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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 11 avril 2024, n° 23/03231

ROUEN

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Orinox (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Foucher-Gros

Conseillers :

M. Urbano, Mme Menard-Gogibu

Avocats :

Me Caroline Scolan, Me Sylvain Flicoteaux, Me Valentin Clouye, Me Céline Bart, Me Stéphane Clergeau

TJ Evreux, du 13 sept. 2023, n° 23/00196

13 septembre 2023

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société Orinox, créée en 2008, exploite une activité de services, conseil, formation et ingénierie technique et applicative. Elle dispose notamment d'un contrat de revendeur et intégrateur des logiciels AVEVA, qu'elle déploie chez ses clients en y envoyant pendant plusieurs mois des chargés de mission qui adaptent les outils au fonctionnement interne de ces entreprises.

La société est structurée en agences qui, sous le contrôle d'un directeur France, sont dirigées par un responsable d'agence assisté de chargés d'affaires qui supervisent chacun plusieurs chargés de mission.

Monsieur [R], embauché au mois de septembre 2014 en qualité de chargé de mission sous la direction de M. [L], responsable d'agence, a démissionné a effet du 31 juillet 2015 et a constitué le 1er octobre suivant la société SFC Design, avec une activité similaire à celle de la société Orinox, qu'elle a notamment exercé pour l'un des clients chez lequel M. [R] avait été missionné par son ancien employeur.

Un contrat de sous traitance a finalement été signé entre les sociétés Orinox et SFC Design au mois de décembre 2018, destiné à prendre en charge la société Edvance, principal client de la société Orinox, sous la supervision de M. [E], chargé d'affaires.

M. [L], responsable d'agence puis devenu responsable Grands Comptes, a été licencié pour faute grave le 8 avril 2021. MM [E] et [S], chargés d'affaires, ont sollicité la rupture conventionnelle de leur contrat de travail respectivement les 8 et 28 juillet 2021.

De nombreux chargés de mission au sein de l'agence de [Localité 7] ont démissionné à compter du mois d'août 2021.

Des investigations menées à la demande de la société Orinox lui ont révélé que la plupart des salariés démissionnaires avaient rejoint les effectifs de la société SFC Design. Il est apparu notamment que MM [E] et [S] avaient été recrutés par SFC Design en qualité de responsables commerciaux régionaux.

Soupçonnant l'existence de pratiques de débauchage, de confusion et de détournement de clientèle caractérisant une situation de concurrence déloyale et de parasitisme, la société Orinox a par requête du 17 mai 2022 saisi le président du tribunal judiciaire d'Evreux aux fins de désignation d'un huissier de justice chargé de se rendre au domicile de M. [R], situé dans l'Eure, et de procéder à diverses recherches par mots clés dans ses correspondances électroniques sur tous supports. Il a été fait droit à la requête par ordonnance du 20 juin 2022.

Une requête similaire a été parallèlement formulée et accueillie par le président du tribunal judiciaire d'Evry concernant le domicile de M. [E]. ll a été procédé à la signification des ordonnances respectivement à M.M. [R] et [E] et des constats ainsi autorisés le 8 juillet 2022.

Conformément à l'ordonnance, l'huissier instrumentaire a conservé les éléments recueillis en séquestre provisoire et les a, en l'absence de saisine aux fins de rétractation dans le délai d'un mois après la signification de l'ordonnance, adressés à la requérante le 6 septembre 2022.

Les ordonnances ont par ailleurs été signifiées le 6 janvier 2023 à M. [L] qui a, par acte du 2 février 2023 fait assigner la société Orinox en référé- rétractation.

Par acte du 3 mai 2023, M. [S] a fait assigner la société Orinox en référé- rétractation.

Par ordonnance du 13 septembre 2023, le président du tribunal judiciaire d'Evreux, saisi par M. [S], a :

- rejeté la demande de jonction,

- écarté des débats les pièces intitulées :

* 1. Pièces Assignation n° 21,

* 2. Pièces Assignation n° 22,

* 3. Pièces Assignation n° 25,

- déclaré [T] [S] recevable à agir en rétractation de l'ordonnance du 20 juin 2022 rendue à la requête de la SAS Orinox,

- dit n'y avoir lieu à prononcer la rétractation de l'ordonnance du 20 juin 2022,

- rejeté les autres demandes,

- condamné [T] [S] à payer à la société Orinox la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné [T] [S] aux dépens,

- rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision.

Monsieur [T] [S] a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 28 septembre 2023.

Par ordonnance du 13 septembre 2023, le président du tribunal judiciaire d'Evreux, saisi par M. [L], a :

- rejeté la demande de jonction,

- déclaré [P] [L] recevable à agir en rétractation de l'ordonnance du 20 juin 2022 rendue à la requête de la SAS Orinox,

- dit n'y avoir lieu à prononcer la rétractation de l'ordonnance du 20 juin 2022,

- dit n'y avoir lieu à référer sur la demande de dommages et intérêts,

- rejeté les autres demandes,

- condamné [P] [L] à payer à la société Orinox la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné [P] [L] aux dépens,

- rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision.

Monsieur [P] [L] a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 28 septembre 2023.

L'ordonnance clôture pour chacune des affaires à été rendue le 13 février 2024. Les deux affaires ont été retenues pour être plaidées à l'audience du 13 février 2024.

A l'audience, la cour a demandé à la société Orinox de lui indiquer, par note en délibéré les raisons de la signification de l'ordonnance autorisant des mesures d'investigation visant Messieurs [N] [R] et [E] à M. [L], étant précisé qu'à l'occasion d'une autre instance en rétractation introduite par Monsieur [T] [S] (RG n° RG 23/03231), la société Orinox n'a pas procédé à une telle signification.

La cour a demandé aux parties de présenter leurs observations sur la qualité à agir de M. [L].

