CA Colmar, 1re ch. A, 3 avril 2024, n° 22/01026
COLMAR
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Saert (SAS)
Défendeur :
Réparation d'Ouvrage et de Construction Alsace (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roublot
Conseillers :
Mme Dayre, Mme Rhode
Avocats :
Me Brunner, Me Mall, Me Renaud, Me Infantes
Vu l'assignation délivrée le 23 décembre 2019, par laquelle la SAS SAERT a fait citer la SAS Réparation d'Ouvrage et de Construction Alsace (ROCA) et M. [X] [N] devant le tribunal de grande instance, devenu le 1er janvier 2020, par application de l'article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et de ses décrets d'application n° 2019-965 et 2019-966 du 18 septembre 2019, le tribunal judiciaire de Strasbourg,
Vu le jugement rendu le 10 mars 2022, auquel il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par lequel le tribunal judiciaire de Strasbourg a statué comme suit :
REJETTE les demandes formulées par la SAS SAERT contre la SA REPARATION D'OUVRAGE ET DE CONSTRUCTION ALSACE (ROCA) et Monsieur [X] [N],
CONDAMNE la SAS SAERT à payer à la SA REPARATION D'OUVRAGE ET DE CONSTRUCTION ALSACE (ROCA) et Monsieur [X] [N] la somme de 12.000 € (douze mille Euros) au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
CONDAMNE la SAS SAERT aux entiers frais et dépens de l'instance, ainsi qu'aux droits proportionnels de recouvrement et d'encaissement prévus aux articles 1240 du Code Civil et A. 444-31 et A. 444-32 de l'arrêté du 26 février 2016 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice,
DECLARE la présente décision exécutoire par provision.
Vu la déclaration d'appel formée par la SAS SAERT contre ce jugement et déposée le 12 mars 2022,
Vu la constitution d'intimés de la SAS Réparation d'Ouvrage et de Construction Alsace et M. [X] [N] en date du 23 mars 2022,
Vu les dernières conclusions en date du 21 avril 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SAS SAERT demande à la cour :
Vu les articles 1240 et suivants du Code civil,
Vu les articles L. 151-1 et suivants et R. 152-1 et suivants du Code de commerce,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
ENJOINDRE ROCA de produire un extrait fidèle de son registre unique du personnel, faisant état des entrées et des sorties sur la période courant du mois d'avril 2017 au mois d'avril 2023,
DECLARER l'appel recevable,
DECLARER l'appel bien fondé,
INFIRMER le Jugement entrepris dans son intégralité,
Et statuant à nouveau,
DECLARER la SAS ROCA et Monsieur [X] [N] auteurs d'actes de concurrence déloyale, d'agissements parasitaires et de violation du secret des affaires,
CONDAMNER in solidum la SAS ROCA et Monsieur [X] [N] à payer à la SAS SAERT la somme de 1 087 693 euros sauf à parfaire, en réparation du préjudice subi,
ORDONNER la publication de la décision à intervenir aux frais des Intimés, in solidum, dans au moins 3 journaux ou publications au choix de l'Appelante, le coût de chaque insertion ne pouvant dépasser 5.000 € hors taxes,
DEBOUTER la SAS ROCA et Monsieur [X] [N] de leur demande formée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
En tout état de cause,
CONDAMNER in solidum la SAS ROCA et Monsieur [X] [N] à payer à la SAS SAERT la somme de 20 000 € par application de l'article 700 du CPC au titre des procédures de 1ère instance et d'appel,
CONDAMNER in solidum la SAS ROCA et Monsieur [X] [N] aux entiers frais et dépens de 1ère instance et d'appel et à l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement, par application combinée des articles 1240 du Code civil et A. 444-31 et A. 444-32 de l'Arrêté du 26 février 2016 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice'
Et ce, en invoquant, notamment :
- des faits de concurrence déloyale et de parasitisme, par débauchage fautif, constitutif d'une concurrence déloyale, ainsi que par l'appropriation, sans autorisation, de documents et de fichiers, constitutive à la fois d'un acte de parasitisme, par l'appropriation de façon injustifiée de la valeur économique d'autrui, peu important l'utilisation des documents litigieux, et d'une concurrence déloyale, lui permettant d'obtenir un avantage concurrentiel considérable et de réaliser un détournement de clientèle, en soumissionnant, pour certains avec succès, sur les mêmes marchés que la concluante, cette appropriation constituant également une violation du secret des affaires,
- un préjudice, résultant du débauchage et de la désorganisation de la société, avec la nécessité de réembaucher et former du personnel, du montant des investissements détournés, et de la perte de clientèle et des marchés détournés, qu'elle détaille,
- une publication de l'arrêt, participant à la fonction réparatrice de l'action destinée à sanctionner des actes de concurrence déloyale, des agissements parasitaires et la violation du secret des affaires.
