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Décisions

CA Amiens, 5e ch. prud'homale, 29 mars 2023, n° 22/01328

AMIENS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Accomplir Ensemble Un Devenir (Association)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme De Surirey

Conseillers :

Mme Pachter-Wald, Mme Giudicelli

Avocats :

Me Fabing, Me Delvallez

Cons. Prud’h. Laon, du 11 mars 2022, n° …

11 mars 2022

EXPOSE DU LITIGE :

Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 3 septembre 2018 M. [V] a été embauché par l'association Accomplir Ensemble un Devenir (AED), ci-après nommée l'employeur ou l'association, en qualité de directeur du pôle travail. Le salarié était soumis à une convention de forfait en jours.

L'association a pour activité la création, l'administration et la gestion d'établissements et services sociaux et médico-sociaux en faveur des publics fragiles et d'une manière générale au bénéfice des personnes devant bénéficier d'une protection au titre de l'action sanitaire et social.

Elle est dirigée par Mme [F] depuis le 1er octobre 2018 qui a pris la suite de M. [B] et est présidée par M. [R].

La convention collective applicable est celle des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

Le 28 avril 2020 M. [V] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, prévu le 11 mai 2020.

Le salarié ne s'étant pas présenté à son entretien préalable, l'employeur lui a alors fait remettre une nouvelle convocation, cette fois par voie d'huissier de justice, pour un entretien fixé au 25 mai 2020, auquel il ne s'est toujours pas présenté.

Son licenciement pour faute lourde lui a été notifié le 29 mai 2020, par lettre ainsi libellée :

"Le vendredi 3 avril 2020, monsieur [J] [B], ancien directeur général de l'association m'a contacté par téléphone pour me manifester son mécontentement sur la « gestion actuelle '' de l'association ainsi que sur la directrice générale, madame [F], qui lui a succédé à son départ en retraite.

Monsieur [B] a ensuite déposé à mon domicile une clé usb contenant la copie d'un signalement co-signé par lui, madame [O] [X] et vous-même et que vous avez adressé au procureur de la république de laon ainsi qu'au directeur général de l'ars des hauts-de-france.

Ce signalement daté du 2 avril 2020 évoque des faits de maltraitance envers deux personnes vulnérables prises en charge au sein de l'AED.

Dans ce signalement vous évoquez d'abord la situation de monsieur [W], dont vous dites avoir eu connaissance le 22 janvier 2020, lors d'une réunion de direction.

Vous mettez en cause monsieur [A] [E], directeur du centre equestre qui explique les faits lors de la réunion, et madame [K] [H] qui a pris l'initiative d'exclure monsieur [W] du transport du centre équestre au foyer d'hébergement en raison de son comportement.

Vous mettez également en cause madame [F] qui n'exprime pas sa désapprobation. Vous exprimez votre stupéfaction en qualifiant cette décision «d'inadaptée envers une personne handicapée '' puis votre décision de « mener votre propre enquête en toute discrétion pour savoir si ces faits relèvent d'une pratique coutumière au sein de l'assoclation ''.

Vous expliquez alors avoir découvert, mi-février 2020, que « cette même sanction ''avait été appliquée à un autre travailleur handicapé, monsieur [M] [I] à l'issue d'un Conseil de discipline tenu le 29 avril 2019.

Vous rappelez que ce conseil de discipline avait été organisé suite à des faits d'agression verbale envers les moniteurs d'atelier et d'agression physique envers un autre usager de l'esat et qu'à l'issue du conseil de discipline, il avait été décidé : " à titre de sanction que l'usager en vertu des dispositions du règlement de fonctionnement ne bénéficiera plus du transport organisé par l'esat pour la pause du déjeuner du 13 au 17 mai 2019. Pendant cette semaine, il se déplacera par ses propres moyens et déjeunera au 2ème service."

Vous exposez que monsieur[I] a dû, en exécution de cette sanction, effectuer à pied un trajet de plus de 6 km pendant 5 jours, sur un parcours accidentogène et non-sécurisé, sans surveillance et au mépris de ses restrictions d'aptitude définies par le médecin du travail.

Vous qualifiez le conseil de discipline d'irrégulier à défaut pour monsieur[I] d'avoir été assisté par un de ses pairs et son représentant légal.

Vous expliquez avoir pris l'attache de l'ancien directeur général, monsieur [J] [B] et de son ancienne adjointe, madame [O] [X], au motif que vous étiez « isolé en interne par la directrice générale qui (vous) cantonne à la seule gestion de I'entreprise adaptée '' lesquels ont co-signé le signalement.

J'ajoute qu'étaient joints à ce signalement le compte-rendu de la réunion de direction du 22 janvier 2020, le procès-verbal du conseil de discipline du 29 avril 2019 ainsi que les fiches d'aptitude médicale de monsieur [I].

La clé usb remise par monsieur [B] contenait enfin une lettre de mise à pied conservatoire prérédigée à remettre à madame [F] pour des faits de maltraitance envers monsieur [W] et monsieur [I].

Ce signalement m'a conduit à diligenter une enquête interne avec l'aide des membres du bureau et plusieurs cadres de l'association, à l'exclusion bien évidemment de madame [F].

Or à l'issue de cette enquête. il s'est avéré que votre signalement constitue une dénonciation calomnieuse de faits qui ne présentent aucun caractère de maltraitance et que vous avez agi de mauvaise foi dans la mesure où vous avez délibérément et consciemment proféré des mensonges dans le but de nuire à l'association et à votre collègue de travail et supérieure hiérarchique, madame [C] [F].