Par note en délibéré du 22 février 2024, la société Orinox a exposé que :

* elle a entendu se prévaloir d'une partie des pièces appréhendées par suite des ordonnances sur requête rendues par le président du tribunal judiciaire d'Evry et par le président du tribunal judiciaire d'Evreux dans une instance introduite à son encontre par M. [L] postérieurement aux mesures d'investigation mises en cause. Elle a en conséquence procédé, le 6 janvier 2023, à la signification de ces requêtes et ordonnances, afin qu'aucune difficulté ne soit opposée concernant la production de ces pièces.

* concernant la problématique de la qualité et de l'intérêt à agir de Monsieur [L] en rétractation, en application des termes de l'article 496 alinéa 2 (notion de « tout intéressé »), ce dernier doit recevoir la qualité de tiers intéressé.

Par note en délibéré du 22 février 2022, M. [L] a répondu que :

* La société Orinox reconnait que ne pas signifier une ordonnance pourrait empêcher de « se prévaloir d'une partie des pièces appréhendées ».

Si cette signification préalable est nécessaire, c'est parce qu'une saisie à la suite d'une procédure sur requête peut amener le requérant à obtenir des éléments qui ne concernent pas seulement la personne au domicile de laquelle la mesure est exécutée. En conséquence, toutes les personnes visées par la ou les actions au fond qu'entend initier le requérant doivent pouvoir bénéficier du délai d'un mois prévu par l'article R. 153-1 du code de commerce afin de disposer du droit à un débat contradictoire autour de la légitimité de la requête sans que les pièces qui y ont été obtenues soient diffusées et utilisées.

La société Orinox qui a signifié la requête aurait dû à minima, sur le fondement de l'article R153-1 du code de commerce et puisqu'elle assumait pleinement qu'une action sous-jacente contre Monsieur [L] était envisagée, maintenir les pièces saisies chez l'huissier, afin de laisser courir le délai d'un mois permettant à Monsieur [L] de saisir le juge des requêtes d'une demande en rétractation.

* l'intérêt à agir de M. [L] résulte des dispositions de l'article 496 alinéa 2 du code de procédure civile et n'est pas discuté par la société Orinox.

La société Orinox a déposé une seconde note en délibéré le 29 février 2024, à laquelle M. [L] a répondu le 7 mars 2024.

Les parties ont échangé des notes en délibéré dans l'affaire enregistrées sous le numéro 23/03231 (appel de M. [S]) Ces notes ne répondent pas à la question posée par la cour, et il n'en sera pas tenu compte, hormis sur la question de la qualité à agir de M. [S] dont la société Orinox ne disconvient pas.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 2 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Monsieur [T] [S] qui demande à la cour de :

- in limine litis, prononcer la jonction avec l'instance portant le n° RG 23/03232,

A titre principal,

- se dessaisir, en raison de la connexité de présente affaire avec celle pendante devant la cour d'appel de Paris sous le numéro 23/16198, au profit de la cour d'appel de Paris,

A titre subsidiaire,

- infirmer et réformer l'ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire d'Evreux le 13 septembre 2023, en ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à prononcer la rétractation de l'ordonnance du 20 juin 2022,

- rejeté les autres demandes,

- condamné [T] [S] à payer à la SAS Orinox la somme de 6.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné [T] [S] aux dépens,

- rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision,

Statuant à nouveau,

- recevoir Monsieur [S] en son action et le dire bien fondé en ses demandes,

- écarter des débats l'assignation au fond faisant référence aux pièces issues de la mesure d'instruction querellée, à savoir la pièce adverse n° 22,

- écarter des débats toute conclusions de la société Orinox dans la présente instance faisant référence auxdites pièces et se fondant dessus, les échanges devant intervenir dans la même situation que celle du Juge ayant rendu l'ordonnance querellée,

- ordonner la rétractation de l'ordonnance rendue par le tribunal judiciaire d'Evreux le 20 juin 2022 à la requête de la société Orinox,

En conséquence :

- prononcer la nullité du procès-verbal de constat effectué le 8 juillet 2022 au domicile de Monsieur [N] [R],

- ordonner aux huissiers ayant procédé à la mesure d'instruction, dans les 7 jours du prononcé de l'ordonnance à intervenir de détruire et supprimer de tout support l'ensemble des éléments appréhendés et placés sous séquestre ainsi que les listes de ces documents et de justifier par écrit n'en avoir conservé aucune copie,

- interdire à la société Orinox tout usage du procès-verbal de constat d'huissier daté du 8 juillet 2022, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée,

- interdire à la société Orinox d'utiliser les pièces obtenues sur le fondement de l'ordonnance rétractée et au moyen du constat d'huissier daté du 8 juillet 2022, y compris les listes de ces pièces ; sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée,

- ordonner à la société Orinox, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de supprimer dans son argumentaire auprès du Tribunal Judiciaire de Paris toute mention relative à des pièces obtenues grâce à l'ordonnance rétractée, de notifier au tribunal judiciaire un nouveau jeu de conclusions à jour de cette suppression et de retirer toutes les pièces communiquées en lien avec les pièces obtenues grâce au constat d'huissier,

En tout état de cause,

- débouter la société Orinox de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Orinox à payer à Monsieur [S] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Orinox aux dépens de première instance et d'appel, et dire que la SELARL Gray Scolan, Avocats associés, sera autorisée à recouvrer, pour ceux-là concernant, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les conclusions du 22 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Monsieur [P] [L] qui demande à la cour de :

In limine litis et avant dire droit,

- ordonner la jonction des procédures 23/03232 et 23/03231,

- se dessaisir, en raison de la connexité de présente affaire avec celle pendante devant la cour d'appel de Paris sous le numéro 23/16198, au profit de la cour d'appel de Paris,

