Décisions
CA Colmar, ch. 4 sb, 11 avril 2024, n° 22/00065
COLMAR
Arrêt
Autre
MINUTE N° 24/304
NOTIFICATION :
Copie aux parties
Clause exécutoire aux :
- avocats
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB
ARRET DU 11 Avril 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB N° RG 22/00065 - N° Portalis DBVW-V-B7G-HXTS
Décision déférée à la Cour : 19 Juin 2020 par le pôle social du Tribunal Judiciaire de MULHOUSE
APPELANTE :
URSSAF DE FRANCHE-COMTE
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Séverine WERTHE, avocat au barreau de BESANÇON, substituée par Me BOUDET, avocat au barreau de COLMAR
INTIMEE :
Madame [R] [O]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Valérie SPIESER, avocat au barreau de COLMAR, substituée par Me VOILLIOT, avocat au barreau de COLMAR
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 08 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. LEVEQUE, Président de chambre
Mme GREWEY, Conseiller
M. LAETHIER, Vice-Président placé
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme WALLAERT, Greffier
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par M. LEVEQUE, Président de chambre,
- signé par M. LEVEQUE, Président de chambre, et Mme WALLAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Exposé du litige
Sur contestation par Mme [R] [O] de la décision implicite de rejet, par la commission de recours amiable de l'Urssaf de Franche-Comté, de la décision du 7 juin 2018 par laquelle cet organisme a d'une part refusé l'annulation d'un appel de cotisation subsidiaire maladie (CSM) et d'autre part ramené celui-ci à 27 448 euros, le tribunal judiciaire de Mulhouse, par jugement du 19 juin 2020, a :
- déclaré le recours recevable ;
- constaté que les modalités de détermination de la CSM prévues par les dispositions réglementaires ne constituent pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
- constaté que l'Urssaf était territorialement incompétente pour émettre l'appel de cotisation du 15 décembre 2017 ;
- annulé celui-ci ;
- condamné l'Urssaf à payer à Mme [O] la somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu :
sur la rupture d'égalité devant les charges publiques,
- que le Conseil constitutionnel, par décision n° 2018 235 du 27 septembre 2018, n'avait déclaré constitutionnel l'article L. 380-2 du code d la sécurité sociale instituant la CSM qu'en précisant non seulement que la seule absence de plafonnement d'une cotisation dont les modalités de détermination de l'assiette ainsi que le taux sont fixés par voie réglementaire n'est pas en elle-même constitutive d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, mais aussi que toutefois il appartenait au pouvoir réglementaire de fixer ce taux et ces modalités de façon à ce que la cotisation n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
- qu'à cet égard le Conseil d'État avait jugé dans sa décision n° 417919 du 10 juillet 2019 que les modalités de calcul de la CSM, bien que non-plafonnée jusqu'à l'année 2019, n'entraînaient pas de rupture d'égalité devant les charges publiques ;
- et qu'en effet, il ressortait des articles L. 380-2 et D. 380-1 du code précité que le pouvoir réglementaire a encadré les modalités de calcul de la CSM en fixant les seuils et taux nécessaires à son calcul, peu important qu'il ait omis de prévoir un plafonnement pour la cotisation due au titre de l'année 2016 puisque le Conseil d'État avait estimé que ce plafonnement n'était pas nécessaire ;
sur la compétence territoriale de l'Urssaf,
- que cependant l'Urssaf de Franche-Comté n'était pas territorialement compétente pour émettre le 15 décembre 2017 un appel de cotisation à l'encontre d'une personne résidant en Alsace alors que la convention de mutualisation lui déléguant la compétence de l'Urssaf d'Alsace, en date du 1er décembre précédent, a été approuvée par une décision du directeur de l'Acoss qui n'a été publiée au bulletin officiel de la santé que le 15 janvier 2018, de sorte que cette décision n'était pas opposable aux tiers avant cette date.
L'Urssaf a interjeté appel de cette décision, notifiée le 24 juin 2020, par courrier recommandé avec demande d'avis de réception expédié le 16 juillet suivant.
L'appelante, par conclusions n° 3 enregistrées le 19 janvier 2024, demande à la cour de :
- d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a constaté que les modalités de détermination de la CSM ne constituaient pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
- constater ou déclarer qu'elle était territorialement compétente ;
- valider l'appel de cotisations ;
- débouter Mme [O] de toutes ses demandes ;
- la condamner à lui payer la somme de 26 121 euros, montant des cotisations restant dues ;
- la condamner à lui payer 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les dépens.
L'appelante soutient :
sur sa compétence territoriale,
- que le premier juge a à tort estimé que la convention de mutualisation interrégionale déléguant compétence à l'Urssaf de Franche-Comté pour une cotisante résidant en Alsace n'avait pris effet qu'à la publication de la décision du directeur de l'Acoss approuvant cette convention, ajoutant ainsi à la loi qui, à l'article L.122-7 du code de la sécurité sociale, n'imposait pas la publication de la décision d'approbation, laquelle suffisait à l'efficacité de la convention ;
- qu'en conséquence, celle-ci était entrée en vigueur le 11 décembre 2017, avant l'appel de cotisation litigieux émis le 15 décembre suivant ;
- qu'à supposer la publication nécessaire, celle-ci aurait pour seul effet de différer le point de départ du délai de recours ;
- qu'au demeurant les cotisations sont devenues exigibles le 19 janvier 2018, date postérieure à la publication ;
sur les cotisations,
- que l'appel de cotisations est bien fondé au regard des dispositions qui régissent la CSM ;
sur la rupture d'égalité devant les charges publiques,
- que les dispositions législatives de l'article L.380 du code de la sécurité sociale ont été déclarées constitutionnelles, et que le Conseil d'État a jugé que les dispositions réglementaires fixant les modalités de calcul de la CSM étaient elles aussi conformes à la constitution, ainsi que retenu par le tribunal, et plus précisément conformes au principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques prévu à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
sur la date d'appel des cotisations,
- que si effectivement l'appel de cotisation a été émis le 15 décembre 2017 après expiration du délai imparti à l'Urssaf par l'article R. 380-4 du code précité, suivant lequel la cotisation est appelée au plus tard le dernier ouvré du mois de novembre de l'année suivant celle au titre de laquelle elle est appelée, aucun texte ne sanctionne de nullité ce dépassement, dont le seul effet est de reporter le délai de 30 jours au terme duquel la cotisation est exigible et sujette à majorations de retard, et que de plus aucun grief n'en est résulté pour la cotisante ;
sur le respect de la loi dite informatique et libertés,
- qu'elle-même n'a pas violé l'article 27 de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 dès lors que le traitement des données fiscales à caractère personnel destinées au calcul de la CSM a été autorisé par décret n°2017-1530 du 3 novembre 2017 pris après avis de la commission nationale informatique et liberté (CNIL) du 26 octobre 2017 ;
- que les assurés en ont été régulièrement informés tant par la publication de ces textes au journal officiel que par la campagne d'information menée par l'Urssaf au mois de novembre 2017 ;
- qu'en tout état de cause, la prétendue violation de la loi informatique et liberté serait passible seulement d'une éventuelle sanction prononcée par la CNIL et non d'une annulation de l'appel de cotisation litigieux ;
sur l'obligation d'information générale des assurés sociaux,
- que l'Urssaf a respecté l'obligation d'information générale des assurés sociaux résultant de l'article R. 112-2 du code de la sécurité sociale ;
- que cette obligation, en l'absence de demande particulière d'un assuré, se limite à une obligation générale sans aller jusqu'à prendre l'initiative de renseigner individuellement les assurés sur leurs droits éventuels, ni de porter à leur connaissance les textes publiés au journal officiel ;
- qu'en l'espèce les assurés ont été informés par courrier de mi-novembre 2017 de l'entrée en vigueur de la protection universelle maladie (PUMa) et des modalités de recouvrement de la CSM ;
- qu'en outre une page dédiée figure sur le site internet de l'Urssaf ;
sur l'affiliation de la débitrice des cotisations,
- que Mme [O] a été régulièrement soumise à la CSM en application de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, dès lors que ses revenus professionnels sont nuls et sont ainsi inférieurs à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), soit 3 861 euros au titre de l'année 2016, qu'elle ne perçoit par ailleurs ni pension, rente ou allocation de chômage et que ses revenus du capital et du patrimoine, d'un montant de 352 753 euros, étaient supérieurs à 25 % du PASS, soit 9 654 euros en 2016.
