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Décisions

CA Grenoble, ch.secu-fiva-cdas, 11 avril 2024, n° 22/03238

GRENOBLE

Arrêt

Autre

CA Grenoble n° 22/03238

11 avril 2024

C5

N° RG 22/03238

N° Portalis DBVM-V-B7G-LP7G

N° Minute :

Notifié le :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL CENTAURE AVOCATS

la CPAM DE HAUTE-SAVOIE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU JEUDI 11 AVRIL 2024

Appel d'une décision (N° RG 20/00352)

rendue par le Pole social du TJ d'Annecy

en date du 23 juin 2022

suivant déclaration d'appel du 26 août 2022

APPELANTE :

Etablissement FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE Pris en la personne de son représentant légal

[Adresse 13]

[Localité 6]

représentée par Me Muriel MIE de la SELARL CENTAURE AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES substituée par Me Laura D'OVIDIO, avocat au barreau de LYON

INTIMEES :

Société [11] devenue la SASU [10], Prise en la personne de son représentant légal audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Sylvie GALLAGE-ALWIS de la SELEURL SELARLU SYLVIE GALLAGE, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Nikita YAHOUEDEOU, avocat au barreau de PARIS

Organisme CPAM DE HAUTE-SAVOI E

[Adresse 1]

[Localité 5]

comparante en la personne de Mme [R] [T] régulièrement munie d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

Mme Elsa WEIL, Conseiller,

Assistés lors des débats de Mme Chrystel ROHRER, Greffier,

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 février 2024,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller chargé du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président et Mme Elsa WEIL, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoiries.

Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.

EXPOSÉ DU LITIGE

La CPAM de Haute-Savoie a pris en charge, par courrier du 8 septembre 2015, le cancer broncho-pulmonaire de [C] [I], du 25 août 2014, au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles et a, par un second courrier du même jour, pris en charge le décès qui a suivi cette maladie professionnelle le 1er juillet 2015. La caisse a fixé le taux d'incapacité permanente à 100'% par courrier du 30 octobre 2015.

Le FIVA a formalisé des propositions d'indemnisation, par courrier du 12 février 2016, au titre des préjudices personnels de Mme [Z] [I] et des préjudices subis par le défunt.

Des quittances subrogatoires acceptant l'offre du FIVA ont été signées par Mme [I], les enfants du défunt, M. [F] [I] et Mme [PT] [I], ainsi que les petits-enfants du défunt, MM. [E] et [V] [W] et M. [N] [I].

Le Pôle social du Tribunal judiciaire d'Annecy, saisi d'un recours du FIVA contre la société [11] et en présence de la CPAM de Haute-Savoie, a par jugement du 23 juin 2022':

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société et tirée de la prescription de l'action,

- constaté la péremption de l'instance,

- débouté le FIVA et la société de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné le FIVA aux dépens,

- rejeté les autres demandes,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par déclaration du 26 août 2022, le FIVA a relevé appel de cette décision.

Par conclusions récapitulatives n° 3 du 5 février 2024 reprises oralement à l'audience devant la cour, le FIVA demande':

- que l'appel soit déclaré recevable,

- l'infirmation du jugement,

- que la demande du FIVA subrogé dans les droits de [C] [I] soit déclarée recevable,

- qu'il soit dit que les pièces établissent le caractère professionnel de la maladie de celui-ci,

- le rejet de la demande d'expertise et, subsidiairement, la désignation d'un Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, un sursis à statuer et le renvoi de l'affaire,

- la reconnaissance d'une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle de M. [I],

- le bénéfice de l'indemnité forfaitaire et son versement par la CPAM à la succession de M. [I],

- la fixation au maximum de la majoration de la rente de la conjointe survivante et son versement direct à la conjointe par la CPAM,

- la fixation des préjudices personnels de M. [I] à':

- 67.700 euros pour les souffrances morales,

- 21.900 euros pour les souffrances physiques,

- 21.900 euros pour le préjudice d'agrément,

- 500 euros pour le préjudice esthétique,

- la fixation des préjudices moraux des ayants droit à':

- 32.600 euros pour Mme [Z] [I],

- 8.700 euros chacun à Mme [PT] [I] et M. [F] [I],

- 3.300 euros chacun à MM. [N] [I], [E] et [V] [W],

- mémoire pour M. [B] [S],

- le versement de ces sommes, soit 193.500 euros, par la CPAM au FIVA,

- la condamnation de la société [10] à lui verser 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamnation de la partie succombante aux dépens.