Ainsi, vous indiquez dans votre courrier que vous « découvrez » mi-février 2020, la sanction prise à l'encontre de m. [I] lors du conseil de discipline du 29 avril 2019.

Cette déclaration présente un caractère mensonger puisque vous étiez présent lors de la réunion d'équipe de l'esat du 29 avril 2019 au cours de laquelle monsieur [A] [E] a évoqué la décision prise lors du conseil de discipline. (cf. compte-rendu de la réunion).

Par ailleurs, en préalable à l'organisation de ce conseil de discipline, madame [F] vous a contacté par téléphone pour s'enquérir de votre avis sur la situation en tant que directeur de pôle et vous avez alors convenu avec elle, de la nécessité d'organiser ce conseil. Cette conversation téléphonique a été suivie d'un mail à monsieur [V] reprenant les éléments essentiels de cet échange.

Vous étiez donc parfaitement informé de la sanction prise à l'encontre de Monsieur [I] lors du conseil de discipline du 29 avril 2019 et vous n'avez jamais élevé la moindre contestation concernant cette sanction dès lors qu'elie était régulière, proportionnée et individualisée.

Vos déclarations dans votre signalement sont donc mensongères.

Vous indiquez ensuite dans votre courrier de signalement que vous décidez, àl'issue de la réunion de direction du 22 janvier 2020 de « mener votre propre enquête en toute discrétion pour savoir si ces faits relèvent d'une pratique coutumière au sein de I'association »

Or vous n'êtes pas sans ignorer qu'ii existe une procédure à laquelle vous devez vous conformer dans le type de situation que vous évoquez.

Je cite le document unique des délégations en vertu duquel :

« le directeur de pôle : reçoit les signalements d'incidents et détermine les mesures à prendre, transmet à la direction générale les affaires graves ou complexes, notamment celles pouvant entraîner une enquête interne, un signalement externe, la mise en cause fautive d'un agent. Il rend compte des principales affaires traitées dans le cadre du journal de bord et des réunions de direction. ll assure l'archivage des dossiers relevant de sa compétence ''.

Je cite également la note de service concernant la transmission du rapport d'incident du 24 juillet 2015 qui stipule que:

« dans la mesure où les faits constatés et relatés dans le rapport mettraient en cause directement ou indirectement un cadre de direction de l'association ou un administrateur son auteur pourra soit le transmettre comme prévu par la voie hiérarchique en demandant qu'il soit transmis au Président ou président-adjoint dans les 48 heures. Une preuve de cette transmission, accusé de réception- lui sera retourné dans les 72 heures maximum, soit l'adresser directement au président (ou au président adjoint) notamment si la gravité des faits relatés venaient à nécessiter cette rupture de la voie hiérarchique. ''

Vous n'avez respecté aucune de ces procédures de signalement.

Je vous rappelle également que le protocole de bientraitance énonce des règles précises sur les délais dans lesquels les faits considérés comme de la maltraitance doivent être portés à la connaissance de la direction.

Ces délais n'ont pas été respectés.

Le protocole de bientraitance dispose également que « dans la mesure du possible l'audition des victimes, témoins et agresseurs (réels ou supposés), usagers ou membre du personnel, s'effectue en présence,d'un tiers ''.

Vous n'étiez donc pas habilité à « mener votre propre enquête » « en toute discrétion ».

Outre le fait que vous étiez informé de la sanction précédemment décidée à l'encontre de monsieur [I], à aucun moment vous n'avez manifesté votre désapprobation lors des réunions auxquelles vous étiez présent.

Vous n'avez pas utilisé l'imprimé rapport d'incident que vous connaissez pourtant et vous avez préféré vous adresser à d'anciens salariés de l'association plutôt qu'au président ou Vice-président.

Vous avez ainsi transmis à des tiers des documents internes à l'association concernant des usagers en violation de I'obligation de discrétion prévue au règlement intérieur applicable au personnel.

En ce qui concerne les faits que vous dénoncez, vous les qualifiez de façon mensongère « d'actes de maltraitance ''.

En effet, au regard de votre expérience professionnelle et de votre qualification vous aviez tous les moyens d'apprécier que les sanctions prises à l'encontre de monsieur [W] et de monsieur [I] n'étaient en aucun cas des actes de maltraitance.Chacun de ces deux usagers avait commis des agissements qui les rendaient dangereux pour eux-mêmes ainsi que pour les autres ouvriers et le personnel d'encadrement.

Leur état d'agitation à l'occasion du transport pouvait mettre en danger la sécurité des autres passagers.

Aucun de ces deux usagers n'a subi de violence physique ou d'acte qui porte atteinte à leur intégrité physique.

En tant que directeur du pôle travail, vous n'etes pas sans savoir qu'une restriction à la station debout prolongée n'est en rien une restriction à la marche.

Il est également utile de préciser qu'exclu du transport, monsieur [I] devait se déplacer par ses propres moyens et qu'il pouvait, s'il le souhaitait, utiliser un des vélos mis à disposition au foyer.

Monsieur [I] et monsieur [W], tout comme les autres travailleurs de l'esat qui réalisent ces trajets de manière régulière, à pied, en vélo ou en scooter, ont par ailleurs une connaissance suffisante du code de la route et sont sensibilisés au risque routier.