Mme [O], par conclusions en date du 7 septembre 2022, demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré le recours recevable, constaté l'incompétence territoriale de l'Urssaf, annulé l'appel de cotisations et condamné l'Urssaf pour frais irrépétibles ;
- « sur appel incident » infirmer le jugement pour le surplus ;
- juger qu'en vertu de la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel en date du 27 septembre 2018, les modalités de détermination de la CSM prévues par les dispositions réglementaires constituent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, rendant nul l'appel de cotisation du 15 décembre 2017 ;
- prononcer la nullité de l'appel de cotisation du 15 décembre 2017 en raison de la violation du délai imparti à l'Urssaf par l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale pour appeler ladite cotisation ;
- prononcer la nullité de l'appel de cotisation du 15 décembre 2017 en raison de la violation de la loi de 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
- ordonner le remboursement de la somme de 27 448 euros par l'Urssaf de Franche-Comté à Madame [R] [O] au titre de la cotisation subsidiaire maladie 2016 appelée le 15 décembre 2017 ;
- condamner l'Urssaf au paiement des intérêts moratoires au taux légal calculés à compter de la date de paiement de la CSM 2016 dans son intégralité, soit le 20 février 2020 au bénéfice de la concluante ;
- condamner l'Urssaf à payer à Madame [R] [O] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les dépens.
L'intimée soutient :
sur la rupture d'égalité devant les charges publiques,
- que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 septembre 2018 (décision n° 2018-735 QPC), a jugé que l'article L.380-2 du code de la sécurité sociale instituant la CSM dans la cadre de la création de la Protection Universelle Maladie (PUMa), que la seule absence de plafonnement d'une cotisation dont les modalités de détermination de l'assiette ainsi que le taux sont fixés par voie réglementaire n'est pas, en elle-même, constitutive d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, et que toutefois, il appartenait au pouvoir réglementaire de fixer ce taux et ces modalités de façon à ce que la cotisation n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
- qu'en vertu de l'article 62 de la Constitution, suivant lequel les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, la réserve émise par le Conseil constitutionnel doit être appliquée directement par toutes les juridictions, notamment judiciaires, afin de lui conférer une portée effective et réelle pour le justiciable ;
- que le juge judiciaire n'est aucunement lié par la décision du Conseil d'État intervenue le 10 juillet 2019 dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir introduit contre la circulaire DSS/5B/2017/322 du 15 novembre 2017 relative à la cotisation subsidiaire maladie prévue à l'article L.380-2 du code de la sécurité sociale ;
- que la cour jugera que les modalités de calcul de la CSM fixées par voie réglementaire entraînent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, comme l'y enjoint le Conseil constitutionnel ;
- que la rupture d'égalité devant les charges publiques résulte des modalités de calcul fixées par les articles D. 380-1 et suivants, en ce que celles-ci combinent la fixation d'un seuil d'assujettissement déterminé en fonction d'un montant de revenu professionnel très faible (10 % du PASS), un abattement sur les revenus du capital pris en compte pour déterminer l'assiette de la cotisation faible (25 % du PASS), de l'absence totale de plafonnement de l'assiette de la cotisation ou de son montant, et un taux de 8 % fixé arbitrairement, sans lien avec les taux de cotisations à l'assurance maladie assis sur les revenus professionnels ;
- qu'en effet, ces dispositions réglementaires fixent une assiette de la CSM très large, avec un simple abattement de faible montant (25 % du PASS), sans prévoir aucun plafonnement, ce qui aboutit à faire contribuer de manière totalement disproportionnée certains assurés ayant une situation patrimoniale comparable ;
- qu'en conséquence, appliquant la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 septembre 2018, la cour jugera que les modalités de détermination de la CSM fixées par les dispositions réglementaires issues du décret du 19 juillet 2016, entraînent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, et annulera l'appel de cotisation litigieux ;
sur la compétence territoriale de l'Urssaf,
- qu'en application de l'article R. 380-3 du code de la sécurité sociale suivant lequel
« Les cotisations mentionnées à l'article L. 380-2 et au deuxième alinéa du IV de l'article L. 380 3-1 sont calculées, appelées et recouvrées par les organismes chargés du recouvrement des cotisations du régime général au vu des éléments transmis par l'administration fiscale ou par les personnes redevables de ces cotisations » et de l'article D 213-1 du même code, suivant lequel « La circonscription territoriale d'une union de recouvrement des cotisations de sécurité Sociale et d'allocations familiales est départementale ou régionale. Elle est fixée, ainsi que le siège de l'union, par arrêté du ministre chargé de la Sécurité Sociale. », l'Urssaf de Franche-Comté, compétente pour les départements du Doubs, du Jura, de la Haute Saône et du Territoire de Belfort, n'était pas compétente pour Mme [O] qui habite dans le Haut-Rhin ;
- qu'est à cet égard indifférente la convention de délégation prise à son bénéfice sur le fondement de l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale en vertu de laquelle elle était compétente pour opérer le recouvrement de la CSM, dès lors que les conventions relevant de l'article L. 122-7 doivent faire l'objet d'une approbation par le directeur de l'ACOSS et qu'elles sont publiées au Bulletin de la Santé, ce qui leur confère leur caractère d'opposabilité vis-à-vis des tiers, alors que la décision du directeur de l'ACOSS a été publiée au Bulletin Officiel de la Santé seulement le 15 janvier 2018 soit bien après l'envoi de l'appel de cotisation, et que seule cette publication est susceptible de porter à la connaissance des tiers ' que sont tous les cotisants ' l'existence des conventions de délégations entre les Urssaf, qui ne peuvent donc produire leurs effets juridiques qu'à compter de cette publication ;
- qu'en outre la convention versée au débat n'a pas été signée par le directeur de l'Urssaf d'Alsace mais par le directeur régional adjoint, en violation des dispositions de l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale ;
sur le caractère tardif de l'appel de cotisations,
- qu'en application de l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale issu du décret du 3 mai 2017, suivant lequel « La cotisation mentionnée à l'article L. 380-2 est appelée au plus tard le dernier jour ouvré du mois de novembre de l'année suivant celle au titre de laquelle elle est due. Elle est exigible dans les trente jours suivant la date à laquelle elle est appelée. », l'Urssaf, qui n'a pas respecté ce délai en émettant l'appel de cotisation le 15 décembre 2017 alors qu'elle ne pouvait le faire que jusqu'au 30 novembre, est forclose à réclamer les cotisations litigieuses ;
sur le respect de la loi informatique et libertés et sur les obligations d'informer
les cotisants,
- que l'appel de cotisation a été rendu possible par la communication d'informations nominatives sur les contribuables par l'administration fiscale aux organismes sociaux, conformément à l'article L. 380-2 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, tel qu'issu de la loi du 21 décembre 2015 instaurant la PUMa, qui dispose : « Les agents des administrations fiscales communiquent aux organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-2 les informations nominatives déclarées pour l'établissement de l'impôt sur le revenu par les personnes remplissant les conditions mentionnées au premier alinéa de l'article L. 380-2, conformément à l'article L.152 du livre des procédures fiscales. » ;