Par conclusions en réponse n° 3 du 4 janvier 2024 reprises oralement à l'audience devant la cour, la société [10] demande':

- le rejet des dernières conclusions du FIVA et de la CPAM,

- la confirmation du jugement, que les demandes soient déclarées irrecevables pour péremption de l'instance et que le FIVA soit débouté de ses demandes,

- subsidiairement que les demandes soient déclarées irrecevables car prescrites, et que le FIVA soit débouté de ses demandes,

- plus subsidiairement, la mise hors de cause de la société [11],

- plus subsidiairement, le débouté des demandes, et à défaut la désignation d'un expert afin notamment d'établir le lien direct entre la pathologie et les conditions de travail sur le site du Giffre, et de déterminer les préjudices subis,

- plus subsidiairement qu'il soit dit que la responsabilité de la société ne peut pas être engagée avant le décret du 17 août 1977, que la prise en charge soit déclarée inopposable à la société et le débouté des demandes de la CPAM à son encontre et que toute action récursoire soit déclarée inopérante, ou à défaut la limitation de toute condamnation à 74'% des dommages et intérêts, le rejet des demandes de remboursement des sommes versées au titre des préjudices d'agrément, physique et moral ou à défaut la réduction de leur montant,

- l'inscription des dépenses afférentes à la majoration de la rente au compte spécial et le débouté de la CPAM de ses demandes d'imputation de ces frais sur son compte,

- la condamnation du FIIVA à lui verser 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions reprises oralement à l'audience devant la cour, la CPAM de Haute-Savoie demande':

- le rejet de la demande de mise hors de cause,

- le rejet de la demande d'inopposabilité,

- la condamnation de la société [11], employeur de M. [I], à lui rembourser les sommes versées par elle au titre de la faute inexcusable ainsi que les frais d'expertise.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément référé aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIVATION

1. - Au regard des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile, qui prévoit que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, il apparaît que les parties ont pu débattre contradictoirement à l'audience sur l'ensemble des dernières conclusions échangées, et notamment sur les réclamations au titre du préjudice moral des ayants droit de [C] [I] qui ont fait l'objet d'explications dans les dernières conclusions du FIVA, et sur la mise hors de cause et l'inopposabilité soulevées par la société intimée et objet des dernières conclusions de la CPAM.

Il n'y a donc pas lieu d'écarter des débats, à l'occasion de cette procédure sans représentation obligatoire et au vu des explications contradictoires des parties, les dernières conclusions du FIVA et de la CPAM de Haute-Savoie.

Sur la prescription

2. - En application de l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur du 17 avril 2004 au 1er janvier 2022': «'Les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater :

1°) du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière ; (...)

Toutefois, en cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la prescription de deux ans opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire visée aux articles L. 452-1 et suivants est interrompue par l'exercice de l'action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident.'»

L'article L. 461-1 du même code, dans sa version en vigueur du 19 août 2015 au 01 juillet 2018, ajoutait que': «'En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident.'»

Il est de jurisprudence constante que le délai de prescription biennale de l'action du salarié pour voir reconnaître une faute inexcusable de l'employeur à l'origine d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne peut, par définition, commencer à courir qu'à compter de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.

3. - En l'espèce, la prise en charge du cancer broncho-pulmonaire de [C] [I] par la CPAM de Haute-Savoie a été notifiée par courrier du 8 septembre 2015, et l'action du FIVA en reconnaissance de faute inexcusable a été engagée par la saisine du Tribunal des affaires de la sécurité sociale de Haute-Savoie du 31 octobre 2016, date mentionnée dans le jugement critiqué. Cette saisine est donc intervenue dans le délai de deux ans prescrit par les dispositions citées ci-dessus.

Le moyen tendant à faire partir ce délai de prescription de la date de première constatation médicale du lien entre la maladie et le travail, soit selon la société intimée au 30 juin 2014 mentionnée sur le certificat médical initial du 13 octobre 2014, est infondé, et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la péremption

4. - L'article R. 142-22 du code de la sécurité sociale, puis l'article R. 142-10-10 du même code à compter du 1er janvier 2020, prévoyaient que': «'L' instance est périmée lorsque les parties s' abstiennent d' accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l' article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.'»

