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Décisions

CA Fort-de-France, ch. civ., 19 mars 2024, n° 23/00062

FORT-DE-FRANCE

Arrêt

Autre

CA Fort-de-France n° 23/00062

19 mars 2024

ARRET N°

N° RG 23/00062

N°Portalis DBWA-V-B7H-CLT2

M. [H] [I]

Mme [S] [E] épouse [I]

SAS SAVEUR AND CO

C/

S.A. BRED BANQUE POPULAIRE

COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE

CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 19 MARS 2024

Décision déférée à la cour : Jugement du Tribunal Mixte de Commerce de Fort de France, en date du 19 Décembre 2022, enregistré sous le n° 2021/2291 ;

APPELANTS :

Monsieur [H] [I]

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représenté par Me Raphaël CONSTANT, avocat au barreau de MARTINIQUE

Madame [S] [E] épouse [I]

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentée par Me Raphaël CONSTANT, avocat au barreau de MARTINIQUE

SAS SAVEUR AND CO

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Raphaël CONSTANT, avocat au barreau de MARTINIQUE

INTIMEE :

S.A. BRED BANQUE POPULAIRE

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Corinne BOULOGNE-YANG-TING de la SASU BOULOGNE YANG-TING AVOCAT, avocat au barreau de MARTINIQUE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Février 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry PLUMENAIL, Conseiller, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour, composée de :

Présidente : Mme Christine PARIS, Présidente de Chambre

Assesseur : M. Thierry PLUMENAIL, Conseiller

Assesseur : Mme Claire DONNIZAUX, Conseiller

Greffière, lors des débats : Mme Micheline MAGLOIRE,

Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l'arrêt fixée au 19 Mars 2024 ;

ARRÊT : contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Le 1er juin 2017, la SAS SAVEUR AND CO, immatriculée au RCS de Fort-de-France sous le n° 828700211 et qui est spécialisée dans l'agroalimentaire et la transformation alimentaire, a souscrit auprès de la BRED Banque Populaire, dans les livres de laquelle elle est titulaire d'un compte bancaire n° 635043663 depuis le 27 mars 2017, un prêt n° 06453291 pour les besoins de son exploitation, d'un montant de 30.000 euros au taux d'intérêt de 4,28 % l'an hors assurance, soit un taux effectif global annuel de 6,27 %, remboursable en 60 mensualités de 566,04 euros chacune, assurance incluse.

Le 11 juillet 2018, aux termes d'un courriel reçu du service gestionnaire du Fonds Social Européen (FSE) portant sur l'attribution d'une subvention de 207.789,73 euros par ce Fonds à la société SAVEUR AND CO, versée sur présentation de factures, celle-ci s'engageait en contrepartie à assurer une formation d'une durée de deux mois dispensée aux jeunes de moins de 25 ans en situation précaire.

Monsieur [I], Madame [E] et la société SAVEUR AND CO exposent que la BRED Banque Populaire a autorisé parallèlement une opération de cession DAILLY au profit de la société SAVEUR AND CO, consentant à ce titre un découvert de 199.468,80 euros à cette société à titre d'avance sur les sommes attendues du Fonds Social Européen.

Le 20 avril 2018, Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] se sont portés, chacun, caution solidaire des engagements de la SAS SAVEUR AND CO à hauteur de 199.468,80 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard, pour une durée de 36 mois et se sont engagés à rembourser au prêteur les sommes dues sur leurs revenus et sur leurs biens si la société SAVEUR AND CO n'y satisfait pas elle-même.

Par divers courriers, la banque a sollicité en vain un règlement amiable des sommes dues par la société SAVEUR AND CO au titre du solde débiteur du compte courant, puis a adressé le 18 janvier 2021 une mise en demeure restée infructueuse respectivement à la société débitrice, à Monsieur [H] [I] et à Madame [S] [E].