Enfin, vous n'êtes pas sans connaître les dispositions du règlement du fonctionnement applicable à l'esat qui indique qu'en cas de faute simple et non répétée comme par exemple des attitudes agressives considérées comme mineures à l'égard d'autres ouvriers et de l'encadrement, la sanction est du ressort de l'équipe éducative accompagnée d'un signalement par l'éducateur l'ayant prononcée et information à la direction.

Vous avez donc en pleine conscience dénaturé des sanctions légitimes proportionnées et individualisées prises régulièrement par les personnes habilitées, pour les présenter comme des « actes de maltraitance ''.

Vos dénonciations mensongères avaient pour but de nuire à l'association et à sa Directrice générale, madame [F], pour laquelle un courrier de mise à pied conservatoire était prérédigé et joint aux documents remis sur la clé usb avec votre signalement.

A cet égard, vous n'hésitez pas à pointer madame [F] comme l'unique responsable et vous indiquez même dans votre signalement avoir été « isolé en interne par la Directrice générale ''.

Encore une fois vos propos sont fallacieux puisque vous participiez aux réunions de direction à minima mensuelles avec l'ensemble des cadres, et vous étiez aussi l'animateur des réunions de quinzaine de l'esat. Vous étiez par ailleurs totalement libre de vos déplacements dans les établissements de l'association.

Enfin, lors de l'enquête et des investigations qui ont pu être menées par les membres du bureau de l'association, d'autres éléments sont venus caractériser votre volonté de nuire à l'association.

Vous avez présenté des demandes répétées à la déléguée syndicale cgt de l'entreprise adaptée pour qu'elle alerte le syndicat sur une « mauvaise gestion '' de l'entreprise adaptée par l'association et votre « surcharge de travail ''.

La déléguée syndicale n'a pas fait droit à vos demandes estimant que la situation n'avait rien d'anormal.

La directrice générale, madame [F], vous a informé du choix du cabinet Kpmg par le conseil d'administration pour la réalisation d'un audit de l'entreprise adaptée.

Vous avez manifesté votre mécontentement auprès de cette même déléguée en lui demandant de mandater un cabinet de votre choix (aphilia via la centrale d'achat apogee) pour réaliser cet audit dans le cadre du cse et faire payer l'association.

Vous avez également mené une campagne de dénigrement devant plusieurs salariés de l'entreprise adaptée en indiquant par exemple que la directrice générale est une «incapable '', le président « effacé ''.

Le 23 mars 2020, pendant la crise sanitaire et le confinement lié au covid 19, une salariée mécontente de travailler pendant ces temps difficiles vous a contacté par téléphone pendant votre arrêt maladie. Elle a rapporté que vous lui avez conseillé d'appeler la préfecture et l'inspection du travail pour signaler que l'association faisait toujours travailler ses salariés.

Enfin, une salariée de l'association nous a transmis le 7 avril 2020, un lien vers une vidéo diffusée sur internet.

Nous avons alors découvert que lors d'un colloque avec la centrale d'achat apogee le 20 septembre 2019, vous avez représenté l'association aed au travers de la présentation du projet légumerie.

Vous avez alors agi sans aucune autorisation de votre hiérarchie.

Or le document unique des délégations précise que seule la directrice générale a une délégation pour représenter l'association de manière permanente et réaliser des communications externes.

De plus les termes dans lesquels vous évoquez le président dans cette vidéo sont peu élogieux et portent atteinte à son image, ainsi qu'à l'image de l'association puisque, selon vous, l'annonce du projet aurait créé un « choc thermique dans sa tête '' et que vous deviez rendre le business plan avant le 31 décembre pour ne pas qu'il «fasse un infarctus ''.

Ces derniers agissements témoignent également de votre volonté délibérée de nuire à l'association, au travers notamment son représentant légal et sa directrice.

Nous considérons que l'ensemble des faits évoqués constituent une faute lourde rendant impossible votre maintien même temporaire dans l'association."

Le 2 octobre 2020, M. [G] [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Laon afin, notamment, d'obtenir, à titre principal, la nullité de son licenciement, à titre subsididiare sa requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que le versement de diverses d'indemnités.

Par jugement du 11 mars 2022, la juridiction prud'homale a :

déclaré M. [V] recevable en ses demandes mais mal fondé ;

dit que le licenciement pour faute lourde, notifié le 29 mai 2020, était fondé ;

débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes ;

condamné ce dernier à verser à l'association AED la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné M. [V] aux entiers dépens de l'instance.  

Le 23 mars 2022, le salarié a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Selon ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 avril 2022, M. [V] demande à la cour de :

infirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Laon le 11 mars 2022 en ce qu'il :

- l'a déclaré mal-fondé en ses demandes,

- a dit que son licenciement pour faute lourde, notifié le 29 mai 2020, était fondé,

- l'a débouté de toutes ses demandes,

- l'a condamné à verser à l'association AED la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a condamné aux entiers dépens de l'instance ;

Et statuant à nouveau, de :

dire que son licenciement est nul et de nul effet, ou, à titre subsidiaire, dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

dire que son licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse en raison de l'irrégularité de signatures ;

Ce faisant,

dire que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat ;

dire que le forfait annuel en jours est illicite ;

dire qu'il est fondé à solliciter des heures supplémentaires ;

dire que le contingent annuel d'heures supplémentaires fixé à 220 heures par salarié a été dépassé pour l'année 2018 et pour l'année 2019 ;

dire qu'il est fondé à solliciter un rappel au titre de la contrepartie obligatoire en repos ;

dire que le travail dissimulé est caractérisé ;

le déclarer bien-fondé en ses demandes ;