A titre subsidiaire, au fond,

- infirmer l'ordonnance rendue le 13 septembre 2023 rendue par la présidente du tribunal judiciaire d'Evreux en ce qu'elle a rejeté la demande de Monsieur [P] [L] de voire ordonner la rétractation de l'ordonnance rendue le 20 juin 2022 par la présidente du tribunal judiciaire d'Evreux et en ce qu'elle a condamné Monsieur [P] [L] au code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

Au fond,

- recevoir [P] [L] en son action et la dire bien fondé en ses demandes,

- ordonner la rétractation de l'ordonnance rendue par le tribunal judiciaire d'Evreux le 20 juin 2022 à la requête de la société Orinox,

En conséquence,

- prononcer la nullité du procès-verbal de constat effectué le 8 juillet 2022 au domicile de Monsieur [N] [R],

- ordonner aux huissiers ayant procédé à la mesure d'instruction, dans les 7 jours du prononcé de l'ordonnance à intervenir de détruire et supprimer de tout support l'ensemble des éléments appréhendés et placés sous séquestre ainsi que les listes de ces documents et de justifier par écrit n'en avoir conservé aucune copie,

- interdire à la société Orinox tout usage du procès-verbal de constat d'huissier daté du 8 juillet 2022,

- interdire à la société Orinox d'utiliser les pièces obtenues sur le fondement de l'ordonnance rétractée et au moyen du constat d'huissier daté du 8 juillet 2022, y compris les listes de ces pièces,

- ordonner à la société Orinox, sous astreinte de 100 euros par jours de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, de supprimer dans ses conclusions régularisées auprès du conseil des prud'hommes de Nantes le 16 décembre 2022, ainsi que dans l'ensemble de ses écritures et pièces versées aux procédures n° 23/03467 et n° 2022006628 pendantes respectivement devant le tribunal judiciaire de Paris et devant le tribunal de commerce de Nantes, toute mention relative à des pièces obtenues grâce à l'ordonnance rétractée, et de notifier au conseil des prud'hommes de Nantes un nouveau jeu de conclusions à jour de cette suppression,

Par ailleurs,

- constater que la société Orinox s'est rendue coupable d'une faute délictuelle en violant les articles 495 du code de procédure civile et R. 153-1 du code de commerce ainsi que les termes de l'ordonnance rendue le 20 juin 2022,

- condamner, en conséquence de la faute commise, la société Orinox à verser à Monsieur [P] [L] la somme de 20.000 euros au titre de son préjudice,

En tout état de cause,

- condamner la société Orinox à payer à Monsieur [P] [L] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure de première instance et, à titre subsidiaire, en cas de rejet de la demande de rétractation rapporter l'article 700 de première instance à de plus justes proportions,

- condamner la société Orinox à payer à Monsieur [P] [L] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la présente procédure d'appel,

- condamner la société Orinox aux entiers dépens aux entiers dépens de première instance et d'appel que la SELARL Gray Scolan, Avocats associés, sera autorisée à recouvrer, pour ceux-là concernant, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les conclusions du 6 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Orinox dans l'affaire enregistrée sous le numéro RG 23/3231 qui demande à la cour de :

- juger Monsieur [T] [S] irrecevable en sa demande de jonction des procédures 23/03232 et 23/03231,

- juger Monsieur [T] [S] irrecevable en sa demande de dessaisissement de la cour d'appel de Rouen au profit de la cour d'appel de Paris, cette demande étant nouvelle en cause d'appel et cette demande n'étant pas présentée in limine litis,

- l'en débouter,

- juger Monsieur [S] mal fondé en sa demande de dessaisissement de la cour d'appel de Rouen au profit de la cour d'appel de Paris pour connexité, en l'absence de d'argumentation identique dont est saisie la cour d'appel de Paris et du caractère tardif et dilatoire d'une telle demande,

- l'en débouter.

- débouter M. [S] de sa demande tendant à ce que l'assignation au fond initiée par la société Orinox soit écartée des débats,

- confirmer, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le Président du Tribunal d'Evreux le 13 septembre 2023 sous le n° RG 23/00196,

Par conséquent,

- débouter Monsieur [T] [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Y ajoutant,

- condamner Monsieur [T] [S] au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Monsieur [T] [S] aux entiers dépens.

Vu les conclusions du 17 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Orinox dans l'affaire enregistrée sous le numéro 23/3232 qui demande à la cour de :

- juger Monsieur [P] [L] irrecevable en sa demande de jonction des procédures 23/03232 et 23/03231,

- l'en débouter,

- juger Monsieur [L] irrecevable en sa demande de dessaisissement de la cour d'appel de Rouen au profit de la cour d'appel de Paris, cette demande étant nouvelle en cause d'appel et cette demande n'étant pas présentée in imine litis,

- l'en débouter,

- confirmer, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le président du tribunal d'Evreux le 13 septembre 2023 sous le n° RG 23/00046,

Par conséquent,

- débouter Monsieur [P] [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Y ajoutant,

- condamner Monsieur [P] [L] au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Monsieur [P] [L] aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur l'exception de connexité :

Moyens des parties :

Monsieur [S] et Monsieur [L] soutiennent que :

* les deux requêtes visant l'une M. [R] et l'autre M. [E] avaient exactement le même objet. La dualité des requêtes n'est due qu'aux ressorts géographiques de chacune des personnes visées. Les assignations en rétractation déposées par M. [L] devant les juridictions d'Evry et d'Evreux sont identiques, il en est de même des conclusions en défense de la société Orinox ; le procés au fond est diligenté à [Localité 7] ;

* cette demande de connexité n'est pas une prétention nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile ;

* cette exception peut être soulevée en tout état de cause, y compris pour la première fois en cause d'appel ;

* la cour d'appel de Rouen n'est pas seule compétente pour statuer sur le recours de M. [L]. L'affaire au fond ayant été introduite dans le ressort de la cour d'appel de Paris, le juge aurait pu soumettre à une juge du ressort de la cour d'appel de Paris, sa requête présentée devant le juge d'Evreux.

