CA Versailles, 6e ch., 16 septembre 2021, n° 21/00016
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Thales Six GTS France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vendryes
Conseillers :
Mme de Larminat, Mme Gautron-Audic
La société Thales SIX GTS France (ci-après "Thales") est spécialisée dans les systèmes d'information et de communication sécurisés pour les marchés mondiaux de la défense, de la sécurité et du transport terrestre. Elle emploie plus de dix salariés.
La convention collective nationale applicable est celle des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972.
Mme Dalila C., née le 11 octobre 1970, a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée par la société Thales Global Services le 1er septembre 2014 en qualité de responsable de la transformation des infrastructures centrales.
Par convention de mutation concertée, Mme C. a été engagée par la société Thales Six GTS France à compter du 1er juillet 2017 en qualité de responsable du département offres et projets Export au sein du Secteur S3U de la direction SSC de la société Thales Six GTS France moyennant une rémunération de 100 200 euros.
Par courriels du 24 mars 2019 puis du 7 octobre 2019, Mme C. a saisi par deux fois le comité d'éthique du groupe.
Le 20 février 2020, le comité d'éthique a conclu de la manière suivante :
'1- Sur la persistance des faits ayant donné lieu à l'alerte intervenue en mars 2019
Au terme de ces investigations, le Comité estime que les éléments rapportés par Madame C. afférents aux faits ayant donné lieu à la première alerte intervenue en mars 2019 ne sont pas probants quant à la persistance d'une situation contraire aux règles et principes éthiques en vigueur et ne nécessitent pas d'autres mesures ni initiatives que celles qui ont été engagées suite à cette première alerte.
2- Sur la situation de harcèlement dont Madame C. estime faire l'objet du fait de son alerte
Il résulte des documents transmis et témoignages recueillis que :
- des difficultés relationnelles sont apparues entre Madame C. et sa hiérarchie dès ses premiers mois d'activité au sein de la Société Thales Six GTS France.
Ces difficultés relationnelles tiennent notamment, d'une part, à de nombreux différends quant aux arbitrages retenus sur différents dossiers, aux choix de management du département et aux modalités d'interaction avec les autres parties prenantes et, d'autre part, au désaccord de Madame C., quant
à l'appréciation de sa performance au titre de l'année 2017 puis de l'année 2018 et à son absence d'évolution en NR 11 comme envisagé lors de son recrutement.
- les décisions prises à cet égard sont étayées par de nombreux éléments liés aux relations con'ictuelles entretenues par Madame C. avec d'autres parties prenantes relevant de la même organisation ainsi qu'à des difficultés managériales, celles-ci ayant conduit plusieurs de ses collaborateurs qui s'estimaient en situation de souffrance, à solliciter une mobilité.
- aucun élément ne permet de considérer que la hiérarchie de Madame C. a cherché à faire échec à sa mobilité lorsque celle-ci a été envisagée à partir du mois de novembre 2018 en accord avec Madame C., la réalité des initiatives prises pour favoriser cette mobilité étant étayée par de nombreux échanges.
- les informations transmises ne permettent pas de constater que Madame C. a été 'mise à l'écart' des dossiers dont elle avait la charge, les informations essentielles concernant ces dossiers étant systématiquement échangées lors des réunions de 'Codir restreint' et 'Copil' auxquelles elle participait ou était invitée à participer.
- les propos prêtés par Madame C. à Monsieur C., DRH de la GBU, sont contestés par celui-ci qui précise notamment n'avoir jamais évoqué avec Madame C. ni ses origines marocaines, ni une quelconque 'protection' dont jouirait son supérieur hiérarchique.
- les propos prêtés par Madame C. à sa hiérarchie et relatifs à l'alerte qu'elle a opérée sont également démentis par celle-ci.
Au regard des investigations menées concernant les faits évoqués par Madame C. dans son alerte du mois d'octobre 2019, le Comité n'a pas relevé, dans les informations recueillies, la preuve de pratiques contraires à son Code éthique ou caractéristiques d'une situation de harcèlement à l'encontre de Madame C..
S'il ne peut que constater l'existence de relations de travail dégradées, le Comité estime, au regard des investigations menées, qu'aucun lien ne peut être établi entre les difficultés professionnelles dont fait état Madame C. et l'alerte émise au mois de mars 2019, ces difficultés étant apparues bien avant l'alerte.'
Par courrier du 13 mars 2020, la société Thales a convoqué Mme C. à un entretien préalable fixé le 25 mars, puis reporté le 20 mai 2020.
Par courrier du 27 mai 2020, la société Thales a notifié à Mme C. son licenciement pour cause réelle et sérieuse dans les termes suivants :
"Nous sommes au regret, par la présente, de vous notifier votre licenciement du fait de votre incapacité à créer et maintenir des relations professionnelles conformes aux attendus de vos fonctions et d'assurer la bonne coordination de votre service avec le reste de l'entreprise.
Pour mémoire, vous avez été embauchée par la société Thales SIX GTS France SAS le 1er juillet 2017, en charge des Offres et Projets Export du département, votre ancienneté au sein du Groupe ayant été reprise à compter du 1er septembre 2014.
La bonne tenue de ce poste supposait notamment, au-delà des compétences techniques requises, la capacité à créer et maintenir des relations professionnelles de qualité avec les différentes parties prenantes, qu'il s'agisse des collaborateurs dont vous aviez la responsabilité, ou des autres services de la Société.
Près de 6 mois après votre prise de poste, à l'occasion de votre premier entretien d'évaluation, votre responsable hiérarchique vous a demandé d'être plus réceptive aux retours sur votre communication, afin de "dépassionner" certaines situations et d'éviter que votre engagement "prenne le pas des rationnels d'entreprise".
Afin de vous aider à améliorer vos relations professionnelles et respecter, au mieux, les rôles et responsabilités de chacun au sein de la Société, un accompagnement par le Directeur des Opérations de SSC a été mis en place. Celui-ci vous a prodigué différents conseils quant à la manière d'interagir en interne au cours de deux réunions. Vous n'avez toutefois pas souhaité bénéficier de cet outil de développement au-delà de ces deux entretiens initiaux.
