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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 6, 5 mai 2010, n° 08/08694

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

BNP Paribas (Sté), Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE) (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvet

Conseillers :

Mme Nadal, Mme Royer

Avocats :

Me Boussard-Verecchia, Me Ribet, Me Legendre

Cons. prud’h. Paris, du 19 mai 2008, n° …

19 mai 2008

FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

Par jugement du 19 mai 2008 auquel la cour se réfère pour l'exposé des faits, de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de PARIS a :

-dit et jugé la rupture du contrat de travail imputable à l'employeur.

-condamné le GIE BNP PARIBAS à payer à Madame Marie-Guity N. les sommes suivantes :

-8780,46 euros à titre d'indemnité de préavis.

-870,04 d'indemnité de congés payés afférents.

-l'indemnité de licenciement à calculer par l'employeur conformément aux articles L.1225-4, R.1234-2, L.3123-13 du Code du Travail.

avec intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2006 et exécution provisoire en application de l'article R.516-37 du Code du Travail dans la limite de 9 mois de salaire (moyenne des 3 derniers mois fixée à 2926,92 euros)

-150 000 euros de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du Code du Travail.

-1500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

-dit que Madame N. pourra ressaisir le conseil de prud'hommes en cas de désaccord sur le calcul de l'indemnité de licenciement payée par l'employeur en exécution du jugement à charge pour chacune des parties de donner le détail de ses calculs et les justificatifs de ses bases.

-ordonné l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du Code de Procédure Civile à hauteur du paiement de 70 000 euros pour les dommages et intérêts.

-rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Madame N. a relevé appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la cour le 30 juin 2008.

Vu les conclusions régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 2 mars 2010, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de ses moyens et arguments, aux termes desquelles Madame N. demande à la cour de :

-dire que son ancienneté doit être calculée en tenant compte de la période de congé complémentaire au congé parental du 5/01/1997 au 901/2000.

-condamner la société BNP PARIBAS à la somme de 2 962 751,35 euros nets de CSG RDS sur le fondement des articles L.1132-1 et 1142-1 du Code du Travail pour le préjudice financier subi.

-condamner la société BNP PARIBAS à la somme sur le même fondement pour le préjudice moral.

-dire que la rupture de son contrat de travail du 31/08/2007 est imputable à la BNP PARIBAS et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence,

fixant l'assise des créances de rupture à la somme moyenne mensuelle de 28 793 euros brut.

Condamner la BNP PARIBAS aux sommes suivantes :

-à titre d'indemnité légale de licenciement : 64 064 euros.

-à titre de préavis 3 mois : 86 379 euros brut.

-à titre de congés payés afférents : 8637,90 euros.

-à titre d'indemnité pour licenciement sur le fondement de l'article L1235-3 (12 mois) : 345,516 euros nets de CSG RDS

-ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du Code Civil.

-5000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

-confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société BNP PARIBAS au paiement de la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Vu les conclusions régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 2 mars 2010, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de ses moyens et arguments, aux termes desquelles la SA BNP PARIBAS demande à la cour de :

-dire que Madame N. n'a été victime d'aucune discrimination et la débouter de ses demandes indemnitaires.

-dire que la prise d'acte de rupture s'analyse en une démission.

-dire que son ancienneté a été correctement calculée.

-débouter Madame N. de l'ensemble de ses demandes.

-condamner Madame N. au paiement d'une somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Vu les observations régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 2 mars 2010, auxquelles il est renvoyé pour leur exposé complet, aux termes desquelles la HAUTE AUTORITE CONTRE LES DISCRIMINATIONS ET POUR L'EGALITE (La HALDE) conclut que :

-le ralentissement de carrière de Madame N. et les difficultés auxquelles elle a été confrontée après son retour de congés maternité et parental résultent d'inégalités de traitement fondées sur le sexe, la grossesse et la situation de famille.

-la BNP PARIBAS n'a pas justifié sa gestion et les mesures prises à l'égard de Madame N. notamment au moment de sa réintégration par des éléments objectifs, proportionnés et étrangers à toute discrimination.

-au vu des éléments recueillis au cours de l'enquête, Madame N. a fait l'objet de discriminations cumulées directes et indirectes eu égard à sa réintégration, son déroulement de carrière et sa rémunération, au sens des articles L1132-1 et L.1142-1 du Code du Travail.

