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Décisions

CAA Bordeaux, 6e ch., 21 décembre 2023, n° 21BX03638

BORDEAUX

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Markarian

Rapporteur :

Mme Gaillard

Rapporteur Public :

M. Duplan

Avocat :

Me Alibert

CAA Bordeaux n° 21BX03638

20 décembre 2023

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Sous le n° 1901255, par une première requête, M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision par laquelle la chambre d'agriculture de la Vienne a implicitement rejeté sa demande du 27 février 2019, complétée le 7 mars 2019, tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle.

Sous le n° 1901320, par une deuxième requête, M. A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 29 mars 2019 par laquelle la chambre d'agriculture de la Vienne a mis fin au cours de sa période probatoire à son engagement en qualité de directeur général.

Sous le n° 1902568, par une troisième requête, M. A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision par laquelle la chambre d'agriculture de la Vienne a implicitement rejeté sa demande du 26 avril 2019 tendant à reconnaître l'imputabilité au service de son syndrome anxio-dépressif et de condamner la chambre d'agriculture de la Vienne à lui verser la somme globale de 250 090,89 euros, assortie des intérêts au taux légal capitalisés, en réparation des préjudices moral, matériel et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis.

Sous le n° 2002397, par une quatrième requête, M. A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision par laquelle la chambre d'agriculture de la Vienne a implicitement rejeté sa demande du 3 août 2020, tendant ce que soit reconnue l'imputabilité au service de son syndrome anxio-dépressif et d'enjoindre à la chambre d'agriculture de la Vienne de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie.

Sous le n° 2002398, par une cinquième requête, M. A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la chambre d'agriculture de la Vienne à lui verser la somme globale de 250 090, 89 euros, assortie des intérêts au taux légal capitalisés, en réparation des préjudices moral, matériels et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n°s 1901255 - 1901320 - 1902568 - 2002397 - 2002398 du 8 juillet 2021, le tribunal, après avoir joint les cinq requêtes précitées, a, d'une part, rejeté la requête n° 2002397 dans son entièreté et la requête n° 1902568 de M. A... en tant seulement qu'elle comporte des conclusions à fin d'annulation dirigées contre la décision par laquelle la chambre d'agriculture de la Vienne a implicitement rejeté sa demande du 26 avril 2019 tendant à reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie du requérant ainsi que, en tant qu'elles s'y rapportent, les conclusions avant-dire droit et les conclusions à fin d'injonction, comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître. Il a, d'autre part, annulé la décision par laquelle la chambre d'agriculture de la Vienne a implicitement rejeté la demande de protection fonctionnelle les 27 février et 7 mars 2019, en tant que la chambre d'agriculture de la Vienne refuse d'accorder le bénéfice de cette protection au titre des seuls faits du 5 mars 2019 et a annulé la décision du président de la chambre d'agriculture de la Vienne du 29 mars 2019. Il a, enfin enjoint à la chambre d'agriculture de la Vienne d'accorder la protection fonctionnelle à M. A... au titre des seuls faits du 5 mars 2019 et de procéder à la réintégration juridique rétroactive de M. A... en qualité de stagiaire à compter du 1er mai 2019 et de se prononcer sur sa situation administrative pour l'avenir et a rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 8 septembre 2021, 28 septembre 2022 et 29 décembre 2022, M. A..., représenté par Me Alibert demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 8 juillet 2021 précité en tant qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de ses demandes à l'exception de celles regardées par le tribunal comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

2°) d'annuler la décision par laquelle la chambre d'agriculture de la Vienne a implicitement rejeté la demande de protection fonctionnelle les 27 février et 7 mars 2019, en tant qu'elle refuse d'accorder le bénéfice de cette protection au titre des faits postérieurs au 5 mars 2019 et notamment au titre du harcèlement moral ;

3°) d'enjoindre à la chambre d'agriculture de la Vienne de lui accorder la protection fonctionnelle sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir pour les faits de harcèlement moral ;

4°) de condamner la chambre d'agriculture de la Vienne au paiement de 1000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 avril 2019 pour les faits du 5 mars 2019 avec capitalisation annuelle des intérêts à compter du 29 avril 2020 ;

5°) de condamner la chambre d'agriculture de la Vienne à lui verser la somme globale de 250 090, 89 euros, assortie des intérêts au taux légal capitalisés, en réparation des préjudices moral, matériels et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis ;

6°) de mettre à la charge de la chambre d'agriculture de la Vienne une somme de 3500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur l'irrégularité du jugement :

- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré du statut de lanceur d'alerte de M. A... dans le cadre de ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 1er février 2019 portant refus de lui accorder la protection fonctionnelle ;

- le tribunal a entaché son raisonnement d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation.