Suivant exploit d'huissier de justice en date du 26 avril 2021, la BRED Banque Populaire a assigné la SAS SAVEUR AND CO, Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] devant le tribunal judiciaire de Fort-de-France, aux fins de voir :

'- Condamner solidairement la societe SAVEUR AND CO, Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] à payer à la societe BRED les sommes suivantes :

- 225.990,48 euros au titre du solde débiteur du compte courant n°635.04.3663 sous réserve des intérêts au taux de 14.56% l'an à compter du 18 mars 2021 et jusqu'à parfait paiement, mais dire que la condamnation de Madame [S] [E] et Monsieur [H] [I] sera limitée à la somme de199.468, 80 euros,

- 20.326,10 euros au titre du prêt 06453291 sous réserve des intérêts au taux de 4,28 % l'an à compter du 18 mars 2021 et jusqu'à parfait paiement et limiter la condamnation des cautions à la somme de 19.210,72 euros ;

- Ordonner l'exécution provisoire;

- Condamner solidairement la société SAVEUR AND CO, Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] a lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.'

Par jugement rendu le 19 décembre 2022, le tribunal mixte de commerce de Fort-de-France a statué comme suit :

'CONSTATE que l'assignation signifiée le 26 avril 2021 est valide ;

CONSTATE que Mme [E] et M. [I] se sont valablement engagés en qualité de cautions solidaires en garantie du paiement d'un découvert autorisé d'un montant de 199.468,80 euros accordé à la SAS SAVEUR AND CO, outre d'un prêt de 30.000 euros contracté par cette même société ;

DIT que le cautionnement de M. [H] [I] et Mme [S] [E], au jour de sa signature, n'était pas manifestement disproportionné à leurs revenus et à leur patrimoine, permettant en cela de satisfaire à leur obligation solidaire de caution ;

CONDAMNE solidairement la société SAVEUR AND CO, Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] à payer à la SA BRED BANQUE POPULAIRE les sommes suivantes :

- 177.893,21 euros au titre du solde debiteur du compte courant n°635.04.3663 avec intérêts au taux de 1,68 % l'an à compter du 18 mars 2021 avec limitation à la somme de 199.468,80 euros en ce qui concerne chacune des cautions ;

- 20.326,10 euros au titre du prêt n° 06453291 avec intérêts au taux de 4,28 % l'an à compter du 18 mars 2021 avec une limitation à la somme de 19.210,72 euros en ce qui concerne chacune des cautions ;

- 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit ;

LAISSE les dépens de l'instance à la charge solidaire de la SAS SAVEUR AND CO, M. [H] [I]et Mme [S] [E] en ce compris les frais de greffe d'un montant de 99,18 euros.'

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 07 février 2023, Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] ont critiqué tous les chefs de jugement.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 07 février 2023, la SAS SAVEUR AND CO a critiqué les chefs du jugement rendu le 19 décembre 2022 en ce qu'il a :

- condamné solidairement la société SAVEUR AND CO, Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] à payer à la SA BRED BANQUE POPULAIRE les sommes suivantes :

- 177.893,21 euros au titre du solde debiteur du compte courant n°635.04.3663 avec intérêts au taux de 1,68 % l'an à compter du 18 mars 2021 avec limitation à la somme de 199.468,80 euros en ce qui concerne chacune des cautions ;

- 20.326,10 euros au titre du prêt n° 06453291 avec intérêts au taux de 4,28 % l'an à compter du 18 mars 2021 avec une limitation à la somme de 19.210,72 euros en ce qui concerne chacune des cautions ;

- 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Une jonction des affaires RG n° 23-00062 et RG n° 23-00069 a été ordonnée le 31 octobre 2023, l'affaire se pousuivant sous le RG n° 23-00062.