Vu les observations du Ministère Public régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 2 mars 2010, auxquelles il est renvoyé pour leur exposé complet.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

Considérant que Madame N. diplômée d'HEC PARIS et de l'IEP de PARIS a été engagée comme stagiaire le 7 septembre 1982 par la société BNP devenue aujourd'hui BNP PARIBAS ; qu'elle y a exercé des fonctions d'analyste financier au sein de la direction financière, puis de chargée d'affaires à la BANEXI, soit au sein du pôle financier de la banque (BFI) d'abord à temps plein, puis à temps partiel (80%) de juin 1988 à octobre 1989.

Considérant qu'entre octobre 1989 et le 6 janvier 2000 Madame N., mère de cinq enfants nés entre 1985 et 1994, s'est trouvée en congé maternité, allaitement, sans solde et parental jusqu'au 10 janvier 2000 date à laquelle elle a repris son travail à temps partiel ( 2/5 éme de temps) et a été affectée après un stage de trois mois, à la Banque de détail (BDDF).

Considérant qu'entre juin 2000 date de son affectation définitive et août 2007 Madame N. a successivement exercé des fonctions de responsable technico-commercial dans l'équipe de commerce électronique, puis de responsable marketing à la direction Produits et Marchés et enfin de responsable marketing au service Entreprises.

Considérant qu'au cours de cette période Madame N. a progressivement augmenté son temps de travail passant à 3/5 éme de temps en novembre 2002, puis à 4/5 ème à compter de janvier 2005.

Considérant qu'en avril 2006, la salariée s'estimant victime d'une stagnation de son évolution professionnelle et d'une discrimination salariale importante par rapport à ses collègues masculins diplômés comme elle d'HEC, a informé son employeur qu'en l'absence de toute proposition de remise à niveau et de promotion de sa part, elle avait l'intention de saisir la juridiction prud'homale.

Considérant que le 2 mai 2006 Madame N. a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande tendant à la résolution judiciaire de son contrat et au paiement de diverses indemnités sur le fondement des dispositions des articles L.123-1 et L.122-45 alors en vigueur du Code du Travail.

Considérant que par lettre du 27 août 2007 dont l'énoncé figure in extenso dans le jugement attaqué ce qui dispense la cour d'en reprendre les termes, la salariée indiquait à la société BNP PARIBAS qu'elle prenait acte de la rupture de son contrat de travail, motif pris de l'inégalité de traitement subie en tant que femme et du harcèlement moral consécutif à la dénonciation de cette situation.

Considérant que la prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur entraîne la cessation immédiate du contrat de travail.

Considérant qu'il appartient alors au juge de se prononcer sur la seule prise d'acte mais en prenant en considération l'ensemble des faits invoqués par le salarié, étant précisé que ceux ci doivent constituer des manquements suffisamment graves aux obligations de l'employeur pour justifier la rupture aux torts de ce dernier.

Considérant que dans un tel cas la prise d'acte de rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que dans le cas contraire, la prise d'acte produit les effets d'une démission.

Considérant qu'en cause d'appel Madame N. n'invoque plus le harcèlement moral dont elle aurait été victime mais soutient que la discrimination dont elle a été l'objet en raison de son sexe et de sa situation de famille rend imputable à l'employeur la rupture de son contrat de travail.

Considérant qu'elle estime avoir été discriminée au motif que :

-au moment de sa réintégration dans l'entreprise, la BNP ne lui a proposé aucun poste dans la banque de financement et d'investissement (BFI) son entité d'origine alors que ce service correspondait à son domaine de compétence (analyse financière).

-elle n'a bénéficié d'aucune formation adaptée ni bilan de compétences puis a été pénalisée par la suite dans son déroulement de carrière.

-elle a été nettement moins bien rémunérée que ses collègues masculins de niveau de qualification et de compétences égales.

Considérant que selon l'article L. 1132-1 du Code du Travail, aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classement, de promotion professionnelle ou de mutation en raison de son sexe.

Considérant qu'il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire en raison de son sexe de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement et qu'il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au salarié, d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Considérant que la disparité de situation du salarié qui se prétend discriminé doit être examinée par rapport aux collègues salariés de niveau de qualification et de compétence égales effectuant le même travail.