L'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période a prévu dans ses articles 1 et 2 que pour les délais qui ont expiré entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus, tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.

5. - En l'espèce, une décision de retrait du rôle a été prise le 7 juin 2018 en première instance, et la péremption de l'instance était donc encourue au-delà du 23 août 2020 en vertu des dispositions rappelées ci-dessus. Le FIVA a demandé la réinscription de l'affaire au rôle du tribunal le 9 juillet 2020, donc dans les délais prescrits pour éviter une péremption de l'instance.

Le moyen tendant à ne pas tenir compte de la prolongation des délais à la suite de la période d'urgence sanitaire, au prétexte que le FIVA aurait pu demander la réinscription de l'affaire avant la survenance de cette crise, ou au motif que les difficultés avec la succession qui auraient motivé le retrait du rôle auraient été résolues depuis le 7 janvier 2019, n'est pas fondé au regard des dispositions légales et réglementaires rappelées ci-dessus et applicables dans la présente affaire.

Le jugement déféré, qui a retenu ce moyen relatif à la péremption d'instance, sera donc infirmé.

Sur la demande de mise hors de cause

6. - L'article 1842 du code civil prévoit que': «'Les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation.'» L'article 1844-3 du même code ajoute que «'La transformation régulière d'une société en une société d'une autre forme n'entraîne pas la création d'une personnalité morale nouvelle. Il en est de même de la prorogation ou de toute autre modification statutaire.'»

L'article L. 210-6 du code du commerce ajoute que': «'Les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. La transformation régulière d'une société n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle. Il en est de même de la prorogation.'»

L'article R. 123-220 du même code prévoit quant à lui que': «'L'Institut national de la statistique et des études économiques est chargé de tenir un répertoire national incluant, lorsqu'ils relèvent du Registre national des entreprises, ou qu'ils emploient du personnel salarié, sont soumis aux obligations fiscales des entreprises ou sollicitent des transferts financiers publics : (')

4° Les personnes morales de droit public ou de droit privé ; (...)

Un arrêté du ministre chargé de l'économie précise les modalités d'inscription au répertoire et d'attribution d'un numéro unique d'identification.'»

L'article R. 123-31 du même code ajoute que': «'L'immatriculation au registre du commerce et des sociétés a un caractère personnel. Nul ne peut être immatriculé plusieurs fois à un même registre.'»

7. - En l'espèce, selon un certificat de travail du 26 janvier 1987, [C] [I] a été employé par le SA [12], à l'[14] située à [Localité 8] (74), du 17 décembre 1973 au 6 janvier 1988, avec la fonction de couleur électrométallurgiste au moment de son départ. Ce certificat mentionnait que ladite société avait pour numéro au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Nanterre le [N° SIREN/SIRET 3]. Il s'agit du numéro de RCS (de Chambéry) de la SASU [10], mentionné notamment dans l'en-tête de ses conclusions.

Une société, quelle que soit sa dénomination, qui reste identifiée sous le même numéro d'immatriculation au RCS, ne peut être qu'une seule et même personne morale à laquelle un numéro d'identité unique est attribué (voir notamment Civ. 2, 9 juillet 2020, 18-25.209).

La personne morale aujourd'hui intimée dans la procédure en demande de reconnaissance d'une faute inexcusable par le FIVA, la SASU [10], est bien la personne morale qui employait [C] [I] sur le site du Giffre entre 1973 et 1988, en application des dispositions rappelées ci-dessus, et cette société ne démontre pas que la personnalité morale de l'employeur de [C] [I] aurait subsisté sous une autre forme pour répondre des obligations nées de l'exécution de son contrat de travail.

Les moyens au soutien de la demande de mise hors de cause doivent donc être rejetés': les changements de dénomination ou de siège social sont sans effet sur la continuité de la personnalité morale de la société immatriculée 642 005 177'; il n'est justifié d'aucune transmission du passif lié spécifiquement au contrat de travail de [C] [I] envers une personne morale différente de celle portant ce numéro d'identification au RCS.