À titre principal :

dire que son licenciement est nul ;

condamner l'association AED au paiement de la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

À titre subsidiaire, de :

dire que son licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;

condamner l'association AED au paiement de la somme de 9 366,88 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause, de :

condamner l'association AED au paiement des sommes suivantes :

- 10 000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité de résultat ;

- 25 853,095 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires outre 2 585,31 euros de congés payés y afférents ;

- 7 637,49 euros de rappel de salaire au titre de la contrepartie obligatoire en repos, outre 763,749 euros de congés payés y afférents ;

-28 100, 64 euros au titre du travail dissimulé ;

- 2 245,81 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

- 17 966,44 euros au titre de l'indemnité de préavis, outre 1 796,64 euros au titre des congés payés sur préavis ;

- 139,47 euros au titre du contrat de mutuelle pour les mois de juillet à septembre 2020

- 372,86 euros au titre de la semaine d'astreinte non réglée ;

dire que ces sommes porteront intérêt de droit à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;

ordonner la remise des documents sociaux conformes au jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du dixième jour suivant la notification dudit jugement ;

ordonner le remboursement par l'employeur à Pôle emploi de tout ou partie des indemnités de chômage qui lui ont été payées du jour de son licenciement au jour du jugement à intervenir dans la limite de six mois d'indemnité de chômage, conformément aux dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail ;

condamner l'association aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

condamner l'association au paiement d'une indemnité de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 6 juillet 2022, l'association Accomplir Ensemble un Devenir demande à la cour de :

confirmer le jugement rendu le 11 mars 2022 par le conseil de prud'hommes de Laon ;

déclarer M. [V] irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes et l'en débouter ;

condamner ce dernier à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner M. [V] aux entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

EXPOSE DES MOTIFS :

1/Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail :

Le salarié ne présentant aucun moyen au soutien de ses demandes au titre de la semaine d'astreinte et de la mutuelle, en sera débouté.

1-1/ Sur la validité du forfait jours :

M. [V] fait valoir que l'accord d'entreprise de 2016, qui prévoit un décompte auto déclaratif n'assure pas la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail et la protection de la sécurité et de la santé des salariés ; que l'employeur a fixé d'autorité un cadre contraignant avec un contrôle permanent de son temps de travail en lui imposant une durée de travail de 45 heures et l'interdiction de travailler le samedi ainsi qu'un contrôle permanent de son temps de travail ce qui est contraire au principe de liberté d'organisation rappelé par l'accord d'entreprise et l'article L. 3121- 58 du code du travail et qu'il en résulte que le forfait annuel jour est nécessairement nul.

L'employeur répond, en substance, que rien n'interdit à l'employeur de mettre en place un système auto déclaratif de décompte du temps de travail ; qu'il n'a pas fixé au salarié un cadre contraignant lui imposant une durée de 45 heures de travail et un contrôle permanent de son temps de travail, ni fixé une durée habituelle et permanente de 45 heures de travail hebdomadaire, le document produit par le salarié n'ayant pas de caractère coercitif et que ce dernier avait toute latitude pour organiser son temps de travail sans aucune intervention de sa hiérarchie.

La mise en place d'un forfait en jours est notamment subordonnée à la conclusion d'un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, d'une convention ou un accord de branche, lequel doit comporter des stipulations qui assurent la garantie du respect des durées maximales de travail, ainsi que des repos journalier et hebdomadaire. À défaut, la convention de forfait conclue sur la base d'un tel accord est nulle.

En l'espèce, l'accord d'entreprise relatif à l'organisation du temps de travail du 8 juillet 2016 stipule que les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service de l'équipe auxquelles ils sont intégrés, peuvent bénéficier d'une convention de forfait en jours sur l'année fixée à 208 jours, que compte tenu de la spécificité de la catégorie des cadres autonomes, le respect des dispositions contractuelles et légales relatives au temps de travail sera suivi au moyen d'un système auto déclaratif, chaque salarié établissant un récapitulatif hebdomadaire et mensuel faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées effectivement travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos, que ce décompte sera signé par le salarié puis transmis le premier jour travaillé du mois suivant à son responsable hiérarchique ce qui permettra à l'employeur d'assurer effectivement un suivi régulier de l'organisation et de la charge de travail du salarié. Il prévoit qu'un entretien annuel sera assuré par l'employeur avec chaque salarié dont l'objectif est de garantir le droit au repos du salarié concerné et de protéger sa santé, sa sécurité et son droit à une vie privée et que dans l'hypothèse où il serait montré que la charge de travail est soit trop importante, soit mal répartie sur l'année, seront consignées sur le compte rendu d'entretien les mesures à mettre en 'uvre de manière à remédier au dysfonctionnement relevé.

Ces stipulations sont de nature à assurer la garantie du respect des durées maximales de travail, ainsi que des repos journalier et hebdomadaire de sorte que la convention de forfait n'est pas nulle de ce chef.

En pratique, il apparaît qu'aucun formulaire auto déclaratif n'a été rempli par le salarié avant le mois de septembre 2019 sans que l'employeur s'en émeuve et ceux qui sont produits concernant la période de septembre 2019 à janvier 2020 ne sont pas contresignés par la hiérarchie. L'entretien individuel relatif à l'application du forfait annuel en jours du mois d'octobre 2019 a d'ailleurs mis en lumière une durée de travail excessive, la directrice générale pensant répondre à cette problématique notamment en établissant à partir du 4 octobre 2019, un prévisionnel des horaires pour un total hebdomadaire maximum de 45h15.