Considérant que la période à prendre en compte pour l'examen des faits dénoncés par l'appelante est celle écoulée depuis sa reprise de travail soit de janvier 2000 à août 2007.

Considérant que l'intéressée admet en effet dans ses écritures avoir bénéficié avant son départ en congé, entre 1982 et 1989 d'une évolution professionnelle très dynamique, avec cinq augmentations individuelles dont quatre accompagnées de promotions et que les faits qu'elle dénonce sont tous postérieurs à son retour dans l'entreprise.

-Sur la réintégration dans l'emploi et le droit à la formation

Considérant qu'avant son départ en congé Madame N. occupait un poste au pôle BFI statut cadre-niveau 7- classe J en qualité de chargée de mission au département des participations, à temps plein puis à 4/5 la dernière année.

Considérant qu'elle a repris son travail au même statut niveau et classe et a demandé à modifier son temps de travail pour passer à 2/5 éme en signant un avenant en ce sens (pièce 1.12 de l'intimée) ; qu'elle a contresigné un formulaire de mutation le 4 juillet 2000 portant affectation au pôle BDDF.

Considérant selon les articles L.1255-55 et L.1225-58 Code du Travail qu'à l'issue de son congé parental d'éducation le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente et bénéficie de plein droit d'un bilan de compétences dans les conditions d'ancienneté mentionnées à l'article L.1225-7.

Considérant qu'il résulte également de l'article L.1225-59 du Code du Travail que le salarié reprenant son activité initiale bénéfice d'une action de formation professionnelle, notamment en cas de changement de techniques ou de méthodes de travail.

Considérant que la BNP estime que ces dispositions ne sont pas applicables à Madame N. au motif que :

-à l'issue du congé parental elle a choisi de ne pas reprendre son activité pour bénéficier d'un accord conventionnel (2 octobre 1995) prévoyant la possibilité d'un congé complémentaire à un congé parental, sans solde, de longue durée, lui permettant de se consacrer plus longuement à l'éducation de son enfant et de percevoir une prime annuelle proratisée ainsi que l'allocation spéciale familiale BNP PARIBAS.

-ce texte garantit le retour dans l'entreprise à un emploi similaire ou un emploi différent correspondant à sa qualification éventuellement avec une formation adaptée.

-la demanderesse n'a pas repris son activité initiale.

Considérant toutefois que seul un accord d'entreprise plus favorable au salarié peut déroger aux dispositions d'ordre public du Code du Travail.

Qu'au surplus c'est la société BNP PARIBAS qui a proposé puis accordé à la salariée ce congé conventionnel complémentaire (cf pièces 21 et 22 de l'appelante).

Considérant par ailleurs que c'est seulement lorsque l'emploi qu'il occupait précédemment n'est plus disponible que le salarié peut se voir proposer un emploi similaire à celui qu'il occupait avant son départ en congé.

Considérant qu'avant sa reprise Madame N. a bénéficié d'un entretien de carrière le 13 novembre 1999 avec une gestionnaire du service des ressources humaines de l'entreprise, Madame B..

Considérant selon la société BNP PARIBAS que Madame N. n'a pas émis le souhait de retrouver ses anciennes fonctions ainsi qu'en témoigne Madame B. (cf attestation du 31/03/2008) et qu'à aucun moment jusqu'à sa prise d'acte elle n'a revendiqué une réaffectation au pôle BFI ni n'a souhaité s'orienter vers un poste d'encadrement (manager d'équipes de 30 à 900 personnes).

Qu'elle fait valoir également qu'ayant été affectée provisoirement à BFI Secrétariat Général en tant que personnel en instance d'affectation (cf formulaire de mutation du 11/02/2000), elle a effectué un son stage de trois mois au sein de BDDF Produits et Marchés au cours duquel elle a pu se familiariser à nouveau avec l'entreprise et les nouveaux métiers.

Considérant que si le compte rendu d'entretien d'orientation de carrière établi par Madame B. montre que la demanderesse n'exclut pas un métier commercial bien que le conseil ait nettement sa préférence par rapport à la vente, il ne peut pour autant s'en déduire que l'intéressée ait renoncé à un poste au sein de BFI ni d'ailleurs que la BNP qui qualifie elle même le stage de la salariée de 'tour de piste', lui ait proposé un poste précis.