- que ce transfert de données devait être fait dans le respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, c'est-à-dire après autorisation préalable par décret en Conseil d'État, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), en application de l'article 27 I de la loi de 1978 précitée, suivant lequel « Sont autorisés par décret en Conseil d'État, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés :
1° Sous réserve du I bis de l'article 22 et du 9° du I de l'article 25, les traitements de données à caractère personnel mis en 'uvre pour le compte de l'État, d'une personne morale de droit public ou d'une personne morale de droit privé gérant un service public, qui portent sur des données parmi lesquelles figure le numéro d'inscription des personnes au répertoire national d'identification des personnes physiques » ;
- que pour permettre le recouvrement de la CSM due au titre de la PUMa, deux traitements de données personnelles devaient être mis en 'uvre et préalablement autorisés par décrets pris après avis publié de la CNIL : d'une part, un traitement automatisé de transfert de données personnelles par l'administration fiscale (DGFiP) à l'administration sociale (ACOSS) et d'autre part, un traitement concernant l'utilisation par l'ACOSS des données reçues de la DGFiP ;
- que le décret autorisant le transfert de données par la DGFiP à l'ACOSS est paru au JO du 26 mai 2018 c'est-à-dire après la mise en recouvrement de la Contribution Subsidiaire Maladie due au titre de la PUMa, de sorte que les données concernant les contribuables ont donc été communiquées de manière illégale par la DGFiP à l'ACOSS ;
- que l'Urssaf soutient inexactement que le décret n°2017-1530 du 3 novembre 2017 paru au JO du 4 novembre 2017 aurait autorisé à la fois le transfert de données de la DGFIP vers l'ACOSS, et le traitement de ces données par les Urssaf pour le calcul de la CSM, alors que ce décret autorise uniquement la mise en 'uvre d'un traitement de données à caractère personnel destiné au calcul de la CSM ;
- que par ailleurs les personnes concernées par la CSM n'ont, à aucun moment, été informées de la mise en 'uvre des traitements de données à caractère personnel les concernant, en violation de l'article 32 de la loi informatique et libertés ;
- que par ailleurs, les organismes de sécurité sociale sont de manière générale débiteurs d'une obligation d'information à l'égard des assurés, ainsi qu'il résulte de l'article R. 112-2 du code de la sécurité sociale qui précise qu' « avec le concours des organismes de sécurité sociale, le ministre chargé de la sécurité sociale prend toutes mesures utiles afin d'assurer l'information générale des assurés sociaux » ;
- qu'en effet, dans la délibération du 14 septembre 2017, la CNIL rappelle que des mesures doivent être prévues pour assurer l'information des intéressés ;
- qu'aucune information particulière n'a été faite par l'administration fiscale à l'égard des personnes susceptibles d'être concernées par la CSM, constituant ainsi une nouvelle violation de la loi de 1978, en particulier l'article 32 III de cette loi ;
- que la CNIL, dans sa délibération du 26 octobre 2017, relève à propos de « l'information et les droits des personnes » que « si la DGFIP a pour obligation d'informer les personnes en ce qui concerne le traitement automatisé de transfert de données fiscales dont elle est responsable de traitement, l'ACOSS devra également assurer l'information des personnes concernées pour le traitement qu'elle met en 'uvre » ;
- que le décret du 3 novembre 2017 ne fait nullement mention des modalités d'information qui seront mises en 'uvre par l'ACOSS à l'égard des personnes concernées par le traitement des données créé pour recouvrer la cotisation subsidiaire maladie ;
- qu'en pratique, aucune information n'a été faite par l'ACOSS aux cotisants concernés par cette nouvelle cotisation, en violation des obligations édictées par la loi de 1978 ;
- qu'en outre, l'obligation d'information résultant de l'article R. 112-2 du code de la sécurité sociale imposait, la cotisation subsidiaire maladie étant une nouvelle cotisation, avec un périmètre nouveau impactant pour la première fois un nombre important de cotisants, d'organiser une communication en amont de l'appel de cotisation ;
- que cette information n'a été délivrée aux cotisants qu'à réception de l'appel de cotisation daté du 15 décembre 2017, Madame [O] n'ayant jamais réceptionné de courrier d'information et n'ayant pu, étant âgée de 90 ans, accéder au site internet de l'Urssaf ;
- qu'il est faux de prétendre que seule la CNIL serait en droit de sanctionner une violation de la loi informatique et liberté ;
sur les cotisations,
- que Madame [O] n'est plus redevable d'un solde de cotisation de 26 121 euros, ayant acquitté cette somme au mois de février 2020.
À l'audience du 8 février 2024, les parties ont demandé le bénéfice de leurs écritures, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de leurs moyens de fait et de droit, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur la nullité pour incompétence territoriale de l'Urssaf de Franche-Comté
Si le tribunal a exactement retenu que l'Urssaf de Franche-Comté a émis le 15 décembre 2017 un appel de cotisation à l'encontre d'une personne résidant en Alsace, qu'une convention de mutualisation du 1er décembre précédent, conformément à l'article L 122-7 du code de la sécurité sociale, lui avait délégué la compétence territoriale de l'Urssaf d'Alsace et que cette convention avait été approuvée par une décision du directeur de l'Acoss antérieure à l'appel de cotisation mais qui n'avait été publiée au bulletin officiel de la santé que le 15 janvier 2018, il ne pouvait en déduire que la délégation était privée d'effet à l'égard de Mme [O] au motif que la publication était postérieure à l'appel de cotisation.
En effet, l'article L. 380-2 du même code dispose expressément que les conventions interrégionales de mutualisation entre Urssaf prennent effet après approbation par le directeur de l'organisme national de chaque branche concernée, sans qu'aucun texte y ajoute pour subordonner leur efficacité à leur publication au bulletin officiel de la santé. En particulier, n'est pas applicable l'article 1er du code civil, qui dispose « Les lois et, lorsqu'ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu'ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication. », qui concerne les lois et actes réglementaires publiés au journal officiel, qui est distinct du bulletin officiel de la santé. La pratique consistant à publier les conventions de mutualisation entre Urssaf au bulletin officiel de la santé ne créant pas une obligation de le faire, le défaut de publication ne peut être sanctionné par l'inopposabilité de la convention aux tiers.
En conséquence, infirmant le jugement en ce qu'il a constaté que l'Urssaf était territorialement incompétente pour émettre l'appel de cotisation du 15 décembre 2017, la cour et écartera la nullité invoquée à ce titre.
Sera de même écartée la nullité invoquée au motif que la convention versée au débat n'a pas été signée par le directeur de l'Urssaf d'Alsace mais par son directeur adjoint, ce qui résulte effectivement de l'acte litigieux, dès lors que celui-ci, bien qu'adjoint, reste un directeur et que la loi n'opère pas de distinction entre le directeur et le directeur adjoint.
Sur la nullité pour forclusion de l'appel de cotisation
L'article R.380-4, I du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-736 du 3 mai 2017, applicable au recouvrement de la cotisation litigieuse, énonce que la cotisation assise sur les revenus non professionnels mentionnée à l'article L.380-2 du même code est appelée au plus tard le dernier jour ouvré du mois de novembre de l'année suivant celle au titre de laquelle elle est due, et qu'elle est exigible dans les trente jours suivant la date à laquelle elle est appelée. Le non-respect par l'organisme de recouvrement de la date limite mentionnée par ce texte a pour seul effet de reporter le délai au terme duquel la cotisation devient exigible (en ce sens : Cass., Civ. 2, 6 janvier 2022, n° 20-16.379 ; Cass. Civ. 2, 7 avril 2022, n° 20-17.872).