En revanche et malgré cet accompagnement, vous avez adopté un comportement de plus en plus conflictuel.
Ainsi, et à titre d'illustration, de juin 2018 à septembre 2018, vous êtes allée à l'encontre de décisions de votre supérieur hiérarchique (comme par exemple à l'occasion du déplacement d'un membre de votre équipe) ou avez pris des décisions sans échanger préalablement avec votre supérieur hiérarchique (comme par exemple concernant la stratégie de réponse à l'appel d'offres MPCC).
Vous avez également communiqué régulièrement de manière agressive dans des échanges d'e-mails avec les autres services, notamment avec la direction commerciale ou encore la direction de l'ingénierie.
C'est dans ces circonstances qu'en septembre 2018, lors de votre entretien de développement professionnel, votre responsable hiérarchique a rappelé que vous deviez améliorer de façon significative vos relations professionnelles, tant à l'égard des autres services que du vôtre, et ce, afin de favoriser et entretenir une bonne coopération interne.
Tenant compte de vos difficultés, il était alors envisagé, dès novembre 2018, à votre demande et avec l'accord de votre management, la mise en 'uvre d'une démarche de mobilité interne, dans la perspective d'un repositionnement au sein d'un nouvel environnement professionnel.
Les équipes ressources humaines vous ont reçue et vous ont accompagnée dans la mise en 'uvre de votre prospection. Cet accompagnement a ensuite été renforcé par l'adjonction des services d'un cabinet extérieur, au soutien de cette démarche de mobilité.
Dans le même temps, vous avez adopté un comportement ne correspondant pas aux standards professionnels, ce qui a continué à dégrader la qualité de vos relations de travail.
Ainsi, à titre d'illustration, vous avez fréquemment critiqué, en des termes virulents et en présence d'autres personnes, tant vos responsables hiérarchiques que plusieurs de vos collaborateurs conduisant certains d'entre eux à être repositionnés dans d'autres services (tels que Mme R., M. G. ou M. C.).
A plusieurs reprises, vous passez outre les consignes de votre hiérarchie et allez à l'encontre d'une position claire exprimée (par exemple en juin 2019 s'agissant d'un déplacement sur un théâtre d'opérations).
Vous avez altéré progressivement les relations avec les autres membres du comité de direction du département dont vous faites partie, rendant la cohésion d'équipe, nécessaire au bon fonctionnement du département, impossible. Ainsi et à titre d'illustration, vous avez développé des relations conflictuelles avec le directeur de l'ingénierie, de même qu'avec le dernier manager en charge des opérations le mettant en cause en séance devant d'autres collaborateurs, ou encore avec d'autres membres du Codir notamment lors de la people review de juillet 2019 où vous avez manifesté une virulence déplacée dans vos propos à l'occasion d'un désaccord.
Vous multipliez également les courriels à destination de la direction générale de la GBU sur des sujets d'importance relative ne nécessitant pas une telle publicité, qu'il suffisait de traiter au niveau du département ou du secteur dans lesquels vous êtes rattachée. Ces relations altérées se poursuivent en 2020, notamment dans la gestion de votre équipe.
Outre les difficultés relationnelles avec de nombreuses parties prenantes, nous constatons également un déficit de pilotage dans un certain nombre d'activités directement sous votre responsabilité, générant des difficultés dans la tenue de nos engagements contractuels et dans certains cas des tensions accrues sur les équipes.
Ainsi, à titre d'illustration, au dernier trimestre 2019, deux projets (la "gate 3" du dossier GSA, le projet d'extension MMSN) n'ont pas pu être conduits dans des conditions normales, du fait de votre absence de coordination avec les autres services.
En dépit des demandes d'amélioration qui vous ont été faites et des actions déployées pour vous accompagner, nous sommes au regret de constater que les différents dysfonctionnements relevés persistent et qu'ils ont conduit à une dégradation des relations professionnelles de la plupart de vos interlocuteurs, qu'il s'agisse de vos collaborateurs, de vos pairs, de vos supérieurs ou de salariés des services avec lesquels vous étiez en contact.
Une telle situation compromet la qualité des conditions de travail de votre équipe et la bonne collaboration entre les services de l'entreprise.
Elle rend nécessaire la rupture de votre contrat de travail, de sorte que nous vous notifions, par le présent courrier, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.
La date de première présentation du présent courrier constituera le point de départ de votre préavis, d'une durée de trois mois. Vous êtes dispensée de l'exécution de votre préavis qui vous sera néanmoins rémunéré aux échéances habituelles de paie.
Au terme de votre préavis, nous vous remettrons l'ensemble de vos documents de fin de contrat, votre certificat de travail, votre attestation destinée au Pôle emploi, les sommes qui vous sont dues et le reçu pour solde de tout compte."
Par courrier du 8 juin 2020, Mme C. a contesté son licenciement dans les termes suivants':
"J'ai subi pendant des mois une situation de harcèlement qui a fini par avoir raison de ma santé et je n'ai pu me résoudre à mettre entre les mains de la justice les faits visés par mon alerte éthique parce que je tremblais à l'idée des conséquences judiciaires et réputationnelles d'une telle affaire sur notre groupe et sur la France".
Par requête reçue au greffe le 30 juillet 2020, Mme C. a saisi la formation des référés du conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins, principalement, de se voir reconnaître le statut protecteur attaché au lanceur d'alerte en application de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, voir constater qu'elle a fait l'objet, postérieurement au signalement litigieux, de mesures de représailles en violation de ce statut protecteur (harcèlement, sanction financière, dénigrement, mise à l'écart, manquement contractuel...), et que la mesure de licenciement qui lui a été notifiée le 27 mai 2020 l'a été en violation des dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, qu'elle ne repose sur aucun motif réel et sérieux et est nulle en application de l'article L. 1132-4 du code du travail.