Dans des conclusions en réplique en date du 04 décembre 2023, la SAS SAVEUR AND CO, Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] demandent à la cour d'appel de :

'INFIRMER le Jugement du Tribunal Mixte de Commerce du 19 decembre 2022 ;

In limine litis

- JUGER que la BRED n'a pas agi par son > et JUGER le défaut de pouvoir de la

- DECLARER l'assignation nulle au visa de l'article 117 du code de procédure civile ;

Au fond

Pour la société SAVEUR AND CO ;

Prononcer l'annulation de la déchéance du terme du solde débiteur du compte courant n°635.04.3663 ainsi que du prêt n° 06453291 ;

Dire que Ia BRED a commis une faute en accordant une autorisation de crédit de 199.468,80 euros sans mise en garde de la particularité du prêt et de la durée du remboursement ;

Déduire de la dette l'ensemble des intérêts débiteurs cumulés sur le compte de la société ;

Déduire de la dette la totalité des sommes perçues par la BRED dont le dernier de 62.240 euros ;

Reporter la dette compte tenu de la bonne foi de SAVEUR AND CO ou échelonner la dette réellement due sur deux années ;

Condamner la BRED à payer à SAVEUR AND CO la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du CPC.

Pour Mme [E] et M. [I]

- CONSTATER que Mme [E] et Mr [I] ne se sont pas portés caution pour le Prêt Equipement de 30.000 euros ;

- JUGER IRRECEVABLE Ia demande de Ia BRED de condamnation au paiement du solde du prêt ;

- CONSTATER LA DISPROPORTION entre le montant de l'engagement garanti, 199.468,80 euros et le patrimoine et les revenus de Mme [E] et Mr [I], au sens de l'article L341-4 du Code de Ia consommation ;

- CONSTATER la déchéance de la caution pour défaut de proportionnalité ;

- JUGER que la BRED est dans l'impossibilité de se prévaloir de la caution à l'égard de Mme [E] et Mr [I] ;

- CONDAMNER la BRED à payer à chacun, Mme [E] et M. [I] à 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 3500 euros de frais irrépétibles, au visa de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.'

Monsieur [H] [I], Madame [S] [E] et la SAS SAVEUR AND CO exposent que l'assignation est nulle pour défaut de pouvoir, l'identité de la responsable n'étant pas indiquée et la banque ne démontrant pas que cette responsable du service contentieux ait reçu un pouvoir de représentation. Ils font valoir également qu'il n'existe pas d'acte de caution spécifique au prêt n° 06453291 qui n'était garanti par aucun cautionnement. Monsieur [H] [I], Madame [S] [E] et la SAS SAVEUR AND CO ajoutent que l'autorisation de crédit accordée à la société SAVEUR AND CO a été conçue dans une conception de cession DAILLY qui n'était pas adaptée à la situation. Ils précisent que, au regard de la particularité de la subvention européenne allouée à cette société dans le cadre d'un plan de formation, la banque aurait dû mettre en garde la société et ses dirigeants sur le risque potentiel que la somme avancée ne soit pas obligatoirement restituée par l'administration.

Par ailleurs, Monsieur [H] [I], Madame [S] [E] et la SAS SAVEUR AND CO exposent que le cautionnement des dirigeants était manifestement disproportionné lors de la souscription de la caution, les revenus annuels de Madame [E] et de Monsieur [I] s'élevant respectivement à la somme de 22.000 euros et à la somme de 24.600 euros, de sorte que l'engagement de caution représentait neuf années de revenus. Is font valoir également que le cautionnement était manifestement disproportionné lors de l'appel de la caution. Monsieur [H] [I], Madame [S] [E] et la SAS SAVEUR AND CO ajoutent que la participation de Madame [E] et Monsieur [I] dans différentes sociétés ne leur a pas procuré des revenus leur permettant de faire face éventuellement à leur engagement en qualité de caution de la société SAVEUR AND CO.

Dans des conclusions en date du 03 août 2023, la BRED Banque Populaire demande à la cour d'appel de :

'- CONFIRMER le jugement rendu le 19 décembre 2022 par le Tribunal Mixte de Commerce de Fort de France ;

- DEBOUTER les appelants de l'ensemble de leurs demandes et prétentions ;

- CONDAMNER solidairement la société SAVEUR AND CO, Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E], à lui payer la somme 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.'