Sur le bien-fondé du jugement :

- la décision lui refusant la protection fonctionnelle au titre du harcèlement moral qu'il a subi et de son statut de lanceur d'alerte est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation ;

- il a été victime de faits de harcèlement moral suivis de mesures de rétorsion consécutives à son statut de lanceur alerte concernant les dysfonctionnements de la chambre d'agriculture de la Vienne, qui ont consisté dans le non-respect des engagements pris lors de son recrutement et par sa mise à l'écart du service, la tenue de la commission des finances pendant son congés, son obligation de garder le silence, la tenue de propos diffamatoires à son endroit et son licenciement en cours de période probatoire ;

- ces différentes fautes lui ont causé un préjudice moral qu'il évalue à la somme de 10 000 euros, des troubles dans les conditions d'existence évalués à la somme de 10 000 euros, ainsi qu'un préjudice matériel qu'il évalue respectivement à la somme de 16 284 euros au titre de la perte de rémunération immédiate, à celle de 213 655 euros au titre de la perte de revenus futurs et, enfin, à hauteur de 150,89 euros au titre des frais exposés pour le remplacement de deux pneumatiques sur son véhicule de service.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 avril 2022 et le 28 novembre 2022, la chambre d'agriculture de la Vienne, représentée par la SCP Drouineau, Veyrier Le Lain Verger, conclut au rejet de la requête, et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Le Défenseur des droits a présenté des observations, en application de l'article 33 de la loi n° 2011-333 du 29 mars 2011, enregistrées le 27 octobre 2022.

Par ordonnance du 28 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 3 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, notamment son article 33;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;

- le statut du personnel administratif des chambres d'agriculture homologué par arrêté du 20 mars 1972 du secrétaire d'Etat à l'agriculture ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, ont été entendus :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de M. Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Dumont Saint-Priest représentant M. A..., et de Me Porchet, représentant la chambre d'agriculture de la Vienne.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A... a été recruté en qualité de directeur général de la chambre d'agriculture de la Vienne à compter du 17 septembre 2018, par un contrat prévoyant une période probatoire d'un an. Il a été placé en congé de maladie à compter du 19 janvier 2019. Par une décision du 29 mars 2019, le président de la chambre d'agriculture de la Vienne a mis fin à sa période probatoire à compter du 1er mai 2019. M. A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers l'annulation de la décision par laquelle le président de la chambre d'agriculture de la Vienne a implicitement rejeté sa demande du 27 février 2019 de protection fonctionnelle ainsi que la décision du 29 mars 2019 mettant fin à sa période probatoire, l'annulation de la décision rejetant implicitement sa demande du 26 avril 2019 de reconnaissance de l'imputabilité au service de son syndrome anxio-dépressif et la condamnation de la chambre d'agriculture de la Vienne à lui verser la somme globale de 250 090,89 euros en réparation de ses préjudices

2. Par un jugement du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Poitiers, après avoir joint les cinq requêtes a, d'une part, rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision par laquelle la chambre d'agriculture de la Vienne a implicitement rejeté la demande du 26 avril 2019 de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie et les conclusions accessoires à cette demande, comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître. Il a, d'autre part, annulé la décision par laquelle la chambre d'agriculture de la Vienne a implicitement rejeté la demande de protection fonctionnelle les 27 février et 7 mars 2019 pour les faits autres que ceux du 5 mars 2019 et a annulé la décision du président de la chambre d'agriculture de la Vienne du 29 mars 2019 mettant fin à sa période probatoire. Il a, enfin, enjoint à la chambre d'agriculture de la Vienne d'accorder la protection fonctionnelle à M. A... au titre des seuls faits du 5 mars 2019, de procéder à la réintégration juridique rétroactive de M. A... en qualité de stagiaire à compter du 1er mai 2019, de se prononcer sur sa situation administrative pour l'avenir et a rejeté le surplus de ses demandes. M. A... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de ses demandes qu'il réitère en appel à l'exception de celles rejetées par le tribunal comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Sur la régularité du jugement :