La société Orinox répond que :

* cette demande est irrecevable pour être présentée pour la première fois en cause d'appel ;

* cette demande est irrecevable à défaut d'avoir été présentée in limine litis ;

* il n'existe pas de connexité entre les deux affaires puisque les requêtes concernaient chacune une personne différente ;

*à hauteur d'appel, la cour de Rouen est seule compétente pour statuer sur le recours de M. [L] contre l'ordonnance du président du tribunal judiciaire d'Evreux.

* cette exception présente un caractère dilatoire.

Réponse de la cour :

Aux termes de l'article 101 du code de procédure civile : « S'il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l'une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l'état la connaissance de l'affaire à l'autre juridiction. »

Il résulte des dispositions de l'article 103 du même code que l'exception de connexité peut être proposée en tout état de cause, sauf à être écartée si elle a été soulevée tardivement dans une intention dilatoire.

Dès lors que cette exception peut être proposée en tout état de cause les moyens tirés de l'irrecevabilité d'une demande nouvelle ou d'une demande qui n'aurait pas été présentée in limine litis sont inopérants. La demande est recevable.

Il ressort des ordonnances des présidents des tribunaux judiciaire d'Evry et d'Evreux, ayant ordonné les mesures d'instruction aux domiciles respectifs de M.M [E] (Evry) et [R] (Evreux), que les combinaisons de mots clés permettant les saisies de données informatiques au domicile de M. [R] comprennent, outre celles identiques à celles permettant la saisie de données au domicile de M. [E], les combinaisons : « [L] et Embauche » ; « [L] et Recrutement » ; « [L] et Actionnariat » ; « [L] et Actions » ; « [L] et Parts Sociales » ; « Orinox et Données commerciales » ; « Orinox et CV » ; Orinox et Information Stratégiques » ; « Orinox et Infos » ; « Orinox et Débauchage » ; « Orinox et Embauche » ; « Orinox et recrutement » ; « Orinox et Approche directe ». Ainsi, les mesures d'instruction les plus étendues sont celles ordonnées par le juge du ressort de la cour d'appel de Rouen. En outre l'affaire pendante devant la cour d'appel de Paris a été fixée au 14 mars 2024 de sorte que dans l'hypothèse d'un renvoi devant cette cour, soit l'affaire pendante devant la cour d'appel de Paris aura été jugée sur le fond, de sorte que le lien de connexité ne subsistera plus lorsqu'elle sera saisie du renvoi, soit elle sera tenue de rouvrir les débats sur l'affaire initialement portée devant elle, ce qui aura pour effet d'en allonger le traitement.

Il résulte de tout ceci qu'il n'existe pas entre l'affaire numéro RG 23/03232 pendante devant la cour d'appel de Rouen et celle enregistrée sous le numéro 23/16198 pendant devant la cour d'appel de Paris un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble. Messieurs [L] et [S] seront déboutés de leur demande de dessaisissement au profit de la cour d'appel de Paris.

Sur la demande de jonction :

Aux termes de l'article 367 du code de procédure civile : « Le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe en les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble (') »

Il résulte des dispositions de l'article 368 du même code que les mesures de jonction et de disjonction d'instance sont insusceptibles de recours.

Le rejet de la demande de jonction prononcée par le premier juge dans son jugement qui statue sur le fond n'a pas pour effet de faire obstacle à une demande de jonction des appels enregistrés sous les numéros RG 23/03232 et 23/03231. La demande de M. [S] et de M. [L] est recevable.

Les appels enregistrés sous les numéros RG 23/03232 et 23/03231, sont dirigés contre deux décisions ayant rejeté la demande de rétractation de la même ordonnance. Monsieur [S] et M. [L] présentent des intérêts convergents auxquels la société Orinox oppose des réponses similaires.

Il existe entre ces litiges un lien tel qu'il est de bonne justice que les juger ensemble. La jonction sera ordonnée entre les appels enregistrés sous les numéros RG 23/03232 et 23/03231, qui apparaitront sous le numéro 23/03231 ;

Sur l'incident de communication de pièces :

Monsieur [S] demande que la pièce numéro 22 de la société Orinox, soit écartée des débats. Il s'agit de l'assignation au fond qui a été diligentée à l'issue des mesures d'instruction. Il soutient qu'elle comporte de nombreux extraits des pièces saisies et que le juge ne peut statuer sur la demande rétractation de l'ordonnance qui a ordonné les mesures d'instruction, au vu des éléments saisis lors de ces mesures.

Réponse de la cour :

Contrairement à ce que soutient M. [S], il n'apparaît pas du dispositif de ses conclusions devant le premier juge, telles que reprises par l'ordonnance du 23 septembre 2023 qu'il ait présenté cette demande. Mais en tout état de cause, la société Orinox peut sans enfreindre la loyauté des débats justifier de ce qu'elle a diligenté une action à l'issue des mesures ordonnées. Il n'y a pas lieu d'écarter la pièce numéro 22 de la société Orinox. De même, les conclusions de la société Orinox faisant référence aux pièces issues de la mesure d'instruction n'ont pas lieu d'être écartées, la seule obligation du juge étant de ne pas fonder sa décision sur les références qui sont faites aux éléments recueillis par les investigations autorisées.

Sur la demande de rétractation :

Sur l'existence d'une procédure au fond à la date de la requête :

Monsieur [S] et M. [L] soutiennent que :

* au jour du dépôt de la requête, une procédure opposant la société Orinox et M. [L] était pendante devant le conseil des prud'hommes de Nantes. De l'aveu même de la société Orinox dans sa requête du 17 mai 2022, c'est dans le cadre de ce contentieux, qu'elle indique avoir eu connaissance d'un e-mail de Monsieur [T] [S], e-mail duquel elle en déduit une possible transmission de données confidentielles à Monsieur [L] ayant participé à la concurrence déloyale suspectée.