La BRED Banque Populaire expose que le défaut de mention du nom et du prénom du représentant de la personne morale ne consitue pas un vice de fond et qu'elle produit, en tout état de cause, la délégation de pouvoirs de négociation, recouvrement et contentieux dont bénéficie la responsable du service contentieux de la BRED Martinique Guyane. Elle fait valoir que Madame [E] et Monsieur [I] se sont engagés à rembourser au prêteur, en cas de défaillance du cautionné, toutes les sommes que ce dernier pourrait devoir au titre de toutes obligations et notamment tous crédits, ce qui inclut le paiement du prêt contracté par la société SAVEUR AND CO. La BRED Banque Populaire indique également que Monsieur [I] et Madame [E] disposaient tous deux d'une capacité d'endettement leur permettant de souscrire le cautionnement en cause. Elle ajoute que,alors Monsieur [I] et Madame [E] sont à la tête de nombreuses sociétés, les appelants n'ont produit aucun élément relatif à leur patrimoine, de sorte que, au regard de leurs revenus et de leurs biens, le cautionnement ne pourra pas être déclaré disproportionné.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 07 décembre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, il sera fait expressément référence à la décision déférée à la cour et aux dernières conclusions déposées.

L'affaire a été plaidée le 02 février 2024. La décision a été mise en délibéré au 19 mars 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la validité de l'assignation.

Aux termes de l'article 117 du code de procédure civile, constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l'acte le défaut de pouvoir d'une personne figurant au procès comme représentant une personne morale.

Sur ce point, les parties ne font que reprendre devant la cour leurs moyens de première instance. En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties pour rejeter la demande de nullité de l'assignation du 26 avril 2021, qui n'est fondée sur aucun moyen pertinent. Le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a constaté que l'assignation signifiée le 26 avril 2021 est valide.

Sur le devoir de mise en garde.

Conformément aux dispositions de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Le banquier est tenu d'un devoir de mise en garde à l'égard de l'emprunteur non averti.

L'emprunteur qui invoque le manquement de la banque à son obligation de mise en garde doit justifier de la disproportion de l'autorisation de crédit à ses capacités financières ou du risque de l'endettement né de l'octroi de l'autorisation de crédit. Et le caractère inadapté de l'autorisation de crédit résulte notamment du taux d'endettement induit par l'octroi de cette autorisation.

Une fois établie que cette obligation était due, c'est au banquier de prouver qu'il l'a remplie (arrêt Cour de cassation, Chambre commerciale, 17 novembre 2009, n°08-70197).

Les appelants prétendent que la banque leur a accordé une autorisation de crédit de 199.468,80 euros sur 36 mois sans les alerter sur la particularité de la subvention allouée par le Fonds Social Européen et sur son processus de remboursement, de sorte que la BRED Banque Populaire a manqué à son obligation de conseil à l'égard de ses clients profanes en matière de telles subventions.

Toutefois, la cour relève que l'autorisation de crédit litigieuse a été accordée par la banque en avril 2018, alors que la demande de subvention FSE a été effectuée le 30 juin 2017 par la société SAVEUR AND CO dans le cadre d'une convention relative à l'octroi d'une subvention FSE-IEJ au titre du Programme opérationnel national pour la mise en oeuvre de l'initiative pour l'Emploi des jeunes en métropole et en Outre-mer et signée entre l'Etat représenté par le préfet de la Martinique et la société SAVEUR AND CO.

Il résulte des pièces de la procédure que l'attribution de l'aide en date du 22 décembre 2017 a été notifiée au bénéficiaire à la fin de la période de réalisation de l'opération en cause qui était comprise entre le 15 juillet 2017 et le 31 décembre 2017.

La cour relève également que la convention susvisée, transmise à la société SAVEUR AND CO par le préfet de la Martinique, comportait un certain nombre d'obligations à laquelle devait se conformer la société bénéficiaire aux fins de percevoir l'intégralité de la subvention FSE-IEJ évaluée à la somme de 207.780,73 euros pour la réalisation de l'opération.

Il n'est pas contesté que, alors que la société SAVEUR AND CO expose avoir engagé plus de 225.000 euros de frais pour assurer cette formation et qu'elle pouvait prétendre percevoir une aide évaluée à 207.780,73 euros, le montant de la subvention s'est élevé en définitive à la somme de 105.796,42 euros. Les appelants restent taisants sur ce point.