Par conséquent, la société n'a pas mis en 'uvre de moyens suffisants pour s'assurer du respect des durées maximales de travail et du repos journalier et hebdomadaire.

De ce seul fait, la convention de forfait n'est pas opposable à M. [V], le jugement étant infirmé de ce chef.

Il en résulte que le salarié aurait dû être rémunéré sur la base de 35 heures hebdomadaires, les heures accomplies au-delà étant des heures supplémentaires majorées.

1-2/ Sur les demandes au titre des heures supplémentaires, de la contrepartie obligatoire en repos et du travail dissimulé :

- Sur les heures supplémentaires :

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, le salarié soutient qu'il accomplissait habituellement 52,5 heures par semaine, puis en moyenne entre 42 et 43 heures hebdomadaires.

Il s'appuie sur :

- la prévision des horaires élaborée par la directrice générale le 4 octobre 2019,

- ses relevés auto déclaratifs des horaires réalisés du mois de septembre 2019 au mois de janvier 2020,

- le formulaire d'entretien individuel relatif à l'application du forfait annuel en jours sur lequel il a mentionné une amplitude horaire hebdomadaire moyenne de 10h30 journalière.

Ces éléments ne sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre en y apportant les siens que pour la période postérieure à septembre 2019.

Force est de constater que l'employeur n'a pas spécifiquement répondu sur le quantum des heures supplémentaires.

Au vu des éléments produits, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'instruction, la cour a acquis la conviction au sens du texte précité que M. [V] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées à hauteur de 3609,37 euros, somme à laquelle il convient d'ajouter les congés payés pour 360,93 euros.

- Sur la contrepartie obligatoire en repos :

Aux termes de l'article L.3121-30 du code du travail, des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Les heures prises en compte pour le calcul du contingent annuel d'heures supplémentaires sont celles accomplies au delà de la durée légale. A défaut d'accord, ce contingent est fixé à 220 heures.

En application de l'article 18-IV de la loi du 20 août 2008, toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel ouvre droit au salarié à une contrepartie obligatoire en repos qui s'ajoute à la rémunération des heures au taux majoré ou au repos compensateur de remplacement. Elle est de 50% pour les entreprises de 20 salariés au plus et de 100% pour les entreprises de plus de 20 salariés.

En application de l'article D. 3121-14 du code du travail, le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu'il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu'il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis.

M. [V] se bornant à réclamer la somme de 7 637,49 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos sans plus s'expliquer sur le quantum de sa demande, la cour n'est pas en mesure d'y faire droit.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

- Sur le travail dissimulé :

M. [V] fait valoir que l'association avait connaissance de la réalité du nombre d'heures de travail qu'il a effectuées ce qui démontre le caractère intentionnel de son acte.

L'employeur ne répond pas spécifiquement sur ce point.

L'article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé. Aux termes de l'article L .8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

Le caractère intentionnel de la dissimulation des heures supplémentaires ne résulte pas nécessairement de la privation d'effet de la convention individuelle de forfait et ne découle pas de la seule constatation de l'inexécution par l'employeur de ses obligations conventionnelles de contrôle de l'amplitude et de la charge de travail.

A défaut de preuve d'un élément intentionnel, la demande de ce chef sera rejetée par confirmation du jugement.

1-3/ Sur la demande au titre de l'obligation de sécurité de résultat :

M. [V] soutient que l'employeur a gravement manqué à ses obligations visant à prévenir mais également à préserver sa santé et sa sécurité à son poste de travail aux motifs que :

- il lui a imposé une grille horaire hebdomadaire,

- chaque lundi matin, à compter du 2 octobre 2019, la directrice contrôlait avec un zèle tout particulier son agenda et sa charge de travail hebdomadaire, ce qui constitue une attitude infantilisante et humiliante, ces réunions n'étant pas destinées à soulager sa charge de travail ce dont témoigne le choix de l'employeur de lui maintenir une durée de travail de 45 heures,

- le travail accompli concernant l'audit de l'entreprise adaptée a été « balayé d'un revers de main sans explication », par Mme [F] qui a repris seule la gestion du dossier,

- il a été mis à l'écart du projet de création d'une salle de restaurant à l'ESAT, au profit de son subordonné M. [Z],

- le projet de blanchisserie a été transféré de l'ESAT à l'entreprise adaptée alors que cet investissement conséquent n'était pas prévu au titre de l'année 2020,

- dans le cadre du projet de légumerie, la directrice, après lui avoir laissé croire qu'il disposait d'une autonomie dans la gestion de ce dossier, l'a mis sciemment en difficulté devant ses interlocuteurs du pays de [Localité 5] lors d'une réunion du comité de direction du 2 mars 2020, cette man'uvre visant à le décrédibiliser et à l'isoler,

- il existait un déficit de compétence à la tête de l'entreprise adaptée à l'origine de sa surcharge de travail qu'il avait, comme la DIRECCTE, pointée et que l'audit réalisé par KPMG, qui n'était en aucun cas une solution à sa problématique, a confirmé et à propos duquel aucune mesure n'a été prise par la directrice générale qui en avait la responsabilité.