Considérant par contre que dans ce document, il est clairement fait état de l'incompatibilité d'un travail à temps partiel à 2/5ème avec des fonctions chez BFI, ce que confirme Monsieur B. délégué du personnel, selon lequel la direction des ressources humaines de BFI lui avait indiqué que l'absence de la salariée pendant 10 ans et son travail à temps partiel à 2/5ème étaient un obstacle à sa reprise chez BFI.

Considérant que la société BNP PARIBAS ne justifie pas du contenu du stage effectué par Madame N. ou de la formation ou de la remise à niveau dont elle aurait bénéficié, ni de l'indisponibilité ou de la disparition de l'emploi d'analyste financier qu'elle occupait précédemment, ni encore de l'impossibilité d'un emploi à temps partiel au sein de BFI, celle ci ne reposant que sur les propres allégations de la société et non sur des éléments objectifs.

Qu'il n'a pas été satisfait à sa demande d'organisation d'un bilan de compétences telle que formulée au cours de l'entretien de novembre 1999, puis réitérée par la suite au cours d'un entretien d'évaluation.

Considérant que le fait que la salariée ait signé son formulaire de mutation le 4 juillet 2000 pour un poste de 'chargé d'appui au sein du pôle commerce électronique B to C ' au sein de BDDF Produits et Marchés ne peut valoir acceptation sans réserve de sa situation alors que manifestement elle n'a pas choisi sa nouvelle affectation (cf attestation B.) et que ses nouvelles missions au sein de BDDF ne requéraient pas le niveau de formation et de compétence correspondant à ses anciennes fonctions.

-sur la rémunération au moment de la réintégration

Considérant que le salarié doit retrouver un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente.

Considérant que la défenderesse fait valoir que Madame N. a repris son travail au même statut, coefficient (870) et à la même classification (J) et que sa rémunération de réintégration a été calculée conformément aux grilles conventionnelles sur la valeur du point qui n'a pas augmenté depuis 1996 .

Considérant que Madame N. au moment de son départ en congé en octobre 1989 percevait un salaire mensuel de 16 102,80 francs payés sur 14,5 mois soit 19 457,55 francs (2966,28 euros)

Qu'à son retour dans l'entreprise son salaire était de 17 962 francs par mois (2738,29 euros) payés sur 13 mois soit 19 458,83 francs (2966,48 euros).

Considérant que le salaire de reprise de Madame N. est en base temps plein, le même à un franc près que celui perçu en octobre 1989 (19 458 francs contre 19 457).

Considérant qu'en versant une rémunération strictement identique à celle perçue dix années auparavant l'employeur n'a pas satisfait aux exigences de l'article L.1225-55 du Code du Travail, l'équivalence de rémunération induisant la prise en compte de l'évolution du coût de la vie et de l'inflation monétaire, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce si l'on se réfère aux documents produits sur ce point qui montrent que le salaire de la demanderesse a subi une diminution de 18% en valeur constante de monnaie.

Considérant par ailleurs que Madame N. percevait dans son précédent emploi au sein de BFI des primes de gestion et des « compléments de spécialisation » dits bonus qui constituaient une part importante de sa rémunération. (cf salaire janvier 1991 prime de 3776 francs)

Considérant que dans son nouvel emploi l'appelante a cessé de bénéficier de ces avantages ne percevant qu'une part variable d'un montant beaucoup moins élevé, le secteur BBDF bénéficiant d'une manière générale de rémunérations moins élevées que le secteur BFI. (cf graphiques pièces appelante158, 164 et 165)

Considérant que ces constatations caractérisent un comportement discriminatoire au moment de la réintégration de la salariée.

-sur le déroulement de carrière de Madame N.

Considérant qu'il résulte des pièces produites qu'entre 1982 et 1989 Madame N. a obtenu trois promotions (de la classe 5 à la classe 7) et quatre augmentations individuelles de salaire, alors que de 2000 à 2007 elle n'a bénéficié que de trois augmentations en 2001, 2004 et 2006 tout en restant au niveau J qui correspond à l'ancienne classe 7, et ce malgré des appréciations très positives sur ses capacités et compétences professionnelles (cf entretiens d'évaluation de 2002 à 2006) et ses demandes réitérées en vue de sa promotion en classe K assortie d'une augmentation significative pour combler son retard de salaire. (Cf entretiens d'évaluation février 2002, mars et décembre 2004, février 2006)

Considérant que pour justifier de cette situation la BNP PARIBAS fait observer que le niveau K représente la classe la plus élevée dans le secteur bancaire, ( la classe L correspondant aux 'hors classes'), que Madame N. avait obtenu la classe J avant son départ en congé maternité en 1998, que le nombre de promotions aux niveaux J et K est réduit (1,6 %des effectifs en 2006 et 1,8 % en 2007 et 2008) et que la supérieure hiérarchique de la salariée était elle même classée au niveau K.