3. En premier lieu, M. A... soutient que le tribunal a omis de statuer dans la requête n° 1901255 tendant à l'annulation de la décision portant refus de protection fonctionnelle sur le moyen tiré de ce qu'il aurait le statut de lanceur d'alerte. Toutefois il ne ressort pas des écritures du requérant qui se borne à indiquer dans sa requête qu'il a " scrupuleusement respecté ses obligations de lanceur d'alerte " et qu'il entend " faire siennes les conclusions du Défenseur des droits " qu'il aurait entendu conclure à la reconnaissance par le tribunal du statut de lanceur d'alerte. Par suite, le moyen tiré de l'omission à statuer pour ce motif doit être écarté.

4. En second lieu si M. A... entend soutenir que le tribunal a commis des erreurs de droit et d'appréciation, ces moyens qui relèvent du bien-fondé du jugement ne peuvent l'entacher d'irrégularité.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision portant refus de lui accorder la protection fonctionnelle en tant qu'elle porte sur les faits extérieurs au 5 mars 2019 :

5. M. A... qui a obtenu devant les premiers juges l'annulation de la décision susvisée en tant qu'elle porte sur les faits survenus le 5 mars 2019, persiste à contester en appel cette décision de refus opposé à sa demande de protection fonctionnelle en tant qu'il a été victime de faits constitutifs de harcèlement moral et se prévaut de la qualité de lanceur d'alerte.

En ce qui concerne la qualité de lanceur d'alerte :

6. Aux termes de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique : " Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. " Aux termes de l'article 8 de la même loi : " I. - Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci. En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels. En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public. (...) III. - Des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel (...) sont établies par les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante salariés, les administrations de l'Etat, (...) dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. " Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 16 novembre 2018 relatif à la procédure de recueil des signalements émis par les lanceurs d'alerte au sein du ministère de l'intérieur et du ministère chargé de l'outre-mer : " Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du référent alerte compétent ou du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, ou de l'autorité d'emploi de l'agent. (...) " L'article 6 du même arrêté dispose : " Conformément aux dispositions de l'article 5 du décret du 19 avril 2017 susvisé, l'agent public auteur du signalement doit apporter au soutien de celui-ci les faits, informations ou documents dont il dispose, susceptibles de l'étayer et de le justifier. Il doit également indiquer les circonstances dans lesquelles il a eu personnellement connaissance du ou des faits ainsi que des dommages éventuels. Les signalements anonymes ne sont pas recevables. ".

7. M. A... soutient avoir été un lanceur d'alerte éthique en dénonçant à plusieurs reprises à sa hiérarchie depuis sa prise de fonction en septembre 2018, puis en effectuant un signalement à l'autorité judiciaire le 7 mars 2019, des dysfonctionnements dans l'organisation de la chambre d'agriculture de la Vienne. Selon le requérant, ces dysfonctionnements qui tiennent, selon lui, à une mauvaise gestion financière et économique de la chambre et à des erreurs dans la mise en œuvre de certaines procédures seraient qualifiables de détournements de fonds, de gestion de fait et de manquements aux règles de sécurité et au respect de règles procédurales. Toutefois, M. A... ne produit pas d'éléments suffisamment précis et circonstanciés pour étayer ses allégations et les délits qu'il dénonce et les rendre suffisamment tangibles et il ressort des pièces du dossier que des désaccords profonds survenus avec sa hiérarchie existaient bien avant ce signalement et portaient sur l'opportunité de rendre publics les dysfonctionnements constatés et sur la rémunération et les avantages en nature souhaités par M. A.... Il en est résulté une perte de confiance de sa hiérarchie qui n'a jamais nié ni ses qualités professionnelles ni la réalité des dysfonctionnements constatés. Dans ces conditions, et alors que les alertes signalées seraient " toujours en cours ", M. A... ne peut être regardé comme ayant fait état, de manière désintéressée et de bonne foi, ni d'un crime ou d'un délit, ni d'une menace ou d'un préjudice grave pour l'intérêt général au sens des dispositions de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, qui définit le statut juridique du lanceur d'alerte. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision en litige méconnaîtrait les dispositions précitées en tant qu'elle ne lui reconnait pas le statut de lanceur d'alerte doit être écarté.