Il ajoute que sa situation s'aggravant, il a pris contact avec un psychologue et que le Dr [L] lui a demandé de ne pas reprendre le travail à l'issue de ses deux prolongations successives.

L'employeur réplique que le salarié n'a jamais fait l'objet du moindre arrêt de travail à caractère professionnel, que l'attestation de son médecin traitant ne précise pas la cause de son syndrome dépressif et qu'il ne rapporte donc la preuve d'aucun préjudice.

Il ajoute que les prétendus manquements qu'il lui impute relèvent en réalité de la remise en cause de la politique des décisions prises par le conseil d'administration et mise en 'uvre par sa directrice.

Il soutient que M. [V] était dans l'incapacité de produire un plan d'action pour le développement de l'entreprise adaptée dont il avait particulièrement la responsabilité ; que Mme [F] a mis en 'uvre toutes les mesures d'accompagnement et d'assistance nécessaires, lui laissant toute latitude pour procéder à des recrutements ; que malgré son engagement pris au mois de décembre 2018, il n'a apporté aucune proposition concrète ; qu'au vu des difficultés qu'a fait remonter Mme [F], le conseil d'administration a décidé le 25 octobre 2019 de procéder à un audit de l'entreprise adaptée confié à KPMG ; que cette décision a contribué à alléger la charge de M. [V] dans le cadre d'une réorganisation de l'entreprise adaptée ; que la directrice générale à la suite de l'entretien du 2 octobre 2019, s'est mise au service de M. [V] par le biais de réunions hebdomadaires pour faire le point sur ses projets en cours et les difficultés rencontrées ; que ce dernier n'en a pas tiré profit mais a fait preuve d'une attitude de plus en plus défiante ; que s'agissant du projet de salle de restauration de l'ESAT, il était naturel que le pilotage en soit confié à son directeur M. [Z] mais que néanmoins M. [V] était convié à chaque réunion ; que si le salarié avait ébauché le projet de budget pour la blanchisserie, c'est M. [Z] qui avait sollicité les devis et chiffré l'investissement dans le plan provisionnel d'investissement de l'ESAT pour 2020 et que le projet de légumerie avait dès le départ été engagé avec la mairie de [Localité 7] et que M. [V] avait de son seul chef décidé qu'il serait mené avec la mairie de [Localité 5] ; que dans le seul souci de se montrer conciliante, Mme [F] avait néanmoins autorisé le salarié à nouer de simples contacts avec la mairie de [Localité 5].

L'employeur en conclut que loin d'avoir privé M. [V] de ses attributions ou l'avoir écarté des projets en cours, il a au contraire tout mis en 'uvre pour l'assister jusqu'à ce que preuve soit faite de son incapacité à assumer ses fonctions de directeur de pôle.

L'employeur tenu, en application de l'article L. 4121-1 du code du travail, d'une obligation de sécurité renforcée en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise doit en assurer l'effectivité.

Ainsi, l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et doit veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration de situations existantes.

En l'espèce,le salarié ne peut à la fois reprocher à l'employeur de ne pas s'être préoccupé de sa charge de travail et d'avoir organisé une réunion hebdomadaire pour faire le point sur ce sujet et les projets en cours, cette proposition ayant été validée par le salarié ainsi qu'il résulte d'une mention sur le formulaire d'entretien individuel relatif à l'application du forfait annuel en jours versé aux débats.

Néanmoins, il est patent que M. [V] supportait une charge de travail excessive qu'il a porté à la connaissance de l'employeur et qu'il a mis sur le compte d'une insuffisance d'encadrement intermédiaire. Cette difficulté a été clairement pointée à l'occasion de l'audit de l'entreprise adaptée qui a alerté sur les compétences en présence très hétérogènes et partiellement manquantes et sur une répartition du travail qui questionne, deux personnes déclarant ne pas être occupées à temps plein pendant que d'autres font état d'une charge de travail excessive.

Le prévisionnel d'horaires fixé à 45 heures par semaine même s'il n'était qu'indicatif, démontre l'existence de cette charge de travail anormale. Le seul fait que le salarié se soit engagé à présenter des propositions concrètes sans y donner suite, ne suffit pas à exonérer l'employeur de sa responsabilité à cet égard. Il en va de même de la décision de procéder à un audit sur l'organisation de l'entreprise adaptée, solution ne répondant pas immédiatement à la problématique soulevée.

S'agissant du choix de l'organisme chargé de cet audit, l'employeur démontre par la production du compte rendu de la réunion du conseil d'administration du 25 octobre 2019, que ce choix a été opéré entre quatre propositions, celle de KPMG étant retenue comme ciblant au mieux les besoins de l'association de sorte que c'est à tort que le salarié prétend que son travail a été « balayé d'un revers de main » par la directrice générale.

M. [V] n'invoque dans ses conclusions aucune pièce relative au manquement qu'il invoque s'agissant de la création de la salle de restauration à l'Esat tandis que l'employeur verse aux débats plusieurs courriels démontrant que le salarié était convié aux réunions d'organisation, le pilotage du projet ayant été légitimement confié au directeur de l'établissement concerné, M. [Z].

Le choix d'affecter finalement la blanchisserie à l'entreprise adaptée plutôt qu'à l'Esat relève du choix stratégique de l'association et le salarié ne formule aucune offre de preuve concernant une mise à l'écart délibérée de sa personne à ce sujet.