Mme C. a demandé de voir ordonner sa réintégration au sein du groupe sous astreinte de 10'000 euros par jour de retard avec paiement des salaires qui auraient dû lui être versés entre la fin de son préavis, soit le 28 août 2020, et sa réintégration, outre le paiement d'une somme de 50'000 euros à titre provisionnel sur dommages-intérêts résultant de son préjudice moral lié au licenciement discriminatoire et la somme de 10'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le syndicat SPIC UNSA est intervenu volontairement à l'instance.
Par décision n° 2020-205 du 22 octobre 2020, le Défenseur des Droits a notamment constaté que les difficultés rencontrées par Mme C., ainsi que son licenciement, constituent des représailles en violation de l'article L. 1132-3-3 alinéa 2 du code du travail et que le licenciement encourt la nullité par application de l'article L. 1132-4 du code du travail.
Par ordonnance rendue le 11 décembre 2020, la formation de référé du conseil de prud'hommes de Nanterre a :
- constaté que Mme C. a saisi sa hiérarchie conformément au dispositif d'alerte interne du groupe Thales,
- constaté que Mme C. bénéficie du statut protecteur de lanceur d'alerte conformément à la loi n° 2013-1691 du 9 décembre 2016 et à l'article L. 1132-3-3 du code du travail,
- dit en revanche que les pièces et moyens de droit fournis par Mme C. n'ont pas permis d'établir et de démontrer un lien évident et non équivoque de cause à effet entre le fait d'avoir lancé une alerte et le licenciement pour cause réelle et sérieuse,
- dit que les représailles envers Mme C. ne sont pas davantage établies et qu'en conséquence il n'y a pas eu violation du statut protecteur prévu par les dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail,
- dit que l'appréciation du motif de licenciement de Mme C. relève exclusivement des juges du fond,
- débouté le syndicat SPIC UNSA de l'intégralité de ses demandes,
- débouté Mme C. de toutes ses autres demandes.
- laissé à la charge des parties les éventuels dépens de l'instance, chacune pour ceux qui la concernent.
Mme C. a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 4 janvier 2021 (RG n°21/00016) et le syndicat national UNSA des professionnels de l'industrie et de la communication (syndicat SPIC UNSA) par déclaration du 18 janvier 2021 (RG n° 21/00228).
Par conclusions adressées par voie électronique le 24 mars 2021, Mme C. demande à la cour de :
- annuler l'ordonnance entreprise rendue en violation de l'article L. 1421-2 du code du travail,
subsidiairement,
- réformer l'ordonnance entreprise en l'ensemble de ses dispositions,
et, statuant à nouveau,
- juger que Mme C. a saisi sa hiérarchie, puis le directeur de l'éthique du groupe Thales et, enfin, le comité d'éthique du groupe Thales de signalements concernant des faits de corruption et trafic d'influence perpétrés par sa hiérarchie,
- juger que, ce faisant, Mme C. agissant en toute bonne foi, devait bénéficier du statut protecteur rattaché au lanceur d'alerte en application de l'article L. 1132-3-3 du code du travail,
- juger que Mme C. a fait l'objet, postérieurement aux signalements litigieux, de mesures de représailles en violation de ce statut protecteur (harcèlement, sanction financière, dénigrement, mise à l'écart, manquement contractuel'),
- juger que la mesure de licenciement qui lui a été notifiée le 27 mai 2020, postérieurement aux différentes alertes lancées, l'a donc été en violation des dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail,
- juger que cette mesure de licenciement ne repose sur aucun motif réel et sérieux et que, partant, elle est nulle en application de l'article L. 1132-4 du code du travail,
- ordonner, rien ne s'y opposant par ailleurs du fait de la taille et de la structure de Thales, la réintégration de Mme C. au sein de la société Thales SIX GTS France ou d'une autre entité du groupe Thales, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard,
- condamner la société Thales SIX GTS France au paiement des salaires qui auraient dû être versés à Mme C. entre la fin de son préavis, soit le 28 août 2020, et sa réintégration, sans déduction d'aucune sorte,
- condamner la société Thales SIX GTS France au paiement de la prime sur l'exercice de 2019 qui aurait dû être versée à Mme C. en mars 2020,
- condamner la société Thales SIX GTS à verser à Mme C. une somme de 50 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts résultant du préjudice moral lié au harcèlement et au licenciement discriminatoire,
- condamner la société Thales SIX GTS France à verser à Mme C. la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions adressées par voie électronique le 4 mai 2021, le syndicat SPIC UNSA demande à la cour de :
in limine litis,
- ordonner la jonction des affaires enregistrées sous les numéros RG 21/00016 et 21/00228, sur le fondement de l'article 367 du code de procédure civile,
- juger recevable et fondée Mme C. en ses demandes,
- juger recevable et fondé le syndicat SPIC UNSA en ses demandes,
en conséquence,
- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
- condamner la société Thales SIX GTS France à payer au syndicat SPIC UNSA la somme de 5'000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels sur le fondement de l'article L. 2132-3 du code du travail,
- condamner la société Thales SIX GTS France à payer au syndicat SPIC UNSA la somme de 2'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions adressées par voie électronique le 16 mars 2021, la Maison des Lanceurs d'Alerte, intervenante volontaire, demande à la cour de :
- lui donner acte de son intervention volontaire,
- la déclarer recevable,
- faire droit aux demandes principales, à savoir :
* annuler l'ordonnance entreprise rendue en violation de l'article L. 1421-2 du code du travail,
subsidiairement,
* réformer l'ordonnance entreprise en l'ensemble de ses dispositions,
et, statuant à nouveau,
- juger que Mme C. a saisi sa hiérarchie, puis le directeur de l'éthique du groupe Thales et, enfin, le comité d'éthique du groupe Thales de signalements concernant des faits de corruption et trafic d'influence perpétrés par sa hiérarchie,
- juger que, ce faisant, Mme C. agissant en toute bonne foi, devait bénéficier du statut protecteur rattaché au lanceur d'alerte en application de l'article L. 1132-3-3 du code du travail,
- juger que Mme C. a fait l'objet, postérieurement aux signalements litigieux, de mesures de représailles en violation de ce statut protecteur (harcèlement, sanction financière, dénigrement, mise à l'écart, manquement contractuel...),