En conséquence, la nullité invoquée de ce chef sera écartée.
Sur la nullité pour rupture d'égalité de devant les charges publiques
Aucune rupture d'égalité devant les charges publiques ne peut être retenue comme résultant des dispositions législatives qui régissent la cotisation litigieuse, le Conseil constitutionnel ayant au contraire jugé l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale constitutionnel dans sa décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018. Si le Conseil constitutionnel a formulé une réserve quant aux première et dernière phrases du quatrième alinéa de l'article L. 380-2 précité, selon laquelle « (') la seule absence de plafonnement d'une cotisation dont les modalités de détermination de l'assiette ainsi que le taux sont fixés par voie réglementaire n'est pas, en elle-même, constitutive d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Toutefois, il appartient au pouvoir réglementaire de fixer ce taux et ces modalités de façon à ce que la cotisation n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ", cette réserve ne vise que la mise en 'uvre réglementaire de la disposition législative, qui n'en reste pas moins conforme à la Constitution, notamment au regard de l'égalité devant les charges publiques.
Les dispositions non plus législatives mais réglementaires qui régissent la CSM ne peuvent davantage être regardées comme génératrices d'une rupture d'égalité devant les charges publiques, dès lors que le Conseil d'État a jugé le contraire, par une motivation que la cour fait sienne et ci-après reproduite (Conseil d'État, 1ère ' 4e chambres réunies, 10/07/2019, 417919) :
« Aux termes du I de l'article D.380-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret du 19 juillet 2016 relatif aux modalités de calcul de la cotisation prévue à l'article L.380-2 du code de la sécurité sociale : « Le montant de la cotisation mentionné à l'article L.380-2 due par les assurés dont les revenus tirés d'activités professionnelles sont inférieurs à un seuil fixé à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale est déterminé selon les formules suivantes : / 1° Si les revenus tirés d'activités professionnelles sont inférieurs à 5 % du plafond annuel de la sécurité sociale : / Montant de la cotisation = 8 % × (A-D) / Où : / A est l'assiette des revenus définie au quatrième alinéa de l'article L. 380-2 ; / D, qui correspond au plafond mentionné au quatrième alinéa du même article, est égal à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale ; / 2° Si les revenus tirés d'activités professionnelles sont compris entre 5 % et 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale : / Montant de la cotisation = 8 % × (A-D) × 2 × (1-R/ S) / Où : / R est le montant des revenus tirés d'activités professionnelles ; / S, qui correspond au seuil des revenus tirés d'activités professionnelles mentionné au deuxième alinéa de l'article L.380-2, est égal à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale ". Ces dispositions prévoient ainsi que la cotisation subsidiaire maladie est due par les assurés dont les revenus tirés d'activités professionnelles sont inférieurs à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale et qu'elle s'applique, au taux de 8 %, à la part des revenus du patrimoine excédant 25 % du même plafond. En outre, l'abattement d'assiette prévu en application du cinquième alinéa de l'article L.380-2 du code de la sécurité sociale équivaut à appliquer aux revenus du patrimoine un taux de cotisation décroissant de façon linéaire de 8 à 0 % en fonction du montant des revenus professionnels lorsque ceux-ci sont compris entre 5 et 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale.
13. En fixant, dans le cadre déterminé par les dispositions de l'article L.380-2 précité, le seuil de revenus professionnels prévu au deuxième alinéa de cet article, en deçà duquel la cotisation est due, à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 3 861,60 euros en 2016, le montant des revenus du patrimoine mentionné au quatrième alinéa du même article, au-delà duquel s'applique le prélèvement, à 25 % de ce même plafond, soit 9 654 euros en 2016, et le taux de la cotisation en cause à 8 %, le pouvoir réglementaire a défini les modalités de calcul de cette cotisation dans des conditions qui n'entraînent pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'article D. 380-1 du code de la sécurité sociale aurait méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens de 1789, non plus que les dispositions de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel ».
En conséquence, la nullité tirée d'une rupture d'égalité devant les charges publiques sera écartée et le jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté que les modalités de détermination de la cotisation subsidiaire maladie prévues par les dispositions réglementaires ne constituent pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
Sur la nullité pour violation de la loi informatique et libertés
Le moyen de nullité tiré par Mme [O] de prétendues violations de la loi informatique et libertés à l'occasion de la transmission par l'administration fiscale à l'Urssaf de données relatives aux revenus de l'intéressée, est inopérant dès lors qu'aucun texte ne prévoit une telle nullité, que de surcroît la nullité invoquée ne peut être retenue en l'absence de grief, et qu'aucun grief ne peut résulter d'une telle transmission de données lorsque la réalité des revenus concernés n'est pas discutée et que l'intéressée ne peut se prévaloir d'aucun droit à leur dissimulation pour se soustraire à la cotisation.
La nullité de l'appel de cotisation sera donc encore écartée de ce chef.
Sur la nullité pour défaut d'information des cotisants
Est de même inopérant le moyen tiré de la prétendue violation par l'Urssaf de l'obligation d'informer les cotisants résultant de l'article R. 112-2 du code de la sécurité sociale, qui n'est pas susceptible d'emporter la nullité de l'appel de cotisation, faute non seulement de texte prévoyant une telle nullité pour ce manquement, mais encore faute de grief pouvant en résulter pour la cotisante, en l'absence de contestation des revenus constituant l'assiette des cotisations litigieuses et en l'absence d'allégation d'un effet possible de l'information prétendument manquante sur le montant des cotisations dues.
Ce moyen de nullité sera donc lui aussi écarté.
Aucune des moyens de nullité ne prospérant, le jugement sera infirmé en ce qu'il a annulé l'appel de cotisation en date du 15 décembre 2017 émis par l'Urssaf de Franche-Comté à l'encontre de Mme [O] et celle-ci sera déboutée de sa demande en remboursement de la somme de 27 448 euros par l'Urssaf de Franche-Comté.
Sur les sommes dues
Le calcul des cotisations dues n'est pas discuté, seul l'étant le solde restant dû, Mme [O] affirmant s'en être acquittée intégralement, contrairement à l'Urssaf qui prétend rester créancière d'un solde après paiement d'un simple acompte.
En application de l'article 1353 du code civil, suivant lequel : 'Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation', il incombe à Mme [O] de prouver son paiement.
Elle produit à cet égard un courrier en date du 17 février 2020 adressé par son avocat à l'Urssaf qui fait état notamment de la transmission d'un chèque de 26 121 euros en règlement de la « CSM 2016 », ainsi que la copie d'un chèque de même montant. Ces documents, qui sont établis par elle-même et qui ne démontrent pas l'encaissement du chèque, ne démontrent pas la réalité du paiement.
En conséquence, Mme [O] sera condamnée à payer à l'Urssaf la somme réclamée de 26 121 euros, en deniers ou quittances.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe ;
Infirme le jugement rendu entre les parties le 19 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Mulhouse, sauf en ce qu'il a déclaré le recours recevable et en ce qu'il a constaté que les modalités de détermination de la cotisation subsidiaire maladie prévues par les dispositions réglementaires ne constituent pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, ces chefs de jugement étant confirmés ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déboute Mme [R] [O] de ses demandes en nullité de l'appel de cotisations émis à son encontre le 15 décembre 2017 par l'Urssaf de Franche-Comté ;
La déboute de sa demande en remboursement de la somme de 27 448 euros par l'Urssaf de Franche-Comté ;
La condamne à payer à l'Urssaf de Franche-Comté la somme de 26 121 euros, en deniers ou quittances ;
La condamne à payer à l'Urssaf de Franche-Comté la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
La déboute du même chef ;
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.
