CA Caen, 2e ch. civ., 11 avril 2024, n° 21/02889
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
American Machinery BV (Sté)
Défendeur :
Thelem Assurances (Sté), Thierry Ragot (SARL), Lixxbail (SA), Techni Foret (SAS), BTSG² (SCP), FHB (Selarl) (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Emily
Conseillers :
M. Guiguesson, Mme Velmans
Avocats :
Me Saint-Léger, Me Vandenbussche, Me Lefèvre, Me Delcourt, Me Balavoine, Me Parillaud
Par acte sous seing privé du 2 juin 2016, la SARL Thierry Ragot a fait l'acquisition auprès de la SAS Techni forêt d'une abatteuse d'arbres modèle 'Barko240 TIER4, modèle 2016 Démo 540hr' pour un prix de 380.000 euros HT, ce matériel bénéficiant d'une garantie contractuelle.
Pour délivrer ce matériel, la SAS Techni forêt s'est fournie auprès de la société de droit néerlandais American machinery BV, distributeur en Europe des produits Barko.
L'opération d'acquisition réalisée par la SARL Thierry Ragot a été financée par le biais d'un contrat de crédit-bail souscrit par acte sous seing privé du 29 juillet 2016 auprès de la SA Lixxbail, pour une durée de 60 mois et un loyer mensuel de 7.131,05 euros TTC.
La SARL Thierry Ragot a également souscrit un contrat d'assurances auprès de la société Thelem assurances afin de garantir ce matériel.
Le matériel a été livré le 7 octobre 2016.
Le 28 janvier 2017, alors que la société Thierry Ragot exploitait une parcelle forestière chez un client, l'abatteuse d'arbres a été retrouvée incendiée.
Par ordonnance du 13 avril 2017, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Argentan a ordonné une expertise judiciaire et désigné M. [G] comme expert, puis, par ordonnance du 23 novembre 2017, les opérations d'expertise ont été étendues à la société American machinery BV et à son assureur.
L'expert a déposé son rapport le 18 juillet 2019.
Par acte d'huissier de justice du 20 avril 2020, les sociétés Thelem assurances, Thierry Ragot et Lixxbail ont assigné la société Techni forêt devant le tribunal de commerce d'Alençon.
Par acte d'huissier de justice du 1er septembre 2020, la société Techni forêt a assigné la société American machinery BV devant le tribunal de commerce d'Alençon.
Par jugement non susceptible de recours du 13 septembre 2021, le tribunal a ordonné la jonction des deux affaires.
Par jugement du 13 septembre 2021, le tribunal de commerce d'Alençon a :
- prononcé la résolution de la vente intervenue en date du 2 juin 2016 ;
- condamné la société Techni forêt à restituer le prix à la société Lixxbail et à la société Thelem assurances à hauteur de la subrogation, d'un montant de 456.000 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2017 et ce jusqu'au parfait paiement ;
- dit n'y avoir lieu à restitution de la machine, celle-ci ayant été détruite par incendie ;
- condamné la société Techni forêt à payer à la société SARL Thierry Ragot la somme de 1.000 euros au titre de dommages et intérêts pour manquement à son devoir d'information ;
- condamné la société American machinery BV à garantir la société Techni forêt de toutes les condamnations qui sont prononcées au profit de la société Thelem assurances de la société SARL Thierry Ragot et de la société Lixxbail ;
- condamné la société American machinery BV aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais de référés s'élevant à 194,26 euros et les frais d'expertise s'élevant à 16.467,48 euros ;
- condamné la société American machinery BV à payer à chacune des sociétés Thelem assurances, SARL Thierry Ragot et Lixxbail la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins ou prétentions ;
- dit que l'exécution provisoire est de droit ;
- liquidé les frais de greffe à la somme de 126,72 euros.
Exposé du litige
Par déclaration du 19 octobre 2021, la société American machinery BV a fait appel de ce jugement.
En cours d'instance d'appel, par jugement du 11 octobre 2022, le tribunal de commerce de Brive la Gaillarde a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit de la SARL Techni forêt et désigné la société BTSG en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 9 juin 2023, cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire.