En ce qui concerne les faits de harcèlement moral :

8. Aux termes de l'article 1er de la loi du 10 décembre 1952 relative à l'établissement obligatoire d'un statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers : " La situation du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers est déterminée par un statut établi par des commissions paritaires nommées, pour chacune de ces institutions, par le ministre de tutelle ".

9. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " (...) La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ". Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".

10. Les agents des chambres d'agriculture sont régis par les seuls textes pris en application de la loi du 10 décembre 1952 susvisée, à l'exclusion de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Par suite, les dispositions de l'article 11 de cette loi ne s'appliquent pas aux personnels des chambres consulaires. Toutefois, indépendamment de ces dispositions, le fait pour un agent public relevant du statut du personnel administratif des chambres d'agriculture de subir des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel caractérise un comportement de harcèlement moral, de nature à justifier l'octroi de la protection fonctionnelle.

11. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

12. Pour justifier du harcèlement moral dont il s'estime victime, M. A... soutient qu'il a été empêché de rendre publics les graves dysfonctionnements qu'il a décelés dans l'organisation de la chambre, que ses interventions ont été occultées des comptes rendus de réunions, qu'il a été mis à l'écart après avoir porté ces dysfonctionnements à la connaissance du procureur de la République et que sa valeur professionnelle et sa probité ont été publiquement dépréciées par les propos diffamatoires tenus par le président sortant, le 5 mars 2019, invitant le nouveau président de la chambre à le relever de ses fonctions. Il soutient avoir été limogé pendant son arrêt de travail et avoir été contraint de procéder au remplacement, à ses frais, de deux pneumatiques anormalement usés sur son véhicule de fonction.

13. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et notamment d'échanges de mail avec le président de la chambre, que M. A... était en désaccord avec sa hiérarchie sur ses conditions de rémunération et plus précisément concernant les avantages financiers et en nature auxquels il aspirait, et sur le mode de gestion de la chambre, notamment sur les relations avec les agents et la manière de mettre en œuvre les réformes nécessaires. Il en est résulté une perte de confiance de sa hiérarchie, qui n'a jamais nié ni ses qualités professionnelles ni la réalité des dysfonctionnements constatés. Ainsi, alors que M. A... demandait le versement d'un treizième mois, la mise à disposition d'un véhicule de fonction non déduit comme un avantage en nature dans sa rémunération et, enfin, que ses frais professionnels soient intégralement pris en charge sans avance de sa part, le président de la chambre d'agriculture a refusé d'accéder à certaines de ses demandes au nom de l'équité entre les agents et au regard de sa situation probatoire. Par ailleurs la seule circonstance qu'une réunion de la commission des finances se soit tenue pendant son congé ne saurait caractériser sa mise à l'écart du service ni une diminution de ses attributions. Enfin, dès lors que la décision de mettre fin aux fonctions du requérant en application de l'article 38 du statut de la chambre repose sur des désaccords relatifs aux méthodes de management employées et dans la perte de confiance de sa hiérarchie, le non-respect des engagements qui auraient été pris lors de son recrutement ne sauraient caractériser l'existence d'un harcèlement moral. Enfin, les propos tenus par le président sortant de la chambre d'agriculture, le 5 mars 2019, présentent, en tout état de cause, un caractère isolé qui ne peuvent à eux seuls en l'espèce être constitutifs de harcèlement moral.

14. En l'absence de pièces révélant l'existence d'agissements répétés à l'égard du requérant reposant sur des considérations étrangères à l'intérêt du service, les éléments produits par M. A..., ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre. Il s'ensuit que le tribunal a pu à bon droit estimer que le président de la chambre d'agriculture de la Vienne a, sans entacher sa décision ni d'une erreur de droit ni d'une erreur manifeste d'appréciation, rejeté la demande de protection fonctionnelle présentée par M. A... au titre du harcèlement moral dont il aurait été victime.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

15. Ainsi qu'il a été dit. M. A... ne pouvant se prévaloir de la protection prévue par le statut de lanceur d'alerte, les conclusions à fin d'indemnisation présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.

16. Il résulte également de ce qui a été dit que les faits invoqués par M. A... ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre. Par suite, les conclusions à fin d'indemnisation présentées à ce titre doivent être rejetées.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté le surplus de ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la chambre d'agriculture de la Vienne qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. A... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. A... une somme en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la chambre d'agriculture de la Vienne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la chambre d'agriculture de la Vienne. Copies-en sera adressée, pour information, au Défenseur des droits.