- juger que la mesure de licenciement qui lui a été notifiée le 27 mai 2020, postérieurement aux différentes alertes lancées, l'a donc été en violation des dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail,
- juger que cette mesure de licenciement ne repose sur aucun motif réel et sérieux et que, partant, elle est nulle en application de l'article L. 1132-4 du code du travail,
- ordonner, rien ne s'y opposant par ailleurs du fait de la taille et de la structure de Thales, la réintégration de Mme C. au sein de la société Thales SIX GTS France ou d'une autre entité du groupe Thales, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard,
- condamner la société Thales SIX GTS France au paiement des salaires qui auraient dû être versés à Mme C. entre la fin de son préavis, soit le 28 août 2020, et sa réintégration, sans déduction d'aucune sorte,
- condamner la société Thales SIX GTS France au paiement de la prime sur l'exercice de 2019 qui aurait dû être versée à Mme C. en mars 2020,
- condamner la société Thales SIX GTS France à verser à Mme C. une somme de 50 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts résultant du préjudice moral lié au harcèlement et au licenciement discriminatoire,
- condamner la société Thales à verser à la Maison des Lanceurs d'Alerte, la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
Par conclusions adressées par voie électronique le 3 mai 2021, la société Thales SIX GTS France demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance du conseil de prud'hommes de Nanterre de 11 décembre 2020,
- débouter Madame C. de l'intégralité de ses demandes,
- juger qu'en tout état de cause, celles-ci excèdent les pouvoirs du juge des référés,
- débouter le SPIC UNSA de ses demandes,
- déclarer irrecevable la Maison des Lanceurs d'Alerte en son intervention volontaire,
- débouter la Maison des Lanceurs d'Alerte de ses demandes,
- condamner Mme C., le syndicat SPIC UNSA et la Maison des Lanceurs d'Alerte à payer chacun à la société Thales SIX GTS France une indemnité d'un montant de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens.
Par décision n° 2021-088 du 14 avril 2021, le Défenseur des droits a constaté que Mme C. bénéficie de la protection attachée à la qualité de lanceuse d'alerte au sens de la loi Sapin II, rappelé qu'en qualité de lanceur d'alerte, Mme C. doit bénéficier de l'aménagement de la charge de la preuve de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, constaté que la société Thales échoue à démontrer que sa décision de licenciement 'est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage' de Mme C., constaté en conséquence que les difficultés rencontrées par Mme C., ainsi que son licenciement, constituent des représailles en violation de l'article L. 1132-3-3 alinéa 2 du code du travail et que le licenciement encourt la nullité par application de l'article L. 1132-4 du code du travail.
Par ordonnances rendues le 19 mai 2021, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture des instructions et a fixé la date des plaidoiries le 8 juin 2021.
Le Défenseur des droits a été entendu en ses observations.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
Il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de joindre les instances enrôlées sous les numéros 21/00016 et 21/00228 du répertoire général.
- sur la nullité de l'ordonnance
Mme C. rappelle qu'aux termes de l'article L. 1421-2 du code du travail, 'les conseillers prud'hommes exercent leurs fonctions en toute indépendance, impartialité, dignité et probité et se comportent de façon à exclure tout doute légitime à cet égard. Ils s'abstiennent, notamment, de tout acte ou comportement public incompatible avec leurs fonctions'et vise les dispositions de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales consacrant le droit au procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial.
Or, elle fait ici valoir qu'un des membres de la formation ayant tranché le litige en première instance est une dirigeante d'un cabinet de conseil accompagnant les entreprises dans leurs transformations, qu'en cette qualité, elle ne pouvait ignorer la relation de proximité qu'entretient son entreprise avec la société Thales SIX GTS France qui est l'un de ses plus grands clients, qu'il appartiendra donc à la cour d'apprécier si l'appelante a pu, dans ces circonstances, bénéficier des garanties susvisées.
La cour observe cependant que le seul fait qu'un des membres de la formation des référés du conseil de prud'hommes de Nanterre occupe des fonctions dans un cabinet de conseil en organisation ayant notamment pour cliente la société Thales SIX GTS France ne suffit pas à mettre en doute son impartialité, aucune preuve n'étant d'ailleurs apportée que cette conseillère prud'homale aurait participé précisément aux projets réalisés pour le compte de la société Thales SIX GTS France par ce cabinet ou aurait connu un des salariés de cette société cités dans la présente procédure.
La demande de ce chef sera donc écartée.
- sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la Maison des lanceurs d'alerte
La société Thales SIX GTS France sollicite de voir dire cette intervention irrecevable pour défaut d'intérêt à agir.
En vertu de l'article 330 du code de procédure civile, l''intervention est accessoire lorsqu'elle appuie les prétentions d'une partie. Elle est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
Même hors habilitation législative, et en l'absence de prévision statutaire expresse quant à l'emprunt des voies judiciaires, une association peut agir en justice au nom d'intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social.
En l'espèce, il est justifié que la Maison des lanceurs d'alerte est une association fondée le 22 octobre 2018, ayant la personnalité morale conformément à la loi de 1901.
L'article 3 de ses statuts énonce qu''elle a pour objet (...), l'accompagnement de lanceurs d'alerte et le suivi des alertes ayant trait à l'intérêt général étant précisé que l'accompagnement de lanceurs d'alerte pourra, selon la situation et les moyens disponibles, comprendre un soutien juridique, procédural, psychologique, médiatique, financier et social. Cet accompagnement est proposé sans contrepartie financière.
Le suivi de l'alerte pourra, selon la situation et les moyens disponibles, comprendre des recherches sur le fond, un suivi de son traitement, l'organisation ou le soutien à l'organisation de campagnes de communication, de sensibilisation ou d'interpellation à son sujet ainsi que l'action en justice afin d'obtenir la cessation du dysfonctionnement à l'origine de l'alerte ou le respect des droits du lanceur d'alerte ainsi que la réparation du préjudice subi par ce dernier (...)'.