Le débat sur l'héritage du passif attaché au contrat de travail de [C] [I], l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail en cas de transfert de contrats de travail, la fermeture du site du Giffre en 1998, la fin du contrat de travail de [C] [I] en 1988, la dénomination de [11] en 2006 (dénommée [10] depuis), les changements d'actionnariats, une transmission de passif au groupe [7] en 2004, et au groupe [9] en 2005, et à [11] en 2006, les contrats de cession intervenus, et leurs annexes, sur les contrats de travail en cours ou non, transmis ou non, et les sites existants ou non, transmis ou non, que ces annexes aient été ou non communiquées dans de précédentes procédures judiciaires ayant eu à traiter de litiges similaires y compris devant la présente cour, ou soient nouvellement versés au débat, ainsi que des décisions judiciaires définitives ou non concernant des contentieux d'inopposabilité de prises en charge de maladies professionnelles de salariés ayant travaillé sur le site du Giffre mais hors la présence du FIVA ou des salariés, concerne éventuellement d'autres personnes morales au sujet de garanties de passifs liées entre elles, mais demeure sans intérêt dans le présent débat sur l'existence d'une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle de [C] [I], dès lors que la société intimée est bien la personne morale qui a employé [C] [I] ainsi que cela découle de son certificat de travail non contesté, et demeure la personne morale tenue à une obligation de sécurité envers son salarié entre 1973 et 1988.

Sur le caractère professionnel de la maladie

8. - Il résulte des articles L. 452-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale que, pour engager la responsabilité de l'employeur, la faute inexcusable doit être la cause nécessaire de la maladie professionnelle dont est atteint le salarié (Civ. 2ème, 4 avril 2013, 12-13.600) et, à cet égard, l'employeur reste fondé à contester, pour défendre à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie (Civ. 2ème, 5 novembre 2015, 13-28.373'; 8 novembre 2018, 17-25.843).

Par application des dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, sont réputées imputables au travail les maladies figurant au tableau des maladies professionnelles lorsque sont remplies les conditions visées par ces mêmes tableaux.

Le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles est consacré au cancer broncho-pulmonaire primitif provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante et prévoit un délai de prise en charge de 40 ans, sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans, et une liste limitative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie': travaux directement associés à la production des matériaux contenant de l'amiante, travaux nécessitant l'utilisation d'amiante en vrac, travaux d'isolation utilisant des matériaux contenant de l'amiante, travaux de retrait d'amiante, travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante, travaux de construction et de réparation navale, travaux d'usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l'amiante, fabrication de matériels de friction contenant de l'amiante, travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.

9. - En l'espèce, [C] [I] s'est vu diagnostiquer un cancer broncho-pulmonaire à compter du 30 juin 2014 selon un certificat médical initial du 13 octobre 2014, et un rapport d'évaluation des séquelles du praticien-conseil, le Dr. [O], en date du 14 octobre 2015, a retenu un cancer du poumon, lobe gauche, neuroendocrine grandes cellules avec envahissement locorégional et multimétastatique parotidien cervicale, sur terrain de BPCO et de tabagisme important sevré récemment en mars 2014, en notant un tabagisme chronique important comme en témoigne un pontage et une prothèse aortofémorale, une artérite des membres inférieurs et la BPCO. Un certificat du docteur [M] [P] du 13 juillet 2015 a constaté que le décès est intervenu le 1er juillet 2015 du cancer du poumon métastasé.

Il n'est pas contesté que cette pathologie correspond à la maladie désignée par le tableau n° 30 bis, et qu'elle est apparue dans le délai de prise en charge de 40 ans après une fin du travail en 1988, à la suite d'une durée d'exposition de 10 ans compte tenu d'un travail commencé en 1973, et à l'occasion de travaux prévus par le tableau, en l'occurrence des travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante et des travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante, [C] [I] ayant travaillé au sein d'une société et d'un site sidérurgique qui employait l'amiante dans sa fonction de réfractaire thermique sous différentes formes entrainant une exposition à l'inhalation de poussières d'amiante.

[C] [I], employé comme couleur électrométallurgiste et ouvrier polyvalent au sein de l'[14], et notamment chargé de changer les protections et isolations des fours composées d'amiante, a été, ainsi que cela ressort également d'une attestation du Dr [K] [H] du service de santé au travail, régulièrement exposé aux poussières d'amiante dans son exercice professionnel et il relevait du suivi professionnel ainsi que de la cessation anticipée d'activité visée par les textes en la matière, pour son emploi de 1973 à 1988.

L'usage de l'amiante et l'exposition des salariés et spécialement de [C] [I] à l'inhalation de poussières d'amiante découlent également de plusieurs attestations d'exposition et de plusieurs témoignages de salariés.