Considérant toutefois qu'un certain nombre d'autres éléments contredisent ces explications et montrent au contraire que le véritable motif du blocage ou de la stagnation de sa carrière tient à son absence prolongée de l'entreprise du fait de ses différents congés maternité et parental.

Considérant que ce constat peut être fait au regard :

-des raisons avancées par le gestionnaire individuel de carrière de BDDF pour justifier du rejet de la proposition d'augmentation formulée en 2004 par la supérieure hiérarchique de la demanderesse : « Certes, cette collaboratrice est diplômée d'HEC mais elle a interrompu son activité durant 10 ans ½ pour se consacrer à sa famille.» (cf courriel du 14 avril 2004)

-des refus systématiques opposés aux candidatures successives de la salariée à des emplois au sein de son pôle d'origine (BFI) malgré l'augmentation de son temps de travail ( de 2/5éme de temps en janvier 2000 à 4/5éme en janvier 2005).

-du témoignage de Monsieur B. délégué du personnel et collègue de travail de l'appelante selon lequel la direction des ressources humaines « poussait fortement Madame N. à démissionner plutôt que de s'employer à lui trouver un poste correspondant à ses compétences et à ses aspirations. »

Considérant que ces constatations laissent effectivement présumer que c'est bien l'interruption de carrière de Madame N. qui est à l'origine de la situation qu'elle dénonce.

-sur les critères de comparaison en matière de rémunération

Considérant que Madame N. est née en 1958, qu'elle a intégré la BNP PARIBAS en 1982 et que son ancienneté à son départ de l'entreprise était de 19 ans soit 14 ans dans l'entreprise et 10 ans en congé parental et conventionnel ramené à 5 ans conformément à l'article L. 1225-54 du Code du Travail.

Qu'en cours d'instance elle a saisi la HALDE de sa situation.

Considérant qu'en réponse à une demande de la HALDE dans le cadre de l'instruction du dossier, la BNP a transmis à cet organisme des données permettant d'établir des comparaisons concernant des salariés de différents pôles d'activité de la banque et se trouvant dans des situations comparables à celles de la demanderesse s'agissant notamment des diplômes et de l'ancienneté professionnelle.

Considérant que ces données dont la pertinence n'est pas remise en cause ont été analysées dans le cadre d'une expertise confiée par la HALDE à Monsieur C..

Considérant que la société BNP PARIBAS fait valoir que cette expertise non contradictoire ne lui est pas opposable.

Considérant toutefois que le rapport litigieux, qui a été établi sur la base des données fournies par la BNP elle-même, a été soumis à la discussion contradictoire des parties ; que les représentants et conseil de la BNP ont pu en discuter le contenu et les conclusions ainsi que cela résulte des observations écrites déposées par le conseil de l'intimée le 16 novembre 2009 et des auditions du même jour.

Considérant au surplus que l'examen de l'affaire devant la cour a été renvoyé à la demande de l'intimée afin de lui permettre de présenter éventuellement des observations écrites complémentaires, ce qui conduit au rejet des objections qu'elle a formulées de ce chef.

Considérant que le tableau récapitulatif des rémunérations hommes/femmes établi par la HALDE sur la base des données transmises par la société BNP PARIBAS fait apparaître quel que soit le panel de comparaison choisi (HEC, Bac + 5, BFI ou tout pôle d'activité) avec des salariés hommes ou femmes ayant entre 36 et 46 ans et 12 à 18 ans d'ancienneté que :

-pour tous les pôles d'activité de l'entreprise, les femmes perçoivent une rémunération inférieure à celle de leurs collègues salariés masculins ayant le même diplôme (HEC ou Bac + 5), une date d'entrée comparable (entre 1978 et 1986) un âge comparable (nés entre 1954 et 1962) et un même environnement professionnel (région parisienne)

-la rémunération de Madame N. (ramenée en temps plein à 53 760 euros) est nettement inférieure à celle des salariés hommes de sa génération et à la rémunération moyenne (brut fiscal moyen) des hommes et des femmes de niveau J comme elle.