Il en va de même de la légumerie, le salarié ne renvoyant qu'à la lecture du récit qu'il fait de son point de vue à l'inspection du travail dans une lettre du 17 avril 2020. Aucun élément ne permet donc de confirmer qu'il ait sciemment été mis en difficulté devant des interlocuteurs extérieurs au cours d'une réunion portant sur ce projet dans le but de l'isoler et de le décrédibiliser.

Il résulte de ce qui précède que seule est établi un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité relativement à la charge de travail qu'il imposait à M. [V].

Le préjudice invoqué par le salarié est une dégradation de son état de santé. Il verse aux débats pour en justifier un certificat de son médecin traitant qui indique qu'il a présenté un syndrome dépressif justifiant un arrêt de travail de trois mois sans plus de précision.

Toutefois, il résulte des pièces du dossier que Mme [F], à la suite de l'entretien d'évaluation de la charge de travail, s'est elle-même inquiétée de l'état de santé de M. [V] au point de prendre rendez-vous pour lui auprès du médecin du travail et que ce dernier l'a invité à rencontrer un psychologue.

L'existence d'un préjudice consistant en une atteinte à la santé étant établi, il y a lieu, par infirmation du jugement, de condamner l'association à verser au salarié la somme indiquée au dispositif au titre de la réparation intégrale du dommage causé par sa faute.

2/ Sur la rupture du contrat de travail :

2-1/ Sur la qualité du signataire de la lettre de licenciement :

M. [V] soutient qu'en application du document intitulé « document unique des délégations » la lettre de licenciement devait comporter la double signature du président et de la directrice générale et qu'en l'absence de cette seconde signature, s'agissant d'une irrégularité de fond, son congédiement est sans cause réelle et sérieuse.

L'association répond que son président est investi de tous les pouvoirs pour assurer l'exécution des décisions du conseil d'administration et plus généralement de tous les pouvoirs nécessaires sur le plan administratif et financier pour représenter l'association dans tous les actes de la vie civile et qu'il a exécuté la décision du conseil d'administration du 23 avril 2020 de sanctionner M. [V] et d'engager une procédure de licenciement.

Il est constant que la décision de licencier, et donc de signer la lettre de licenciement, relève des attributions du président d'une association à défaut de dispositions statutaires attribuant cette compétence à un autre organe. L'absence de qualité à agir du signataire de la lettre de licenciement est une irrégularité de fond qui prive de cause réelle et sérieuse le licenciement.

En l'espèce, l'article 11 des statuts de l'association stipule que le président assure l'exécution des décisions du conseil d'administration et des assemblées générales, qu'il représente l'association dans tous les actes de la vie civile et qu'il est de ce fait investi de tous les pouvoirs nécessaires sur le plan administratif et financier. Il ne contient pas de disposition attribuant spécifiquement la compétence de licencier à un autre organe. Le président de l'association a donc statutairement le pouvoir de licencier.

Le document unique des délégations applicable au 1er janvier 2020, au chapitre 10, stipule, d'une part, que le président « (aidé du bureau et de la commission GRH voire du conseil d'administration s'il y a lieu), décide des sanctions portant sur un licenciement en lien avec la directrice générale », cette dernière étant chargée de régler les procédures et, d'autre part, que la directrice générale « décide en concertation avec le président des sanctions du niveau d'un éventuel licenciement pour les affaires les plus graves ».

Au chapitre 11, il est précisé que le président et la directrice générale cosignent les lettres de licenciement.

Les statuts prévalant sur toute autre disposition ainsi que le précise le document unique, donc sur ce dernier, il y a lieu de dire que le président disposait des pleins pouvoirs pour procéder au licenciement de M. [V] et que l'absence de signature de la directrice générale n'a pas pour effet d'invalider le licenciement.

À ce stade de la discussion, le salarié fait également valoir que tel qu'il est rédigé, le procès-verbal du conseil d'administration vaut lettre de licenciement et que faute pour celui-ci d'être motivé et de présenter les manquements qui lui sont imputés, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

L'association, pour écarter ce moyen, répond, en substance, que la décision d'engager une procédure de licenciement ne vaut pas licenciement.

A la lecture du procès-verbal il apparaît que la décision de licencier n'était pas déjà prise à ce stade dès lors qu'il est mentionné que le conseil d'administration décide de sanctionner les faits imputés au salarié et donne pouvoir au président « d'engager une procédure de licenciement à l'encontre de M. [V] pouvant conduire à un licenciement pour faute grave ou lourde ». Il est d'ailleurs observé à ce sujet que le président n'avait pas besoin d'une autorisation du conseil d'administration pour engager la procédure de licenciement, ceci n'entrant pas dans les prérogatives qui sont dévolues à ce dernier par les statuts.

2-2/ Sur le fond :

M. [V], au visa des articles L. 1121-1 et L. 1132-3-3 du code du travail, soutient qu'en alertant de bonne foi les pouvoirs publics sur des faits de maltraitance, il n'a fait qu'user de son droit d'expression, qu'il n'était pas tenu d'en informer préalablement son employeur et que le licenciement basé sur l'exercice d'un tel droit est nul.