C'est donc en vain que la société [10] se prévaut d'une absence d'inscription du site du Giffre dans la liste des sites ouvrant doit à l'allocation des travailleurs de l'amiante pour contester l'ensemble de ces éléments.

Les conditions du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles étant réunies, la maladie est présumée professionnelle et, de ce fait, c'est à tort que la société [10] reproche à la caisse primaire de ne pas démontrer un lien de causalité entre le cancer broncho-pulmonaire de [C] [I] et ses conditions de travail.

10. - La présomption d'imputabilité est une présomption simple, que l'employeur, même s'il n'a pas contesté le caractère professionnel de la maladie prise en charge, peut renverser en démontrant la preuve contraire, telle que l'existence d'une cause totalement étrangère de cette maladie.

En l'espèce, la société [10] fait valoir que [C] [I] était un fumeur régulier et chronique, sevré récemment en 2014, et que la plupart des cancers broncho-pulmonaires sont dus au tabac. Mais elle n'établit pas en quoi la consommation de tabac du salarié aurait été la cause unique du cancer dont il est décédé, ni n'apporte un commencement de preuve au sujet de ce caractère exclusif, en sachant que, contrairement à ce que soutient la société, il n'appartient pas à la caisse primaire de prouver que le tabac serait totalement étranger à la survenance du cancer de [C] [I].

La société [10] ne renverse donc pas la présomption d'imputabilité de la maladie au travail et n'apporte pas d'élément suffisant pour que soit ordonnée une expertise sur cette question.

Enfin, il n'est pas contesté que le décès a été causé par cette maladie professionnelle.

Sur la faute inexcusable

11. - Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (Civ. 2ème, 8 octobre 2020, 18-25.021 et 18-26.677).

Il est de jurisprudence constante qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (Civ. 2ème, 8 juillet 2004, 02-30.984'; 22 mars 2005, 03-20.044).

12. - En l'espèce, la société [10] soutient que la responsabilité de l'employeur ne peut pas être engagée pour la période antérieure au décret du 17 août 1977, car il ne pouvait pas y avoir une conscience d'un danger avant l'adoption de cette première réglementation venant mettre à la charge des employeurs des obligations spécifiques liées à l'amiante'; mais elle soutient ensuite qu'elle n'avait pas conscience d'un danger encouru par ses salariés et lié à l'inhalation de poussières d'amiante.

Dès lors que [C] [I] a été employé de 1973 au 6 janvier 1988, soit pendant plus de dix ans après l'adoption de ce décret, pour reprendre la durée minimum d'exposition prévue par le tableau n° 30 bis, il convient de constater que la société intimée informée du décret du 17 août 1977 reconnaît donc avoir eu conscience du danger auquel était exposé son salarié depuis 1977.

Par conséquent, il n'y a pas lieu de statuer sur la conscience du danger avant 1977 dans la présente affaire, et il n'est pas utile de revenir sur l'inscription des risques liés à l'amiante dans le tableau des maladies professionnelles depuis 1945 et 1950, sur les connaissances scientifiques disponibles depuis 1906 et les dispositions législatives et réglementaires en matière de protection respiratoire contre les poussières depuis 1893, ou sur l'importance et la nature des activités de l'employeur.

13. - Le FIVA justifie que l'employeur de [C] [I] n'avait pas adopté des mesures adaptées pour préserver son salarié des dangers encourus par l'usage de l'amiante. Le Fonds verse cinq attestations de Mme [D] [J] (du 7 octobre 2016), MM. [M] [A] (6 octobre 2016), [U] [L] (7 octobre 2016), [Y] [G] (28 septembre 2016), [K] [X] (7 octobre 2016) qui témoignent que [C] [I] travaillait entre 1973 et 1988 sans aucune protection, notamment respiratoire, ou avec des masques de papier et des lunettes insupportables à cause de la chaleur, avec une exposition à l'amiante et à ses poussières de manière permanente notamment pour le changement des manches et isolants des résistances et des plaques de contact électriques entourés d'amiante, et sans connaissance des dangers encourus ou information de la part de son employeur.