Vu les dernières conclusions en date du 15 mars 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SAS Réparation d'Ouvrage et de Construction Alsace et M. [X] [N] demandent à la cour de :
DECLARER l'appel de la SAS SAERT mal fondé et DEBOUTER la SAERT de ses entiers fins, moyens et conclusions ;
CONFIRMER le jugement rendu en date du 10 mars 2022 sous RG 20/00519 par le Tribunal Judiciaire de STRASBOURG en toutes ses dispositions, en ce qu'il a :
- rejeté les demandes formulées par la SAS SAERT contre la société ROCA et Monsieur [X] [N] ;
- condamné la SAS SAERT à payer à la société ROCA et à Monsieur [X] [N] la somme de 12.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- condamné la SAS SAERT aux entiers frais et dépens de l'instance, ainsi qu'aux droits proportionnels de recouvrement et d'encaissement prévus aux articles 1240 du Code Civil et A. 444-31 et A. 444-32 de l'arrêté du 26 février 2016 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice ;
Y ajoutant sur demande reconventionnelle :
CONDAMNER la SAS SAERT aux entiers frais et dépens d'appel, y compris les frais d'huissier d'exécution de l'arrêt à intervenir, en sus à payer à la société ROCA et Monsieur [X] [N] la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
et ce, en invoquant, notamment :
- l'absence de preuve de manœuvres à l'origine d'un débauchage massif, au vu des éléments produits, de l'absence de départ massif et de concomitance des démissions, qui ne concerneraient pas des postes stratégiques, et auraient été aisément remplacés, aucune désorganisation n'étant établie en lien avec la perte de résultats adverse,
- l'absence de détournement de documents et de fichiers confidentiels, dont ni l'appropriation frauduleuse, ni l'utilisation pour conquérir de la clientèle ne seraient démontrées,
- l'absence, en conséquence, de parasitisme et de violation du secret des affaires,
- l'absence de preuve d'un préjudice, dont le chiffrage est par ailleurs contesté, ni lié à une perte de marché qui ne serait pas démontrée, pas davantage que le lien de causalité avec les fautes dénoncées, ni lié à un débauchage qui est réfuté, ni lié à l'appropriation du savoir-faire et des investissements, concernant une certification ISO qui n'aurait jamais été sollicitée par la partie adverse.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 3 mai 2023,
Vu le renvoi de l'affaire lors des audiences du 7 juin 2023 et du 10 janvier 2024,
Vu les débats à l'audience du 24 janvier 2024,
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS :
Aux termes des articles 1240 et 1241 du Code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; et chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Constitue une faute, notamment la commission d'actes de concurrence déloyale qui peuvent se matérialiser par le dénigrement, la confusion, la désorganisation ou le parasitisme économique.
En l'espèce, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, la société SAERT, qui expose avoir pour activité les travaux d'équipements routiers, de signalisation, de génie civil et de gros œuvres, fait, en substance, grief à l'un de ses anciens salariés, M. [X] [N], et à la SAS Réparation d'Ouvrage et de Construction Alsace (ROCA), qu'il a créée, d'agissements déloyaux commis à son encontre, et plus particulièrement d'un débauchage massif de salariés par la société ROCA, ainsi que l'usage de documents détournés à son préjudice, constitutif à la fois de parasitisme et de concurrence déloyale, ainsi que d'une violation du secret des affaires.