Par dernières conclusions déposées le 19 octobre 2023, la société American machinery BV demande à la cour de :
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée :
*à garantir la société Techni forêt de toutes les condamnations prononcées au profit des sociétés Thelem, Ragot et Lixxbail,
*aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais de référé et d'expertise,
*à verser 5.000 euros aux sociétés Thelem, Ragot et Lixxbail au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Et, statuant à nouveau sur ces chefs,
- Rejeter toutes les demandes, fins et conclusions formulées à son encontre,
- Condamner la partie qui succombera à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de même que les entiers frais et dépens de l'instance.
Par conclusions déposées le 19 octobre 2023, la société Thelem assurances et la SARL Thierry Ragot demandent à la cour de :
- Déclarer opposable à la SCP BTSG2 en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Techni forêt la décision à intervenir,
- Confirmer au besoin par substitution de motif le jugement entrepris en ce qu'il a :
*condamné la société Techni forêt à restituer le prix à la société Lixxbail et à la société Thelem assurances à hauteur de la subrogation, d'un montant de 456.000 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2017 et ce jusqu'au parfait paiement,
A raison de la liquidation judiciaire de la SASU Techni forêt :
- Fixer la créance de la société Thelem assurances au passif de la liquidation judiciaire de la SASU Techni forêt, à hauteur de sa subrogation, à la somme de 456.000 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2017, jusqu'au parfait paiement.
*dit n'y avoir lieu à restitution de la machine, celle -ci ayant été détruite par incendie,
*condamné la société American machinery BV à garantir la société Techni forêt de toutes les condamnations qui sont prononcées au profit de la société Thelem assurances, de la société SARL Thierry Ragot et de la société Lixxbail,
*condamné la société American machinery BV aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais de référés s'élevant à 194.26 euros et les frais d'expertise s'élevant à 16 467.48 euros,
*condamné la société American machinery BV à payer à chacune des sociétés Thelem assurances, SARL Thierry Ragot et Lixxbail la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
*débouté Techni forêt et American machinery BV du surplus de leurs demandes, fins ou prétentions.
Au cas où la seule garantie contractuelle ne serait pas retenue,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
*Prononcé la résolution de la vente intervenue en date du 2 juin 2016, pour un montant de 456 000 euros TTC entre la société Techni forêt et la société SARL Thierry Ragot de l'abatteuse BARKO 240 TIER4 « Modèle 2016 démo 540 hr, Nouveau moteur Cummins Tier 4 F 6.7 LFT4, tête d'abattage Barka CF 18,
En tout état de cause,
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
*condamné la société Techni forêt à payer à la SARL Thierry Ragot la somme de 1.000 euros au titre de dommages et intérêts pour manquement à son devoir d'information,
*débouté Thelem et la SARL Ragot du surplus de leurs demandes, fins et prétentions.
En conséquence,
- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la SASU Techni forêt la créance d'indemnité due à la SARL Thierry Ragot aux sommes de 100.000 euros au titre du préjudice économique immatériel outre 5.000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation d'information et de conseil,
Y ajoutant,
- Condamner in solidum la SCP BTSG2, en sa qualité de liquidateur de la SASU Techni forêt, la SELARL FHB, en sa qualité d'administrateur judiciaire, la SASU Techni forêt et la société de droit néerlandais American machinery à payer aux concluantes la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Me Lefèvre, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- Débouter la SASU Techni forêt et American machinery BV de l'ensemble des demandes dirigées contre les concluantes.
