une instance séparée et que le montant avancé par Mme [J] s'agissant de la valeur de la société n'est pas justifié et que la demande devra être rejetée.

Aux termes de ses conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 2 décembre 2022 Me [T] en qualité de mandataire à la liquidation amiable de la société CCTM demande à la cour de lui donner acte de ce qu'il s'en rapport à justice sur l'appel formé par Mme [J] et de statuer sur les dépens comme de droit.

La déclaration d'appel et les premières conclusions de l'appelante, de M. [J] et de Me [T] ès qualités, ont été signifiées à la SELAS BMA administrateurs judiciaires (Me [B]), ès qualités, par actes des 17 août, 16 septembre et 6 décembre 2022, remis à personne habilitée ; la SELAS BMA administrateurs judiciaires n'a pas constitué avocat.

La SELARL WRA Wiart & [H] ès qualités a constitué avocat le 4 avril 2023 mais ne conclut pas.

La clôture de l'instruction est intervenue le 20 décembre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 18 janvier suivant.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes nouvelles

Selon l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Par ailleurs, selon l'article 910-4, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

La dissolution de la société à laquelle Mme [X] s'opposait en première instance est devenue sans objet dès lors qu'en cours de procédure la société CCTM, a été placée en liquidation judiciaire. La demande de Mme [X] tendant à être indemnisée du fait de la liquidation judiciaire qu'elle estime être la conséquence de la dissolution ordonnée, selon elle, de manière injustifiée, présente ainsi un lien direct avec les prétentions dont le premier juge était saisi et qui ne peuvent plus être tranchées.

Dès lors les demandes formées par Mme [X] dans ses dernières conclusions relèvent bien de questions nées de la survenance d'un fait et sont en lien avec les prétentions initiales ; elles sont donc recevables devant la cour.

Sur la demande de dommages-intérêts

L'article 1844-7 5° du code civil permet à un associé de demander au tribunal de prononcer la dissolution anticipée d'une société pour justes motifs, notamment en cas de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.

Le fait que l'associé qui exerce l'action soit à l'origine de la mésentente fait obstacle à ce que celle-ci soit regardée comme un juste motif de dissolution.

La cour relève que Mme [X] reproche au premier juge de ne pas avoir tranché la question de l'imputabilité de la mésentente entre associés alors même que le tribunal dans un paragraphe intitulé'sur l'imputabilité de la mésentente' a statué sur cette question, considérant finalement que 'l'argumentation développée par Mme [X] quant à l'imputabilité de la mésentente sera rejetée', même s'il ne s'est pas, il vrai, prononcé sur les manquements reprochés à M. [J] dans la gestion de la société.

Il ressort des pièces versées aux débats que la mésentente entre associée est ancienne, et dure manifestement depuis au moins l'année 2003 :

- l'intimé verse aux débats une lettre adressée par Mme [X] le 9 novembre 2003 dans laquelle elle évoque des tensions entre les associés ainsi que la dégradation de leurs relations rendant tout dialogue impossible, et formule une proposition de rachat des parts de son associé

- le 8 avril 2004 un mandataire ad hoc avait été désigné à la demande de Mme [X] avec notamment pour mission de concilier les associés,

- devant cette chambre statuant sur l'appel contre un jugement du 18 octobre 2005 rejetant la demande de dissolution de la société présentée par Mme [X], celle-ci invoquait encore un profond désaccord entre associés depuis plusieurs années, et la cour, dans son arrêt du 16 septembre 2007, constatait un désaccord entre associés sur les conditions d'un transfert des parts et concluait dans rendu le 6 septembre 2007 'que la pérennité de la société n'est pas menacée, qu'elle est correctement gérée et remplit son objet social, qu'il s'ensuit que la mésentente entre Mme [X] et M. [J] au sujet du prix de cession de leurs parts ne paralysant pas le fonctionnement de la société, les conditions posées par l'article 1844-7 5 du code civil ne sont pas réunies',

- par un arrêt du 31 octobre 2008, la chambre sociale de cette cour, statuant sur l'appel formé contre le jugement du conseil de prud'hommes relatif au licenciement de Mme [X], intervenu en avril 2005 pour motif économique, a relevé que le licenciement pour motif économique n'était pas justifié en précisant : 'il apparaît qu'en réalité la suppression du poste occupé par la soeur du gérant était destinée à réaliser l'économie du salaire de cette dernière dans un contexte de mésentente sociale et familiale',

- le 21 mai 2011, M. [J] a demandé la désignation d'un mandataire ad hoc, demande motivée notamment par la permanence d'un conflit entre associés et l'absence de tout contact entre eux, et l'ordonnance y faisant droit (le 24 juin 2011) donnait notamment mission au mandataire ad hoc de tenter de concilier les parties dans l'intérêt social ; dans son rapport du 9 novembre 2011 le mandataire constatait l'échec de toute tentative de conciliation entre les parties en constatant : 'il s'agit d'un conflit familial ancien, où les sentiments irrationnels dépassent la situation économique et juridique dans laquelle se trouve la société CCTM'.

