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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 11 avril 2024, n° 23/06056

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Jane et Vartan (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pacaud

Conseillers :

Mme Neto, Mme Perraut

Avocat :

Me Abdallah-Martin

TJ Aix-en-Provence, du 11 avr. 2023, n° …

11 avril 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 12 juin 2020, la société par actions simplifiée (SASU) Jane et vartan, spécialisée dans le prêt à porter, a fait l'acquisition du fonds de commerce de madame [B] [Y] incluant le droit au bail sur un local commercial sis [Adresse 2], à [Localité 4], propriété de madame [M] [Z] veuve [R], moyennant la somme de 50 000 euros.

L'acte de cession, signé en présence de la bailleresse et de société Lyonnaise de Banque, organisme prêteur, prévoyait un montant initial de loyer de 26 400 euros par an soit 2 200 euros, hors charges, par mois.

Suite aux mesures règlementaires prises par le gouvernement pour endiguer la pandémie de Covid 19, la SASU Jane et Vartan n'a pu honorer les loyers de juillet à septembre 2020.

Le 12 décembre 2021, un accord amiable était trouvé avec Mme [M] [Z] veuve [R] qui abandonnait le loyer du mois de novembre 2020 pour bénéficier d'un crédit d'impôt et autorisait sa locataire à régler l'arriéré d'un montant 6 855,74 euros en 12 mensualités de 571,31 euros en sus du loyer courant et ce, à compter du mois de mars 2021.

Par acte d'huissier en date du 9 mars 2022, Mme [M] [Z] veuve [R] a fait signifier à la SASU Jane et Vartan un commandement, visant la clause résolutoire du bail, de payer, au principal, la somme de 8 383,66 euros correspondant au loyer et charges impayés des mois de janvier à mars 2022.

Considérant que les causes de ce commandement n'avaient pas été apurées dans le délai d'un mois, elle a, par exploit du 22 septembre suivant, fait assigner sa locataire devant le président du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence, statuant en référé, aux fins, au principal, de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire et de l'entendre condamner à lui verser une provision de 8 643,97 euros à valoir sur la dette locative arrêtée au 30 septembre 2022 ainsi que 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance contradictoire en date du 11 avril 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence a :

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire à la date du 11 avril 2022 ;

- dit que, faute pour la SASU Jane et Vartan de libérer les lieux dans un délai d'un mois à compter de la signification de son ordonnance, il serait procédé à son expulsion et à celle de tous occupants de son chef avec, si besoin, le concours de la force publique ;

- condamné la SASU Jane et Vartan à payer à Mme [M] [Z] veuve [R] la somme de 2 801,26 euros au titre des loyers, charges, accessoires et indemnité d'occupation échus et impayés au 6 mars 2023 ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- condamné la SASU Jane et Vartan à payer à Mme [M] [Z] veuve [R] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SASU Jane et Vartan aux dépens.

Selon déclaration reçue au greffe le 28 avril 2023, la SASU Jane et a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur toutes ses dispositions dûment reprises.

Par dernières conclusions transmises le 7 juin 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu'elle infirme l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau :

- lui accorde un délai de paiement rétroactif jusqu'au 31 mars 2023 pour le paiement de la somme de 8 643,97 euros correspondant à la dette locative arrêtée au 22 septembre 2022, jour de l'assignation ;

- dise que, durant le cours de ce délai, la clause résolutoire a été suspendue de plein droit ;

- constate que, durant le cours de ce délai, elle s'est intégralement acquittée des sommes mentionnées dans le commandement de payer du 09 mars 2022 visant la clause résolutoire et dans l'assignation du 22 septembre 2022 ;

- dise que la clause résolutoire de plein droit est réputée ne pas avoir joué en raison du règlement, dans le délai accordé, de l'intégralité de l'arriéré et que ses effets s'en trouvent suspendus ;

- dise n'y avoir lieu à référé sur les demandes de constat de l'acquisition des effets de la clause résolutoire et d'expulsion ;

- condamne Mme [M] [Z] veuve [R] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne Mme [M] [Z] veuve [R] aux entiers dépens distraits au profit de Nadine Abdallah-Martin sur son affirmation de droit.

Mme [M] [Z] veuve [R] régulièrement intimée à personne n'a pas constitué avocat.

L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 20 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'acquistion de la clause résolutoire et la demande de délais de paiement rétroactifs

Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'article 835 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Aux termes de l'article L. 145-41 alinéa 1 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux : le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

En application des dispositions de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.

Aux termes de l'article L. 145-41 alinéa 1 alinéa 2 du du code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil, peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation des effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant l'autorité de chose jugée : la clause résolutoire ne joue pas si locataire se libère dans les conditions fixées par le juge. L'article 1343-5 du code civil précise que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

En matière de baux commerciaux, tant qu'aucune décision constatant la résolution du bail n'est passée en force de chose jugée, le juge saisi d'une demande de délais peut les accorder et suspendre les effets de la clause résolutoire de façon rétroactive au locataire à jour de ses loyers.