Par conclusions déposées le 13 octobre 2023, la société Lixxbail demande à la cour de :
- La déclarer recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins, moyens et prétentions,
- Y faire droit,
En conséquence,
A titre principal,
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Statuant à nouveau en raison de la liquidation judiciaire de la SASU Techni forêt,
- Débouter la SASU Techni forêt, la SCP BTSG2 et la société American machinery BV de l'ensemble de leurs demandes, fins, moyens et prétentions,
Et y ajoutant,
- Fixer la créance de la SA LixxbaiL au passif de la procédure de liquidation judiciaire de la SASU Techni forêt à la somme totale de totale de 13.823,48 euros à titre chirographaire, dont :
*la somme de 7.098,48 euros au titre des créances échues, suivant détail ci-après :
- 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile mis à la charge de la SASU Techni forêt suivant jugement entrepris,
- 13 euros au titre des dépens mis à la charge de la SASU Techni forêt suivant jugement entrepris,
- 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile mis à la charge de la SASU Techni forêt suivant ordonnance de référé rendue le 5 juillet 2022 par Monsieur le premier président de la cour d'appel de Caen ;
- 85,48 euros au titre des dépens (frais de signification et droit de plaidoirie) misà la charge de la SASU Techni forêt suivant ordonnance de référé rendue le 5 juillet 2022 par Monsieur le premier président de la cour d'appel de Caen ;
*la somme de 6.725 euros au titre des créances éventuelles au titre de l'arrêt à intervenir, et ce suivant détail ci-après :
- 5.000 euros au titre des frais irrépétibles sollicités dans le cadre de la présente instance ;
- 1.725 euros au titre des dépens (droit de plaidoirie, frais de signification, en
ce compris frais de traduction en vue de la signification à la société de droit néerlandais American machinery BV, sollicités dans le cadre de la présente instance,
A titre subsidiaire, dans le cas où la cour entendrait réformer ledit jugement,
- Prendre acte que la société Thelem assurances est subrogée dans les droits de la SA Lixxbail,
En toute hypothèse,
- Prendre acte que la SA Lixxbail ne s'oppose pas à la demande de la mise hors de cause de la SELARL FHB, en sa qualité d'ancien administrateur judiciaire à la procédure de redressement judiciaire de la SASU Techni forêt,
- Condamner in solidum la SASU Techni forêt, la SCP BTSG2, es-qualité, et la société American machinery BV, ou toute autre partie succombante, à payer à la SA Lixxbail la somme de 5.000,00 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et Dire, s'agissant de la SAS Techni forêt et de la SCP BTSG2, es-qualité, que ces frais irrépétibles seront passés en frais de justice de la procédure collective,
- Condamner in solidum la SASU Techni forêt, la SCP BTSG2, es-qualité, et la société American machinery BV, ou toute autre partie succombante, aux entiers dépens de la présente instance, et
- Dire, s'agissant de la SAS Techni forêt et de la SCP BTSG2, es-qualité, que ces dépens seront passés en frais de justice de la procédure collective.
Par conclusions déposées le 12 octobre 2023, la société BTSG2 demande à la cour de:
- Lui donner acte ès qualités de mandataire judiciaire à la procédure de liquidation judiciaire de la société Techni forêt de son intervention sur la procédure,
- Reformer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé l'annulation de la vente intervenue entre la société Techni forêt et la société Ragot,
- Débouter les sociétés Thelem assurances, Ragot et Lixxbail de leurs appels incidents,
- Dire et juger que la preuve de l'origine du sinistre et son imputabilité ne peut être incontestablement établie,
- Débouter les sociétés Thelem assurances, Ragot et Lixxbail de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre de la société Techni forêt, de la SCP BTSG² ès qualités de mandataire Judiciaire à la procédure de liquidation judiciaire de la société Techni forêt,
Subsidiairement,
- Prononcer la nullité de la vente intervenue entre la société American machinery et la société Techni forêt avec toutes conséquences de droit,
- Condamner la société American machinery à relever indemne la société Techni forêt représentée par la SCP BTSG² ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Techni forêt de l'intégralité des condamnations et/ou des fixations de créances qui pourraient être prononcées à son encontre au profit des sociétés Thelem assurances, Ragot et Lixxbail ,
En tout état de cause,
- Rejeter les demandes dirigées contre la société Techni forêt représentée par la SCP BTSG² ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Techni forêt,
- Condamner toutes parties succombantes à payer à la société Techni forêt représentée par la SCP BTSG² ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Techni forêt la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance qui comprendront les honoraires d'expertise judiciaire.
Par conclusions déposées le 18 septembre 2023 la SELARL FHB demande à la cour de la mettre hors de cause sa mission d'administrateur judiciaire à la procédure de redressement judiciaire de la société Techni forêt ayant pris fin et de statuer ce que de droit pour le surplus.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 janvier 2024.
Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
Motivation
SUR CE, LA COUR
Il convient de mettre hors de cause la SELARL FHB dont la mission d'administrateur judiciaire à la procédure de redressement judiciaire de la société Tchni forêt a pris fin.
Sur la garantie contractuelle
La société Thelem et la société Ragot invoquent en premier lieu la garantie contractuelle pour fonder leur demande en restitution du prix de vente faisant valoir que
la société Techni forêt a reconnu que ' Le fabricant, et donc son importateur, ont vendu un engin avec une garantie de trois ans sur la structure principale, de deux ans sur l'hydraulique et le groupe moto propulseur et d'un an sur les autres pièces', que la société Ragot a acheté un matériel neuf, qu'elle est créancière d'une garantie contractuelle, que l'incendie est d'origine électrique et qu'il est la conséquence de la conception défectueuse de la machine qui contenait des composants viciés ( cable plié), que le vendeur n'établit aucune cause de l'incendie qui serait extérieure à la machine.
La société American Machinery et la société BTSG2, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société techni forêt, ne reconnaissent pas l'application d'une garantie contractuelle.
Il ressort des pièces communiquées que le bon de commande ne prévoit aucune garantie.
Les certificats de garantie du fabricant sont versés aux débats en version anglaise non traduite et ne peuvent donc être retenus comme des éléments de preuve.
Par ailleurs, si dans ses conclusions, la société BTSG2 ès qualités fait mention d'une garantie du constructeur et de l'importateur, les propres conditions générales de vente de la société Techni forêt prévoient que les produits neufs livrés par elle jouissent de la garantie de leur constructeur et que les produits d'occasion sont vendus sans autre garantie que celle des vices cachés.
Il sera relevé que la machine vendue est un modèle de démonstration ayant déjà été utilisé au moment de la vente pendant 540 heures.
Au vu de ces éléments, les sociétés Thelem et Ragot ne rapportent pas la preuve qui leur incombe de ce que l'acheteur est bien fondé à réclamer la mise en jeu d'une garantie contractuelle.
Dispositif
Par ces motifs, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a écarté cette garantie.
Sur la garantie pour vice caché
Selon l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
La société American Machinery soutient que la preuve d'un vice caché préexistant à la vente n'est pas rapportée, que le rapport d'expertise n'est pas précis sur l'origine du dommage, que la preuve du pliage anormal d'un câble n'est pas rapportée, qu'en tout état de cause l'état préexistant de ce prétendu vice n'est pas établi, que l'incendie a pour origine une faute de la société Ragot qui a tenté de redémarrer l'engin à de multiples reprises ce qui a entraîné un collage du contacteur du démarrage et un échauffement qui a conduit à la perte d'isolement entre deux conducteurs puis la mise à feu.
La société BTSG2 ès qualités fait valoir que la cause exacte de l'incendie n'est pas déterminée même si l'origine électrique est privilégiée par l'expert, que si un câble avait été plié l'utilisateur de la machine l'aurait nécessairement constaté, que la machine a été laissée sans surveillance dans un champ où elle a pris feu, que l'absence de nettoyage de la machine constitue une cause très plausible de l'incendie, que les recommandations relatives à la prévention n'ont pas été respectées et que la société Ragot a pu elle-même plier le câble alors que la machine était sous sa garde.
La société Thelem et la société Ragot reprennent les conclusions de l'expertise judiciaire et précisent que l'expert ne retient pas une faute dans l'utilisation de la machine.
Il ressort du rapport d'expertise judiciaire que l'origine du feu provient du câble de puissance qui est plié ce qui est anormal.
De ce fait, la section est plus petite donc avec une intensité plus importante et un échauffement du câble s'est produit à la suite d'une journée de travail et essais de démarrage successifs du fait d'une panne.
Les deux câbles du faisceau électrique de puissance raccordés chacun à des potentiels différents présentent des traces de dégradations caractéristiques par arc électrique, consécutives à une perte d'isolement sous tension. Cette perte d'isolement a entraîné la rupture par fusion du conducteur raccordé à la masse.