La greffière, Le président de chambre,
NOTIFICATION :
Copie aux parties
Clause exécutoire aux :
- avocats
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB
ARRET DU 11 Avril 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB N° RG 22/00065 - N° Portalis DBVW-V-B7G-HXTS
Décision déférée à la Cour : 19 Juin 2020 par le pôle social du Tribunal Judiciaire de MULHOUSE
APPELANTE :
URSSAF DE FRANCHE-COMTE
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Séverine WERTHE, avocat au barreau de BESANÇON, substituée par Me BOUDET, avocat au barreau de COLMAR
INTIMEE :
Madame [R] [O]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Valérie SPIESER, avocat au barreau de COLMAR, substituée par Me VOILLIOT, avocat au barreau de COLMAR
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 08 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. LEVEQUE, Président de chambre
Mme GREWEY, Conseiller
M. LAETHIER, Vice-Président placé
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme WALLAERT, Greffier
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par M. LEVEQUE, Président de chambre,
- signé par M. LEVEQUE, Président de chambre, et Mme WALLAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Exposé du litige
Sur contestation par Mme [R] [O] de la décision implicite de rejet, par la commission de recours amiable de l'Urssaf de Franche-Comté, de la décision du 7 juin 2018 par laquelle cet organisme a d'une part refusé l'annulation d'un appel de cotisation subsidiaire maladie (CSM) et d'autre part ramené celui-ci à 27 448 euros, le tribunal judiciaire de Mulhouse, par jugement du 19 juin 2020, a :
- déclaré le recours recevable ;
- constaté que les modalités de détermination de la CSM prévues par les dispositions réglementaires ne constituent pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
- constaté que l'Urssaf était territorialement incompétente pour émettre l'appel de cotisation du 15 décembre 2017 ;
- annulé celui-ci ;
- condamné l'Urssaf à payer à Mme [O] la somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu :
sur la rupture d'égalité devant les charges publiques,
- que le Conseil constitutionnel, par décision n° 2018 235 du 27 septembre 2018, n'avait déclaré constitutionnel l'article L. 380-2 du code d la sécurité sociale instituant la CSM qu'en précisant non seulement que la seule absence de plafonnement d'une cotisation dont les modalités de détermination de l'assiette ainsi que le taux sont fixés par voie réglementaire n'est pas en elle-même constitutive d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, mais aussi que toutefois il appartenait au pouvoir réglementaire de fixer ce taux et ces modalités de façon à ce que la cotisation n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
- qu'à cet égard le Conseil d'État avait jugé dans sa décision n° 417919 du 10 juillet 2019 que les modalités de calcul de la CSM, bien que non-plafonnée jusqu'à l'année 2019, n'entraînaient pas de rupture d'égalité devant les charges publiques ;
- et qu'en effet, il ressortait des articles L. 380-2 et D. 380-1 du code précité que le pouvoir réglementaire a encadré les modalités de calcul de la CSM en fixant les seuils et taux nécessaires à son calcul, peu important qu'il ait omis de prévoir un plafonnement pour la cotisation due au titre de l'année 2016 puisque le Conseil d'État avait estimé que ce plafonnement n'était pas nécessaire ;
sur la compétence territoriale de l'Urssaf,
- que cependant l'Urssaf de Franche-Comté n'était pas territorialement compétente pour émettre le 15 décembre 2017 un appel de cotisation à l'encontre d'une personne résidant en Alsace alors que la convention de mutualisation lui déléguant la compétence de l'Urssaf d'Alsace, en date du 1er décembre précédent, a été approuvée par une décision du directeur de l'Acoss qui n'a été publiée au bulletin officiel de la santé que le 15 janvier 2018, de sorte que cette décision n'était pas opposable aux tiers avant cette date.
L'Urssaf a interjeté appel de cette décision, notifiée le 24 juin 2020, par courrier recommandé avec demande d'avis de réception expédié le 16 juillet suivant.
L'appelante, par conclusions n° 3 enregistrées le 19 janvier 2024, demande à la cour de :
- d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a constaté que les modalités de détermination de la CSM ne constituaient pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
- constater ou déclarer qu'elle était territorialement compétente ;
- valider l'appel de cotisations ;
- débouter Mme [O] de toutes ses demandes ;
- la condamner à lui payer la somme de 26 121 euros, montant des cotisations restant dues ;
- la condamner à lui payer 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les dépens.
L'appelante soutient :
sur sa compétence territoriale,
- que le premier juge a à tort estimé que la convention de mutualisation interrégionale déléguant compétence à l'Urssaf de Franche-Comté pour une cotisante résidant en Alsace n'avait pris effet qu'à la publication de la décision du directeur de l'Acoss approuvant cette convention, ajoutant ainsi à la loi qui, à l'article L.122-7 du code de la sécurité sociale, n'imposait pas la publication de la décision d'approbation, laquelle suffisait à l'efficacité de la convention ;
- qu'en conséquence, celle-ci était entrée en vigueur le 11 décembre 2017, avant l'appel de cotisation litigieux émis le 15 décembre suivant ;
- qu'à supposer la publication nécessaire, celle-ci aurait pour seul effet de différer le point de départ du délai de recours ;
- qu'au demeurant les cotisations sont devenues exigibles le 19 janvier 2018, date postérieure à la publication ;
sur les cotisations,
- que l'appel de cotisations est bien fondé au regard des dispositions qui régissent la CSM ;
sur la rupture d'égalité devant les charges publiques,
- que les dispositions législatives de l'article L.380 du code de la sécurité sociale ont été déclarées constitutionnelles, et que le Conseil d'État a jugé que les dispositions réglementaires fixant les modalités de calcul de la CSM étaient elles aussi conformes à la constitution, ainsi que retenu par le tribunal, et plus précisément conformes au principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques prévu à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
sur la date d'appel des cotisations,
- que si effectivement l'appel de cotisation a été émis le 15 décembre 2017 après expiration du délai imparti à l'Urssaf par l'article R. 380-4 du code précité, suivant lequel la cotisation est appelée au plus tard le dernier ouvré du mois de novembre de l'année suivant celle au titre de laquelle elle est appelée, aucun texte ne sanctionne de nullité ce dépassement, dont le seul effet est de reporter le délai de 30 jours au terme duquel la cotisation est exigible et sujette à majorations de retard, et que de plus aucun grief n'en est résulté pour la cotisante ;
sur le respect de la loi dite informatique et libertés,
- qu'elle-même n'a pas violé l'article 27 de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 dès lors que le traitement des données fiscales à caractère personnel destinées au calcul de la CSM a été autorisé par décret n°2017-1530 du 3 novembre 2017 pris après avis de la commission nationale informatique et liberté (CNIL) du 26 octobre 2017 ;
- que les assurés en ont été régulièrement informés tant par la publication de ces textes au journal officiel que par la campagne d'information menée par l'Urssaf au mois de novembre 2017 ;
- qu'en tout état de cause, la prétendue violation de la loi informatique et liberté serait passible seulement d'une éventuelle sanction prononcée par la CNIL et non d'une annulation de l'appel de cotisation litigieux ;
sur l'obligation d'information générale des assurés sociaux,
- que l'Urssaf a respecté l'obligation d'information générale des assurés sociaux résultant de l'article R. 112-2 du code de la sécurité sociale ;
- que cette obligation, en l'absence de demande particulière d'un assuré, se limite à une obligation générale sans aller jusqu'à prendre l'initiative de renseigner individuellement les assurés sur leurs droits éventuels, ni de porter à leur connaissance les textes publiés au journal officiel ;
- qu'en l'espèce les assurés ont été informés par courrier de mi-novembre 2017 de l'entrée en vigueur de la protection universelle maladie (PUMa) et des modalités de recouvrement de la CSM ;
- qu'en outre une page dédiée figure sur le site internet de l'Urssaf ;
sur l'affiliation de la débitrice des cotisations,
- que Mme [O] a été régulièrement soumise à la CSM en application de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, dès lors que ses revenus professionnels sont nuls et sont ainsi inférieurs à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), soit 3 861 euros au titre de l'année 2016, qu'elle ne perçoit par ailleurs ni pension, rente ou allocation de chômage et que ses revenus du capital et du patrimoine, d'un montant de 352 753 euros, étaient supérieurs à 25 % du PASS, soit 9 654 euros en 2016.