* la requête déposée avait pour objet de démontrer la violation par M. [L] de sa clause de non-concurrence. Il y a identité entre la procédure prud'hommale engagée au moment de la requête et l'action sous-jacente à la requête.

La société Orinox soutient que :

*à la date du dépôt de la requête, aucun argument relatif à des faits de concurrence déloyale ou de parasitisme n'était entré dans les débats devant le conseil de Prud'hommes ;

* il n'y a pas identité de parties entre les personnes visées par la requête et le procès qui faisait l'objet de l'instance purd'hommale ;

* il n'y avait pas d'identité d'objet entre le litige prud'hommal introduit par M. [L] pour contester son licenciement et le procès en concurrence déloyale envisagé par la requête.

Réponse de la cour :

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile : « S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.»

Il ressort de la lettre du 8 avril 2021 notifiant à M. [L] son licenciement, que les motifs retenus par l'employeur (la société Orinox) sont : le dénigrement de l'entreprise, le refus de se conformer aux attentes de la hiérarchie ; la diffusion de fausses rumeurs ; un acte déloyal consistant à remplacer sur le portail achat d'un client, l'adresse professionnelle du salarié par son adresse personnelle.

Le 26 juillet 2021 le conseil de prud'hommes de Nantes était saisi par Monsieur [L] d'une requête en contestation de son licenciement.

Le 17 mai 2022, la société Orinox a présenté devant le président du tribunal judiciaire d'Evreux sa requête ayant pour objet de rechercher des éléments preuve de pratique de concurrence déloyale de la société SFC Design, notamment par l'activité de M. [L] tenu par une clause de non-concurrence.

Le 19 décembre 2022, la société Orinox a transmis au conseil de prud'hommes de Nantes ses conclusions numéro 2. Elle présente dans ces conclusions une demande reconventionnelle sur le fondement de la violation par M. [L] de son obligation de non-concurrence.

Outre que l'existence un litige pendant identique à celui envisagé dans la requête n'est pas sanctionné par la rétractation de l'ordonnance mais par l'irrecevabilité de la requête, il résulte de la chronologie des faits qu'à la date de la requête, cette identicité n'existait pas.

Sur l'existence d'une requête déloyale et sur les obligations prévues par l'article 495 du code de procédure civile et R. 153-1 du code de commerce :

Moyen des parties :

Messieurs [S] et [L] soutiennent que :

* en n'avouant pas dès l'origine les personnes qu'elle entendait, dès ce stade, assigner au fond, elle n'a pas permis au Juge d'exercer son contrôle de légitimité et de proportionnalité, ni ne lui a permis d'exiger que l'ordonnance leur soit également signifiée, à même date, afin qu'ils puissent dans le même délai de séquestre exercer une action en rétractation.

* la loyauté commandait que l'ordonnance soit signifiée à M.[S] le jour même où le lendemain, notamment afin qu'il puisse exercer son droit à rétractation dans le délai d'un mois.

* En ne permettant pas aux défendeurs à l'action au fond à venir, pourtant connus dès l'origine, d'exercer un droit effectif à un recours à l'encontre d'une ordonnance sur requête, le tribunal judiciaire a méconnu le principe d'égalité des armes.

* le défaut de signification de la requête et de l'ordonnance à la personne à laquelle elle est opposée est sanctionnée par la rétractation de l'ordonnance ;

* l'article R. 153-1 du code de commerce qui permet au juge d'ordonner le séquestre a pour finalité de protéger tous les intéressés susceptibles de demander la rétractation de la décision qui ordonne les mesures d'instruction. Il en résulte que la personne à laquelle la mesure est opposée visée à l'article 495 du code de procédure civile n'est plus seulement celle qui supporte la mesure mais également celle contre laquelle l'action est envisagée.

La société Orinox soutient que :

*à la date du dépôt de la requête, elle ne connaissait pas le degré d'implication de M. [S]. Elle n'était certaine que de l'existence de débauchages massif au profit de la société SFC Design et présumait l'implication de M.M [R] et [E].

* l'article 495 du code de procédure civile ne vise que la personne qui subit la mesure, qui s'entend comme la personne chez laquelle les investigations vont être menées.

* l'article R. 153-1 du code de commerce a pour objet de protéger le secret des affaires. Les pièces recueillies lors des investigations n'étaient pas susceptibles d'exposer M. [L] à la violation du secret des affaires.

Réponse de la cour :

Aux termes de l'article 495 du code de procédure civile : « L'ordonnance sur requête est motivée.

Elle est exécutoire au seul vu de la minute.

Copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée. »

Il résulte des dispositions de l'article 496 du même code que s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance.

Les dispositions de l'article R. 153-1 du code de commerce prévoient que « Lorsqu'il est saisi sur requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ou au cours d'une mesure d'instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d'assurer la protection du secret des affaires.

Si le juge n'est pas saisi d'une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l'article 497 du code de procédure civile dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l'alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant. ('.) »

La requête relate que dans le cadre de l'affaire pendante devant le conseil de prud'hommes, Monsieur [L] lui a communiqué une pièce qui fait état de transmission par M. [S] à M. [L], alors que celui-ci était mis à pied, de données confidentielles relatives aux prévisions budgétaires et aux projet commerciaux de la société Orinox. Ainsi, sans contestation possible, la société Orinox avait des suspicions de procédés déloyaux de la part de MM [S] et [L] au moment du dépôt de sa requête. Néanmoins, elle n'avait aucune obligation de diriger sa requête à l'encontre de MM [S] et [L]. Dès lors qu'elle recherchait des éléments de preuves d'un débauchage massif, elle a pu, sans déloyauté diriger celle-ci contre MM [R] et [E] uniquement. Ses seules obligations étaient de justifier d'un motif légitime à demander que des investigations soient effectuées chez M.M [R] et [E], à démontrer qu'il était justifié de déroger au principe du contradictoire, à circonscrire les mesures demandées dans le temps et dans leur objet, et à ne pas solliciter de mesures disproportionnées à l'objectif poursuivi. Ce n'est que dans le contenu des investigations demandées qu'il doit être recherché si elles ont contrevenu à un droit de M [S] ou de M. [L].