Considérant que les observations formulées par l'inspecteur du travail sur la base de données communiquées par la société (31 dossiers de salariés diplômés d'HEC) à la suite de la réclamation de la salariée confirment ces constatations.

Qu'il résulte en substance des courriers adressés à la société par l'inspecteur du travail que :

-Madame N. n'a pas bénéficié d'une évolution professionnelle et salariale normale depuis son retour de congé parental d'éducation.

-le salaire moyen des hommes est de 114 146 euros et celui des femmes de 76 893 euros

-le salaire médian des hommes est de 110 151 euros et celui des femmes est de 78 804 euros, ce qui démontre une nette inégalité de traitement entre hommes et femmes au sein de la banque. (cf courriers des 28/12/2006 et 19/01/2007)

Considérant que pour démontrer que la rémunération de Madame N. se situe dans la moyenne de ses collègues de travail hommes ou femmes ayant un niveau hiérarchique, une ancienneté et un niveau de formation équivalents, la société BNP PARIBAS communique en appel des extraits de fichiers RH de personnels cadres, hommes et femmes, diplômés Bac + 5 dont l'âge est situé entre 36 et 44 ans et avec une ancienneté comprise entre 12 et 18 ans, correspondant à celle de Madame N..

Considérant que ce panel, outre qu'il a manifestement été choisi pour les besoins de la cause, ne peut être retenu dès lors d'une part que contrairement au panel dont il est fait état plus haut, il ne concerne qu'un nombre limité de salariés dans un seul secteur d'activité de la banque (BDDF) et ne comporte aucun salarié diplômé d'HEC alors qu'il est acquis que l'entreprise emploie un nombre important de personnes possédant ce diplôme et que ceux-ci figurent parmi les cadres dirigeants percevant les plus hauts salaires.

Considérant par ailleurs que la société défenderesse ne fournit aucun élément objectif de nature à justifier de l'inégalité générale de traitement entre hommes et femmes au sein de l'entreprise, ni au cas particulier de Madame N., du retard dans l'évolution de sa carrière et de la stagnation de sa rémunération, alors que l'interruption de sa carrière pour congé parental et son emploi à temps partiel ne peuvent constituer des motifs légitimes de différenciation tant au regard du droit interne que des principes découlant du droit communautaire.

Considérant que les éléments énoncés ci-dessus caractérisent suffisamment la situation de discrimination dénoncée par la demanderesse, qu'il s'agisse des conditions de sa réintégration, du montant de sa rémunération et de l'évolution de sa carrière à l'issue de son congé parental, ce qui rend la rupture du contrat de travail imputable à l'employeur.

Considérant que la prise d'acte de la rupture de son contrat par la demanderesse produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui lui ouvre droit aux indemnités légales de rupture, ainsi qu'à des dommages et intérêts.

Considérant que la salariée est également en droit d'obtenir la réparation de l'entier préjudice subi du fait de la discrimination opérée par l'employeur.

Sur les demandes en paiement de Madame N.

-préjudice résultant de la discrimination

-préjudice financier

Considérant que l'appelante a évalué son préjudice à ce titre en appliquant la règle dite « du triangle » (écart actuel de salaire x nombre d'années de discrimination / 2 + incidence sur la retraite).

Considérant que si ce préjudice peut être utilement mesuré par l'application de cette formule basée sur des facteurs objectifs, précis et contrôlables, encore est il nécessaire que ceux-ci correspondent à la situation réelle de la salariée, s'agissant de la durée de la discrimination et du montant du salaire de référence.

Considérant que les éléments intégrés par Madame N. dans son calcul sur ces deux points ne peuvent être retenus.

Considérant en effet que pour les motifs déjà exposés plus haut, la durée de la discrimination doit être limitée à la période postérieure à son retour dans l'entreprise soit 7,5 années et non calculée à compter de son entrée dans l'entreprise comme elle le fait.