Le câble conçu de section trop faible en étant plié n'a pas supporté les essais de démarrrages successifs.
L'expert a précisé dans son pré-rapport que la courbure du câble établissait que celui-ci avait bien été plié.
Il précise en outre que si le câble avait été plus gros, il n'y aurait pas eu d'échauffement au moment de la multiplication des redémarrages sans succès du moteur le jour précédant l'incendie.
Concernant une mauvaise utilisation de la machine par l'opérateur , l'expert précise qu'il n'est jamais demandé à un conducteur d'engin de faire une vérification de la machine après avoir essayé de démarrer celui-ci, que les multiples démarrages doivent être possibles et pris en compte par le constructeur et la machine ne doit pas d'enflammer dans de telles circonstances.
L'expert note en outre que les recommandations relatives à l'inspection du système électrique pour y détecter des fils endommagés ou une mauvaise connexion consistent de manière générale à s'assurer en fin de journée qu'il n'y a pas de fils endommagés sur les parties extérieures ou accessibles de la machine mais qu'en l'espèce le câble plié du fait de son positionnement ne pouvait être examiné que lors d'une opération de maintenance par un mécanicien et qu'il était impossible ou difficile pour le conducteur d'engin de le détecter.
Il indique en outre que la question du positionnement du commutateur est sans intérêt dès lors que celui-ci permet de couper l'alimentation de la batterie du système électrique , qu'en l'espèce, la surchauffe sur le câble s'est produite lors des démarrages successifs et que la fermeture du commutateur n'aurait pas empêché l'incendie.
Par ailleurs, l'expert précise que le pliage du câble ne peut venir que de la production de la machine et non d'un défaut d'utilisation, l'utilisateur ne pouvant plier un câble de la façon constatée.
Le fait que la machine soit un prototype est sans effet dès lors que l'expert indique qu'il n'y avait aucune raison pour qu'un câble de la machine soit plié.
Enfin, l'expert qui a relevé les interventions sur la machine en décembre 2016 ( remplacement d'un fusible par la société Cornu) et le 17 janvier 2017 ( remplacement d'un tuyau positionné sur le bras d'abattage) et qui a demandé la mise en cause de la société Cornu aux opérations d'expertise, n'a pour autant pas retenu un lien entre ces interventions et le sinistre pas plus qu'il n'a relevé un défaut probable d'entretien de la machine ni une mauvaise utilisation de celle-ci.
Les allégations de l'importateur de la machine et du vendeur sur les causes du sinsitre ne sont pas étayées par des pièces permettant de remettre en cause les conclusions de l'expert judiciaire.
Il s'ensuit que les sociétés Thelem et Ragot rapportent la preuve de l'existence d'un vice caché inhérent à la chose vendue et préexistant à la vente qui rendait l'engin vendu impropre à sa destination.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a prononcé la résolution du contrat de vente.
Sur les restitutions
Selon l'article 1644, dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a ordonné la restitution du prix de vente.
La société Techni forêt étant en liquidation judiciaire, la créance de la société Thelem assurances au passif de la liquidation judiciaire sera fixée à la somme de 456 000 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2021, date du jugement qui a prononcé la résolution de la vente.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à restitution de la machine du fait de sa destruction.
Sur la demande de dommages et intérêts consécutive à la résolution de la vente
Selon l'article 1645, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.
L'article 1645 du code civil s'applique au vendeur professionnel qui est tenu de connaître les vices affectant la chose vendue.
La société Ragot demande l'allocation d'une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice immatériel invoquant des frais d'enlèvement et de dépollution, des frais bancaires et une perte de son chiffre d'affaires liée à l'indisponibilité de la machine qu'elle évalue à 100 000 euros.
La somme de 25 000 euros réclamée au titre de l'enlèvement et de la dépollution n'est justifiée par aucune pièce du dossier.
Sur le préjudice économique, la société Ragot justifie de frais de gestion de sinistre de 180 euros facturés par le Crédit agricole dans le cadre du contrat de leasing.
Sur la perte économique, le bilan de l'exercice du 1er avril 2016 au 31 mars 2017 fait apparaître un résultat net comptable de 26 280 euros.