Force est de constater que, lors des différentes étapes de validation de cette convention et de la notification de l'attribution de la subvention FSE-IEJ au mois de décembre 2017, la BRED Banque Populaire n'a pas été sollicitée par la société SAVEUR AND CO aux fins de donner son avis ou des conseils sur l'opportunité et l'intérêt de réaliser l'opération intitulée 'MON CHOIX - MON CAP.'

Il ne peut donc être reproché à la banque d'avoir manqué à son devoir de mise en garde, dès lors qu'elle n'a pas été associée à la réalisation de cette opération pilotée par la Direction des Entreprises de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi de la Martinique et contrôlée par la Commission Interministérielle de Coordination des Contrôles qui a réalisé un audit en ce sens en janvier 2020.

Il n'est pas non plus démontré par la société SAVEUR AND CO que, s'agissant de la réalisation de cette opération de formation faisant l'objet d'une subvention allouée par le Fonds Social Européen, elle ait transmis tous les éléments d'information à la banque lui permettant ainsi d'évaluer le risque d'endettement excessif allégué par la société SAVEUR AND CO.

Enfin, la cour relève que la société SAVEUR AND CO ne produit aucun élément relatif au taux d'endettement induit par l'octroi de cette autorisation de crédit.

La cour en déduit que la société SAVEUR AND CO ne rapporte pas la preuve que, lors de l'octroi de l'autorisation de crédit, le risque d'endettement excessif soit imputable à un manquement de la banque à son devoir de conseil.

Considérant que la banque n'est pas tenue de prouver qu'elle a rempli son obligation de mise en garde, la cour ne fera pas droit à la demande d'annulation de la déchéance du terme du compte courant n° 635.04.3663 et du prêt n° 06453291 présentée par la SAS SAVEUR AND CO.

En l'absence de faute commise par la banque, il n'y a pas lieu non plus de faire droit à la demande de la société SAVEUR AND CO visant à voir déduire de la dette l'ensemble des intérêts débiteurs cumulés sur le compte de la société.

Sur les engagements des cautionnaires.

Conformément à l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Aux termes de l'article 1104 du code civil, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.

L'article 2288 du code civil dispose que celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même.

Il résulte des pièces de la procédure que la SAS SAVEUR AND CO a souscrit le 1er juin 2017 auprès de la BRED Banque Populaire un prêt n° 06453291 pour les besoins de son exploitation, d'un montant de 30.000 euros au taux d'intérêt de 4,28 % l'an hors assurance, soit un taux effectif global annuel de 6,27 %, remboursable en 60 mensualités de 566,04 euros chacune, assurance incluse.

Il est établi que la banque a prononcé la déchéance du terme le 18 janvier 2021 et a adressé à la société SAVEUR AND CO une mise en demeure restée infructueuse de lui payer la somme en principal de 20.193,19 euros.

Force est de constater également que, lors de leur engagement de caution solidaire souscrit le 20 avril 2018, Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] se sont portés, chacun, caution solidaire des engagements de la SAS SAVEUR AND CO à hauteur de 199.468,80 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard, pour une durée de 36 mois et se sont engagés à rembourser au prêteur les sommes dues sur leurs revenus et sur leurs biens si la société SAVEUR AND CO n'y satisfait pas elle-même. Ils ont rédigé, avant de signer l'acte de cautionnement litigieux, une mention manuscrite en ce sens.

Enfin, la cour relève que l'article premier de chacun des actes de caution solidaire 'CREDITS' est rédigé de la manière suivante :

' Le signataire déclare se porter caution solidaire et renoncer d'ores et déjà aux bénéfices de discussion et de division.

