CA Versailles, 3e ch., 26 octobre 2023, n° 20/05164
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Cesam (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perret
Conseillers :
Mme Cougard, M. Maumont
Avocats :
Me de Carfort, Me Baki, Me Zoghaib, Me Bothy
FAITS ET PROCEDURE :
Dans le cadre d'un séminaire de formation qui s'est déroulé à [Localité 4] le 3 novembre 2017, la S.A.S Cesam a proposé l'acquisition de trois matériels (medical jet system prestige, medical cellu system et medical cryo system) dont la valeur totale s'élevait à la somme de 111 996 euros à Mme [N] [H], médecin généraliste de profession.
Le jour même, un bon de commande n°5113 portant sur ces trois matériels a été signé par Mme [H] et le représentant de la société Cesam.
Afin de permettre à la société Cesam de solliciter un financement de ces matériels auprès de la société Locam, Mme [H] a adressé, le jour même, sa liasse fiscale contenant notamment sa déclaration de revenus professionnels.
Le 31 janvier 2018 Mme [H] a indiqué à la société Cesam qu'elle ne souhaitait plus donner suite à la commande.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du même jour, la société Cesam a mis en demeure Mme [H] d'avoir à payer le prix des matériels commandés ainsi que de communiquer une date pour leur livraison.
Par acte d'huissier remis à personne en date du 14 février 2018, la société Cesam a fait assigner Mme [H] en paiement, devant le tribunal de grande instance de Pontoise.
Par jugement du 8 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Pontoise a :
-dit que la commande du 3 novembre 2017 est ferme et définitive ;
-condamné Mme [H] à payer à la société Cesam, les sommes suivantes :
*111 996 euros TTC avec intérêts au taux légal, à compter du 31 janvier 2018,
*1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné Mme [H] à prendre livraison du matériel ;
-dit n'y avoir lieu à ordonner une astreinte ;
-débouté Mme [H] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive;
-condamné Mme [H] aux entiers dépens ;
-ordonné l'exécution provisoire du jugement déféré.
Par acte du 23 octobre 2020, Mme [H] a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 21 mars 2022, le conseiller de la mise en état a :
- débouté la société Cesam de sa demande de radiation ;
- rejeté les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
- dit que les dépens de l'incident suivront le sort des dépens de la procédure au fond.
Par dernières écritures du 18 octobre 2022, Mme [H] prie la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- prononcer la nullité du bon de commande du 3 novembre 2017,
- débouter en conséquence la société Cesam de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la société Cesam à verser à Mme [H] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Cesam aux entiers dépens de première instance et d'appel conformément aux disposition de l'article 699 du code de procédure civile.
Subsidiairement,
-considérer que la société Cesam n'a pas régulièrement informé Mme [H] de son droit de rétractation,
-considérer que la société Cesam n'avait pas justifié de l'accomplissement de la condition de financement insérée au bon de commande avant sa résiliation par Mme [H],
-considérer que Mme [H] a exercé son droit de rétractation,
-débouter en conséquence la société Cesam de l'intégralité de ses demandes,
-condamner la société Cesam à verser à Mme [H] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner la société Cesam aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par Me de Carfort, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières écritures du 18 mars 2021, la société Cesam prie la cour de :
-juger que les écritures de Mme [H] ne sont pas fondées en droit ;
-confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
-condamner Mme [H] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 juin 2023.
Motivation
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu'aux termes de l'article 563 du code de procédure civile les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces et proposer de nouvelles preuves pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge.
Il en résulte, en l'occurrence, que Mme [H] est libre de développer devant la cour tous les moyens propres à paralyser la demande en paiement de la société Cesam et dont elle a conclu au débouté devant les premiers juges.
Sur l'exception de nullité
Devant la cour, Mme [H] sollicite la nullité du bon de commande en faisant valoir que la cause du contrat, à savoir l'utilisation professionnelle de ces appareils, est illicite en ce que les trois appareils vendus par la société Cesam n'ont pas obtenu le certificat de conformité et le marquage CE requis par le code de la santé publique pour les dispositifs médicaux.
La société Cesam répond que les matériels vendus bénéficiaient des certifications nécessaires, puisque les appareils " medical cryo system " et " cellu medical system " sont des dispositifs à visée esthétique présentant un " marquage CE ", tandis que l'appareil " medical jet system " bénéficie d'une " certification CE médicale " depuis le 7 juin 2017.