Considérant par ailleurs que pour calculer de l'écart de salaire, l'appelante a pris comme base de référence un salaire moyen annuel de 431 900,50 euros qui ne peut être considéré comme pertinent car il ne prend en compte que des salariés hommes, dépendant tous du pôle BFI, bénéficiant des rémunérations les plus élevées et exerçant des fonctions et responsabilités non comparables à celles de Madame N..

Considérant que pour fixer le salaire de comparaison, il convient de retenir un panel élargi à tous les secteurs de l'entreprise comprenant des hommes et des femmes ayant le même diplôme (HEC), une ancienneté comparable (entre 1978 et 1986) et un âge comparable (nés entre 1954 et 1962).

Considérant que répond à cette définition le panel de 18 personnes (6 femmes et 12 hommes) dit 1-2 dans le rapport d'expertise de la HALDE, qui fait apparaître un brut fiscal médian de 134 379 euros pour les hommes et de 80 470 euros pour les femmes, ce qui donne un salaire annuel de comparaison moyen de 107 424,5 euros et un écart de rémunération de 53 664,50 euros. [ 107 424,50 € - 53 760 € (salaire de Madame N. 2006 rétabli à temps plein)]

Considérant que le préjudice doit donc être calculé ainsi qu'il suit :

53 664,50 € x 7,5 années x 60% (moyenne du temps de travail de la salariée pendant la période ) / 2 = 120 745,12 € + 30 % (incidence sur les droits à la retraite) = 156 968,65 euros.

Considérant que le jugement sera infirmé en ce sens.

-préjudice moral

Considérant que du fait de la discrimination dont elle a été victime Madame N. a subi un préjudice dont la cour peut fixer l'indemnisation à la somme de 7000 euros.

-indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents

Considérant que le salaire mensuel de Madame N. reconstitué en fonction de l'écart de rémunération défini ci-dessus s'élève pour un temps plein à la somme de 8952 euros, ramenée au temps partiel de 80% en cours lors de la rupture soit 7161 euros.

Considérant que la salariée ayant droit à un préavis de trois mois, la somme lui revenant est de 21 483 euros outre 2148,30 euros au titre des congés payés afférents.

-indemnité légale de licenciement

Considérant que par application de l'article R.1234-2 du Code du Travail et sur la base d'une ancienneté de 19 ans l'appelante doit percevoir la somme de 14 035,56 euros à ce titre.

-dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Considérant qu'il y a lieu à application de l'article L.1235-3 du Code du Travail.

Considérant qu'eu égard à l'ancienneté de Madame N. dans l'entreprise, à son âge, au montant de sa rémunération et aux justificatifs produits, la somme de 150 000 euros allouée en première instance répare justement le préjudice causé par la rupture du contrat de travail.

Que le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la capitalisation des intérêts

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 1154 du code civil les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ;

Considérant qu'il n'est pas démontré que le retard apporté au paiement de la créance ou le non-paiement de celle-ci soient dus à l'attitude fautive de la salariée.

Qu'il convient, en application des dispositions de l'article 1154 du code civil, d'ordonner la capitalisation des intérêts de droit échus sur ces sommes.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Considérant qu'en application de l'article L.1235-4 du Code du Travail il y a lieu à remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Madame N. dans la limite de six mois d'indemnités.

Considérant que la société BNP PARIBAS qui succombe supportera les dépens et indemnisera Madame N. des frais exposés en appel à concurrence de la somme de 4000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et contradictoirement

Infirmant partiellement le jugement déféré et statuant à nouveau,

Condamne la SA BNP PARIBAS à payer à Madame Marie-Guity N. les sommes suivantes :

-156 968,65 euros au titre du préjudice financier résultant de la discrimination.

-7000 euros au titre du préjudice moral résultant de la discrimination

- 21 483 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 2148,30 euros au titre des congés payés afférents

-14 035,56 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

les dites sommes avec intérêts au taux légal à compter e la date de réception de la convocation en justice par la défenderesse pour les sommes exigibles à cette date et à compter de leur date d'exigibilité pour le surplus.

Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code Civil.

Confirme le jugement en ses autres dispositions non contraires aux présentes.

Ajoutant au jugement,

Condamne la SA BNP PARIBAS à payer à Madame Marie-Guity N. la somme de 4000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Condamne la SA BNP PARIBAS à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de six mois d'indemnités.

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Condamne la société BNP PARIBAS aux dépens d'appel.