En renonçant au bénéfice de discussion, la caution s'engage à payer le bénéficiaire sans pouvoir exiger de ce dernier qu'il poursuive préalablement le cautionné sur ses biens. En renonçant au bénéfice de division, la caution accepte que le bénéficiaire puisse lui réclamer, au cas où d'autres personnes se seraient portées caution du cautionné, la totalité des sommes dues par ce dernier, dans la limite du montant garanti. Le signataire s'engage à ce titre au profit du bénéficiaire à rembourser, en cas de défaillance du cautionné, toutes les sommes que ce dernier pourrait devoir au titre de toutes obligations résultant - l'énumération qui suit étant simplement indicative et non limitative - de :

- tous crédits par caisse ou par signature, du solde exigible en faveur du bénéficiaire de tout compte courant ouvert au nom du cautionné,.....'

La cour en déduit que Madame [E] et Monsieur [I] ne peuvent pas soutenir qu'ils ne sont pas engagés en qualité de cautionnaire de la SAS SAVEUR AND CO au titre du paiement du prêt contracté par ladite société auprès de la BRED Banque Populaire.

En conséquence, la cour constate que Mme [E] et M. [I] se sont engagés respectivement en qualité de caution solidaire à hauteur de 199.468,80 euros en garantie du paiement d'un découvert autorisé d'un montant de 199.468,80 euros accordé à la SAS SAVEUR AND CO et d'un prêt de 30.000 euros contracté par cette même société. Le jugement de première instance sera infirmé sur ce point.

Sur la disproportion de l'engagement de caution.

Aux termes de l'ancien article L. 341-4 du code de la consommation devenu L. 332-1 et L. 343-3 du code de la consommation, « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »

Il est de jurisprudence constante que la disproportion manifeste s'apprécie au regard des biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude et l'exhaustivité et que l'appréciation du caractère disproportionné de l'engagement de caution relève du pouvoir souverain des juges du fond qui doivent s'en tenir aux seuls biens et revenus de la caution, ceux-ci s'entendant de l'actif patrimonial, les biens, quoique grevés de sûretés, lui appartenant devant être pris en compte, leur valeur étant appréciée en déduisant le montant de la dette, dont le paiement est garanti par ladite sûreté, évalué au jour de l'engagement de la caution; en contrepoint, les juges du fond doivent prendre en considération l'endettement global de la caution, y compris celui résultant d'engagements de caution précédemment souscrits.

La charge de la preuve de l'existence d'une disproportion de son engagement repose sur la caution qui doit établir qu'à l'époque de la souscription du prêt litigieux, son engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Tant en première instance qu'en cause d'appel, Madame [E] et Monsieur [I] font valoir que l'engagement de caution qu'ils ont respectivement souscrit le 20 avril 2018, pour un montant de 199.468,80 euros, étaient lors de sa conclusion manifestement disproportionné à leurs biens et revenus.

Sur la fiche de renseignements fournis à titre confidentiel et versée aux débats par la banque, il est indiqué le 20 avril 2018 par Monsieur [I] des revenus annuels d'un montant de 24.600 euros, qu'il ne possède pas de patrimoine immobilier et qu'il ne supporte pas de charges annuelles.

Sur la fiche de renseignements fournis à titre confidentiel et versée aux débats par la banque, il est indiqué le 20 avril 2018 par Madame [E] qu'elle perçoit des revenus annuels d'un montant de 22.000 euros, qu'elle ne possède pas de patrimoine immobilier et qu'elle supporte des charges annuelles d'un montant de 2.809 euros.

Il résulte des avis d'imposition produits par les appelants que, en 2017 et 2018, Monsieur [I] a déclaré avoir perçu des revenus annuels d'un montant de 42.000 euros, alors que Madame [E] a déclaré avoir perçu des revenus annuels d'un montant de 19.190 euros en 2017 et de 40.216 euros en 2018.

La disproportion entraîne la déchéance du cautionnement, elle doit être appréciée à la date de l'engagement, au regard de l'ensemble des biens et revenus, déduction faite du passif et des charges.

Le premier juge a considéré à tort que les concours bancaires accordés à la société SAVEUR AND CO, soit un découvert autorisé de 199.468,80 euros issu d'une opération de cession DAILLY et un prêt de 30.000 euros pour un total initial de 229.468,80 euros, étaient notamment fondés sur l'attribution certaine d'une subvention européenne de 207.789,73 euros accordée par le FSE selon courriel du 11juillet 2018, qui couvrait en celà la presque totalité du concours bancaire: en effet, l'attribution de cette subvention était conditionnée à l'engagement de dépenses correspondant à des critères précis, de sorte qu'elle ne pouvait être qualifiée de certaine.