Sur ce,
Seul est valide un contrat dont le contenu est licite, au sens de l'article 1128 du code civil, l'article 1162 du même code précisant que le contrat ne peut déroger à l'ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties.
Par ailleurs, au titre des dispositions propres à la vente, l'article 1598 du même code énonce que tout ce qui est dans le commerce peut être vendu lorsque des lois particulières n'en ont pas prohibé l'aliénation.
S'agissant des dispositifs médicaux, l'article L. 5211-3 du code de la santé publique, dans sa version en vigueur à la date de conclusion du contrat litigieux, dispose :
" Les dispositifs médicaux ne peuvent être importés, mis sur le marché, mis en service ou utilisés, s'ils n'ont reçu, au préalable, un certificat attestant leurs performances ainsi que leur conformité à des exigences essentielles concernant la sécurité et la santé des patients, des utilisateurs et des tiers.
La certification de conformité est établie, selon la classe dont relève le dispositif, soit par le fabricant lui-même, soit par un organisme désigné à cet effet par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ou par l'autorité compétente d'un autre Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ".
L'article L. 5211-1 du même code, dans sa version applicable au présent litige, précise : " on entend par dispositif médical tout instrument, appareil, équipement, matière, produit, à l'exception des produits d'origine humaine, ou autre article utilisé seul ou en association, y compris les accessoires et logiciels nécessaires au bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l'homme à des fins médicales et dont l'action principale voulue n'est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens ".
Sont ainsi soumis au régime juridique des dispositifs médicaux, notamment, les dispositifs visés par l'article R. 5211-1 du même code " destinés à être utilisés à des fins : (') 3° d'étude, de remplacement ou de modification de l'anatomie ou d'un processus physiologique ".
En outre, l'article R. 5211-12 du même code précise que " tout dispositif médical mis sur le marché ou mis en service en France est revêtu du marquage CE attestant qu'il remplit les conditions énoncées par l'article R. 5211-17 ".
L'article R. 5211-17 précise : " Aucun dispositif médical ne peut être mis sur le marché ou mis en service en France s'il n'est pas conforme aux exigences essentielles de sécurité et de santé mentionnées à la section 5 du présent chapitre qui lui sont applicables. Il doit être également dûment fourni, correctement installé, entretenu et utilisé conformément à sa destination.
Cette conformité est évaluée et certifiée soit en France, selon les procédures prévues par le présent chapitre, soit dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen par les dispositions transposant dans le droit interne de l'Etat où elles ont été accomplies les dispositions des directives relatives à ces dispositifs. "
L'article R. 5211-14 du même code, contenu dans une section 4 intitulée " conditions de mise sur le marché et de mise en service " ajoute que " le marquage CE ne peut être apposé sur un dispositif médical que si celui-ci est conforme aux exigences essentielles de sécurité et de santé mentionnées à la section 5 du présent chapitre et a fait l'objet des procédures de certification qui lui sont applicables ", étant précisé qu'il résulte des articles R. 5211-7 et suivants du même code que les procédures de certification varient suivant la classification du dispositif médical, telle que déterminée par la dangerosité du dispositif médical quant à sa destination.
Enfin, il résulte des articles L. 5211-3-1 et R. 5211-65-1 du même code que les personnes morales qui se livrent à la distribution de dispositifs médicaux doivent se déclarer auprès de l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en indiquant les dispositifs objets de leur activité, par envoi recommandé avec demande d'avis de réception ou par voie électronique avec demande d'avis de réception, et que cette déclaration indique outre l'adresse du siège social du déclarant et le type d'activité exercé, les classes de dispositifs médicaux sur lesquelles porte cette activité.
En l'espèce, le bon de commande du 3 novembre 2017 dont se prévaut la société Cesam (pièce n° 1 de son dossier) porte sur :
" 1 dispositif MEDICAL JET SYSTEM selon descriptif ci-joint
1 MEDICAL CELLU SYSTEM selon descriptif ci-joint
1 MEDICAL CRYO SYSTEM selon descriptif ci-joint ".
La société Cesam prétend que les appareils " medical cryo system " et " cellu medical system " ne nécessitent aucun certificat de conformité propres aux dispositifs médicaux, en ce qu'ils constituent des appareils à visée purement esthétique.
Cependant, il ressort des plaquettes commerciales de ces deux appareils (cf. ses pièces n° 9 et 10) que le premier est basé sur la " lipocryolise " soit " littéralement destruction de la graisse par le froid " et offre un " traitement " s'adressant à des " patients " pour obtenir une " fonte graisseuse ", tandis que le second, basé sur l'émission d'ondes électromagnétiques, promet des " traitements sûrs, efficaces et non-invasifs " pour une " prise en charge complète de tous les facteurs concernés par la présence de cellulite ".