Sur le débauchage massif de salariés :
Constitue un acte de concurrence déloyale, le débauchage massif du personnel d'un concurrent, qui a pour effet d'entraîner sa désorganisation.
Ainsi, un tel débauchage est contraire aux usages loyaux du commerce, quand bien même les salariés en cause seraient déliés de leur engagement de non-concurrence (Com., 13 avril 2023, pourvoi n° 22-12.808)
Pour autant, en application des principes de liberté du travail et de liberté d'entreprendre, en l'absence d'une clause de non-concurrence, la simple embauche, dans des conditions régulières, des salariés d'une entreprise concurrente, n'est pas en elle-même fautive (Com., 28 septembre 2022, pourvoi n° 21-15.892).
Le recrutement, même massif et dans un temps rapproché, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente, ne caractérise pas davantage à lui seul un comportement déloyal, particulièrement s'il s'agit de départs volontaires et non provoqués (Com., 21 mars 2018, pourvoi n° 16-17.660). En revanche, le débauchage peut être déloyal s'il relève d'une démarche de débauchage massif, portant sur des effectifs importants par rapport à l'ensemble de l'effectif du service considéré, ou un personnel disposant d'une qualification particulière (Com., 23 juin 2021, pourvoi n° 19-21.911).
Il n'y a pas concurrence déloyale s'il apparaît que la cause des départs massifs de salariés, s'explique par un mauvais fonctionnement de la société qu'ils ont quittée (Com., 9 février 1999, pourvoi n° 96-15.834, Bull. 1999, IV, n° 42, p. 34).
Par ailleurs, pour être constitutif de concurrence déloyale, le débauchage fautif doit en outre produire un effet de désorganisation de l'entreprise, non une simple perturbation (Com., 11 janvier 2017, pourvoi n° 15-20.808).
En l'espèce, s'il n'est pas contesté que huit salariés, tous démissionnaires de la société SAERT, ce qui, à soi seul, ne présume en rien de leur caractère provoqué, ont ensuite rejoint la société ROCA, créée par M. [N], lui-même ancien salarié de la société appelante, dont il a été licencié, avant que ce licenciement ne soit jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse, selon arrêt de cette cour en date du 11 mars 2021, il convient de relever, comme l'a fait observer le premier juge, que ces départs ont été échelonnés dans le temps, puisque le dernier d'entre eux a eu lieu plus de quinze mois après le premier, et aucun de ces départs n'ayant été simultané, les trois premiers ayant été antérieurs ou concomitants à la création, en avril 2017, de la société ROCA par M. [N], tandis qu'un autre a eu lieu six mois après, et les quatre derniers plus ou moins un an après.
Au demeurant, rien n'empêchait, en soi, la société ROCA de recruter d'anciens salariés de la société SAERT, avec laquelle ils n'étaient liés par aucune clause de non-concurrence, pas plus que ne l'était, d'ailleurs, M. [N] lui-même, en dépit des fonctions de chef de secteur qu'il avait occupées pendant près de quatorze ans au sein de cette société.
Au-delà de cet échelonnement sur plus de seize mois, il convient de rapporter ces départs, qui concernent huit salariés, à l'effectif de la société SAERT, tel qu'il résulte des éléments, fussent-ils critiqués par la partie adverse, produites par l'appelante, et qui font état
de plus de quarante salariés, si l'on inclut les salariés démissionnaires, de sorte que si ces démissions n'ont pas une incidence numériquement négligeable, il n'en ressort pas pour autant, et d'autant plus en tenant compte de cet échelonnement, de caractère massif en soi.
En outre, ainsi que l'a relevé le premier juge, ce qui reste vrai en l'état des pièces produites à hauteur de cour, l'ensemble des salariés démissionnaires a été remplacé, parfois en peu de temps, notamment en une semaine pour l'assistante de direction/gestion Mme [T], outre un poste, qui a été pourvu sans délai, en tout cas mentionné, par promotion interne, parfois en plus de temps, s'agissant en particulier des chefs d'équipe, étant cependant relevé, pour l'un d'entre eux, que le temps écoulé avant son remplacement couvre le mois d'août, qui est généralement une période de congés dans les entreprises, les délais n'ayant, en tout cas, guère excédé trois mois, à l'exception de M. [Y], remplacé plus d'un an après, mais sur un poste d'ouvrier, et plus précisément de maçon-coffreur, même s'il a suivi une formation de chef d'équipe, ce qui ne correspondait toutefois pas à l'emploi qu'il occupait à ce moment-là dans la société.