La société [10] ne justifie pas d'un motif suffisant pour que soient écartées des débats ces attestations, du seul fait qu'elles proviendraient de salariés qui auraient constitué une association pour se défendre, ou qui auraient également engagé des procédures en faute inexcusable auxquelles il aurait d'ailleurs été fait droit, ou du fait de l'ancienneté des faits de 1973 à 1988 évoqués longtemps après en 2016. En outre, la société se limite à contester le caractère imprécis des attestations, mais elle n'apporte pas d'élément pour les contredire ou pour établir qu'elle avait pris des mesures adaptées et suffisantes en termes d'équipements de protection individuelle ou collective, ou d'informations et de consignes de sécurité. Enfin, aucune cause exonératoire de responsabilité ne saurait découler d'une éventuelle responsabilité de l'État dans le présent litige concernant [C] [I].

Le FIVA établit donc bien que [C] [I] a été exposé à l'inhalation de poussière d'amiante, malgré la conscience du risque par l'employeur en particulier à compter de 1977, qui ne lui a pas fourni les informations, les équipements de protection et les conditions de travail sécurisées qui auraient permis à la victime d'éviter la survenue d'une pathologie liée à cette inhalation.

Sur le caractère inopposable de la prise en charge de la maladie professionnelle

14. - Si l'employeur peut soutenir, en défense à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime ou ses ayants droit, que la maladie n'a pas d'origine professionnelle, il n'est pas recevable à contester la décision de prise en charge de la maladie par la caisse primaire au titre de la législation professionnelle (Civ. 2, 26 novembre 2020, 19-18.244'; 9 juillet 2020, 18-26.782).

15. - En l'espèce, c'est en vain que la société [10] soutient une inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de [C] [I] par la CPAM de Haute-Savoie du fait qu'elle n'aurait reçu aucun document de la part de la caisse en violation de l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, et au regard des nombreuses décisions ayant fait droit à ses recours en inopposabilité en ce qui concerne d'autres salariés. Ainsi que le rappellent le FIVA et la CPAM, l'indépendance des rapports entre l'employeur et la caisse d'une part, les assurés et la caisse d'autre part, font que la société intimée ne peut se prévaloir d'une inopposabilité des décisions de la caisse primaire dans le présent recours en reconnaissance d'une faute inexcusable, en sachant, au surplus et comme le relève la caisse, que leur opposabilité n'a pas été contestée par ailleurs par la société [10].

Sur la limitation du recours récursoire à la période de 1977-1988

16. - La société [10] soutient que l'action récursoire de la CPAM devrait être limitée à 74'% des dommages et intérêts en raison d'une absence de faute imputable avant 1977 et en se prévalant d'une jurisprudence relative au temps passé par des salariés dans plusieurs entreprises ayant exposé ceux-ci au même risque. Cependant, il a déjà été développé ci-dessus que [C] [I] a été exposé à l'amiante de 1973 à 1988 au sein d'une seule et même entreprise et non de plusieurs, et que la faute inexcusable découle suffisamment de l'absence de mesures adaptées prises par la société [10], autrefois dénommée [12], alors qu'elle avait bien conscience du danger encouru pour le moins entre 1977 et 1988.

C'est donc bien la totalité de l'indemnisation complémentaire prévue par les articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale qui découle de cette faute inexcusable, sans qu'il y ait lieu d'opérer une quelconque limitation pro rata temporis.

Sur l'indemnisation forfaitaire, la rente et l'évaluation des préjudices

17. - L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale dispose que': «'Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.'»

L'article L. 452-2 ajoute que': «'Dans le cas mentionné à l'article précédent, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre.

Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité.

Lorsqu'une rente a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d'incapacité totale.

En cas d'accident suivi de mort, le montant de la majoration est fixé sans que le total des rentes et des majorations servies à l'ensemble des ayants droit puisse dépasser le montant du salaire annuel ; lorsque la rente d'un ayant droit cesse d'être due, le montant de la majoration correspondant à la ou aux dernières rentes servies est ajusté de façon à maintenir le montant global des rentes majorées tel qu'il avait été fixé initialement ; dans le cas où le conjoint, le partenaire d'un pacte civil de solidarité ou le concubin survivant recouvre son droit à la rente en application du troisième alinéa de l'article L. 434-9, la majoration dont il bénéficiait est rétablie à son profit.

Le salaire annuel et la majoration visée au troisième et au quatrième alinéa du présent article sont soumis à la revalorisation prévue pour les rentes par l'article L. 434-17.

La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret.'»