Etant observé que le présent litige a trait à l'application de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dans une instance en référé impliquant une salariée revendiquant le statut de lanceur d'alerte, que sont en cause les droits et les intérêts des lanceurs d'alerte dont l'association a pour objet l'accompagnement et le suivi, l'intervention de la Maison des lanceurs d'alerte sera déclarée recevable.
- sur la qualité de lanceur d'alerte de Mme C.
Aux termes de l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement,
de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.
Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini par le chapitre 1er.
Il est rappelé que la mauvaise foi du salarié résulte de sa connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis
L'article 8 de la même loi énonce que :
I. - Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci.
En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels.
En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public.
II. - En cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés au deuxième alinéa du I. Il peut être rendu public.
III. - Des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels sont établies par les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante salariés, les administrations de l'Etat, les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont membres, les départements et les régions, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.
IV. - Toute personne peut adresser son signalement au Défenseur des droits afin d'être orientée vers l'organisme approprié de recueil de l'alerte.
En l'espèce, il est justifié par les pièces produites aux débats que, par courriels du 13 mars 2019 adressés à M. L., alors directeur éthique du groupe Thales, et du 24 mars 2019, à l'entité ' alert.thales', Mme C. a fait part de ses interrogations relativement à la situation d'un salarié ayant été un de ses collaborateurs d'octobre 2017 à avril 2018 au sein de la direction SSC.
Aux termes de ce courriel, Mme C. a visé que ce salarié avait été, jusqu'en octobre 2017, mis à la disposition de l'ONU, institution cliente de la société Thales grâce à son statut de réserviste tout en étant salarié de Thales ce, sans que l'organisme international n'en ait connaissance ; qu'il avait brigué un poste au sein de l'ONU en 2018 et aurait 'demandé un pécule en contrepartie des informations utiles au business de Thales qu'il apporterait une fois en poste', Mme C. notant que tandis que le départ de ce collaborateur aurait dû passer par une démission, la société Thales SIX GTS France l'avait licencié, le salarié ayant notamment déclaré à son entourage professionnel qu'il souhaitait ce qu'il appelait 'une bonne poignée de main' à l'occasion de son départ pour bons et loyaux services à venir.
Mme C. s'interrogeait sur la cause des versements effectués par la société Thales SIX GTS France entre les mains de ce collaborateur avant le mois d'octobre 2017 alors même qu'il était employé de l'ONU et sur les conditions financières accompagnant son départ en avril 2018 et concluait que 'la formation 'prévention de la corruption et du trafic d'influence' stipule que quiconque détient la moindre information ou à le moindre doute sur des tentatives de corruption ou de trafic d'influence doit le reporter à sa hiérarchie et aux autorités compétentes. Les règles au sein du groupe sont très strictes en la matière. J'ai des doutes sur la légalité de cette situation et me sens obligée de vous la rapporter.'
Par ces courriels, la cour relève que Mme C. signale des faits susceptibles de caractériser l'infraction de corruption visée à l'article 445-2 du code pénal.
L'appelante communique aux débats un certain nombre d'éléments (mails, comptes-rendus d'activité du salarié) ayant été à la base de ses interrogations.
La cour note que dans le cadre de ses échanges avec le comité d'éthique (sa pièce 47), Mme C. mentionne qu'à son retour du Mali à l'été 2017, elle avait suggéré à son N+1 (M. T.) et son prédécesseur, lors d'une réunion de débriefing de la mission le 11 juillet 2017, le rapatriement du salarié en cause en France afin de mettre fin à sa mission à New York au sein de l'ONU, les conditions d'exercice de sa mission lui semblant dangereuses pour l'entreprise et non compatibles avec la personnalité de l'intéressé. Elle énonce également avoir alerté sa hiérarchie le 12 février 2018 sur les conditions de départ de ce dernier de l'entreprise en ce que 'convenir de conditions financières de départ et lui promettre un retour au sein de Thales si son contrat onusien venait à s'arrêter pourrait être qualifié de corruption'.
Aucun élément ne permet de remettre en cause la bonne foi de Mme C. à l'occasion des alertes ainsi données successivement à sa hiérarchie puis au comité d'éthique du groupe dont M. B., Director Corporate Responsability Developement, l'informe de la recevabilité par courriel du 26 mars 2019.
La formation des référés du conseil de prud'hommes a donc lieu d'être suivie en ce que sur le fondement des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, elle a déduit des éléments en présence la qualité de lanceur d'alerte de Mme C..
- sur le trouble manifestement illicite constitué par le licenciement
Il est ici rappelé qu'en application des articles R. 1455-5 et R. 1455-6 du code du travail, dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence du conseil de prud'hommes, ordonner toute mesure qui ne se heurte à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ; même en présence d'une contestation sérieuse, elle peut prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; en outre, selon l'article R. 1455-7 du même code, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Le juge des référés doit notamment, lorsque la nullité d'un licenciement, fondée sur un texte prévoyant cette sanction ou sur la violation d'une liberté fondamentale, est encourue, se prononcer sur le point de savoir si ce licenciement constitue un trouble manifestement illicite.
Mme C. fonde ici ses demandes sur les dispositions des articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail.
En vertu de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
(...) Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
L'article L. 1132-4 du code du travail énonce que toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions susvisées est nul.
En application du dernier alinéa de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, en cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile.
En l'espèce, il a été retenu par la cour que Mme C. a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016.
L'appelante fait valoir que cette alerte a conduit l'employeur à prendre des mesures de représailles à son encontre (harcèlement, sanctions financières, dénigrement, mise à l'écart, manquement contractuel...) puis à la licencier.
La société Thales SIX GTS France rétorque que la caractérisation d'une situation de harcèlement relève du juge du fond, que Mme C. n'a pas été licenciée pour avoir lancé une alerte mais pour des motifs figurant dans la lettre de licenciement portant plus particulièrement sur ses difficultés relationnelles apparues dès son embauche en 2017 et relevant d'un débat au fond. Elle observe notamment que l'alerte a été lancée le 13 mars 2019 et qu'aucune concomitance n'existe avec le licenciement notifié le 27 mai 2020. Elle ajoute que la protection du lanceur d'alerte ne saurait engendrer une protection pour tous les événements de la vie professionnelle et qu'en outre, les demandes de Mme C. excèdent les pouvoirs du juge des référés.