Dès lors que la requête litigieuse n'était dirigée qu'à l'encontre de M. [R], c'est au regard de cette personne uniquement que la société Orinox devait respecter les dispositions des article 495 du code de procédure civile et R. 153-1 du code de commerce.

Il résulte du premier de ces textes qu'il n'est pas exigé de signification mais une remise préalable aux investigations à la personne chez laquelle ces investigations vont être exécutées. Dès lors le moyen tiré du défaut de remise aux tiers intéressés est inopérant.

Nonobstant les dispositions destinées à protéger le secret des affaires, le défaut de signification de la requête et de l'ordonnance aux tiers intéressés n'est pas sanctionné par la rétractation de celle-ci.

Dès lors que l'article 496 du code de procédure pénale permet un recours en rétractation à tout intéressé non visé par la requête, c'est sans enfreindre le principe d'égalité des armes que la requête et l'ordonnance n'ont été ni délivrées préalablement aux opérations ni signifiées à leur issue à Messieurs [S] et [L].

Sur l'absence de motif légitime :

MM. [S] et [L] soutiennent que :

* au stade de la requête, la société Orinox ne disposait d'aucun élément suffisant de nature à étayer des soupçons de concurrence déloyale contre M.M [S] et [L]. La société Orinox a agi avec déloyauté en faisant passer pour une recherche d'éléments de preuve d'actes de concurrence déloyale de la part de la société SFC Design des recherches d'éléments de preuve de la violation de sa clause de non-concurrence par M. [L], sans que celui-ci soit avisé des mesures ordonnées.

La société Orinox répond que :

* les éléments exposés dans la requête sont suffisants à démontrer l'existence d'un motif légitime.

Réponse de la cour :

Si la recherche d'éléments de preuve sans rapport avec le motif de la requête est susceptible de rendre inadmissibles les mesures ordonnées, l'existence d'un litige potentiel susceptible d'être opposé à la partie visée par sa requête, soit en l'espèce M. [R] est suffisante à caractériser un motif légitime.

L'ordonnance du 20 juin 2022 du président du tribunal judiciaire d'Evreux est motivée uniquement par référence aux motifs de la requête.

Dans sa requête, la société Orinox expose que M. [R] a créé la société SFC Design, dont il est le gérant, afin de travailler à son compte pour la société Veolia ; que la société Orinox a souhaité faire appel à la société SFC Design en qualité de partenaire et de sous-traitant, afin que M. [R] assure une mission auprès de la cliente Edvance, filiale EDF ; qu'un contrat cadre de sous-traitance a été signé le 13 décembre 2018 ; que jusqu'à la fin de l'année 2017, M. [L] a supervisé seul la mission de M. [R], avant d'être assisté par M. [E]. La requête relate le déroulement de carrière de M. [L] jusqu'à son licenciement, le départ des managers composant l'équipe commerciale de l'agence de [Localité 7], la démission massive d'une grande partie des collaborateurs de l'agence de [Localité 7] et leur embauche concomitante par la société SFC Design, les conséquences de ces départs et notamment la désorganisation de la société Orinox.

Elle expose que « la première série d'investigation se cantonne à rechercher toute preuve attestant de la nature des liens entre Monsieur [P] [L] et la société SFC Design, ainsi que d'éclaircir le rôle éventuel joué par ce dernier dans les débauchages, alors que ce dernier est tenu par une clause de non-concurrence et de non- débauchage stipulée aux termes du Pacte d'associé en date du 17 avril 2018.

Par ailleurs la seconde série d'investigations se limite à rechercher la preuve des procédés utilisés par M. [N] [R] et [I] [E] pour entrer en contact avec les salariés ayant démissionné de la société Orinox pour être ensuite embauchés par la société SFC Design, susceptible de caractériser une pratique de concurrence déloyale par débauchage et de parasitisme. »

Au soutien de sa requête, elle a joint :

- les contrats de travail de M.M [E] et [S] qui comportent une clause selon laquelle dans le cadre de l'exécution de leurs contrats de travail ou au terme de ceux-ci, ils s'interdisent d'agir de sorte à constituer envers la société Orinox, une concurrence déloyale.

- le contrat cadre de sous-traitance et son annexe ;

- le contrat de travail de M. [L], le courrier de convocation préalable au licenciement, le courrier actant le licenciement,

- les conventions de rupture avec MM [E] et [S] ;

Le courriel du 18 janvier 2022 de M. [O], salarié de la société Orinox adressé à la direction dans lequel il écrit « Nous faisons face à une vague importante de départ depuis septembre 2021. Or il s'avère que nous avons des informations quant à la destination de la plupart de ces collaborateurs, certaines avec certitude et d'autres avec doute raisonnable et une intuition, ou plutôt vision de leur destination.

Toutes ses informations et intuition nous ramène vers la même société SFC Design (') » M. [O] reprend ses propos dans une attestation et fait état des collaborateurs qui ont quitté la société Orinox pour la société SFC Design après avoir été contactés par [I] [E]. M. [O] s'interroge sur le risque de perde les clients : Ekium Lyon, Engie Grenoble, Engie Lyon, ALTEN, Orano, Edvance.

- L'attestation de M. [Z], salarié de la société Orinox qui écrit que « [I] » ([E]) et « [P] ([L]) managers historiques sur le compte Edvance, cliente de la société Orinox, ont approché des collaborateurs dans l'objectif de les recruter.