Mme [O], par conclusions en date du 7 septembre 2022, demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré le recours recevable, constaté l'incompétence territoriale de l'Urssaf, annulé l'appel de cotisations et condamné l'Urssaf pour frais irrépétibles ;
- « sur appel incident » infirmer le jugement pour le surplus ;
- juger qu'en vertu de la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel en date du 27 septembre 2018, les modalités de détermination de la CSM prévues par les dispositions réglementaires constituent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, rendant nul l'appel de cotisation du 15 décembre 2017 ;
- prononcer la nullité de l'appel de cotisation du 15 décembre 2017 en raison de la violation du délai imparti à l'Urssaf par l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale pour appeler ladite cotisation ;
- prononcer la nullité de l'appel de cotisation du 15 décembre 2017 en raison de la violation de la loi de 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
- ordonner le remboursement de la somme de 27 448 euros par l'Urssaf de Franche-Comté à Madame [R] [O] au titre de la cotisation subsidiaire maladie 2016 appelée le 15 décembre 2017 ;
- condamner l'Urssaf au paiement des intérêts moratoires au taux légal calculés à compter de la date de paiement de la CSM 2016 dans son intégralité, soit le 20 février 2020 au bénéfice de la concluante ;
- condamner l'Urssaf à payer à Madame [R] [O] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les dépens.
L'intimée soutient :
sur la rupture d'égalité devant les charges publiques,
- que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 septembre 2018 (décision n° 2018-735 QPC), a jugé que l'article L.380-2 du code de la sécurité sociale instituant la CSM dans la cadre de la création de la Protection Universelle Maladie (PUMa), que la seule absence de plafonnement d'une cotisation dont les modalités de détermination de l'assiette ainsi que le taux sont fixés par voie réglementaire n'est pas, en elle-même, constitutive d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, et que toutefois, il appartenait au pouvoir réglementaire de fixer ce taux et ces modalités de façon à ce que la cotisation n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
- qu'en vertu de l'article 62 de la Constitution, suivant lequel les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, la réserve émise par le Conseil constitutionnel doit être appliquée directement par toutes les juridictions, notamment judiciaires, afin de lui conférer une portée effective et réelle pour le justiciable ;
- que le juge judiciaire n'est aucunement lié par la décision du Conseil d'État intervenue le 10 juillet 2019 dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir introduit contre la circulaire DSS/5B/2017/322 du 15 novembre 2017 relative à la cotisation subsidiaire maladie prévue à l'article L.380-2 du code de la sécurité sociale ;
- que la cour jugera que les modalités de calcul de la CSM fixées par voie réglementaire entraînent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, comme l'y enjoint le Conseil constitutionnel ;
- que la rupture d'égalité devant les charges publiques résulte des modalités de calcul fixées par les articles D. 380-1 et suivants, en ce que celles-ci combinent la fixation d'un seuil d'assujettissement déterminé en fonction d'un montant de revenu professionnel très faible (10 % du PASS), un abattement sur les revenus du capital pris en compte pour déterminer l'assiette de la cotisation faible (25 % du PASS), de l'absence totale de plafonnement de l'assiette de la cotisation ou de son montant, et un taux de 8 % fixé arbitrairement, sans lien avec les taux de cotisations à l'assurance maladie assis sur les revenus professionnels ;
- qu'en effet, ces dispositions réglementaires fixent une assiette de la CSM très large, avec un simple abattement de faible montant (25 % du PASS), sans prévoir aucun plafonnement, ce qui aboutit à faire contribuer de manière totalement disproportionnée certains assurés ayant une situation patrimoniale comparable ;
- qu'en conséquence, appliquant la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 septembre 2018, la cour jugera que les modalités de détermination de la CSM fixées par les dispositions réglementaires issues du décret du 19 juillet 2016, entraînent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, et annulera l'appel de cotisation litigieux ;
sur la compétence territoriale de l'Urssaf,
- qu'en application de l'article R. 380-3 du code de la sécurité sociale suivant lequel
« Les cotisations mentionnées à l'article L. 380-2 et au deuxième alinéa du IV de l'article L. 380 3-1 sont calculées, appelées et recouvrées par les organismes chargés du recouvrement des cotisations du régime général au vu des éléments transmis par l'administration fiscale ou par les personnes redevables de ces cotisations » et de l'article D 213-1 du même code, suivant lequel « La circonscription territoriale d'une union de recouvrement des cotisations de sécurité Sociale et d'allocations familiales est départementale ou régionale. Elle est fixée, ainsi que le siège de l'union, par arrêté du ministre chargé de la Sécurité Sociale. », l'Urssaf de Franche-Comté, compétente pour les départements du Doubs, du Jura, de la Haute Saône et du Territoire de Belfort, n'était pas compétente pour Mme [O] qui habite dans le Haut-Rhin ;
- qu'est à cet égard indifférente la convention de délégation prise à son bénéfice sur le fondement de l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale en vertu de laquelle elle était compétente pour opérer le recouvrement de la CSM, dès lors que les conventions relevant de l'article L. 122-7 doivent faire l'objet d'une approbation par le directeur de l'ACOSS et qu'elles sont publiées au Bulletin de la Santé, ce qui leur confère leur caractère d'opposabilité vis-à-vis des tiers, alors que la décision du directeur de l'ACOSS a été publiée au Bulletin Officiel de la Santé seulement le 15 janvier 2018 soit bien après l'envoi de l'appel de cotisation, et que seule cette publication est susceptible de porter à la connaissance des tiers ' que sont tous les cotisants ' l'existence des conventions de délégations entre les Urssaf, qui ne peuvent donc produire leurs effets juridiques qu'à compter de cette publication ;
- qu'en outre la convention versée au débat n'a pas été signée par le directeur de l'Urssaf d'Alsace mais par le directeur régional adjoint, en violation des dispositions de l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale ;
sur le caractère tardif de l'appel de cotisations,
- qu'en application de l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale issu du décret du 3 mai 2017, suivant lequel « La cotisation mentionnée à l'article L. 380-2 est appelée au plus tard le dernier jour ouvré du mois de novembre de l'année suivant celle au titre de laquelle elle est due. Elle est exigible dans les trente jours suivant la date à laquelle elle est appelée. », l'Urssaf, qui n'a pas respecté ce délai en émettant l'appel de cotisation le 15 décembre 2017 alors qu'elle ne pouvait le faire que jusqu'au 30 novembre, est forclose à réclamer les cotisations litigieuses ;
sur le respect de la loi informatique et libertés et sur les obligations d'informer
les cotisants,
- que l'appel de cotisation a été rendu possible par la communication d'informations nominatives sur les contribuables par l'administration fiscale aux organismes sociaux, conformément à l'article L. 380-2 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, tel qu'issu de la loi du 21 décembre 2015 instaurant la PUMa, qui dispose : « Les agents des administrations fiscales communiquent aux organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-2 les informations nominatives déclarées pour l'établissement de l'impôt sur le revenu par les personnes remplissant les conditions mentionnées au premier alinéa de l'article L. 380-2, conformément à l'article L.152 du livre des procédures fiscales. » ;