Sur ce,
La question posée est ici de savoir, dans l'examen du trouble manifestement illicite invoqué, si le licenciement notifié le 27 mai 2020 masque une volonté de représailles de l'employeur prenant sa source dans l'alerte dont la salariée a saisi le comité d'éthique en mars 2019 et dont elle énonce avoir entretenu ses supérieurs hiérarchiques directs dès juillet 2017.
La cour relève ici qu'aux termes de son évaluation (EDP) de l'année 2017 (entretien le 16 janvier 2018), M. T. (N+1), retient que Mme C. a réalisé une prise de poste efficace sur le département export de S3U en reprenant progressivement sous contrôle les projets des différents comptes clés (ONU, UE, OTAN), qu''avec son énergie et un haut niveau d'investissement, elle développe une relation de qualité avec le client et sait mobiliser ses équipes', que toutefois, elle doit 'rester vigilante sur l'impact de son leadership et son caractère fort, qui peuvent générer des tensions ou de l'incompréhension avec certaines parties prenantes internes'.
Il ne se déduit pas de cette appréciation établie postérieurement au mois de juillet 2017, un a priori négatif du supérieur hiérarchique sur la salariée, M. T. faisant la part des choses entre les excellentes compétences commerciales et techniques de cette dernière mais des difficultés relationnelles en interne que la salariée conteste pour sa part.
La synthèse de l'EDP 2018 de Mme C. (entretien du 12 septembre 2018) contient le commentaire suivant de la hiérarchie réitérant la question relationnelle : 'Mme C. a fait preuve d'un investissement important en interface. Toutefois elle doit améliorer de façon significative ses relations intra et inter services afin de favoriser et entretenir une bonne coopération interne et la gestion des acteurs clés. Elle doit également faire preuve d'intelligence émotionnelle lors de situations tendues'.
L'évaluation portant sur l'année 2018 (entretien du 27 février 2019) vise que les objectifs opérationnels n°1 de Mme C. ont été tenus tandis que les objectifs financiers (objectifs de revenus 266 millions d'euros pour S3U avec une variance positive attendue à 10 millions d'euros sur affaires) ont été dépassés avec un apport tout particulier du projet Cisaf et que la satisfaction client est globalement au rendez-vous avec un point de vigilance à noter sur Cisaf mais sans conséquences sur 2018. Au titre des objectifs n° 2, il est retenu une prise de commande en 2018 de 139 millions pour S3U avec une poursuite de la pénétration des marchés ONU, UE et OTAN.
M. T. y note la forte implication de Mme C. sur le dossier Irak DC avec une participation active et des missions positives sur ce dossier. Il retient, sur les organisations internationales, que le contrat Cisaf a bien été renouvelé tandis qu'il faut saluer le gain de MPCC pour l'EDA face à Airbus, les actions de business développement sur la Minusma ayant également permis de préparer le terrain pour un futur avenant en 2019.
Au titre de l'objectif n°3 (contribution active à la mise en place du plan de transformation S3U), le supérieur hiérarchique note que l'accompagnement du projet management a été efficace avec en particulier une équipe Cisaf performante et un bon accompagnement sur le projet GSA en terme de delivery, que la production des offres a été, au global, efficace avec toutefois un coaching des BM à renforcer sur les offres complexes comme GSA SC2 et MPCC et, avec pour cette dernière, des tensions évitables au sein des équipes offres. Il est ajouté qu'en termes de valeur S3U, 'autant l'énergie mise dans l'ambition sur les offres et projets était au rendez-vous, autant la coopération interne avec les autres services a pu parfois être conflictuelle'.
S'agissant enfin de l'objectif n°4 (manager), M. T. retient que 'la relation de confiance nécessaire au bon fonctionnement de l'équipe de managements du département n'est pas en place. L'année a démarré sur de mauvaises bases avec un bilan 2017 qui n'a jamais été réellement accepté par Mme C. et qui a suscité un climat de méfiance pénible à gérer tout au long de l'année ainsi que des échanges conflictuels répétés. La situation s'est exacerbée depuis l'EDP de septembre à la fin duquel Mme C. a exprimé son souhait de quitter son poste dans les plus brefs délais'.
Face à ces observations, Mme C. énonce pour sa part que 'la relation avec mon manager a été très compliquée cette année. J'avais proposé cet objectif dans l'espoir d'améliorer une situation déjà difficile en 2017. J'ai toujours veillé à informer mon manager du déroulement des dossiers. Il n'en a pas été de même de son côté. J'ai souffert de manques d'information de son côté sur plusieurs dossiers. Ses méthodes de management ne sont pas en ligne avec la stratégie défendue par Thales sur le principe du manager coach. Mon manager ne m'a rien apporté cette année. Son côté intrusif dans mon équipe s'est révélé porteur de tensions et de complications. Je le regrette parce que malgré une année riche en projets, en prise de commandes et en relations clients tout à fait exceptionnelle, ce point a été une ombre à gérer pour toujours garder le sourire et la bonne humeur'.
Ces évaluations permettent de mesurer la divergence des points de vue entre la salariée et sa hiérarchie sur son travail, le supérieur notant les compétences professionnelles et techniques de l'appelante mais des difficultés en termes de comportement et de management tandis que Mme C., récusant ces difficultés, évoque un défaut de communication et des méthodes de management insuffisantes de ses supérieurs ayant dégradé la relation de travail.
Le lien entre cette détérioration de la relation de travail, devenue manifeste en 2018, et l'alerte donnée par Mme C. relativement à la situation d'un des collaborateurs de la société Thales, objet du présent débat, ne ressort cependant pas, de façon manifeste, des évaluations susvisées lesquelles restent axées sur un examen concret des compétences professionnelles de la salariée.