- L'attestation de M. [B] relate qu'un candidat à un poste offert par la société Orinox lui a fait part d'un appel de M. [L] qui a décrédibilisé la société Orinox de telle façon qu'il a renoncé à sa candidature.

- Le rapport d'enquête du cabinet Sanier qui comprend une liste de salariés de la société SFC Design au 5 avril 2022, M. [L] n'y figure pas, mais M.[S] et M [E] y sont mentionnés. On peut y lire également les noms des anciens collaborateurs de la société Orinox, cités par M [O] : [H] [D], [A] [C], [W] [K], [G] [X], [M] [U], [V] [F], [Y] [YL].

Il ressort ainsi de la requête de la société Orinox et des pièces jointes que l'existence d'un litige potentiel susceptible de l'opposer à M. [R] gérant de la société Design est justifié.

Sur les mesures ordonnées :

Monsieur [L] et M. [S] soutiennent que :

* les mesures d'investigations ne sont pas circonscrites dans leur objet.

* les mesures de constatations ordonnées entrent en opposition avec le secret des affaires et des correspondances. A titre d'exemple, les conversations WhatsApp, par nature strictement privées, sont englobées. Le fait de circonscrire les interceptions par l'huissier à une liste limitative de mots clés n'est pas de nature, en l'espèce, à permettre de déroger à la protection attachée au secret des correspondances.

* la société Orinox a sollicité l'utilisation de mots-clés qui n'étaient absolument pas nécessaires à l'établissement des prétendus actes de débauchage et de concurrence déloyale tels que «clients», «confidentiel», «infos» ou «informations». La combinaison des mots « [L] et [S] » permet à l'huissier d'intercepter toutes les correspondances entre Monsieur [S], Monsieur [L] et Monsieur [R], sans aucun garde fous ni limite quant à un quelconque champ professionnel, ce qui est attentatoire à leur vie privée.

* il n'a pas été vérifié si la combinaison de tous ces mots clés se limitait à l'établissement de prétendus actes de débauchage et de concurrence déloyale ou si cela ne permettait pas en réalité à la Société Orinox d'avoir des informations confidentielles sur l'un de ses concurrents, la Société SFC, ce qui constituerait une violation du secret des affaires.

* à aucun endroit de la requête la centralité de M. [L] dans la prétendue campagne de concurrence agressive n'est utilisée pour justifier des mots clés choisis; il y a une disproportion entre les mesures ordonnées et l'objectif poursuivi.

La société Orinox répond que :

* l'objectif poursuivi par la société Orinox n'était pas de démontrer la violation par M. [L] de son obligation de non-concurrence mais uniquement à comprendre la nature des relations entre MM [R], [E], [S] et [L] et le rôle qu'ils ont joué en lien avec les actes de concurrence déloyale.

* elle a strictement calibré ses mots-clés de manière à capter les échanges écrits entre ces protagonistes et les collaborateurs ciblés, ou la clientèle détournée ; M. [S] se borne à affirmer sans le démontrer que les conversations WhatsApp sont par nature strictement privées ; aucune démonstration n'est faite d'une atteinte au secret des affaires.

Réponse de la cour :

En premier lieu, si l'application WhattsApp est dédiée aux conversations privées, rien ne fait obstacle à ce que des informations d'ordre professionnel y soient échangées. Les investigations menées sur cette application au moyen de mots-clés limités à la sphère professionnelle de M. [L] et de la société Orinox ne sont pas de nature à porter une atteinte excessive à la vie privée des personnes dont le nom est l'un des mots clés.

En deuxième lieu, dès lors que la requête était dirigée contre M. [R], gérant de la société SFC Design, et que les investigations étaient destinées à rechercher des éléments de preuve d'actes de concurrence déloyale, les combinaisons de mots-clés comportant Orinox, qui sont susceptibles d'apporter au requérant des informations sur les éléments la concernant détenus par M. [R] sont circonscrites à l'objet du litige et ne portent d'atteinte excessive ni au respect de la vie privée ni au secret des affaires. Surabondamment, le secret des affaires est mentionné par MM [S] et [L] comme une pétition de principe, sans qu'il soit démontré concrètement ce qui établit la disproportion entre les intérêts en présence.

En troisième lieu, dès lors qu'il ressort de la requête et des pièces jointes que M. [L] est susceptible d'avoir joué un rôle dans les actes de débauchages déplorés par le requérants, les combinaisons de mots-clés comprenant « [L] » ou « [P] » et « Orinox » « SFC Design » les noms ou les prénoms de MM [R], [E] ou [S], les mots « contrat de travail », «embauche», « recrutement », « mission » le nom d'une personne ou d'une société visée dans la requête ou une pièce versée à son soutien sont circonscrites à l'objet de la requête et ne portent pas d'atteinte excessive à un droit protégé.

En revanche, les investigations à partir des combinaisons de mots clés «[L]» et « Orinox » ou « [P] » et « Orinox », « [L] » et « [J] » ou «[P]» et « [J] » (dirigeant de la société Orinox), ne sont pas circonscrites à l'objet du litige dès lors qu'à défaut d'autres précisions, elles ont pour objet d'apporter des éléments relatifs au litige prud'hommal en cours au moment du dépôt de la requête. De même, les investigations à partir des combinaisons du mot [L] avec les mots Actionnariat, Actions, Parts Sociales, Suez (à deux reprises), Total, Saimpem, Aveva ne portent aucunement sur une participation à une opération de débauchage ou des faits énoncés dans la requête et s'analysent en une mesure d'investigation générale de l'activité de M. [L], de sorte qu'elles ne sont pas des mesures légalement admissibles au sens de l'article 145 du code de procédure civile.

Ces mesures ne constituent qu'une partie mineure de la totalité de celles autorisées de sorte que les ordonnances entreprises seront confirmées en ce qu'elles disent n'y a voir lieu à prononcer la rétractation de l'ordonnance du 20 juin 2022.