- que ce transfert de données devait être fait dans le respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, c'est-à-dire après autorisation préalable par décret en Conseil d'État, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), en application de l'article 27 I de la loi de 1978 précitée, suivant lequel « Sont autorisés par décret en Conseil d'État, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés :
1° Sous réserve du I bis de l'article 22 et du 9° du I de l'article 25, les traitements de données à caractère personnel mis en 'uvre pour le compte de l'État, d'une personne morale de droit public ou d'une personne morale de droit privé gérant un service public, qui portent sur des données parmi lesquelles figure le numéro d'inscription des personnes au répertoire national d'identification des personnes physiques » ;
- que pour permettre le recouvrement de la CSM due au titre de la PUMa, deux traitements de données personnelles devaient être mis en 'uvre et préalablement autorisés par décrets pris après avis publié de la CNIL : d'une part, un traitement automatisé de transfert de données personnelles par l'administration fiscale (DGFiP) à l'administration sociale (ACOSS) et d'autre part, un traitement concernant l'utilisation par l'ACOSS des données reçues de la DGFiP ;
- que le décret autorisant le transfert de données par la DGFiP à l'ACOSS est paru au JO du 26 mai 2018 c'est-à-dire après la mise en recouvrement de la Contribution Subsidiaire Maladie due au titre de la PUMa, de sorte que les données concernant les contribuables ont donc été communiquées de manière illégale par la DGFiP à l'ACOSS ;
- que l'Urssaf soutient inexactement que le décret n°2017-1530 du 3 novembre 2017 paru au JO du 4 novembre 2017 aurait autorisé à la fois le transfert de données de la DGFIP vers l'ACOSS, et le traitement de ces données par les Urssaf pour le calcul de la CSM, alors que ce décret autorise uniquement la mise en 'uvre d'un traitement de données à caractère personnel destiné au calcul de la CSM ;
- que par ailleurs les personnes concernées par la CSM n'ont, à aucun moment, été informées de la mise en 'uvre des traitements de données à caractère personnel les concernant, en violation de l'article 32 de la loi informatique et libertés ;
- que par ailleurs, les organismes de sécurité sociale sont de manière générale débiteurs d'une obligation d'information à l'égard des assurés, ainsi qu'il résulte de l'article R. 112-2 du code de la sécurité sociale qui précise qu' « avec le concours des organismes de sécurité sociale, le ministre chargé de la sécurité sociale prend toutes mesures utiles afin d'assurer l'information générale des assurés sociaux » ;
- qu'en effet, dans la délibération du 14 septembre 2017, la CNIL rappelle que des mesures doivent être prévues pour assurer l'information des intéressés ;
- qu'aucune information particulière n'a été faite par l'administration fiscale à l'égard des personnes susceptibles d'être concernées par la CSM, constituant ainsi une nouvelle violation de la loi de 1978, en particulier l'article 32 III de cette loi ;
- que la CNIL, dans sa délibération du 26 octobre 2017, relève à propos de « l'information et les droits des personnes » que « si la DGFIP a pour obligation d'informer les personnes en ce qui concerne le traitement automatisé de transfert de données fiscales dont elle est responsable de traitement, l'ACOSS devra également assurer l'information des personnes concernées pour le traitement qu'elle met en 'uvre » ;
- que le décret du 3 novembre 2017 ne fait nullement mention des modalités d'information qui seront mises en 'uvre par l'ACOSS à l'égard des personnes concernées par le traitement des données créé pour recouvrer la cotisation subsidiaire maladie ;
- qu'en pratique, aucune information n'a été faite par l'ACOSS aux cotisants concernés par cette nouvelle cotisation, en violation des obligations édictées par la loi de 1978 ;
- qu'en outre, l'obligation d'information résultant de l'article R. 112-2 du code de la sécurité sociale imposait, la cotisation subsidiaire maladie étant une nouvelle cotisation, avec un périmètre nouveau impactant pour la première fois un nombre important de cotisants, d'organiser une communication en amont de l'appel de cotisation ;
- que cette information n'a été délivrée aux cotisants qu'à réception de l'appel de cotisation daté du 15 décembre 2017, Madame [O] n'ayant jamais réceptionné de courrier d'information et n'ayant pu, étant âgée de 90 ans, accéder au site internet de l'Urssaf ;
- qu'il est faux de prétendre que seule la CNIL serait en droit de sanctionner une violation de la loi informatique et liberté ;
sur les cotisations,
- que Madame [O] n'est plus redevable d'un solde de cotisation de 26 121 euros, ayant acquitté cette somme au mois de février 2020.
À l'audience du 8 février 2024, les parties ont demandé le bénéfice de leurs écritures, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de leurs moyens de fait et de droit, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur la nullité pour incompétence territoriale de l'Urssaf de Franche-Comté
Si le tribunal a exactement retenu que l'Urssaf de Franche-Comté a émis le 15 décembre 2017 un appel de cotisation à l'encontre d'une personne résidant en Alsace, qu'une convention de mutualisation du 1er décembre précédent, conformément à l'article L 122-7 du code de la sécurité sociale, lui avait délégué la compétence territoriale de l'Urssaf d'Alsace et que cette convention avait été approuvée par une décision du directeur de l'Acoss antérieure à l'appel de cotisation mais qui n'avait été publiée au bulletin officiel de la santé que le 15 janvier 2018, il ne pouvait en déduire que la délégation était privée d'effet à l'égard de Mme [O] au motif que la publication était postérieure à l'appel de cotisation.
En effet, l'article L. 380-2 du même code dispose expressément que les conventions interrégionales de mutualisation entre Urssaf prennent effet après approbation par le directeur de l'organisme national de chaque branche concernée, sans qu'aucun texte y ajoute pour subordonner leur efficacité à leur publication au bulletin officiel de la santé. En particulier, n'est pas applicable l'article 1er du code civil, qui dispose « Les lois et, lorsqu'ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu'ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication. », qui concerne les lois et actes réglementaires publiés au journal officiel, qui est distinct du bulletin officiel de la santé. La pratique consistant à publier les conventions de mutualisation entre Urssaf au bulletin officiel de la santé ne créant pas une obligation de le faire, le défaut de publication ne peut être sanctionné par l'inopposabilité de la convention aux tiers.
En conséquence, infirmant le jugement en ce qu'il a constaté que l'Urssaf était territorialement incompétente pour émettre l'appel de cotisation du 15 décembre 2017, la cour et écartera la nullité invoquée à ce titre.
Sera de même écartée la nullité invoquée au motif que la convention versée au débat n'a pas été signée par le directeur de l'Urssaf d'Alsace mais par son directeur adjoint, ce qui résulte effectivement de l'acte litigieux, dès lors que celui-ci, bien qu'adjoint, reste un directeur et que la loi n'opère pas de distinction entre le directeur et le directeur adjoint.
Sur la nullité pour forclusion de l'appel de cotisation
L'article R.380-4, I du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-736 du 3 mai 2017, applicable au recouvrement de la cotisation litigieuse, énonce que la cotisation assise sur les revenus non professionnels mentionnée à l'article L.380-2 du même code est appelée au plus tard le dernier jour ouvré du mois de novembre de l'année suivant celle au titre de laquelle elle est due, et qu'elle est exigible dans les trente jours suivant la date à laquelle elle est appelée. Le non-respect par l'organisme de recouvrement de la date limite mentionnée par ce texte a pour seul effet de reporter le délai au terme duquel la cotisation devient exigible (en ce sens : Cass., Civ. 2, 6 janvier 2022, n° 20-16.379 ; Cass. Civ. 2, 7 avril 2022, n° 20-17.872).