La société SAERT entend souligner l'ancienneté, et donc l'expérience, des salariés concernés, ainsi que l'importance des tâches qu'ils exerçaient. Ainsi, concernant Mme [T], l'appelante s'inscrit en faux avec l'attestation adverse évoquant un simple emploi de secrétaire, se référant, cependant, à ce titre, à une pièce démontrant que ses fonctions ont été redistribuées sans délai au sein de la société. De même, si la société SAERT entend insister sur l'importance des fonctions de chiffreur de M. [L] [P], celui-ci a été remplacé moins de trois semaines après son départ des effectifs, peu important, par ailleurs, que la société SAERT ait choisi d'abréger son préavis, rendant son départ effectif encore antérieurement.
Plus généralement, même en regroupant les départs en 'vagues', comme le fait la société SAERT, celles-ci ayant néanmoins été relativement progressives tout de même, aucune désorganisation de l'entreprise n'apparaît caractérisée, celle-ci ne démontrant pas avoir été confrontée, pour reprendre l'expression employée par le juge de première instance à 'un départ massif et simultané de ces personnels qui aurait exigé d'elle la nécessité de remplacer immédiatement un grand nombre de salariés'. Du reste, si la société SAERT fait état, en se référant à des articles de la presse spécialisée, à des problématiques récurrentes de main d'œuvre dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), elle ne démontre pas plus que lors de la première instance, avoir été dans l'impossibilité de pallier aux départs des salariés, en cause. Ainsi, au-delà du fait que la société SAERT fait elle-même la preuve de leur remplacement, elle ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité de recourir à des intérimaires, pratique courante dans le BTP, qui est par ailleurs fortement concurrentiel, ce qui peut profiter soit aux entreprises, soit aux salariés, ce contexte de pénurie leur permettant, comme l'a d'ailleurs rappelé le premier juge, de faire justement jouer la concurrence à leur profit et donc quitter un poste, même après de nombreuses années de présence, pour un poste mieux rémunéré, ou, par ailleurs, leur offrant des conditions de travail plus favorables à leurs attentes.
À ce titre d'ailleurs, les attestations produites par plusieurs des salariés concernés permettent de s'assurer des motivations personnelles, au demeurant variées, qu'ils font valoir pour expliquer leur départ de la société SAERT, que celles-ci répondent à des souhaits d'évolution de carrière, parfois contrariée, ou à la volonté de changer de conditions de travail, parfois critiquées, ou de mode d'exercice de leur emploi, ou enfin, à des considérations d'ordre géographique. Il importe peu, dans ces conditions, que la société SAERT conteste toute dégradation des conditions de travail dans l'entreprise et entende souligner les efforts qu'elle aurait faits pour la gestion de ses ressources humaines, notamment par le recours à un consultant ayant animé des 'groupes de travail sur le management et la communication' ou procédé à des tests de compétence.
Au vu de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il ne soit nécessaire de faire droit à la demande de communication de pièces faite par la société SAERT, le fait que certains salariés embauchés par la société API aient pu, en réalité, œuvrer pour le compte de la société ROCA, étant sans incidence sur les conclusions auquel il a été parvenu, la cour confirmera le jugement entrepris en ce qu'il a écarté le moyen tiré d'un débauchage massif.
Sur le détournement de documents et de fichiers confidentiels, le parasitisme et la violation du secret des affaires :
La détention ou l'appropriation d'informations confidentielles appartenant à une société concurrente, apportées par un ancien salarié, ne serait-il pas tenu par une clause de non-concurrence, constitue un acte de concurrence déloyale (Com., 7 septembre 2022, pourvoi n° 21-13.505 ; Com., 17 mai 2023, pourvoi n° 22-16.031, publié), la société demanderesse devant cependant, en application des articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, apporter la preuve de la détention ou de l'appropriation des informations par la société concurrente.