Mais l'ordonnance du 20 juin 2022 sera modifiée en ce que sera supprimée de l'autorisation donnée à l'huissier de justice mandaté par la requérante, « de rechercher et prendre copie de toutes correspondances électroniques (') reçus échangés ou modifiés entre le 19 mars 2021 et le 21 avril 2022 » les recherches comportant les combinaisons de mots-clés suivants, tant en majuscules qu'en minuscules, ou avec une première lettre majuscule :

« [L] » et « ORINOX »

« [P] » et « ORINOX »

« [L] » et « [J] »

« [P] » et « [J] »

« [L] » et « ACTIONNARIAT »

« [L] » et « ACTIONS »

« [L] » et « PARTS SOCIALES

« [L] » et « TOTAL »

« [L] » et « SUEZ »

« [L] » et « SUEZ »

« [L] » et « SAIMPEM »

« [L] » et « AVEVA »

Le surplus de l'ordonnance du 20 juin 2022 est inchangé.

Par voie de conséquence, les recherches exécutées avec l'utilisation de ces combinaisons seront annulées.

Le produit obtenu par ses mesures et séquestré sera détruit. Il sera ordonné qu'aucun usage ne puisse être fait des documents recueillis à l'occasion des investigations annulées.

Il sera ordonné à la société Orinox sous astreinte de 100 euros par jours de retard à compter de la signification du présent arrêt, de supprimer dans ses conclusions régularisées auprès du conseil des prud'hommes de Nantes le 16 décembre 2022, ainsi que dans l'ensemble de ses écritures et pièces versées aux procédures n° 23/03467 et n° 2022006628 pendantes respectivement devant le tribunal judiciaire de Paris et devant le tribunal de commerce de Nantes, toute mention relative à des pièces obtenues grâce aux mesures supprimées, et de notifier au conseil des prud'hommes de Nantes l'interdiction énoncée par le présent arrêt.

Sur la demande indemnitaire de M. [L] :

Outre que M. [L] demande une condamnation au fond devant la cour,

Statuant sur l'appel d'une ordonnance de référé, il n'est pas incontestable que l'ordonnance du 20 juin 2022 fait obligation à la société Orinox de la signifier à M. [L].

L'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a débouté M. [L] de ce chef de demande.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et dans la limite des appels ;

Déclare recevable l'exception de connexité présentée par M. M [L] et [S] et les en déboute ;

Déclare recevable la demande de M.M [L] et [S] tendant à la jonction des affaires enregistrées sous les numéros RG 23/03232 et 23/03231 ;

Ordonne la jonction des affaires enregistrées sous les numéros RG 23/03232 et 23/03231 qui apparaitront sous le numéro RG 23/03231 ;

Confirme l'ordonnance entreprise n° 23/333 RG 23/00196 en toutes ses dispositions ;

Infirme l'ordonnance entreprise n° 2023/00046 en ce qu'elle a condamné M; [L] à payer à la société Orinox la somme de 6 000 € au titre des frais irrépétibles ;

Statuant à nouveau ;

Déboute la société Orinox de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles ;

Confirme l'ordonnance 2023/327 RG 23/00046 pour le surplus de ses dispositions ;

Ajoutant aux ordonnances entreprises :

Rejette la demande de M. [S] tendant à voir écarter des débats la pièce numéro 22 de la société Orinox et les conclusions de la société Orinox faisant références aux pièces issues de la mesure d'instruction ;

Modifie l'ordonnance du 20 juin 2022 en ce que :

Est supprimée, en page portant le numéro 53, de l'autorisation donnée à l'huissier de justice mandaté par la requérante « de rechercher et prendre copie de toutes correspondances électroniques (') tous créé, émis reçus échangés ou modifiés entre le 19 mars 2021 et le 21 avril 2022 » les recherches comportant les combinaisons de mots-clés suivants, tant en majuscules qu'en minuscules, ou avec une première lettre majuscule :

« [L] » et « ORINOX »

« [P] » et « ORINOX »

« [L] » et « [J] »

« [P] » et « [J] »

« [L] » et « ACTIONNARIAT »

« [L] » et « ACTIONS »

« [L] » et « PARTS SOCIALES »

« [L] » et « SUEZ »

« [L] » et « TOTAL »

« [L] » et « SUEZ »

« [L] » et « SUEZ »

« [L] » et « SAIMPEM »

« [L] » et « AVEVA »

Dit que le surplus de l'ordonnance du 20 juin 2022 est inchangé ;

Ordonne à l'huissier ayant procédé à la mesure d'instruction, dans les 7 jours du prononcé du présent arrêt de détruire et supprimer de tout support l'ensemble des éléments appréhendés et encore détenus en leurs locaux par l'application des combinaisons de mots-clés ci-dessus ainsi que les listes de ces documents et de justifier par écrit à M. [L] n'en avoir conservé aucune copie ;

Ordonne qu'aucun usage ne puisse être fait des documents recueillis à l'occasion des investigations supprimées ;

Ordonne à la société Orinox sous astreinte de 100 euros par jours de retard à compter de la signification du présent arrêt, de supprimer dans ses conclusions régularisées auprès du conseil des prud'hommes de Nantes le 16 décembre 2022, ainsi que dans l'ensemble de ses écritures et pièces versées aux procédures n° 23/03467 et n° 2022006628 pendantes respectivement devant le tribunal judiciaire de Paris et devant le tribunal de commerce de Nantes, toute mention relative à des pièces obtenues grâce aux mesures supprimées, et de notifier au conseil des prud'hommes de Nantes l'interdiction énoncée par le présent arrêt ;

Condamne la société Orinox aux dépens en cause d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société Orinox à payer à M. [L] la somme de 3 000 € au titre de ses frais irrépétibles en cause d'appel ;

Déboute M. [S] de sa demande au titre des frais irrépétibles en cause d'appel.