L'exercice suivant fait apparaître un résultat net comptable de - 64 939 euros.
La société Ragot justifie qu'un chantier prévu durant le premier trimestre 2017, à raison de 20 jours de travail environ au prix de 1100 euros ht par jour, n'a pas pu être réalisé à la suite du sinistre.
Elle argue de ce que le chiffre d'affaires a augmenté significativement sur l'exercice 2018-2019 après l'indemnisation contractuelle sans pour autant en justifier et elle fournit un devis pour l'achat d'une nouvelle machine daté du 11 septembre 2018 sans plus de précision.
Ces documents ne permettent pas d'établir un lien de causalité certain entre la perte du résultat net dans sa totalité et le sinistre.
Au vu des éléments communiqués, le préjudice économique de la société Ragot en lien certain et direct avec le sinistre peut être évalué à la somme de 22 180 euros.
Cette créance de la société Ragot sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Techni forêt.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.
Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement du vendeur à son obligation d'information et de conseil
La vente étant annulée, il ne peut être sollicité des dommages et intérêts pour manquement du vendeur à son obligation d'information et de conseil.
Le jugement entrepris sera infirmé et la demande sera rejetée.
Sur l'appel en garantie de la société American Machinery
La société Techni forêt a acheté la machine abatteuse à la société American Machinery, distributeur en Europe des produits fabriqués par la société américaine Barko, pour la revendre ensuite à la société Thierry Ragot.
La société BTSG2 ès qualités demande l'annulation de la vente conclue entre la société American Machinery sans préciser sur quel fondement.
Cette demande sera rejetée.
Elle est cependant bien fondée à demander que la société American Machinery, qui est son vendeur, la garantisse des condamnations prononcées à son encontre dans le cadre du présent litige, la cour retenant l'existence d'un vice caché inhérent à la machine et antérieur à la livraison de celle-ci.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions du jugement entrepris relatives aux indemnités de procédure et aux dépens, exactement appréciées, seront confirmées.
La société Lixxbail sera déboutée de sa demande tendant à voir fixer sa créance au titre de ces condamnations au passif de la société Techni forêt dès lors que celle-ci n'est pas condamnée à paiement.
Elle sera déboutée en outre de sa demande tendant à voir fixer au passif de la société Techni forêt la condamnation prononcée au titre de l'indemnité de procédure par le premier président de la cour d'appel saisi en arrêt de l'exécution provisoire du jugement, la cour n'étant pas saisi de ce litige.
Les sociétés American Machinery, BTSG2, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Techni forêt, seront condamnées in solidum aux dépens d'appel, à payer à la société Thelem et la société Ragot, unies d'intérêts, la somme de 4000 euros et à la société Lixxbail la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure en cause d'appel et seront déboutées de leurs demandes formées à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;
Met hors de cause la SELARL FHB ;
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Techni forêt à restituer le prix de 456 000 euros et à payer la somme de 1000 euros à la SARL Thierry Ragot au titre de dommage et intérêts pour manquement à son devoir de d'information et en ce qu'il a débouté la SARL Thierry Ragot de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice immatériel ;
Statuant à nouveau du chef des dispositions du jugement infirmées et ajoutant au jugement,
Fixe la créance de de la société Thelem assurances au passif de la liquidation judiciaire de la société Techni forêt à la somme de 456 000 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2021;
Fixe la créance de la SARL Thierry Ragot au passif de la liquidation judiciaire de la société Techni forêt à la somme de 22 180 euros au titre du préjudice immatériel ;
Déboute la société Thierry Ragot de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de la société Techni forêt à son devoir de conseil et d'information ;
Condamne in solidum la société American Machinery, la société BTSG2, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Techni forêt, à payer à la société Thelem assurances et la société Ragot, unies d'intérêts, la somme de 3000 euros et à la société Lixxbail la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure en cause d'appel ;
Déboute la société American Machinery et la société BTSG2, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Techni forêt de leurs demandes formées à ce titre ;
Condamne in solidum la société American Machinery, la société BTSG2, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Techni forêt, aux dépens d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.