En l'espèce, il n'est pas contesté que le bail commercial consenti le 22 mai 2017 par Mme [M] [R] à Mme [B] [Y] et repris le 12 juin 2020 par la SASU Jane et Vartan inclut, au deuxième paragraphe de son article 7, une clause résolutoire ainsi rédigée : A défaut de paiement d'un seul terme du loyer, des provisions sur charges, régulation annuelle, taxe foncière et en général de toutes sommes dues en vertu du présent bail, à son échéance ou d'inexécution d'une seule des conditions du présent bail, qui sont toutes de rigueur, et un mois après un simple commandement de payer ou d'une sommation d'exécuter faits à personne ou à domicile élu, contenant mention de la présente clause, resté sans effet, le présent bail sera résilié de plein droit, si bon semble au bailleur, et l'expulsion du preneur et de tous occupants de son chef pourra avoir lieu en vertu d'une simple ordonnance de référé, exécutoire par provision nonobstant appel, sans préjudice de tous dommages et intérêts et du droit pour le bailleur d'exercer toutes actions qu'il jugera utiles et sans que l'effet de la présente clause puisse être annulé par des offres réelles, passé le délai sus-indiqué.

Il résulte d'une attestation établie le 6 mars 2023 par la société Jane et Vartan, authentifiée par la société Immobilière du Palais, qui y a apposé son sceau et sa signature, que, le 6 mars 2023 soit un mois avant l'audience, la locataire a remis à l'agence mandatée par la bailleresse, un chèque d'un montant de 3 432,59 euros, (correspondant) à 2 426,45 au loyer de février et 1 006,14 au solde de la procédure en cours ... ce qui (ramenait) la dette à zéro sauf mois en cours. Ces règlements faisaient suite à des précédents au premier rang desquels un virements de 7 000 euros, en date du 11 avril 2022, et un autre de 5 000 euros, daté du 28 septembre suivant.

Cet historique, tout comme le fait que la SASU Jane et Vartan est désormais parfaitement à jour de ses loyers et charges, n'est pas contesté par Mme [R] veuve [Z] à laquelle l'appelante a signifié la déclaration d'appel le 19 mai 2023 puis ses conclusions, le 21 juin suivant. Il atteste néanmoins que les causes du commandement de payer n'avaient pas été intégralement réglées dans le mois de sa délivrance.

Il sera dès lors accordé à la SASU Jane et Vartan des délais de paiement rétroactifs de 12 mois à compter du 9 avril 2022 et constaté que, dans ce délai, les causes du commandement de payer, délivré le 9 mars précédent ainsi que les loyers courants ont été intégralement acquittés en sorte que la clause résolutoire sera réputée n'avoir jamais joué.

L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire à la date du 11 avril 2022 mais infirmée en ce qu'elle a :

- dit que faute pour la SASU Jane et Vartan de libérer les lieux dans un délai d'un mois à compter de la signification de son ordonnance, il serait procédé à son expulsion et à celle de tous occupants de son chef avec, si besoin, le concours de la force publique ;

- condamné la SASU Jane et Vartan à payer à Mme [M] [Z] veuve [R] la somme de 2 801,26 euros au titre des loyers, charges, accessoires et indemnité d'occupation échus et impayés au 6 mars 2023 ;

- débouté la SASU Jane et Vartan de sa demande de délais de paiement formulée par la défenderesse.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il résulte des développements qui précèdent qu'au jour où le premier juge a statué, l'appelante avait apuré sa dette locative dont une partie était potentiellement imputable à des erreurs de décompte de l'agence gestionnaire du bien donné à bail.

L'ordonnance entreprise sera dès lors infirmée en ce qu'elle a condamné la SASU Jane et Vartan aux dépens et à payer à Mme [M] [Z] veuve [R] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelante les frais non compris dans les dépens, qu'elle a dû exposer pour la sauvegarde de son droit au bail. Il lui sera donc alloué une somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Mme [M] [Z] veuve [R] supportera en outre les dépens de première instance et d'appel qui seront distraits au profit de Nadine Abdallah-Martin sur son affirmation de droit.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au contrat de bail à la date du 11 avril 2022 pour non paiement des causes du commandement de payer dans le délai imparti ;

L'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Accorde à la SASU Jane et Vartan un délai de paiement rétroactif de 12 mois à compter du 9 avril 2022, date d'échéance du commandement de payer qui lui a été signifié le 9 mars 2022 ;

Ordonne rétroactivement, durant ce délai, la suspension des effets de la clause résolutoire présente dans le contrat de bail commercial du 22 mai 2017 ;

Constate que la SASU Jane et Vartan s'est intégralement acquittée, dans ce délai, des sommes visées dans le commandement de payer et des loyers dont elle était redevable ;

Constate que la clause résolutoire, stipulée dans le bail du 22 mai 2017, est réputée n'avoir pas joué ;

Condamne Mme [M] [Z] veuve [R] à verser à la SASU Jane et Vartan la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [M] [Z] veuve [R] aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.