En conséquence, la nullité invoquée de ce chef sera écartée.
Sur la nullité pour rupture d'égalité de devant les charges publiques
Aucune rupture d'égalité devant les charges publiques ne peut être retenue comme résultant des dispositions législatives qui régissent la cotisation litigieuse, le Conseil constitutionnel ayant au contraire jugé l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale constitutionnel dans sa décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018. Si le Conseil constitutionnel a formulé une réserve quant aux première et dernière phrases du quatrième alinéa de l'article L. 380-2 précité, selon laquelle « (') la seule absence de plafonnement d'une cotisation dont les modalités de détermination de l'assiette ainsi que le taux sont fixés par voie réglementaire n'est pas, en elle-même, constitutive d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Toutefois, il appartient au pouvoir réglementaire de fixer ce taux et ces modalités de façon à ce que la cotisation n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ", cette réserve ne vise que la mise en 'uvre réglementaire de la disposition législative, qui n'en reste pas moins conforme à la Constitution, notamment au regard de l'égalité devant les charges publiques.
Les dispositions non plus législatives mais réglementaires qui régissent la CSM ne peuvent davantage être regardées comme génératrices d'une rupture d'égalité devant les charges publiques, dès lors que le Conseil d'État a jugé le contraire, par une motivation que la cour fait sienne et ci-après reproduite (Conseil d'État, 1ère ' 4e chambres réunies, 10/07/2019, 417919) :
« Aux termes du I de l'article D.380-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret du 19 juillet 2016 relatif aux modalités de calcul de la cotisation prévue à l'article L.380-2 du code de la sécurité sociale : « Le montant de la cotisation mentionné à l'article L.380-2 due par les assurés dont les revenus tirés d'activités professionnelles sont inférieurs à un seuil fixé à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale est déterminé selon les formules suivantes : / 1° Si les revenus tirés d'activités professionnelles sont inférieurs à 5 % du plafond annuel de la sécurité sociale : / Montant de la cotisation = 8 % × (A-D) / Où : / A est l'assiette des revenus définie au quatrième alinéa de l'article L. 380-2 ; / D, qui correspond au plafond mentionné au quatrième alinéa du même article, est égal à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale ; / 2° Si les revenus tirés d'activités professionnelles sont compris entre 5 % et 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale : / Montant de la cotisation = 8 % × (A-D) × 2 × (1-R/ S) / Où : / R est le montant des revenus tirés d'activités professionnelles ; / S, qui correspond au seuil des revenus tirés d'activités professionnelles mentionné au deuxième alinéa de l'article L.380-2, est égal à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale ". Ces dispositions prévoient ainsi que la cotisation subsidiaire maladie est due par les assurés dont les revenus tirés d'activités professionnelles sont inférieurs à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale et qu'elle s'applique, au taux de 8 %, à la part des revenus du patrimoine excédant 25 % du même plafond. En outre, l'abattement d'assiette prévu en application du cinquième alinéa de l'article L.380-2 du code de la sécurité sociale équivaut à appliquer aux revenus du patrimoine un taux de cotisation décroissant de façon linéaire de 8 à 0 % en fonction du montant des revenus professionnels lorsque ceux-ci sont compris entre 5 et 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale.
13. En fixant, dans le cadre déterminé par les dispositions de l'article L.380-2 précité, le seuil de revenus professionnels prévu au deuxième alinéa de cet article, en deçà duquel la cotisation est due, à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 3 861,60 euros en 2016, le montant des revenus du patrimoine mentionné au quatrième alinéa du même article, au-delà duquel s'applique le prélèvement, à 25 % de ce même plafond, soit 9 654 euros en 2016, et le taux de la cotisation en cause à 8 %, le pouvoir réglementaire a défini les modalités de calcul de cette cotisation dans des conditions qui n'entraînent pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'article D. 380-1 du code de la sécurité sociale aurait méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens de 1789, non plus que les dispositions de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel ».
En conséquence, la nullité tirée d'une rupture d'égalité devant les charges publiques sera écartée et le jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté que les modalités de détermination de la cotisation subsidiaire maladie prévues par les dispositions réglementaires ne constituent pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
Sur la nullité pour violation de la loi informatique et libertés
Le moyen de nullité tiré par Mme [O] de prétendues violations de la loi informatique et libertés à l'occasion de la transmission par l'administration fiscale à l'Urssaf de données relatives aux revenus de l'intéressée, est inopérant dès lors qu'aucun texte ne prévoit une telle nullité, que de surcroît la nullité invoquée ne peut être retenue en l'absence de grief, et qu'aucun grief ne peut résulter d'une telle transmission de données lorsque la réalité des revenus concernés n'est pas discutée et que l'intéressée ne peut se prévaloir d'aucun droit à leur dissimulation pour se soustraire à la cotisation.
La nullité de l'appel de cotisation sera donc encore écartée de ce chef.
Sur la nullité pour défaut d'information des cotisants
Est de même inopérant le moyen tiré de la prétendue violation par l'Urssaf de l'obligation d'informer les cotisants résultant de l'article R. 112-2 du code de la sécurité sociale, qui n'est pas susceptible d'emporter la nullité de l'appel de cotisation, faute non seulement de texte prévoyant une telle nullité pour ce manquement, mais encore faute de grief pouvant en résulter pour la cotisante, en l'absence de contestation des revenus constituant l'assiette des cotisations litigieuses et en l'absence d'allégation d'un effet possible de l'information prétendument manquante sur le montant des cotisations dues.
Ce moyen de nullité sera donc lui aussi écarté.
Aucune des moyens de nullité ne prospérant, le jugement sera infirmé en ce qu'il a annulé l'appel de cotisation en date du 15 décembre 2017 émis par l'Urssaf de Franche-Comté à l'encontre de Mme [O] et celle-ci sera déboutée de sa demande en remboursement de la somme de 27 448 euros par l'Urssaf de Franche-Comté.
Sur les sommes dues
Le calcul des cotisations dues n'est pas discuté, seul l'étant le solde restant dû, Mme [O] affirmant s'en être acquittée intégralement, contrairement à l'Urssaf qui prétend rester créancière d'un solde après paiement d'un simple acompte.
En application de l'article 1353 du code civil, suivant lequel : 'Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation', il incombe à Mme [O] de prouver son paiement.
Elle produit à cet égard un courrier en date du 17 février 2020 adressé par son avocat à l'Urssaf qui fait état notamment de la transmission d'un chèque de 26 121 euros en règlement de la « CSM 2016 », ainsi que la copie d'un chèque de même montant. Ces documents, qui sont établis par elle-même et qui ne démontrent pas l'encaissement du chèque, ne démontrent pas la réalité du paiement.
En conséquence, Mme [O] sera condamnée à payer à l'Urssaf la somme réclamée de 26 121 euros, en deniers ou quittances.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe ;
Infirme le jugement rendu entre les parties le 19 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Mulhouse, sauf en ce qu'il a déclaré le recours recevable et en ce qu'il a constaté que les modalités de détermination de la cotisation subsidiaire maladie prévues par les dispositions réglementaires ne constituent pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, ces chefs de jugement étant confirmés ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déboute Mme [R] [O] de ses demandes en nullité de l'appel de cotisations émis à son encontre le 15 décembre 2017 par l'Urssaf de Franche-Comté ;
La déboute de sa demande en remboursement de la somme de 27 448 euros par l'Urssaf de Franche-Comté ;
La condamne à payer à l'Urssaf de Franche-Comté la somme de 26 121 euros, en deniers ou quittances ;
La condamne à payer à l'Urssaf de Franche-Comté la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
La déboute du même chef ;
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.
La greffière, Le président de chambre,