Ces descriptifs, qui renseignent sur la destination des appareils litigieux, font ainsi apparaître, sous l'éclairage de l'emploi du vocable anglo-saxon " medical " utilisé pour la dénomination commerciale des produits, le fait qu'ils sont destinés à être utilisés à des fins de modification de l'anatomie et qu'ils répondent ainsi à la définition du dispositif médical soumis en tant que tel à une procédure de certification.
La société Cesam, appelée à justifier de la réunion des conditions requises pour la mise sur le marché et la vente de tels dispositifs médicaux n'établit pas que ces derniers ont obtenu le certificat de conformité visé à l'article L. 5211-3 du code de la santé publique, ce qui empêche leur utilisation professionnelle par l'acheteuse, Mme [H], médecin généraliste.
En ce qui concerne l'appareil " Medical Jet system ", la société Cesam ne conteste pas qu'il s'agit d'un dispositif médical, ce qui ressort d'ailleurs du bon de commande, et elle verse aux débats un document qu'elle présente comme le " marquage CE medical " du produit (cf. pièce n° 12 de son dossier), soit un document daté du 7 juin 2017 émanant d'une société allemande " MedCert " et intitulé " EC-Certificate of Conformity ".
Contrairement à ce que soutient Mme [H], il est indifférent que le certificat de conformité soit rédigé en langue anglaise, l'article R. 5211-29 du code de la santé publique ne désignant pas la langue française comme la seule langue en usage dans les dossiers et la correspondance se rapportant aux procédures de certification prévues par le code de la santé publique.
De même, il ne peut être attendu de la société Cesam qu'elle justifie de la qualité d'organisme habilité de la société ayant délivré le certificat de conformité, dès lors que cette preuve est accessible à l'acheteur et qu'il incombe ainsi à Mme [H], qui se prétend libérée de son obligation en raison du défaut de validité du contrat, de rapporter la preuve que le certificat de conformité n'a pas été régulièrement établi.
Cependant, les procédures de certification sont plus ou moins contraignantes suivant la classe du dispositif médical, l'article R. 5211-30 du code de la santé publique énumérant à ce titre sept procédures de certification différentes et l'article R. 5211-34 précisant à quelles procédures de certification correspondent chaque classe de dispositif médical.
Or, la société Cesam ne précise pas à quelle classe appartient le dispositif médical qu'elle commercialise, ce alors que Mme [H] n'a pas directement accès à cette information qui ne figure ni sur le certificat de conformité ni sur les documents contractuels, et ce alors qu'il est reproché à la société Cesam de ne pas justifier de la déclaration auprès de l'ANSM, alors que la déclaration prévue aux articles L. 5211-3-1 et R. 5211-65-1 du code de la santé publique est censée indiquer les classes de dispositifs médicaux sur lesquelles porte son activité.
De plus, les dispositifs médicaux ne peuvent être mis sur le marché que si le marquage CE a été préalablement apposé sous la responsabilité du fabricant. Or, la société Cesam qui se borne à produire une déclaration de conformité du fabricant (pièce n° 11), établie le 9 janvier 2015, ne rapporte pas cette preuve qui lui incombe de l'engagement visible du fabricant que son produit respecte les exigences réglementaires en vue de sa libre circulation sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne.
Dans ces circonstances, il n'est pas établi que le matériel " Medical Jet System " est conforme à une utilisation professionnelle et donc à la fonction que lui aurait assignée Mme [H], médecin généraliste.
Pour ces motifs, il y a donc lieu de faire droit à l'exception de nullité tirée de l'illicéité du but du contrat, soulevée par Mme [H], et de débouter en conséquence la société Cesam de sa demande en paiement fondée sur l'exécution d'un contrat nul d'une nullité absolue.
Le jugement sera réformé sur ce point.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société Cesam succombant, elle sera condamnée aux dépens en application de l'article 696 du code de la santé publique, l'équité commandant par ailleurs de limiter à 2 000 euros l'indemnisation de Mme [H] au titre de ses frais irrépétibles, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que le contrat conclu le 3 novembre 2017 entre la S.A.S Cesam et Mme [N] [H] est nul,
Déboute en conséquence la société Cesam de ses demandes tendant à l'exécution forcée du contrat,
Condamne la S.A.S aux dépens,
Condamne la S.A.S. à régler à Mme [N] [H] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.