CC, 17 mars 2022, n° 2022-838 DC
CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Décision
Loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SENERS
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, le 18 février 2022, par le Premier ministre, sous le n° 2022-838 DC, conformément au cinquième alinéa de l'article 46 et au premier alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la directive 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l'Union ;
- la loi organique n° 2011‑333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits ;
- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 8 mars 2022 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La loi organique soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a été prise sur le fondement de l'article 71-1 de la Constitution. Elle a été adoptée dans le respect des règles de procédure prévues par les trois premiers alinéas de son article 46.
- Sur l'article 1er :
2. Le 1° de l'article 1er de la loi déférée modifie l'article 4 de la loi organique du 29 mars 2011 mentionnée ci-dessus afin d'étendre la compétence du Défenseur des droits à l'égard des personnes signalant une alerte en le chargeant, d'une part, de les informer et de les conseiller et, d'autre part, de défendre leurs droits ainsi que ceux des personnes protégées dans le cadre d'une procédure d'alerte.
3. En premier lieu, en l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel n'est pas compétent pour contrôler la conformité à la Constitution de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive.
4. L'article 20 de la directive du 23 octobre 2019 mentionnée ci-dessus prévoit que les États membres veillent à ce que les personnes signalant certaines violations du droit de l'Union bénéficient d'informations et de conseils sur les procédures et les recours disponibles, d'une assistance effective de la part des autorités compétentes ainsi que d'une assistance juridique dans le cadre des procédures pénales et civiles transfrontières. Il prévoit que ces mesures de soutien peuvent être apportées par un centre d'information ou une autorité administrative indépendante unique et clairement identifiée.
5. Ainsi, cet article est relatif aux mesures de soutien apportées aux seules personnes qui signalent des violations du droit de l'Union et ne détermine pas l'autorité compétente pour mettre en œuvre ces mesures.
6. Dès lors, le Conseil constitutionnel est compétent pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 1er de la loi organique en ce qu'elles chargent le Défenseur des droits d'informer et de conseiller les personnes signalant toute alerte ainsi que de défendre leurs droits et ceux des personnes protégées dans le cadre d'une procédure d'alerte.
7. En second lieu, les dispositions de l'article 71-1 de la Constitution permettent au Défenseur des droits d'aider toute personne s'estimant victime d'une discrimination à identifier les procédures adaptées à son cas. Il était donc loisible au législateur organique, qui a estimé que les lanceurs d'alerte et les personnes protégées dans le cadre d'une procédure d'alerte courent le risque d'être discriminés par l'organisme faisant l'objet du signalement, de charger le Défenseur des droits d'informer et de conseiller les personnes ayant signalé une alerte ainsi que de défendre leurs droits et ceux des personnes protégées dans le cadre d'une procédure d'alerte.
8. Les dispositions du 1° de l'article 1er de la loi organique sont conformes à la Constitution. Il en est de même des autres dispositions de cet article 1er.
- Sur l'article 2 :
9. L'article 2 complète le paragraphe I de l'article 11 de la loi organique du 29 mars 2011 afin de prévoir qu'un adjoint chargé de l'accompagnement des lanceurs d'alerte est placé auprès du Défenseur des droits.
10. Cet adjoint, nommé sur proposition du Défenseur des droits et placé sous son autorité, peut recevoir certaines délégations dans son domaine de compétence. Ces délégations n'ont pas pour effet de dessaisir le Défenseur des droits de ses attributions.
11. En vertu du deuxième alinéa du paragraphe I de l'article 11, le Premier ministre nomme les adjoints du Défenseur des droits sur proposition de ce dernier. Ces dispositions assurent l'indépendance du Défenseur des droits. Cette indépendance implique que le Premier ministre mette fin aux fonctions de l'adjoint chargé de l'accompagnement des lanceurs d'alerte également sur la proposition du Défenseur des droits.
12. Sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, l'article 2 est conforme à la Constitution.
- Sur l'article 3 :
13. L'article 3 de la loi déférée insère au sein de la loi organique du 29 mars 2011 un article 35-1 qui prévoit notamment que le Défenseur des droits peut être saisi par toute personne pour rendre un avis sur sa qualité de lanceur d'alerte au regard des conditions fixées aux articles 6 et 8 de la loi du 9 décembre 2016 mentionnée ci-dessus.
14. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au paragraphe 7, le législateur organique a pu donner mission au Défenseur des droits pour exercer cette compétence.
15. En second lieu, les dispositions de l'article 3 n'ont ni pour objet ni pour effet de limiter le pouvoir reconnu aux juridictions pour apprécier la qualité de lanceur d'alerte ni de priver une personne du droit de former un recours contre l'avis du Défenseur des droits dans le cas où il aurait des effets notables ou une influence significative sur sa situation.
16. L'article 3 de la loi organique est conforme à la Constitution.
17. Les autres dispositions de la loi organique sont conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 11, l'article 2 de la loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte déférée est conforme à la Constitution.
Article 2. - Les autres dispositions de la loi organique déférée sont conformes à la Constitution.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.