L'article L. 452-3 ajoute encore que': «'Indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

De même, en cas d'accident suivi de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L. 434-7 et suivants ainsi que les ascendants et descendants qui n'ont pas droit à une rente en vertu desdits articles, peuvent demander à l'employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction précitée.

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.'»

Il convient de préciser que la rente ne doit pas être considérée comme réparant le déficit fonctionnel permanent, mais comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité (Assemblée plénière, 20 janvier 2023, n° 20-23.673 et 21-23.947).

18. - Au regard de la notification du 30 octobre 2015 par la CPAM de Haute-Savoie d'une rente attribuée à [C] [I] sur la base d'un taux de 100'% à compter du 26 août 2014, le FIVA est en droit de réclamer le versement par la CPAM à la succession de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

19. - Au regard du décès de [C] [I] le 1er juillet 2015 et des éléments versés au débat, le FIVA est en droit de réclamer le versement par la CPAM à la conjointe survivante du défunt de la rente majorée au maximum en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale.

20. - Le FIVA fait valoir au titre des souffrances physiques endurées par [C] [I] ses différents traitements, sa perte irrémédiable de capacité respiratoire, une biopsie par médiastinoscopie, l'état d'avancement de sa maladie qui a empêché toute opération, un premier traitement par chimiothérapie à partir d'août 2014 puis un second en mai 2015 à la suite d'une récidive, une toux, enfin des soins palliatifs avec un traitement morphinique.

La société [10] soutient donc à tort que le FIVA ne justifie absolument pas les éléments sur lesquels il s'est fondé pour évaluer les préjudices réclamés, au regard des nombreuses pièces médicales versées au débat par le Fonds et qui confirment la description faite par l'organisme de l'état de santé de [C] [I]. De même, au regard de la jurisprudence citée ci-dessus, c'est à tort qu'il est prétendu que les souffrances morales et physiques seraient indemnisées par la rente majorée versée par l'organisme de sécurité sociale.

La somme de 21.900 euros réclamée au titre de l'évaluation des souffrances physiques apparaît justifiée au regard des souffrances assez importantes endurées.

21. - Le FIVA fait valoir au titre des souffrances morales la douleur entraînée par les premiers symptômes, l'annonce du diagnostic, la souffrance et l'injustice découlant de la connaissance d'une contamination par l'amiante à l'occasion du travail et dans des circonstances de manquement par l'employeur à son obligation de sécurité, le préjudice d'anxiété découlant d'une pathologie évolutive irréversible, avec une appréhension renouvelée à chaque traitement ou examen médical, outre la connaissance de l'existence de nombreux cas de maladie professionnelle chez d'anciens salariés exposés aux mêmes conditions de travail. Le FIVA justifie également un traitement de [C] [I] par antidépresseur.

Contrairement à ce que soutient la société [10], le préjudice d'anxiété est manifeste dans le cas de [C] [I] qui s'est vu diagnostiquer à 64 ans un cancer métastasé avancé avec des chances de survie à 5 ans allant de 5 à 45'% selon le stade de la pathologie, son décès étant intervenu au bout d'un an.

La somme de 67.700 euros réclamée au titre des souffrances morales apparaît justifiée au regard des souffrances très importantes découlant du diagnostic et de l'évolution de la maladie de [C] [I] durant cette année.

22. - Le FIVA fait valoir au titre du préjudice esthétique des chimiothérapies qui ont fait perdre à [C] [I] un total de 20 kg en un an, avec sur les dernières semaines une impossibilité de se déplacer, de se lever, de s'alimenter. La société intimée soutient à tort que la perte de poids ne relève pas d'un préjudice esthétique. La somme réclamée à hauteur de 500 euros apparaît justifiée.

23. - Le FIVA fait valoir au titre du préjudice d'agrément une impossibilité pour [C] [I] de se livrer à aucune activité. Toutefois, ainsi que le relève à juste titre la société [10], le FIVA n'apporte aucun élément qui viendrait justifier précisément l'impossibilité de poursuivre une activité sportive ou de loisir particulier antérieure à la maladie professionnelle, ou rendre une telle activité plus difficile. Les attestations familiales sont à cet égard trop générales pour être prises en compte.

La demande du FIVA sur ce chef de préjudice doit donc être rejetée.