Par ailleurs, l'enquête menée par le comité d'éthique Thales ayant donné lieu aux conclusions du 20 février 2020, après, notamment, des auditions de salariés, dont celle de Mme C. le 28 novembre 2019, et l'énoncé même par la salariée, dans son courriel du 3 avril 2020 (sa pièce 56) au président du comité d'éthique que son alerte, 'venue en réponse à l'injonction du groupe pour assainir notre business et nos méthodes de travail a occasionné un rappel à l'ordre de plusieurs cadres dirigeants', viennent écarter une volonté de la société Thales SIX GTS France d'éluder les termes de l'alerte dont elle était saisie.
La société Thales SIX GTS France apporte en outre aux débats un certain nombre d'éléments objectifs afin d'expliciter les faits présentés par la salariée comme étant constitutifs de représailles à son encontre.
Dans le cadre de l'exécution du contrat de travail et du repositionnement indiciaire dont Mme C. se plaint du report, il ressort des pièces produites que la salariée a été engagée le 11 mai 2017 en qualité d'ingénieur position IIIB et que la discussion est née avant même la conclusion de la convention de mutation concertée de son positionnement en C3 voire LR11, l'intéressée étant alors pressentie pour remplacer M. M.. Le débat est donc antérieur aux alertes y compris celles dont elle fait part à compter du 11 juillet 2017, étant en outre relevé que la décision afférente n'était pas du ressort direct de M. T. et de Mme G. mais du 'patron de la GBU et celui de TCS en commission' (mail du 5 mai 2017 de Mme G., pièce 19 de Mme C.).
Il est justifié que Mme C., engagée moyennant une rémunération annuelle d'un montant de 100 200 euros, a bénéficié d'augmentations versées en 2018 (perception d'une rémunération annuelle d'un montant de 103 206 euros soit +3%) et en 2019 (rémunération annuelle brute de 107 365,26 euros soit + 4,03%). La cour note que l'indicateur de performance individuelle de 80% a été le même pour les deux années sans qu'il ne soit notamment établi une inégalité de traitement par rapport à d'autres salariés de mêmes responsabilités.
Dans un courriel du 6 mai 2019, Mme G. (N+2) explicite que le montant global de la rémunération de l'année passée a été fixée en tenant compte du défaut de réalisation de ses objectifs par la salariée en termes de management, cette difficulté ayant été, pour sa part, opposée à la salariée de manière constante depuis 2017.
Il est justifié d'évaluations régulières de Mme C. jusqu'au 25 septembre 2019, date à laquelle celle-ci réitère dans ses commentaires le fait de ne pas avoir obtenu de M. T. 'une action d'un manager coach' dans des situations vécues par elle avec le directeur de l'ingénierie non plus qu'un partage suffisant d'informations sans que ces commentaires, focalisés sur les conditions concrètes de travail, ne présentent un lien manifeste avec l'alerte ici en cause.
Si dans son courriel du 7 octobre 2019, Mme C. se plaint, 'de dénigrement, déstabilisation et harcèlement au quotidien'de sa hiérarchie, elle n'assoit alors ces faits que sur deux exemples l'un concernant la convocation de son DRH l'été 2019 pour lui proposer de faire appel à un cabinet d'outplacement, l'autre concernant son entretien d'évaluation reçu le 4 octobre 2019 sans possibilité de droit de réponse et avec l'intention de 'la pousser à une mobilité vers un poste fictif'.
Dans le cadre de son audition devant le comité d'éhique du 28 novembre 2019, Mme C. se plaint également d'une mise à l'écart par ses supérieurs hiérarchiques (dossiers Cisaf, GSA, MMSN, Irak, Tawasul, dossiers confiés à M. D.). Dans ses écritures, Mme C. ajoute, au titre des représailles dont elle aurait fait l'objet qu'il lui a été demandé au mois de décembre 2019 de n'avoir aucune réunion seule avec l'ONU et s'être vue imposer une réduction drastique de son périmètre et le retrait de responsabilités importantes.
Il découle cependant des éléments en présence que Mme C. a fait l'objet d'une démarche de mobilité à la suite de son entretien d'évaluation de septembre 2018, l'intéressée visant, lors de son entretien préalable (pièce 29 Maison des lanceurs d'alerte) avoir fait cette démarche au regard du défaut de soutien de sa hiérarchie à une promotion indiciaire et visant d'ailleurs ne pas avoir eu à ce sujet d'injonction de départ (page 4).
Dans des termes déclinés dans des mails du 5 novembre 2018 et du 25 février 2019, il est notamment visé que Mme C. a passé des entretiens avec Markus M. pour le poste de leader de la transformation CRIM et qu'elle a de même passé des entretiens avec M. F. et M. P. en février 2019 en vue de postes positionnés LR11. Le 30 septembre 2019 (ses pièces 40/43) et le 9 octobre 2019, tant la salariée que Mme G. (N+2) ont continué de juger cette mobilité 'souhaitable' au regard des divergences entre l'appelante et sa hiérarchie, ce repositionnement n'ayant cependant pas abouti, l'orientation déclinée par son supérieur 'd'un poste au commerce export correspondant à ses compétences afin de rebondir professionnellement' ( compte-rendu de l'entretien du 25 septembre 2019) ayant notamment été jugée par la salariée en décalage avec son expérience professionnelle.
Il ne ressort donc pas de ces éléments que la démarche de mobilité aurait été imposée par la hiérarchie.
La cour relève également qu'il se déduit des pièces produites aux débats une collaboration continue de Mme C. avec M. T. y compris après juillet 2017, qu'ainsi par courriel du 14 décembre 2017, M. T. se fécilite de la présence de Mme C. lors de la visite du général Gramatico le 19 janvier 2018, qu'en octobre 2017, il juge indispensable la présence de la salariée à une présentation Egypte, qu'en février 2019, il est fait état de ses échanges avec Mme C. concernant la nomination d'Aurélie R. en qualité de chef de projet (mail du 25 février 2019), qu'en novembre 2019, il demande à Mme C. si elle prévoit de venir à la réunion des NMR.