En outre, en vertu de l'article L. 151-1 du code de commerce, est protégée au titre du secret des affaires, toute information répondant aux critères suivants :
1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ;
2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.
L'article L. 151-4 dispose, lui, que :
L'obtention d'un secret des affaires est illicite lorsqu'elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime et qu'elle résulte :
1° D'un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d'une appropriation ou d'une copie non autorisée de ces éléments ;
2° De tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale.
Par ailleurs, le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (voir, notamment, Com., 12 juin 2012, pourvoi n° 11-19.373 ; Com., 13 avril 2023, n° 21-23.524).
L'action en parasitisme implique l'existence d'une faute commise par une personne au préjudice d'une autre, peu important le statut juridique ou l'activité des parties, ou encore la finalité de ces agissements (Com., 16 février 2022, pourvoi n° 20-13.542, publié).
À la différence de la concurrence déloyale, qui ne saurait résulter d'un faisceau de présomptions, le parasitisme résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité (arrêt précité du 12 juin 2012).
En l'espèce, il ressort du procès-verbal de constat effectué en date du 23 mai 2019 par Me [Z], huissier de justice, sur autorisation donnée par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Strasbourg en date du 5 février 2019, que suite aux recherches informatiques effectuées sur le poste informatique de M. [N] par un informaticien, sous son contrôle, sont retrouvés dix-huit fichiers semblables à ceux visés par l'ordonnance, et
dont M. [N] a précisé spontanément être l'auteur, ainsi que M. [P], alors que tous deux étaient salariés de la société SAERT. Ces fichiers ont été extraits par l'expert informatique et reproduits dans un fichier, puis annexés au constat.
D'ailleurs, les intimés reconnaissent eux-mêmes dans leurs écritures, fût-ce pour contester leur utilisation ultérieure par M. [N] ou la société ROCA, que « les 18 documents retrouvés sur l'ordinateur de ROCA [provenaient] effectivement de la SAERT ».
Il en résulte donc, comme l'a retenu à bon droit le premier juge, que M. [N] - et partant, comme il l'admet, la société ROCA - était en possession indue de fichiers appartenant à la société SAERT, qu'il aurait dû restituer, ou détruire, au moment de son départ de cette société.
En application des dispositions et conformément à la jurisprudence qui précèdent, l'appropriation de ces fichiers appartenant à la société SAERT et qui ont bien été apportés par d'anciens salariés, qui en sont, certes, les auteurs, mais pour le compte de la société SAERT, dont ils étaient les salariés au moment où ces fichiers ont été créés, constitue bien un acte de concurrence déloyale, de nature à causer préjudice à la société SAERT, peu important que ces documents soient, par ailleurs - comme l'affirme, sans entrer dans le détail, l'appelante - couverts par le secret des affaires, aucune atteinte distincte n'étant caractérisée, à ce titre, par la société SAERT.
Cela étant, la seule détention de ces documents n'apparaît pas de nature à caractériser, en elle-même, l'existence d'agissements parasitaires, supposant, comme il a été rappelé, que soit démontré qu'il a été tiré indûment profit du savoir-faire ou des investissements réalisés.
À ce titre, si la société ROCA a obtenu l'attribution d'un certain nombre de marchés publics, pour lesquels concourait également la société SAERT, notamment grâce à un positionnement de prix inférieur à sa concurrente, rien ne démontre que cela résulte de l'utilisation préjudiciable des documents précités, étant, au demeurant, précisé, que la société SAERT a remporté certains marchés au préjudice de la société ROCA, s'agissant notamment de deux des trois lots attribués par le Conseil Départemental du Bas-Rhin, le troisième revenant à la société ROCA. Il convient, en outre, de rappeler que la société ROCA comportait dans son effectif, outre M. [N], des salariés dont la société SAERT a souligné elle-même la compétence et l'expérience - peu important que cette dernière ait été acquise au sein de la société SAERT, comme cela a été relevé précédemment - ce qui pouvait la mettre à même à remporter des marchés. En effet, comme cela a été rappelé par le premier juge, de par la nature des marchés publics obtenus par ce type d'entreprise, il est aisé de connaître les prix pratiqués en compulsant par exemple les synthèses des commissions des marchés publics, et donc de connaître le positionnement des concurrents directs, sans qu'il ne soit nécessaire d'accéder à la documentation interne des sociétés concurrentes.