Force est de constater qu'il n'est pas démontré par la banque que, à la date de souscription du cautionnement par Madame [E] et Monsieur [I], la société SAVEUR AND CO avait satisfait à l'ensemble des conditions fixées par le Fonds Social Européen.

La cour relève également que, bien qu'en principe la subvention allouée par le Fonds Social Européen devait être affectée au remboursement de la dette due par la société débitrice à la banque, aucun élément n'est produit par les parties aux fins de démontrer qu'une opération de cession DAILLY avait été mise en oeuvre au profit de la société SAVEUR AND CO.

En l'occurrence, alors que la subvention qui devait être versée avait été fixée initialement à la somme de 207.780,73 euros, le préfet de la Martinique a informé le 02 mars 2021 le gérant de la société SAVEUR AND CO que le montant de la subvention attribuée par le Fonds Social Européen s'élevait en définitive à la somme de 105.796,42 euros.

Considérant que le montant et la date de versement de la subvention en cause n'étaient pas encore arrêtés lors de la souscription des actes de caution solidaire litigieux et alors que la banque ne pouvait prendre en compte que les seuls revenus et biens déclarés par chacune des cautions, la cour en déduit que l'engagement respectif de caution de Monsieur [I] et de Madame [E], portant sur un montant de 199.468,80 euros et qui représentait plus de 4,5 fois les revenus annuels de Monsieur [I] et plus de 5 fois les revenus annuels de Madame [E], était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à leurs revenus.

C'est par ailleurs au créancier qu'il appartient de prouver qu'au moment où il appelle la caution, son patrimoine lui permet de faire face à son obligation. Pour apprécier si le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation au moment où elle est appelée, le juge doit, en principe, se placer au jour où la caution est assignée (arrêt Cour de cassation, Com., 1 mars 2016, pourvoi n° 14-16.402).

En cause d'appel, la banque produit un organigramme qui met en évidence que Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] sont les dirigeants de nombreuses sociétés.

Toutefois, force est de constater que la production par la banque de ce seul organigramme constitue un élément de preuve insuffisant aux fins de démontrer que Monsieur [I] et Madame [E] disposaient d'un patrimoine leur permettant de faire face à leur obligation de cautionnaire, en l'occurrence le remboursement de la somme de 199.468,80 euros au titre du solde débiteur du compte courant de la société SAVEUR AND CO et du solde exigible du prêt contracté par cette même société.

La SA BRED Banque Populaire ne justifie donc pas de ce que Monsieur [I] et Madame [E] disposaient, au moment où ceux-ci étaient appelés, d'un patrimoine leur permettant de faire face à leur obligation.

La banque ne peut donc pas se prévaloir de cet engagement de caution.

La double appréciation de la disproportion à la date de l'engagement et à celle de l'appel de garantie entraîne la nullité de l'engagement et constitue pour le créancier une déchéance de son droit contre la caution.

Dans ces conditions, la cour déclare que le contrat de cautionnement souscrit respectivement le 20 avril 2018 par Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] auprès de la BRED Banque Populaire est nul et de nul effet et prononce la déchéance du droit de la BRED Banque Populaire à l'encontre de Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E], pris en leur qualité de caution solidaire de la SAS SAVEUR AND CO.

En conséquence, la BRED Banque Populaire sera déboutée de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E]. Le jugement de première instance sera infirmé sur ce point.

Sur la créance de la banque à l'égard de la société SAVEUR AND CO.

Il résulte des pièces de la procédure que, le 11 avril 2023, la BRED Banque Populaire a fait signifier à la SAS SAVEUR AND CO, Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] un commandement aux fins de saisie-vente, et ce aux fins de recouvrer la somme de 144.662,21 euros, avec intérêts au taux annuel de 1,68 %. Cet acte d'exécution n'a pas été contesté par les débiteurs.