Sur les motifs du licenciement, il affirme qu'il ne pouvait respecter les procédures d'alerte internes puisque le président et la directrice générale étaient impliqués et qu'il n'avait donc d'autres voies de recours que de s'adresser à des autorités extérieures, que de manière générale les lanceurs d'alerte sont dispensés des procédures internes, qu'il ne pouvait cautionner les actes de maltraitance que constituait la privation de transport pour des personnes handicapées, dont il n'a eu connaissance, s'agissant de M. [W], que le 22 janvier 2020 et de M. [I] qu'en février 2020 et non au cours de la réunion du 29 avril 2019, qu'il n'a pas spécifiquement cherché à faire sanctionner Mme [F] mais a seulement pointé un niveau de responsabilité, que les accusations de Mme [T], déléguée syndicale sont sans fondement, elle-même s'étant montrée très critique à l'égard du président et de la directrice générale, que le témoignage de M. [N] est dépourvu de force probante, qu'il ne peut lui être reproché d'avoir renvoyé une collègue angoissée vers les autorités médicales au moment de la crise sanitaire, et que son intervention lors d'une journée de formation auprès de la centrale d'achat Apogée était connue de l'employeur puisqu'elle figurait à son agenda. Il conteste être l'auteur de la lettre anonyme.

L'association réplique que le signalement de M. [V] était délibérément mensonger et n'avait pour objectif que de lui nuire ainsi qu'à sa directrice générale. Elle en veut pour preuve que, contrairement, à ses allégations, le salarié était informé depuis le 29 avril 2019 de la sanction prise à l'égard de M. [I], qu'il n'a pas respecté la procédure d'alerte interne prévue en matière de signalement d'incident dans le document unique des délégations, la note de service du 24 juillet 2015 et le protocole pour la bientraitance et conduites à tenir en cas de violence et de maltraitance, ni dans la forme, ni dans les délais.

Elle ajoute que les faits dénoncés ne constituent en aucun cas des actes de maltraitance et que le salarié a d'ailleurs manifesté son approbation lors d'une réunion, estimant que la sanction prise à l'encontre de M. [I] était pédagogique.

Elle reprend les autres griefs détaillés dans la lettre de licenciement quant au dénigrement de l'association et de sa directrice générale à l'intérieur comme à l'extérieur de l'entreprise.

La cour rappelle que la faute lourde est une faute d'une exceptionnelle gravité révélant l'intention de nuire à l'employeur. Elle prive le salarié de toute indemnité attachée au licenciement, à savoir l'indemnité de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis.

L'article L. 1132-3-3 alinéa 1 et 2 du code du travail dispose qu'aucune personne ne peut être licenciée pour avoir relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ou pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi numéro 2016- 1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

L'article 6 de la loi précitée définit le lanceur d'alerte comme une personne physique qui révèle ou signale de manière désintéressée et de bonne foi un crime ou un délit. L'article 8 précise que le signalement d'une alerte est donné à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci et que ce n'est qu'en cas d'absence de diligence du destinataire ou de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, que l'alerte doit être signalée aux autorités.

Au cas d'espèce, M. [V] a directement porté son signalement au procureur de la République et au directeur général de l'ARS des Hauts de France ainsi qu'à une personne extérieure à l'association en contravention avec les règles législatives sus rappelées et les consignes internes de l'association édictées notamment par le document unique des délégations qui prévoit expressément l'hypothèse où les faits constatés mettent en cause directement ou indirectement un cadre de direction de l'association.

Il ne justifie pas d'une cause d'exonération de cette voie hiérarchique.

De plus, il est suffisamment établi par les attestations de MM [E], [P] et [H] et le compte rendu de la réunion du 29 avril 2019 qu'il a été informé le jour même de la sanction prise à l'encontre de M. [I] et qu'il lui a trouvé une vertu pédagogique ce qui traduit la mauvaise foi avec laquelle il a émis son signalement.

Il ne peut donc se prévaloir de la protection du lanceur d'alerte pour obtenir l'annulation de son licenciement.

L'insertion dans la clé USB remise par M. [B] au président d'un modèle de lettre de mise à pied conservatoire de Mme [F] et la désignation expresse de celle-ci dans les courriers de signalement traduit une intention de nuire à cette dernière.

Par ailleurs, à son signalement M. [V] a joint des documents internes à l'association, y compris des documents médicaux concernant des travailleurs handicapés qui ont donc été diffusés au tiers que constitue M. [B], ce qui est fautif.

Enfin, il résulte de l'attestation de Mme [T], secrétaire et déléguée syndicale CGT au sein de l'association, non utilement contestée, que M. [V] l'a régulièrement sollicitée de manière injustifiée pour qu'elle alerte son syndicat à propos de la gestion de l'association et qu'il était coutumier de propos dénigrant envers la directrice générale et le président. Ce comportement est confirmé par le témoignage de M.[N], proche collaborateur du salarié, dont la cour retient la force probante.

Ainsi, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs énoncés dans la lettre de notification de la rupture, le licenciement doit être considéré comme justifié par une faute lourde.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes présentées par le salarié du chef du licenciement.

3/ Sur les autres demandes :

M. [V], qui perd le procès pour l'essentiel, doit en supporter les entiers dépens.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles qu'elle a engagés.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la clause de forfait, en paiement au titre des heures supplémentaires et des congés payés y afférents et de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

Le confirme pour le surplus des dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que la convention de forfait est inopposable à M. [G] [V],

Condamne l'association Accomplir ensemble un devenir à payer à M. [G] [V] les sommes de :

- 3 609,37 euros au titre des heures supplémentaires outre 360,93 euros au titre des congés payés y afférents,

- 1 500 euros au titre du manquement à l'obligation de sécurité,

Rejette toute autre demande,

Condamne M. [V] aux dépens de première instance et d'appel.