S'il est, par ailleurs, fait grief à la société ROCA d'avoir indûment obtenu des certifications ISO, ce qui aurait été susceptible de la placer en position favorable pour l'obtention de marchés, il convient de constater, à l'instar du juge de première instance, qu'à aucun moment, dans les pièces de présentation de la société ROCA, il n'apparaît que cette dernière s'est présentée comme étant certifiée ISO, l'utilité de cette certification dans les circonstances de l'espèce restant, d'ailleurs, à démontrer.
Enfin, la cour ne peut que constater, à l'instar du tribunal, que les documents incriminés n'ont fait l'objet d'aucune modification ultérieure au départ de M. [N] de la société SAERT. Si cette dernière soutient qu'il est possible techniquement de procéder à une copie, sans modification préalable du fichier, cette seule possibilité technique, même à l'admettre, ne suffit pas à démontrer l'utilisation qui aurait été faite des documents litigieux, aucune trace de copie ou d'exploitation de ces fichiers n'est caractérisée. Les échanges, au
demeurant limités, entre M. [N] et un autre ancien salarié de la société SAERT, M. [B], qui n'a pas rejoint la société ROCA, s'ils évoquent la remise de documents et d'une clé USB, ne permettent en rien de déterminer les documents dont il s'agit, ni de préjuger, encore moins d'établir, l'usage qui en aurait été fait.
En conséquence de ce qui précède, la cour retiendra donc, en infirmant le jugement entrepris sur ce point, des faits de concurrence déloyale commis par la société ROCA et M. [N], du fait de la détention de fichiers appartenant à la société SAERT, sans pour autant retenir le surplus des griefs invoqués à ce titre par la partie appelante.
Au regard des éléments dont dispose la cour, notamment quant à la nature des documents en question, s'agissant essentiellement de pièces techniques, de devis, d'évaluations, d'une notice hygiène et sécurité qui est bien mentionnée dans le procès-verbal de l'huissier, mais en tenant compte de l'absence d'incidence en termes de norme ISO, comme retenu ci-avant, il convient de condamner la société ROCA et M. [N], in solidum, au paiement à la société SAERT d'une somme de 15 000 euros.
Le préjudice subi par la société SAERT apparaît ainsi suffisamment réparé, sans qu'il n'y ait lieu pour le surplus d'ordonner la publication du présent arrêt.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Chaque partie succombant partiellement, supportera la moitié des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question, y compris s'agissant des frais liés au constat d'huissier.
L'équité commande en outre de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de l'une ou l'autre partie à l'instance d'appel, et en infirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Déboute la SAS SAERT de sa demande tendant à voir enjoindre la SAS Réparation d'Ouvrage et de Construction Alsace de produire un extrait fidèle de son registre unique du personnel, faisant état des entrées et des sorties sur la période courant du mois d'avril 2017 au mois d'avril 2023,
Infirme le jugement rendu le 10 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Strasbourg, en ce qu'il a :
- rejeté les demandes formulées par la SAS SAERT contre la SAS Réparation d'Ouvrage et de Construction Alsace (ROCA) et M. [X] [N],
- condamné la SAS SAERT à payer à la SAS Réparation d'Ouvrage et de Construction Alsace (ROCA) et M. [X] [N] la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Confirme le jugement entrepris pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs de demande infirmés et y ajoutant,
Condamne in solidum la SAS Réparation d'Ouvrage et de Construction Alsace et M. [X] [N] à payer à la société SAERT la somme de 15 000 euros,
Déboute la société SAERT de sa demande de publication de l'arrêt,
Condamne la SAS SAERT, d'une part, la SAS Réparation d'Ouvrage et de Construction Alsace et M. [X] [N], in solidum, d'autre part, à supporter chacun la moitié des dépens de l'appel,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice tant de la SAS SAERT, que de la SAS Réparation d'Ouvrage et de Construction Alsace et de M. [X] [N].