Cela étant et aux fins de déterminer le montant de la créance de la banque au titre du solde débiteur du compte courant et du solde exigible du prêt, il convient de déduire du montant réclamé dans le commandement aux fins de saisie-vente les sommes dues au titre des frais irrépétibles et des frais d'exécution, soit la somme totale de 2.392,11 euros.

En définitive, la créance de la banque s'élève à la somme de 142.270,10 euros arrêtée au 11 avril 2023.

En conséquence, la SAS SAVEUR AND CO sera condamnée à payer à la BRED BANQUE POPULAIRE la somme de 142.270,10 euros avec intérêts au taux de 1,68 % l'an à compter du 12 avril 2023. Le jugement de première instance sera infirmé sur ce point.

Sur les délais de paiement.

L'article 1343-5 du code civil permet d'accorder aux débiteurs impécunieux des délais de paiement qui emprunteront leur mesure aux circonstances, sans pouvoir dépasser deux ans.

La cour relève que l'appelante ne produit aucun élément sur sa situation financière et comptable actuelle.

Dans ces conditions, la demande de délais de paiement présentée par la société SAVEUR AND CO sera rejetée.

Sur la procédure abusive.

L'article 1240 du code civil, dispose: « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Il incombe aux parties qui sollicitent l'octroi de dommages-intérêts d'établir que le responsable de leur préjudice a commis une faute faisant dégénérer son droit fondamental d'agir en justice en abus.

En l'espèce, l'exercice de l'action de l'intimée ne présente aucun caractère fautif. En conséquence, en l'absence de preuve d'une faute commise par la BRED Banque Populaire, il convient de rejeter la demande de dommages-intérêts formée par Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E].

Sur les demandes accessoires.

Les dispositions du jugement déféré sur l'exécution provisoire seront confirmées.

Les dispositions du jugement déféré sur les dépens et les frais irrépétibles seront infirmées.

Au vu des circonstances de la cause, de la solution apportée au litige et de la situation des parties, il convient de rejeter les demandes présentées respectivement par la société SAVEUR AND CO et la BRED Banque Populaire sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera alloué à Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] la somme globale de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Succombant, la société SAVEUR AND CO sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu le 19 décembre 2022 dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a constaté que l'assignation signifiée le 26 avril 2021 est valide et en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit ;

Statuant à nouveau,

REJETTE la demande d'annulation de la déchéance du terme du compte courant n° 635.04.3663 et du prêt n° 06453291 présentée par la SAS SAVEUR AND CO ;

REJETTE la demande de la société SAVEUR AND CO visant à voir déduire de la dette l'ensemble des intérêts débiteurs cumulés sur le compte de la société ;

CONSTATE que Mme [E] et M. [I] se sont engagés respectivement en qualité de caution solidaire à hauteur de 199.468,80 euros en garantie du paiement d'un découvert autorisé d'un montant de 199.468,80 euros accordé à la SAS SAVEUR AND CO et d'un prêt de 30.000 euros contracté par cette même société ;

DÉCLARE que le contrat de cautionnement souscrit respectivement le 20 avril 2018 par Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] auprès de la BRED Banque Populaire est nul et de nul effet ;

PRONONCE la déchéance du droit de la BRED Banque Populaire à l'encontre de Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E], pris respectivement en leur qualité de caution solidaire de la SAS SAVEUR AND CO ;

DÉBOUTE la BRED Banque Populaire de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E];

CONDAMNE la SAS SAVEUR AND CO à payer à la BRED BANQUE POPULAIRE la somme de 142.270,10 euros avec intérêts au taux de 1,68 % l'an à compter du 12 avril 2023 ;

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de leurs plus amples demandes ;

CONDAMNE la BRED Banque Populaire à payer à Monsieur [H] [I] et Madame [S] [E] la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS SAVEUR AND CO aux dépens de première instance et d'appel.

Signé par Mme Christine PARIS, Présidente de Chambre et Mme Béatrice PIERRE-GABRIEL, Greffière, lors du prononcé à laquelle la minute a été remise.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,