24. - En ce qui concerne les préjudices moraux des ayants droit, le FIVA fait valoir que Mme [Z] [I] partageait la vie de [C] [I] depuis 40 ans, et qu'elle l'a accompagné, avec leurs enfants et petits-enfants, durant toute sa maladie, ainsi que le démontrent les témoignages versés au débat.

Au regard des éléments exposés ci-dessus et de l'accompagnement procuré par la famille à [C] [I] durant la fin de sa vie et alors qu'il n'avait que 65 ans lors de son décès, les sommes allouées de 32.600 euros à Mme [Z] [I], de 8.700 euros à Mme [PT] [I] et M. [F] [I], et de 3.300 euros à MM. [N] [I], [E] et [V] [W], apparaissent bien justifiées.

Il n'y a pas lieu de statuer sur une allocation d'indemnité «'pour mémoire'» à M. [B] [S], en l'absence de demande chiffrée pouvant être prise en compte par la cour.

Sur la demande d'inscription au compte spécial

25. - Les demandes de l'employeur aux fins de retrait de son compte des dépenses afférentes à une maladie professionnelle ou d'inscription de ces dépenses au compte spécial, même formées avant notification de son taux de cotisation, relèvent de la seule compétence de la juridiction du contentieux de la tarification de l'assurance des accidents du travail et des maladies professionnelles (Civ. 2, 28 septembre 2023, 21-25.719).

En l'espèce, la demande de rejet de l'imputation de la majoration de la rente au compte de la société [10], au motif que cette dépense devrait être inscrite au compte spécial au regard de la cession ou de la cessation d'exploitation de l'établissement du Giffre, doit donc être rejetée.

Sur les frais de procédure

26. La société [10] supportera les dépens de la première instance et ceux de la procédure d'appel.

L'équité et la situation des parties justifient que le FIVA ne conserve pas l'intégralité des frais exposés pour faire valoir ses droits et la société [10] sera condamnée à lui payer une indemnité de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi':

Dit n'y avoir lieu à écarter des débats les dernières conclusions du FIVA et de la CPAM de Haute-Savoie,

Infirme le jugement du Pôle social du Tribunal judiciaire d'Annecy du 23 juin 2022, sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société et tirée de la prescription de l'action,

Et statuant à nouveau,

Déboute la SASU [10] de sa demande de constat de la péremption de l'instance et de sa demande de mise hors de cause,

Dit que le cancer broncho-pulmonaire de [C] [I] pris en charge par la CPAM de Haute-Savoie le 8 septembre 2015 au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles, et le décès qui s'en est suivi, relevaient de la législation sur les risques professionnels,

Dit que cette maladie professionnelle dont était atteint [C] [I] est due à la faute inexcusable de la SASU [10],

Dit que la CPAM de Haute-Savoie versera à la succession de [C] [I] l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale,

Fixe au maximum la majoration de la rente que la CPAM de Haute-Savoie doit verser à Mme [Z] [I] en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,

Fixe les sommes suivantes en réparation des préjudices personnels de [C] [I] :

- 21.900 euros pour les souffrances physiques,

- 67.700 euros pour les souffrances morales,

- 500 euros pour le préjudice esthétique,

Déboute le FIVA de sa demande au titre du préjudice d'agrément,

Fixe les sommes suivantes en réparation des préjudices moraux des ayants droit de [C] [I] :

- 32.600 euros pour Mme [Z] [I],

- 8.700 euros à Mme [PT] [I],

- 8.700 euros à M. [F] [I],

- 3.300 euros à M. [N] [I],

- 3.300 euros à M. [V] [W],

- 3.300 euros à M. [E] [W],

Dit que la CPAM de Haute-Savoie versera directement ces sommes au FIVA,

Déboute la SASU [10] de sa demande aux fins d'inopposabilité, de sa demande de rejet ou de limitation de l'action récursoire de la CPAM de Haute-Savoie, et de sa demande d'inscription au compte spécial ou de retrait de son compte des dépenses afférentes à la majoration de la rente,

Condamne la SASU [10] à rembourser les sommes allouées au titre des préjudices personnels de [C] [I] et au titre des préjudices moraux des ayants droit de [C] [I] à la CPAM de Haute-Savoie en application des dispositions du code de la sécurité sociale,

Condamne la SASU [10] aux dépens de la première instance,

Y ajoutant,

Condamne la SASU [10] aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne la SASU [10] à payer au FIVA la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Chrystel Rohrer, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président