L'employeur apporte aux débats un certain nombre d'explications relativement à des décisions dont la salariée induit pour sa part sa mise à l'écart : ainsi, le défaut de validation de la mission de Mme C. à Kaboul en septembre 2019 est expliqué par son supérieur par la restriction des frais de voyage. Dans un courriel du 26 novembre 2019, M. T. explicite les raisons pour lesquelles il demande à Mme C. d'annuler ses rendez-vous à Mons (Belgique) concernant le dossier Cisaf compte tenu d' un défaut de préparation en amont des entretiens avec M. W. et M. C. et sachant que la négociation d'ensemble du projet a vocation à être tenue à un niveau supérieur. Dans le même sens, dans un courriel du 9 janvier 2020, M. T. explicite qu'en changeant de recruteur sur un des postes BID, il met en place une décision d'organisation prise par la direction.
Dans un courriel du 20 décembre 2019, M. S. (N+3) décide, dans le cadre de son pouvoir de direction, de rattacher le projet Cisaf au directeur du département CMS en raison de la 'criticité du programme et de ses enjeux en 2020 pour Thales'
S'agissant du périmètre d'intervention de Mme C., la société Thales SIX GTS France justifie également que M. D. exerçait les fonctions de responsable du service export du département CMS et restait par ailleurs actif sur son poste de responsable offres et solutions. Elle explicite que Mme C. intervenait majoritairement en amont des offres et projets sans empiéter sur les fonctions de la salariée. La cour observe par ailleurs que les dossiers ne relevaient pas uniquement d'un salarié et que notamment le projet Tawasul au Koweit avait été traité par M. D. en juillet 2018 dans la perspective d'une offre (pièce 7 de la société Thales), qu'en ce sens, le fait que M. D. soit notamment point de contact SSC sur le Lebanon cloud dans les termes d'un courriel de M. T. du 15 mai 2019 s'accompagne de la préconisation faite à Mme C. d'impliquer ce salarié dès le départ afin de regarder ensuite 'avec lui et l'équipe' qui est le plus à même de préparer/participer aux workshops sans cependant exclure l'appelante de ce dossier.
Le compte rendu du Codir CMS restreint du 9 janvier 2020 vise la présence du supérieur de Mme C. et décline les offres et projets exports de l'intéressée soit notamment des actions menées à sa demande concernant GSA (organisation de la Gate 0) (page 6) et les actions à mener par elle.
Dans le même sens, la cour relève que dans son courriel du 4 décembre 2019, M. T. se limite à énoncer à Mme C. que, dans le cadre de sa prochaine mission à New York, elle doit travailler en coordination sur les rendez-vous clients avec la représentation française et M. de R. et Mme F., tandis que les rendez-vous en lien avec le dossier Camp protection 'sont à proscrire'.
Or il ne peut se déduire de ces préconisations portant sur les méthodes et le contenu du travail à effectuer à l'ONU une volonté de l'employeur d'empêcher Mme C. d'avoir tout autre contact au sein de cette institution ainsi qu'elle l'oppose dans ses écritures.
Le fait par ailleurs que sa hiérarchie ne valide que tardivement le projet de réponse à destination de GSA le 20 septembre 2019 ne peut venir témoigner d'une mise à l'écart de la salariée qui serait en lien avec ses alertes.
S'agissant de Mme G. (N+2), il ressort de courriels du 6 mai 2019 (pièce 39 ) et du 27 juin 2019 que celle-ci a répondu en des termes circonstanciés aux interrogations de Mme C. relativement aux reproches de sa hiérarchie quant à des difficultés managériales.
Comme l'a relevé le conseil de prud'hommes, la lettre de licenciement décline des griefs portant exclusivement sur le travail de Mme C., l'accent étant mis sur d'importantes difficultés relationnelles au sein de son service et avec les directions commerciales et techniques dont l'examen du caractère réel et sérieux relève du juge du fond.
Dès lors, si le conseil de prud'hommes ne pouvait s'appuyer exclusivement sur les pièces produites par la salariée pour exclure l'existence d'un lien manifeste entre la qualité de lanceur d'alerte et le licenciement de Mme C., la cour, sur la base des éléments objectifs susvisés produits par l'employeur aboutit à la même conclusion.
L'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme C. de ce chef.
- sur la nullité invoquée du licenciement tirée de la dénonciation d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral et les autres demandes
Mme C. rappelle que le licenciement prononcé au motif tiré de la dénonciation de faits de harcèlement moral est nul de plein droit sauf allégation et preuve de la mauvaise foi du salarié dénonciateur laquelle ne peut résulter que de la connaissance par ce dernier de la fausseté des faits de harcèlement moral qu'il dénonce.
Elle ajoute qu'elle a été victime de harcèlement résultant d'atteintes à ses conditions de travail notamment par l'absence de détermination d'objectifs, de restriction de ses fonctions, d'attaques ou d'attitudes agressives, méprisantes et humiliantes, d'intimidations, d'isolement et d'un licenciement représailles du fait des alertes lancées par elle.
Cependant, la cour observe ici qu'il ne ressort pas des pièces en présence que le licenciement a été prononcé au motif de la dénonciation de faits de harcèlement moral, les motifs du licenciement étant concentrés sur des griefs tenant à des difficultés relationnelles de Mme C. avec sa hiérarchie et d'autres services.
Les éléments retenus par la cour pour écarter le lien entre le licenciement et l'alerte opérée par l'intéressée ne permettent pas non plus de retenir au stade du présent référé que ce licenciement constitue un trouble manifestement illicite en rapport avec le harcèlement dont se plaint l'intéressée.
Les demandes du syndicat SPIC UNSA et de la Maison des lanceurs d'alerte seront pour leur part rejetées à défaut, pour la cour, d'avoir retenu une atteinte portée aux droits de Mme C. en sa qualité de lanceur d'alerte.
Il sera statué sur les dépens et frais irrépétibles dans les termes du dispositif.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
ORDONNE la jonction des instances enrôlées sous les n° 21/00016 et 21/00228 du répertoire général ;
REJETTE la fin de non recevoir ;
CONFIRME l'ordonnance entreprise ;
Y ajoutant,
REJETTE les autres demandes ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
DIT n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSE à la charge de chacune des parties les dépens par elle engagés.