Il n'est pas démontré que cette mésentente ancienne aurait pour origine les fautes de gestion reprochées à M. [J] qui sont manifestement postérieures à la naissance du conflit que la cour n'est en mesure ni de dater ni d'en préciser l'origine exacte.

Les éventuels manquements en lien avec la prise en gérance d'une société concurrente (la société ACT) la prise en gérance d'une société concurrente par M. [J] concerne une société qu'il a créée en 2006 (société immatriculée le 11 décembre 2006). S'agissant de la fixation de la rémunération du gérant sans autorisation préalable des associés, Mme [X] explique que M. [J] s'est affranchi de cette obligation 'depuis la naissance du litige'et elle évoque des manquements 'au moins depuis 2014' sans s'expliquer précisément sur la situation antérieure. En outre, il ne saurait être sérieusement retenu au regard des anciennes procédures et des désaccords qui ont pu opposer les associés à ces occasions, que la mésentente serait née de manquement du gérant relatif à l'affectation d'une flotte de véhicule (qui ne peut être datée) ou de la réalisation de contrôles techniques gratuits, même s'il ressort des pièces communiquées qu'ils étaient déjà pratiqués par la société CCTM en 2003, étant relevé qu'il n'apparaît pas que Mme [X] ait soulevé ces questions avant l'envoi d'un courrier adressé au gérant le 26 novembre 2007 qui est communiqué par l'intimé.

Ainsi, comme le premier juge l'a retenu, il ne peut être considéré que la mésentente entre les associés serait imputable à M. [J], étant relevé que les pièces communiquées par celui-ci n'éclairent pas plus la cour sur l'origine de cette mésentente. Les éléments du dossier mettent finalement en évidence une mésentente durable qui s'est installée entre les parties sans qu'il soit possible d'en déterminer l'origine exacte.

Par ailleurs, la cour relève que la paralysie du fonctionnement de la société CCTM est apparue lors de la démission du gérant, les associés ne parvenant pas à s'entendre sur la désignation d'un nouveau gérant. Or, la démission de M. [J] était motivée par son choix de partir en retraite, dont l'opportunité n'est nullement discutée, n'est pas liée au conflit entre associés ou aux fautes de gestions qui lui sont reprochées, et le refus de M. [J] de voir désigner Mme [X] comme gérante, elle-même ayant refusé la désignation de la personne proposée par M. [J], est l'expression de la mésentente entre les associés mais ne permet pas d'imputer celle-ci à l'un ou l'autre.

C'est dès lors à bon droit que le premier juge a pu retenir l'existence d'un désaccord persistant rendant impossible la poursuite de la collaboration justifiant d'ordonner la dissolution.

A titre surabondant, la cour ajoute qu'il ne peut être retenu que la demande de dissolution de M. [J], dont la légitimité a été reconnue par le premier juge, serait à l'origine de la liquidation judiciaire de la société ; il ressort du jugement du 5 janvier 2023 prononçant la liquidation judiciaire que, selon l'administrateur provisoire, 'les difficultés de la SARL CCTM résultent notamment de l'exploitation déficitaire depuis plusieurs années et d'un défaut de gérant depuis la démission de M. [O] [J] le 31 décembre 2021', que 'les associés n'entendent pas apporter à la SARL CCTM les fonds nécessaires au paiement des dettes et de poursuite d'activité', enfin, que la société a été dissoute 'en raison d'une paralysie des décisions collectives du fait de la répartition égalitaire des parts sociales de la société CCTM'. Il n'est en effet pas établi que l'état de cessation des paiements de la société CCTM serait directement lié à la demande de dissolution formée par M. [J] et qu'elle serait ainsi en lien avec le préjudice éventuel subi par Mme [X] au titre de la perte de valeur de ses parts.

Enfin, la disjonction ordonnée par le premier juge n'est pas imputable à M. [J] et ne peut donc être retenue comme une faute pouvant engager sa responsabilité à l'égard de l'appelante.

En conséquence la demande de dommages-intérêts formée par Mme [X] doit être rejetée.

Sur les demandes accessoires

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, eu égard aux circonstances du litige, il convient de faire masse des dépens de première instance ainsi que des dépens d'appel et de dire qu'ils seront supportés par moitié par M. [J] et Mme [X] ; l'équité commande par ailleurs de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Le jugement sera infirmé en conséquence, y compris en ce qu'il a réservé les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ce qui n'était nullement justifié.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement sauf en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare recevable la demande de dommages-intérêts formée en appel par Mme [R] [X], née [J] ;

Rejette cette demande de dommages-intérêts ;

Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront supportés par Mme [R] [X], née [J], et M. [O] [J], chacun par moitié ;

Dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.